Contrôle des matières nucléaires : vers une réglementation plus efficace

Dossier : La gestion des incertitudesMagazine N°632 Février 2008Par Pierre FUNK

Quelles sont les missions de l’IRSN ?

Quelles sont les missions de l’IRSN ?

L’In­sti­tut de radio­pro­tec­tion et de sûreté nucléaire (IRSN) a été créé en 2002 par la fusion de l’IP­SN et de l’O­PRI. Sous la tutelle de cinq min­istères, fort d’en­v­i­ron 1 600 per­son­nes, l’IRSN est en charge de l’é­val­u­a­tion sci­en­tifique du risque nucléaire et radi­ologique pour des clients la plu­part du temps insti­tu­tion­nels, en France et à l’é­tranger. Les mis­sions de la DEND sont triples : pro­tec­tion et con­trôle des matières nucléaires et sen­si­bles ; pro­tec­tion des instal­la­tions nucléaires et des matières nucléaires en cours d’u­til­i­sa­tion, en stock­age ou lors de leur trans­port ; sûreté et radio­pro­tec­tion des instal­la­tions nucléaires rel­e­vant de la Défense. 

Qui détient des matières nucléaires en France ?

La plus grande par­tie est détenue par EDF, AREVA et le CEA. Une ving­taine de ” petits déten­teurs ” dépassent un cer­tain seuil imposant une autori­sa­tion et des con­trôles. Au-dessous de ce seuil, plusieurs cen­taines de déten­teurs sont soumis à un régime de déc­la­ra­tion (hôpi­taux, universités…). 

Où commence le risque d’utilisation à des fins militaires ?

En se lim­i­tant ici à l’u­ra­ni­um, on dis­tingue plusieurs caté­gories, en fonc­tion de l’en­richisse­ment en iso­tope 235 (pour­cent­age d’u­ra­ni­um 235) : l’u­ra­ni­um naturel (enrichisse­ment égal à 0,71 %), l’u­ra­ni­um appau­vri (enrichisse­ment inférieur à 0,71 %), l’u­ra­ni­um faible­ment enrichi (enrichisse­ment com­pris entre 0,71 % et 20 %) et l’u­ra­ni­um très enrichi (enrichisse­ment supérieur à 20 %). L’u­ra­ni­um util­isé pour la pro­duc­tion d’élec­tric­ité en France est enrichi à moins de 5 % et l’u­ra­ni­um à usage mil­i­taire dépasse un taux d’en­richisse­ment de 85 %. 

Que doit-on contrôler ?

Chaque déten­teur de matière nucléaire est tenu de faire con­naître à tout moment la qual­ité et la quan­tité de matière nucléaire qu’il détient. Il doit en tenir la compt­abil­ité. Les con­trôles, effec­tués avec le con­cours tech­nique de l’IRSN, sont des­tinés à véri­fi­er péri­odique­ment l’ef­fi­cac­ité des procé­dures mis­es en place et la valid­ité des déc­la­ra­tions de matières nucléaires. La véri­fi­ca­tion de celles-ci entraîne chaque année une soix­an­taine d’in­spec­tions, dont une dizaine d’in­spec­tions dites ren­for­cées com­por­tant des mesures, d’une durée d’une semaine env­i­ron chacune. 

Comment effectue-t-on les mesures ?

Une chaîne de mesure
L’uranium 235 émet de manière spon­tanée des pho­tons de dif­férentes éner­gies. Un détecteur de ray­on­nement per­met de les class­er en fonc­tion de leur énergie, don­nant un spec­tre d’énergie con­sti­tué de raies cor­re­spon­dant à des pics d’énergie. Il faut trente min­utes env­i­ron pour obtenir un spec­tre exploitable. Ce spec­tre est alors analysé à l’aide d’un ou plusieurs logi­ciels spé­cial­isés. L’analyse néces­site l’utilisation d’algorithmes per­for­mants de décon­vo­lu­tion du fait de la super­po­si­tion de nom­breuses raies. Elle s’effectue en quelques secondes.

Les mesures effec­tuées par l’IRSN met­tent en oeu­vre un matériel mobile. L’échan­til­lon d’u­ra­ni­um à mesur­er, qu’il se présente sous une forme métallique, liq­uide, gazeuse, pul­véru­lente ou de céramique, est soumis à un détecteur de ray­on­nement. Le spec­tre obtenu est alors analysé par un logi­ciel spé­cial­isé. Ces logi­ciels ont été dévelop­pés par dif­férentes sociétés ou organ­ismes en France (CEA) et aux États-Unis et sont com­mer­cial­isés auprès des déten­teurs de matières ou des insti­tuts comme l’IRSN. Ce dernier tra­vaille avec trois out­ils logi­ciels dif­férents (bap­tisés MGA, Fram et IGA), cha­cun étant adap­té à une plage d’én­ergie particulière. 

Où interviennent les incertitudes ?

Les mesures effec­tuées et déclarées par le déten­teur sont elles-mêmes entachées d’une cer­taine impré­ci­sion. Celles de l’or­gan­isme de con­trôle, qui doivent faire foi, ne sont pas exemptes égale­ment d’in­cer­ti­tudes. Il est néces­saire que le con­trôle aboutisse à des résul­tats incon­testa­bles avec un inter­valle de con­fi­ance le plus réduit pos­si­ble. Or la sim­plic­ité néces­saire de la mesure entraîne en con­trepar­tie une grande com­plex­ité des calculs. 

Comment peut-on réduire ces incertitudes ?

Les sources de référence
Les « sources d’uranium d’enrichissement cer­ti­fié » sont des sources scel­lées, con­formes aux normes mécaniques et d’étanchéité de l’Afnor. Vingt sources ont été fab­riquées. Elles se présen­tent sous la forme d’une poudre d’uranium, dans une gamme d’enrichissement com­prise entre 0,3 % et 89 %.

On peut réduire les incer­ti­tudes en démon­trant l’in­flu­ence, ou la non-influ­ence, de paramètres liés à la mesure elle-même.L’IRSN a défi­ni un plan d’ex­péri­men­ta­tion à par­tir de sources d’u­ra­ni­um de référence. Cinq paramètres ont été défi­nis : enrichisse­ment de l’u­ra­ni­um ; dis­tance entre la source et le détecteur (deux mesures sont effec­tuées, à 10 cen­timètres et à 40 cen­timètres) ; épais­seur de l’écran inter­posé entre la source et le détecteur (générale­ment pour des prob­lèmes de radio­pro­tec­tion) ; ” matrice ” dans laque­lle est con­di­tion­né l’u­ra­ni­um (on s’ef­force par exem­ple de repro­duire un con­di­tion­nement car­ac­téris­tique de fût de déchets) ; opérateur. 

Les mesures étalonnées sont-elles correctes ?

Le taux d’enrichissement de l’uranium à usage mil­i­taire est dix-sept fois supérieur à celui de l’uranium util­isé dans les cen­trales nucléaires

Dans l’ensem­ble, les résul­tats obtenus ont mon­tré une bonne valid­ité des mesures effec­tuées. Les incer­ti­tudes sont cor­recte­ment déter­minées pour les enrichisse­ments com­pris entre 1 % et 20 % ; pour les enrichisse­ments supérieurs à 20 %, l’es­ti­ma­tion est cor­recte sauf en cas de présence d’un écran, où elles sont plutôt sous-estimées (fac­teur cor­rec­tif à appli­quer de l’or­dre de 2) ; pour les enrichisse­ments faibles inférieurs à 1 %, les incer­ti­tudes cal­culées par le logi­ciel sont en générales supérieures à celles con­statées expéri­men­tale­ment (de 10 à 25 %). 

Que faire ?

Dans des con­di­tions de mesure opti­males, les incer­ti­tudes sem­blent donc cor­recte­ment éval­uées. Sur le ter­rain, la réal­i­sa­tion de mesures est sou­vent soumise à des dif­fi­cultés résul­tant de con­traintes de temps, d’ac­cès aux matières, d’en­vi­ron­nement… En con­séquence, l’IRSN a décidé de pour­suiv­re la démarche expéri­men­tale, qui per­met de faire pro­gress­er à la fois la qual­ité des mesures et le retour d’ex­péri­ence per­me­t­tant une meilleure appli­ca­tion de la réglementation.

Propos recueillis par Jean-Marc Chabanas (58)
et Hubert Jacquet (64)

Un ouvrage de référence
J. Jalouneix et D. Win­ter : Pro­tec­tion et con­trôle des matières nucléaires, Tech­niques de l’ingénieur, BN 3940, juil­let 2007.

Poster un commentaire