La gestion des incertitudes

Dossier : La gestion des incertitudesMagazine N°632 Février 2008
Par Bernard BEAUZAMY (68)



Doc­tor­at d’État en math­é­ma­tiques (1976), pré­paré sous la direc­tion de Lau­rent Schwartz, dans les labos de l’École ; pro­fesseur à la Fac­ulté des Sci­ences de Lyon (1979–1995) ; PDG, Société de Cal­cul Math­é­ma­tique S A depuis 1995 

Editorial

L’absence d’information, ou son insuff­i­sance, pose sou­vent prob­lème aux ingénieurs, qui doivent con­seiller les décideurs : leur for­ma­tion sci­en­tifique les pousse à sug­gér­er de dif­fér­er les déci­sions jusqu’à ce que l’information soit com­plète. Or l’information n’est jamais com­plète, et il arrive que la déci­sion ne soit jamais prise. Dans le même ordre d’idées, les ingénieurs ten­dent à penser qu’il faut essay­er de cal­culer le plus exacte­ment pos­si­ble. Or, quel que soit le domaine, il sub­siste tou­jours une part d’incertitude dont il faut s’accommoder : la réduire au-delà de cer­taines lim­ites n’est ni pos­si­ble ni même souhaitable, tant les coûts devi­en­nent pro­hibitifs, pour un béné­fice générale­ment très mince. Par exem­ple, dans le domaine de la sis­molo­gie, on peut mul­ti­pli­er les car­togra­phies, les for­ages, les réseaux d’alerte, etc. Mais il est plus sim­ple et moins coû­teux d’adopter des normes de con­struc­tion grossières, déduites d’estimations probabilistes.
 L’importance de cette incer­ti­tude, la manière de la gér­er dépen­dent des domaines. Cer­tains ont recours à des méth­odes dites « déter­min­istes » ; d’autres à des méth­odes dites « prob­a­bilistes » pour col­lecter l’information ou pour pren­dre les déci­sions. Ces méth­odes restent évidem­ment impar­faites et cri­ti­quables. C’est ce qu’illustre le dossier qui fait le cœur du présent numéro. On con­state en effet que, presque partout, les con­struc­tions intel­lectuelles seraient sat­is­faisantes si tout était con­nu, mais qu’elles sont défail­lantes du fait des incer­ti­tudes : on saurait dimen­sion­ner cor­recte­ment un réseau de trans­port si les horaires étaient respec­tés et les flux de voyageurs con­nus ; on saurait dimen­sion­ner cor­recte­ment une con­struc­tion si on savait ce que « séisme cen­ten­nal » veut dire. La final­ité de ce dossier est avant tout, en s’appuyant sur des exem­ples car­ac­téris­tiques, d’éclairer des décideurs sur les lim­ites des méth­odes actuelles de ges­tion des risques.

Conclusion : Réflexions sur l’enseignement des incertitudes

Les ingénieurs, je l’ai dit dans mon arti­cle, n’aiment pas les incer­ti­tudes et je pense que cela vient de l’enseignement que nous avons reçu : pas seule­ment de l’enseignement sci­en­tifique, mais de l’enseignement en général, du pri­maire au supérieur. Je ne me rap­pelle pas, pen­dant mes études, avoir enten­du un seul de mes pro­fesseurs men­tion­ner que tel fait, telle don­née, telle infor­ma­tion n’étaient pas con­nus avec certitude.

On nous a enseigné la chronolo­gie des Pharaons, mais j’ai décou­vert par la suite que sub­sis­taient des incer­ti­tudes de mille années ! De même, on pré­tend savoir déchiffr­er les hiéro­glyphes, recon­stituer telle bataille, lire les dessins préhis­toriques, dater les fos­siles : mais ce ne sont là, si on y réflé­chit un peu, que dires d’expert, sur lesquels on n’est même pas capa­ble d’évaluer l’incertitude. Moi-même, pen­dant ma car­rière d’enseignant, comme assis­tant à Poly­tech­nique (1972–1975) puis comme pro­fesseur à l’université de Lyon (1976–1995), je ne me sou­viens pas avoir une seule fois par­lé d’incertitudes, alors que j’enseignais les probabilités !

Il a fal­lu que je crée une entre­prise, que je sois con­fron­té aux prob­lèmes de la vie réelle, pour me ren­dre compte que les incer­ti­tudes étaient un élé­ment essen­tiel de tous les prob­lèmes et, en réal­ité, le plus préoc­cu­pant de tous, récla­mant des out­ils spé­ci­fiques, dont nous par­lerons plus loin. Mais dans le domaine his­torique comme dans le domaine sci­en­tifique, retenons ceci : les incer­ti­tudes exis­tent, et elles exis­tent de manière fondamentale.

Toutes ten­ta­tives pour les élim­in­er par voie régle­men­taire : le GIEC qui déclare « il n’y a plus de place pour la dis­cus­sion, le réchauf­fe­ment est avéré », ou bien tel homme poli­tique qui entend impos­er sa vision de l’Histoire, sont inac­cept­a­bles sur le plan sci­en­tifique. Sur n’importe quel sujet, his­torique comme sci­en­tifique, la dis­cus­sion doit être ouverte et la remise en cause pos­si­ble. Glob­ale­ment, l’humanité n’a pas à être fière de ses cer­ti­tudes ; elle ferait mieux de faire preuve d’un peu plus d’humilité. Voir, sur le sujet pré­cis de l’histoire des expli­ca­tions cos­mologiques, l’excellent livre d’Aldous Hux­ley Les Som­nam­bules..

Commentaire

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Lau­rent Duvalrépondre
20 décembre 2011 à 20 h 52 min

http://www.laurent-duval.eu/

“Voir, sur le sujet pré­cis de l’histoire des expli­ca­tions cos­mologiques, l’excellent livre d’Aldous Hux­ley Les Som­nam­bules..” Par­mi les incer­ti­tudes clas­siques, citons celle con­sis­tant à attribuer une œuvre à son auteur ; une vul­gate trop clas­sique attribuant “Les som­nam­bules” à Arthur Koestler : http://en.wikipedia.org/wiki/The_Sleepwalkers Sachons remet­tre en cause les dogmes !

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