Une approche probabiliste pour mieux gérer les mouvements de terrain

Dossier : La gestion des incertitudesMagazine N°632 Février 2008
Par Jean-Louis DURVILLE (68)

Un événe­ment « unique »

Un événe­ment « unique »
Par rap­port à d’autres phénomènes naturels, séismes, inon­da­tions, avalanch­es, etc., les mou­ve­ments de ter­rain présen­tent quelques spé­ci­ficités : chaque événe­ment affecte une zone lim­itée, à la dif­férence par exem­ple d’un séisme qui frappe de vastes régions ; cer­tains événe­ments sont par­faite­ment iden­ti­fiés à l’avance, par exem­ple lorsqu’il s’agit du bas­cule­ment d’une colonne rocheuse bien indi­vid­u­al­isée ; d’autres en revanche ne sont pas bien local­isés (chutes de pier­res le long d’une falaise, par exem­ple) ; chaque événe­ment est unique, par oppo­si­tion aux pluies extrêmes, aux crues ou aux avalanch­es qui peu­vent se pro­duire qua­si­ment à l’identique plusieurs fois au même endroit.

L’ex­pres­sion ” mou­ve­ments de ter­rain ” regroupe des phénomènes très var­iés et la ter­mi­nolo­gie est riche : glisse­ments, éboule­ments, chutes de blocs, coulées boueuses, fontis, etc., cor­re­spon­dant à dif­férents mécan­ismes de rup­ture, dif­férents matéri­aux (argiles, roches dures, etc.), dif­férentes dynamiques, ou dif­férentes dimen­sions (de quelques décimètres cubes à plusieurs cen­taines de mil­lions de mètres cubes). La demande de ” prob­a­bil­isme ” et de quan­tifi­ca­tion des risques est de plus en plus pres­sante, dans le domaine des mou­ve­ments de ter­rain comme pour tous les autres risques. Si l’u­til­i­sa­tion des prob­a­bil­ités en génie para­sis­mique ou en hydrolo­gie a déjà une longue his­toire, il n’en est pas de même pour ce qui con­cerne les mou­ve­ments de ter­rain. Nous exam­inons ci-dessous dans quelle mesure l’emploi des prob­a­bil­ités peut aider à répon­dre aux pre­mières ques­tions posées au spé­cial­iste : quand ? où ? quoi ? Selon la ter­mi­nolo­gie habituelle des risques naturels, le terme d’aléa désigne l’oc­cur­rence du phénomène naturel, le terme de risque inclu­ant les con­séquences sur les per­son­nes et sur les biens. 

Le déclenchement d’un mouvement de terrain


Éboule­ments en Lozère.

Fig­ure 1 – Évo­lu­tions des prob­a­bil­ités de rup­ture durant l’année n, con­di­tion­nelle­ment à la survie jusqu’à l’année n‑1.

Un mou­ve­ment de ter­rain d’o­rig­ine naturelle est l’aboutisse­ment d’un proces­sus de pré­pa­ra­tion et de développe­ment de la rup­ture qui peut pren­dre plusieurs décen­nies, plusieurs siè­cles ou plusieurs mil­liers d’an­nées. Les mou­ve­ments de ter­rain con­stituent en effet un des mécan­ismes de l’éro­sion qui assure le déman­tèle­ment pro­gres­sif des reliefs. En ce sens, on peut con­sid­ér­er que la mise en mou­ve­ment, en un point don­né d’un ver­sant, de tranch­es suc­ces­sives de ter­rain (à l’échelle du temps géologique), sous forme de glisse­ments de sol meu­ble ou d’éboule­ments rocheux, se pro­duit suiv­ant un proces­sus de renou­velle­ment : les dates d’oc­cur­rence se répar­tis­sent suiv­ant un mod­èle aléa­toire ana­logue à celui util­isé pour les pannes de lam­pes élec­triques par exem­ple, chaque occur­rence ” ramenant le comp­teur à zéro “. En effet, le départ d’une por­tion de ter­rain met à nu une nou­velle sur­face, qui va pro­gres­sive­ment être dégradée (altéra­tion météorique, fatigue mécanique, éro­sion de pied par un cours d’eau, etc.) jusqu’à ce qu’une nou­velle rup­ture se pro­duise, et ain­si de suite. Dans ce type de mod­èle, le ” temps d’at­tente avant rup­ture ” que l’on peut estimer (aujour­d’hui et pour un point pré­cis du ver­sant) dépend du stade de mûrisse­ment du proces­sus de dégra­da­tion de ce point. Un cas par­ti­c­uli­er de proces­sus de renou­velle­ment est le proces­sus de Pois­son, qui est un proces­sus sans mémoire : dans ce cas, il n’y a pas de dégra­da­tion pro­gres­sive de la sit­u­a­tion, et celle-ci n’est pas influ­encée par le fait que la précé­dente rup­ture soit très anci­enne ou toute récente. On voit immé­di­ate­ment que ce mod­èle, fréquem­ment employé pour les événe­ments d’o­rig­ine météorologique (l’ab­sence de mémoire d’une année sur l’autre est le plus sou­vent admis­si­ble), n’est pas bien adap­té aux mou­ve­ments de ter­rain. Si l’on appelle p(n) la prob­a­bil­ité que la rup­ture d’une masse rocheuse bien iden­ti­fiée se pro­duise durant l’an­née n, con­di­tion­nelle­ment à sa survie jusqu’au 1er jan­vi­er de cette année n, on peut avoir plusieurs types d’évo­lu­tion de p(n) avec n, comme l’indique la fig­ure 1. La courbe 1 représente un proces­sus avec dégra­da­tion pro­gres­sive : éro­sion du pied d’un ver­sant insta­ble (pré­pa­ra­tion d’un glisse­ment), dis­so­lu­tion d’un niveau gypseux (pré­pa­ra­tion d’un effon­drement), etc. La courbe 2 représente un proces­sus de Pois­son. La courbe 3 sché­ma­tise le cas d’un site où une pro­tec­tion à effet dif­féré a été mise en place, plan­ta­tion d’ar­bres sur un ver­sant, par exem­ple. Les notions couram­ment employées de ” prob­a­bil­ité annuelle ” ou de ” fréquence annuelle ” de rup­ture, implicite­ment con­sid­érées comme con­stantes, n’ont donc de sens que dans le cas du proces­sus de Pois­son. Du point de vue de la ges­tion du risque, les évo­lu­tions de type 1 et 2 sont bien dif­férentes. Prenons par exem­ple une courbe de type 1 : la prob­a­bil­ité de rup­ture dans les dix prochaines années peut être con­sid­érée comme assez faible, compte tenu de l’ab­sence d’indices d’évo­lu­tion actuelle (on n’ob­serve pas de traces fraîch­es de fis­sures) ; mais la prob­a­bil­ité de rup­ture à long terme, d’i­ci un siè­cle, peut être rel­a­tive­ment élevée, compte tenu de la présence d’un fac­teur évo­lu­tif défa­vor­able tel qu’un banc rocheux gélif s’éro­dant petit à petit à la base de l’é­caille rocheuse con­sid­érée. On peut donc accepter sur le site cer­tains types d’ac­tiv­ités ou d’in­stal­la­tions, à car­ac­tère pro­vi­soire, mais on s’in­ter­di­ra tout amé­nage­ment lourd à durée de vie longue. 

Les mouvements de terrain à l’échelle d’une zone homogène

L’exemple de La Réunion
La route nationale n° 1, à La Réu­nion, longe sur une dizaine de kilo­mètres le pied d’une falaise con­sti­tuée de coulées de basalte alter­nant avec des scories très érod­ables. La Direc­tion départe­men­tale de l’équipement (DDE) ayant instau­ré une patrouille per­ma­nente pour le relevé des chutes de blocs, nous dis­posons de don­nées quo­ti­di­ennes : la fréquence annuelle est d’environ 100 chutes pour l’ensemble de l’itinéraire. Que peut-on en déduire pour un point don­né de l’itinéraire ? La falaise pos­sé­dant une hau­teur moyenne de 60 m, la sur­face de paroi est d’environ 600 000 m². Si l’on sup­pose qu’un site d’éboulement typ­ique représente env­i­ron 6 m² de falaise, et que la paroi est glob­ale­ment homogène, l’ordre de grandeur de la péri­ode de retour en un site ponctuel est de mille ans.

La sit­u­a­tion est dif­férente si l’on con­sid­ère l’oc­cur­rence d’événe­ments non plus en un point don­né, mais sur tout un secteur homogène : cas de chutes de blocs provenant d’un linéaire impor­tant de falaise, de fontis appa­rais­sant dans un plateau kars­tique de plusieurs kilo­mètres car­rés, etc. Le car­ac­tère homogène du secteur est essen­tiel : même for­ma­tion géologique, mêmes con­di­tions de relief, même cli­mat, etc. La série tem­porelle des événe­ments sur­venant dans un tel secteur peut sou­vent être assim­ilée à un proces­sus de Pois­son. Dans la mesure où le secteur con­sid­éré com­prend un grand nom­bre de sites poten­tiels et où ces dif­férents sites sont à des stades d’évo­lu­tion très vari­ables, l’oc­cur­rence des événe­ments devient sta­tion­naire et l’on peut par­ler alors de la péri­ode de retour T de l’événe­ment ” chute d’un bloc provenant d’un point quel­conque de la falaise ” par exem­ple. En moyenne, il tombe donc 1/T bloc(s) par an, si T est exprimée en années. Il faut donc bien dis­tinguer le diag­nos­tic en un point pré­cis, pour lequel il est indis­pens­able d’é­val­uer le stade de développe­ment actuel de la rup­ture, et le diag­nos­tic à l’échelle régionale, pour lequel une approche glob­ale de type pois­sonien peut suf­fire (fréquence annuelle des événements). 

L’influence des précipitations

Un mod­èle prob­a­biliste n’a de sens que s’il est pos­si­ble d’estimer cor­recte­ment les paramètres du modèle

L’ex­péri­ence mon­tre que les insta­bil­ités se pro­duisent essen­tielle­ment pen­dant la sai­son plu­vieuse ou à la fonte des neiges. La dépen­dance vis-à-vis des pré­cip­i­ta­tions con­duit à envis­ager une prob­a­bil­ité de l’événe­ment con­di­tion­nelle­ment à une pré­cip­i­ta­tion don­née, par exem­ple cumulée sur les dernières 24 heures ; cette approche a été util­isée à une échelle régionale dans une per­spec­tive d’alerte à court terme, à Hong-Kong notam­ment. Sur la RN 1 de La Réu­nion, il est patent que les chutes de blocs sont très nom­breuses lors des fortes pluies trop­i­cales. L’é­tude sta­tis­tique mon­tre que le nom­bre men­su­el N de chutes de blocs peut être relié à la hau­teur men­su­elle de pré­cip­i­ta­tions, la cor­réla­tion restant toute­fois médiocre. Toute­fois, comme on le ver­ra plus loin, la dépen­dance vis-à-vis de la pluie, pour lim­itée qu’elle soit, peut être exploitée pour amélior­er la ges­tion du risque à court terme. 

La difficulté de l’estimation

L’u­til­i­sa­tion d’un mod­èle prob­a­biliste n’a de sens que s’il est pos­si­ble d’es­timer cor­recte­ment les paramètres du mod­èle. De façon générale, on dis­pose de deux types de méth­odes pour iden­ti­fi­er une prob­a­bil­ité : les méth­odes indi­rectes et les méth­odes directes.

Des cal­culs complexes
En pra­tique, l’emploi des méth­odes indi­rectes est freiné par la com­plex­ité des cal­culs, si l’on veut pren­dre en compte la vari­abil­ité spa­tiale des car­ac­téris­tiques mécaniques ou les cor­réla­tions entre celles-ci, et surtout par l’importance des recon­nais­sances géotech­niques qu’il serait néces­saire d’entreprendre pour pou­voir estimer cor­recte­ment les paramètres.
En out­re, la plu­part des auteurs qui ont expéri­men­té cette approche n’ont pas incor­poré, dans leur mod­èle prob­a­biliste, le temps, qui inter­vient à tra­vers les vari­a­tions de la hau­teur des nappes phréa­tiques ou le « vieil­lisse­ment » des car­ac­téris­tiques mécaniques.

Les méth­odes indi­rectes sont sou­vent util­isées dans le risque indus­triel : la prob­a­bil­ité de ruine du sys­tème est éval­uée à par­tir des prob­a­bil­ités de rup­ture des dif­férents élé­ments qui com­posent le sys­tème, ou en fonc­tion de car­ac­téris­tiques dont les lois de prob­a­bil­ité sont elles-mêmes con­nues. Dans le domaine des insta­bil­ités de pente, on peut ten­ter d’é­val­uer : Pro­ba (insta­bil­ité) = Pro­ba (F = R/M <1) où F représente le coef­fi­cient de sécu­rité, R les efforts résis­tants max­i­maux mobil­is­ables et M les efforts moteurs. R et M sont con­sid­érés comme des fonc­tions de vari­ables aléa­toires telles que les résis­tances au cisaille­ment des sols ou l’é­pais­seur des ter­rains meubles. Les méth­odes directes d’es­ti­ma­tion reposent sur la fréquence empirique des événe­ments. L’hy­pothèse implicite est que les con­di­tions générales futures seront les mêmes que par le passé ; elle est en général jus­ti­fiée pour les phénomènes tels que les mou­ve­ments de ter­rain, même si les change­ments cli­ma­tiques peu­vent per­turber l’analyse sur de très longues durées. Dans le cas des inon­da­tions ou des pluies extrêmes par exem­ple, on dis­pose de séries his­toriques de don­nées qui per­me­t­tent d’es­timer des péri­odes de retour décen­nales ou cen­ten­nales sat­is­faisantes. En ce qui con­cerne les mou­ve­ments de ter­rain, il est très rare de dis­pos­er de don­nées suff­isantes, le cas de la RN 1 cité plus haut restant exceptionnel. 

La question de l’intensité

C’est une obser­va­tion de portée générale que les phénomènes de grande ampleur sont (heureuse­ment) moins fréquents que ceux de faible ampleur, qu’il s’agisse de chutes de météorites, de séismes, de crues tor­ren­tielles ou de mou­ve­ments de terrain.

Fig­ure 2 – His­togramme des chutes de blocs sur la RN 1,
selon la masse éboulée.

En général, le con­texte mor­phologique et géologique per­met de don­ner une dimen­sion max­i­male aux mou­ve­ments de ter­rain pou­vant se pro­duire sur un site don­né : pour un glisse­ment de ter­rain par exem­ple, la longueur de la pente, l’é­pais­seur des for­ma­tions super­fi­cielles mobil­is­ables, etc. Les don­nées sta­tis­tiques disponibles pour les événe­ments de grande ampleur, donc rares, sont insuff­isantes pour caler cor­recte­ment un mod­èle prob­a­biliste. On a recours alors le plus sou­vent à une extrap­o­la­tion à par­tir des petites inten­sités : dans le cas des crues et des séismes, divers­es méth­odes ont été mis­es au point. Qu’en est-il pour les mou­ve­ments de ter­rain ? On peut admet­tre qu’une extrap­o­la­tion est val­able tant que les phénomènes répon­dent aux mêmes mécan­ismes et aux mêmes caus­es. Sur la RN 1 à La Réu­nion par exem­ple, la décrois­sance de la fréquence selon la masse éboulée est man­i­feste (figure2), mais les phénomènes majeurs s’analy­sent comme l’éboule­ment d’une tranche de falaise ayant une épais­seur de plusieurs mètres, avec une largeur et une hau­teur de quelques dizaines de mètres, c’est-à-dire un mécan­isme très dif­férent des chutes de blocs courantes liées à la mise en déséquili­bre d’un niveau de coulée basal­tique reposant sur des scories érod­ables : il n’y a donc pas de rai­son objec­tive d’ex­trapol­er les fréquences de la fig­ure 2 à ces éboule­ments majeurs.

La tra­jec­togra­phie
La tra­jec­toire d’un bloc dévalant une pente par une suc­ces­sion de rebonds désor­don­nés est impos­si­ble à prévoir pré­cisé­ment. Il paraît donc naturel de présen­ter les résul­tats des études tra­jec­tographiques sous forme probabiliste.
La prob­a­bil­ité qui intéresse le décideur est la com­posée de la prob­a­bil­ité de départ d’un bloc et de la prob­a­bil­ité que la tra­jec­toire atteigne un objec­tif, ponctuel ou linéaire, don­né. Con­cen­trons-nous sur la sec­onde probabilité.
L’incertitude majeure réside au niveau du rebond des blocs : la vitesse réfléchie dépend de la vitesse inci­dente (en trans­la­tion et en rota­tion), de la masse et de la forme du bloc, de son ori­en­ta­tion au moment du choc et de la nature et de la pente du terrain.
La dif­fi­culté provient du fait qu’il n’y a pra­tique­ment aucune don­née expéri­men­tale per­me­t­tant de con­stru­ire des dis­tri­b­u­tions de prob­a­bil­ité four­nissant l’angle de réflex­ion ou la vitesse réfléchie lors d’un rebond… Il est donc indis­pens­able – mais c’est rarement fait – de véri­fi­er la robustesse des résul­tats par rap­port aux dis­tri­b­u­tions de prob­a­bil­ité initiales.

La gestion du risque à l’aide de l’approche probabiliste

Le ges­tion­naire d’un ouvrage men­acé ou le maire d’une com­mune inqui­et pour la sécu­rité des habi­tants ont à pren­dre des déci­sions telles que : investisse­ment dans un ouvrage de pro­tec­tion, évac­u­a­tion d’une mai­son, etc. Ce n’est pas seule­ment l’aléa, qui con­cerne unique­ment le phénomène naturel, mais plutôt le risque, prenant en compte les con­séquences, qui intéresse les décideurs.

C’est le risque, prenant en compte les con­séquences, qui intéresse les décideurs

Dans le cas d’une route située en pied de falaise par exem­ple, l’ac­ci­dent se pro­duit si un bloc atteint la route au moment du pas­sage d’un véhicule, con­jonc­tion heureuse­ment beau­coup moins prob­a­ble que la seule chute (il faudrait aus­si analyser la pos­si­bil­ité d’ac­ci­dent lié à la présence d’un bloc tombé peu avant le pas­sage d’un véhicule). Pour un aléa don­né, le risque de ” coup au but ” sera d’au­tant plus élevé que le temps de séjour des véhicules dans la zone exposée sera long ; ce temps d’ex­po­si­tion est une fonc­tion du traf­ic et de la flu­id­ité de la cir­cu­la­tion. Dans un pre­mier temps, à sup­pos­er que l’on sache estimer le risque cor­recte­ment, celui-ci est com­paré au risque con­sid­éré comme accept­able. De façon générale, celui-ci peut s’ex­primer sous la forme d’un nom­bre moyen annuel de vic­times, ou d’un coût moyen annuel des dom­mages. Si le risque est con­sid­éré comme inac­cept­able, il faut alors met­tre en bal­ance d’une part le coût (économique, social, envi­ron­nemen­tal) des divers­es mesures de préven­tion, et d’autre part les risques résidu­els cor­re­spon­dants. La mise en sécu­rité absolue étant rarement pos­si­ble, une stratégie de pro­tec­tion doit être choisie en évi­tant deux types d’ex­cès : l’ex­cès d’op­ti­misme, lais­sant une trop grande pos­si­bil­ité d’ac­ci­dent, et l’ex­cès de pes­simisme, entraî­nant des coûts injus­ti­fiés pour la col­lec­tiv­ité (sur­pro­tec­tion).

Fig­ure 3- Représen­ta­tion graphique des dif­férentes straté­gies de fer­me­ture de la RN 1 à La Réu­nion : chaque point cor­re­spond à une stratégie définie par un seuil de pluie S (5 – 10 — 15 -… mm/jour) et une durée de fer­me­ture D (indiquée dans la légende).

Dans le cas de la RN 1 à La Réu­nion, un mode de ges­tion du risque à court terme, ten­ant compte de la rela­tion sta­tis­tique entre pluies intens­es et chutes de blocs, a été défi­ni de la façon suiv­ante (fig­ure 3) : dès qu’un seuil S de pluie tombée en 24 heures est dépassé, la chaussée côté falaise, de loin la plus exposée, est fer­mée pen­dant une durée D (bien enten­du pro­longée si le seuil est de nou­veau dépassé). Les don­nées sta­tis­tiques sur le site étant nom­breuses et représen­ta­tives, une opti­mi­sa­tion de cette stratégie de préven­tion a pu être effec­tuée, en cher­chant à min­imiser deux critères : 

  • — un critère sur l’aléa résidu­el, éval­ué par la pro­por­tion a de chutes qui survi­en­nent alors que la route est ouverte au trafic,
  • — un critère sur le coût (l’im­pact socio-économique de la fer­me­ture par­tielle de la route est très impor­tant), mesuré à l’aide de la pro­por­tion p de jours de fermeture.

Plus le seuil plu­viométrique S est bas, plus l’aléa résidu­el (a) est impor­tant et plus p est faible ; plus la durée de fer­me­ture D est longue, plus a est faible et plus l’im­pact économique ℗ est grand. Les points de la fig­ure 3 représen­tent divers­es straté­gies de fer­me­ture (cou­ples S, D) dans le dia­gramme (a, p). Les straté­gies opti­males se situent en pre­mière approx­i­ma­tion sur la courbe bleue ; les points situés au-dessus représen­tent des straté­gies qui sont améliorables. Deux straté­gies dont les points sont situés sur la courbe ne sont pas com­pa­ra­bles pour les critères retenus : il revient au poli­tique de décider in fine de la stratégie, à choisir par­mi l’ensem­ble des straté­gies opti­males (une autre stratégie — celle qui est aus­si mise en oeu­vre pro­gres­sive­ment — est de met­tre en place des protections). 

Mieux comprendre les mécanismes

Suiv­ant une remar­que de G. Math­eron, nous pou­vons rap­pel­er que ” Il n’y a pas de prob­a­bil­ités en soi, il n’y a que des mod­èles prob­a­bilistes ” : la prob­a­bil­ité est con­stru­ite dans le cadre d’in­for­ma­tions con­nues à une cer­taine date par un indi­vidu pour mod­élis­er la part d’in­con­nu sub­sis­tant, et sera d’au­tant plus fiable que ces infor­ma­tions seront nom­breuses et de qual­ité (l’es­ti­ma­tion de la prob­a­bil­ité de glisse­ment par le géotech­ni­cien n’est évidem­ment pas la même avant et après les for­ages de recon­nais­sance). Lorsque l’on ne dis­pose que de très peu d’in­for­ma­tions sur un site, ce qui est le cas le plus courant, on peut préfér­er à l’outil prob­a­biliste une analyse déter­min­iste mise en oeu­vre par un expert chevron­né et inté­grant toutes les obser­va­tions de ter­rain. Une éval­u­a­tion de la sen­si­bil­ité des résul­tats aux prin­ci­paux fac­teurs per­met en général de faire face aux incer­ti­tudes de façon sat­is­faisante (Londe, 1998). Toute­fois, dans les (très rares) cas où l’on a col­lec­té suff­isam­ment de don­nées quan­ti­ta­tives, l’ap­proche prob­a­biliste, com­binée avec une appré­ci­a­tion des enjeux et de leur vul­néra­bil­ité, devient un puis­sant out­il d’aide à la déci­sion, en per­me­t­tant d’af­fecter un ” poids ” à dif­férents scé­nar­ios d’évo­lu­tion du phénomène, à dif­férentes straté­gies de pro­tec­tion, etc., le raison­nement prob­a­biliste présen­tant en tout état de cause un indé­ni­able intérêt sur un plan péd­a­gogique. Dans le court terme, un pro­grès sig­ni­fi­catif dans la ges­tion et la maîtrise des risques de mou­ve­ments de ter­rain vien­dront essen­tielle­ment, à notre avis, d’une meilleure com­préhen­sion des mécan­ismes d’évo­lu­tion de ces phénomènes.

Bibliographie

FAVRE J.-L., BRUGNOT G., GRÉSILLON J.-M., JAPPIOT M., Éval­u­a­tion des risques naturels : une approche prob­a­biliste ? Tech­niques de l’ingénieur, 1998, chapitre C3 295, 34 p.

LONDE P. Éval­u­a­tion de la sta­bil­ité des fon­da­tions rocheuses. Actes du col­loque Mécanique et géotech­nique (Jubilé sci­en­tifique de P. Habib), 1998, Paris.

MATHERON G. Estimer et choisir. Cahi­er du Cen­tre de mor­pholo­gie math­é­ma­tique de Fontainebleau, fas­ci­cule 7, 1978, 175 p.

RAT M. Opti­mi­sa­tion de la ges­tion de la route du lit­toral à La Réu­nion vis-à-vis du risque de chutes de blocs. Bull. Labo. Ponts et Chaussées, 2006, n° 263–264, p. 43–52.bbb

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