Fonctionnement de Mobileye

De la finance new-yorkaise au big data israélien

Dossier : Israël : Les X et la Start-up NationMagazine N°728 Octobre 2017
Par Jérémy HARROCH (X03)

C’est indi­recte­ment l’his­toire de l’évo­lu­tion ful­gu­rante de l’É­cole. En 2003, on igno­rait le terme start-up, on ne par­lait pas d’en­tre­pren­dre, on for­mait nom­bre de math­é­mati­ciens financiers qui vont être sac­ri­fiés lors de la crise des sub­primes. Finale­ment tout finit bien, car on mur­mure que la pro­mo­tion 2003 est celle qui com­prend le plus d’entrepreneurs ? 

Tout com­mençait en 2004 : après six mois en stage FHM, je rejoignais le Platâl pour com­mencer ma for­ma­tion académique poly­tech­ni­ci­enne et je me réjouis­sais d’animer, avec ceux qui allaient devenir mes amis, le binet Shalom, autour du partage des valeurs de la cul­ture israélienne. 

À l’époque, l’expression Start-up Nation n’avait pas encore été inven­tée, mes seuls liens poly­tech­ni­ciens avec Israël étaient au tra­vers des lec­tures des activ­ités du groupe X‑Israël, aux­quelles je par­ticipe aujourd’hui.

REPÈRES

Dans un article publié par notre revue en novembre 2015 sous la rubrique « 10 questions à un X entrepreneur », l’auteur expliquait ce qui l’avait amené à créer Quantmetry, cabinet spécialisé dans l’exploitation des données massives.
Il évoque ici son parcours depuis son intégration à l’X jusqu’à la création d’une start-up, en passant par la tenue d’un blog sur les nouvelles technologies en Israël.

UN TERME IGNORÉ

On ne par­lait pas entre nous de start-up. D’abord, parce qu’on n’en con­nais­sait pas et aus­si parce qu’on ne fai­sait pas la dif­férence entre les géants de l’internet et les sociétés en forte croissance. 

“ On ne parlait pas entre nous de start-up ”

L’entrepreneuriat se résumait à la junior entre­prise et toute ini­tia­tive pro­fes­sion­nelle hors stages et études était formelle­ment pro­scrite : en tant qu’élève offici­er, le droit d’entreprendre se lim­i­tait à des cours par­ti­c­uliers ou un site web bricolé dans son casert. 

Les choses ont bien changé aujourd’hui avec l’excellente ini­tia­tive « La Fibre Entre­pre­neur – Drahi — X Nova­tion Center ». 

CACHE-MISÈRE

Un vague cours avec les étu­di­ants d’HEC en 3A sur com­ment mon­ter une start-up ser­vait de cache-mis­ère à notre pro­mo­tion, tenue volon­taire­ment igno­rante de toute pos­si­bil­ité de prise de risque… alors que, qua­tre ans après, à peine diplômés de notre 4A, c’est toute la 2003 qui s’exclamait être « la pro­mo­tion sac­ri­fiée » suite à la crise de 2008 et l’errance for­cée de la plu­part des 120 élèves ingénieurs qui avaient misé sur une for­ma­tion en math­é­ma­tiques finan­cières sans jamais avoir à utilis­er pro­fes­sion­nelle­ment le lemme d’Itô.

Ils ont su se réin­ven­ter car la 2003 se tar­gue, sans véri­fi­ca­tion aucune, d’être la pro­mo­tion qui compte le plus d’entrepreneurs !

À LA DÉCOUVERTE DES START-UP ISRAÉLIENNES

De retour de New York après un séjour de deux ans de trad­ing algo­rith­mique écourté par la chute de Lehman, je rejoins un groupe de bénév­oles qui par­ticipent à une ini­tia­tive nou­velle : écrire un blog en français sur les start-up israéliennes. 

LA FORMULE D’ITÔ

La formule d’Itô a été démontrée par le mathématicien japonais Kiyoshi Itô dans les années 1940. Elle est réputée constituer l’une des pierres angulaires du calcul stochastique, et est utilisée dans de très nombreux domaines, entre autres les mathématiques appliquées à la finance.
En effet, elle permet de modéliser le mouvement brownien géométrique, souvent considéré comme le plus simple modèle d’évolution des cours de Bourse.

C’est un peu comme ça que j’ai com­mencé ma pro­pre aven­ture entre­pre­neuri­ale : en par­lant avec des ingénieurs qui pré­par­ent la voiture autonome de demain chez Mobil­eye (qui vient d’être racheté par Intel 15 mil­liards de dol­lars, un record pour une société israéli­enne), de décou­vrir la réal­ité aug­men­tée en 3D avec Prime­sense (qui a été racheté par Apple) et de décou­vrir des pro­jets qui n’ont jamais décol­lé : une appli­ca­tion de dat­ing ou un logi­ciel de mon­tage vidéo automatique. 

J’ai écrit quelques arti­cles qui nous ont per­mis d’obtenir une place dans le petit cer­cle des arti­cles repris sur Google News France : le pre­mier sur une start-up qui pro­po­sait de réduire les frais de roam­ing (l’accès web mobile à l’étranger devenu obsolète avec l’offre de Golan Tele­com qui s’inspire de Free en France), un deux­ième sur une start-up qui pro­po­sait un com­para­teur de vols per­son­nal­isé, puis d’autres sur des start-up promet­tant de ne plus jamais rater ses pho­tos ou pou­vant simuler le regard humain sur une page internet. 

INNOVER SOUS LES ROQUETTES

J’ai pu décou­vrir le par­cours d’une jeune star mon­tante du monde tech­nologique israélien, Ben Lang, auteur d’une carte qui représente les lieux d’innovation en Israël et rédac­teur d’un arti­cle sur TechCrunch, qui racon­te le quo­ti­di­en des développeurs infor­ma­tiques en péri­ode d’attaques de roquettes entre coupures élec­triques et néces­sité de se met­tre à l’abri.

UNE CULTURE ENTREPRENEURIALE TRÈS MARQUÉE

Je n’avais pas inter­viewé que des pépites mais j’avais retenu de nom­breux enseigne­ments sur une cul­ture très dif­férente de la nôtre. Pre­mière­ment, les Israéliens ont un rap­port au risque fon­da­men­tale­ment dif­férent des Français : le rap­port à la guerre et à l’armée leur donne un niveau de sen­si­bil­ité très sup­port­able aux con­ces­sions néces­saires pour une réus­site entrepreneuriale. 

Puis, la sit­u­a­tion économique est rad­i­cale­ment dif­férente : cer­tains jobs, même qual­i­fiés, sont mal payés alors que le prix du quo­ti­di­en reste élevé ; le con­trat de tra­vail ne garan­tit pas la sta­bil­ité de l’emploi comme le fait le CDI chez nous et il n’y a finale­ment que peu de con­fort à être salarié quand on peut entreprendre. 

DES RÉSEAUX FORTS ET OUVERTS SUR LE MONDE

Ensuite, dans cette nou­velle économie, les réseaux comptent pour beau­coup. Et Israël peut ajouter celui de son ser­vice mil­i­taire comme étant un moyen sup­plé­men­taire de rap­procher les Israéliens qui ont beau­coup plus de rela­tions com­munes avec n’importe quel autre entrepreneur. 


Mobil­eye vient d’être racheté par Intel 15 mil­liards de dollars

Cela facilite les asso­ci­a­tions et les recrute­ments sous l’image tutélaire de l’unité 8 200, qui forme l’élite des développeurs du pays. 

En plus, le marché israélien en ter­mes de débouchés est trop petit pour financer l’activité com­mer­ciale locale, les Israéliens pensent au monde avant de penser à eux. Il n’est pas rare de voir des start-up où tout se fait en anglais alors qu’il n’y a que des hébréo­phones qui envis­agent déjà leur internationalisation. 

Enfin, avec de nom­breuses années d’avance sur la France, Israël s’est doté de ce qui se fait de plus mod­erne en ter­mes d’écosystème d’innovation : lab­o­ra­toires de recherche, fonds d’investissement, incu­ba­teurs, accéléra­teurs, espaces de cowork­ing et instal­la­tion des équipes de R & D des géants améri­cains (Intel, Microsoft, Sam­sung, Oracle). 

ISRAËL, UNE « DATA NATION »

J’avais créé Quant­metry, un cab­i­net de con­seil qui s’appuyait sur les deux fon­da­men­taux que j’avais décou­verts en finance : ce que les maths peu­vent apporter à l’entreprise et ce que l’informatique peut apporter aux métiers. 

“ Les Israéliens ont un rapport au risque fondamentalement différent des Français ”

Son activ­ité com­mençait à se dévelop­per autour de mis­sions d’intelligence arti­fi­cielle pour des grands groupes. 

J’ai décidé alors d’abandonner le jour­nal­isme très astreignant pour lim­iter ma fréquen­ta­tion des start-up israéli­ennes aux délé­ga­tions prési­den­tielles (François Hol­lande en 2013) et min­istérielles (Emmanuel Macron puis Axelle Lemaire) et aux vis­ites du Tech­nion à Haïfa. 

UN PARTAGE DE ROYALTIES EFFICACE

Le Tech­nion est au cœur de la tech­nolo­gie israéli­enne, tant de brevets et de start-up en sont issus. Le mod­èle de partage de roy­al­ties entre l’université et les chercheurs y est tout par­ti­c­ulière­ment moti­vant et donne lieu à beau­coup de réussites. 

Kira Radinsky a été élue Lady Globes Woman.
Kira Radin­sky a été élue Lady Globes Woman.

Seule­ment 9 % des 500 mil­lions de fonc­tion­nement provi­en­nent des frais de scolarité. 

UN SECTEUR EN PLEINE EXPANSION

Dans mon secteur tech­nologique, le big data, on y compte de nom­breux pro­fesseurs qui tra­vail­lent sur le machine learn­ing et le cal­cul dis­tribué, et des start-up israéli­ennes mon­trent le chemin comme Vision.Bi ou Ravello. 

Le Tech­nion s’apprête à lancer la pre­mière for­ma­tion mon­di­ale en data sci­ence au niveau bach­e­lor, une annonce très atten­due par le marché, qui peine à trou­ver des profils. 

UNE FEMME À L’HONNEUR

En 2016, Israël a élu sa Lady Globes Woman : Kira Radin­sky, l’étoile mon­tante du machine learn­ing, qui voit sa start-up Sale­sPre­dict rachetée par eBay. 

Le salon DLD, l’équivalent du Con­sumer Elec­tron­ic Show de Las Vegas, réu­nit chaque année des mil­liers de vis­i­teurs qui décou­vrent les nou­veautés israéli­ennes, sources d’inspiration pour des dizaines d’entrepreneurs français, par­mi lesquels des dirigeants de grands groupes. 

Il n’est pas rare de voir des bus entiers de délé­ga­tions étrangères, surtout asi­a­tiques, s’agglutiner devant les démonstrations. 

CAP SUR LA PREMIÈRE « XCORNE »

La France et Israël sont devenus com­pa­ra­bles aujourd’hui en ter­mes de taille d’écosystème tech­nologique ; avec des dynamiques dif­férentes : Israël stagne là où la France est en pleine explosion. 

“ Le Technion s’apprête à lancer la première formation mondiale en data science au niveau bachelor ”

Pour­tant, nous tar­dons tou­jours ici à observ­er des sor­ties en mil­liards alors que cette barre est aisé­ment franchie par Waze, Mobil­eye, Trusteer. 

Un seul poly­tech­ni­cien est dans l’effectif de ces déca­cornes (terme util­isé pour désign­er de jeunes entre­pris­es val­orisées plus de 10 mil­liards de dollars). 

Souhaitons que nos parte­nar­i­ats entre l’X et les uni­ver­sités israéli­ennes et que le nom­bre crois­sant d’élèves qui y font leur 4A nous appor­tent, en France, notre pre­mière « Xcorne ».

Poster un commentaire