Discours dédicacé de Paul SÉJOURNÉ en l'honneur du Maréchal FOCH

Hommage au Maréchal Ferdinand FOCH (1871)

Dossier : Le Grand Magnan 2017Magazine N°727 Septembre 2017Par : Serge Delwasse (86) et Olivier Herz (79)

Mes chers cama­rades,
Quand votre Bureau m’a fait le très grand hon­neur de me pro­po­ser de pré­si­der cette Assem­blée, j’ai pen­sé tout d’abord à refu­ser, et avec les meilleures rai­sons du monde. […] 

“ C’est que le patriotisme est plus vif chez les vaincus ” 

Mais Foch est mort depuis moins d’un an, j’avais été son cama­rade de salle et étais res­té son ami : j’avais le devoir de vous par­ler de lui. J’ai donc accepté. […] 

Per­met­tez-moi, d’abord, quelques sou­ve­nirs de ma vieille, et très chère, pro­mo­tion de 1871 (pro­mo­tion jaune, comme celle de nos trois autres maré­chaux : Joffre, Fayolle, Mau­nou­ry – simple coïncidence). 

Nous por­tions, alors, la grande cape espa­gnole ; on l’a sup­pri­mée en 1873 ; nous l’avons regret­tée, elle conser­vait dans ses plis une par­celle de notre pres­tige. À l’intérieur de l’École, dans ces temps loin­tains, le grand chic était d’être aus­si débraillé que pos­sible. Foch, lui, était tou­jours très correct. […] 


Exem­plaire du dis­cours dédi­ca­cé à Anne Four­nier-Foch, seconde fille du Maré­chal.

En 1871, nous ne pen­sions qu’à la revanche et pas du tout à l’argent. […] Nous étions […] le reflet de l’ambiance. C’est que beau­coup d’entre nous avaient vu de près les casques à pointe ; beau­coup avaient vu Paris flam­ber sous les yeux des Alle­mands, qui occu­paient nos forts. 

L’ambiance, on la trou­vait aus­si aux salons de pein­ture. On n’y a guère vu, après la Grande Guerre, de tableaux mili­taires. C’est que le patrio­tisme est plus vif chez les vaincus. 

Dans notre salle 2 […], fort rétré­cie, nous étions 12, nous res­tons deux. Il y a quelques années, nous y avons mar­qué la place de Foch ; il nous a dit alors : « Quand nous étions sur ces bancs, nous n’avions tous qu’une pen­sée : la Revanche. Nous sen­tions tous qu’elle vien­drait, qu’il la fallait. 

Dans les pires moments de la guerre, je me suis tou­jours répé­té : si la France ne triomphe pas cette fois, elle est morte ; il ne se peut pas qu’elle meure, il faut vaincre. Aux plus dures situa­tions, il n’y a qu’une issue, qu’une porte : celle de la victoire. » […] 

En 1901 – il était alors pro­fes­seur à l’École de guerre – un ministre, un cama­rade pour­tant, mais qui ne pra­ti­quait pas la tolé­rance reli­gieuse, cette ver­tu si poly­tech­ni­cienne, estime qu’on ne peut pas aller à la messe et pro­fes­ser la stra­té­gie : il l’envoie en dis­grâce à Laon. 

D’autres qui ont subi cette même injus­tice ont quit­té l’armée. Lui, fidèle ser­vi­teur du pays mal­gré ses erreurs, obéit et attend sa revanche : elle est venue. En 1907, ses chefs le pro­posent pour com­man­der l’École de guerre : Cle­men­ceau, alors chef du gou­ver­ne­ment, désire le voir. Foch lui dit, avec sa loyau­té cou­tu­mière, qu’il a un frère jésuite, à quoi le Pré­sident répond : « Je m’en f… » et le nomme. 

Après l’École de guerre, il com­mande le 8e Corps, puis le 20e. C’est là qu’à la Guerre, Joffre va le cher­cher pour lui confier la IXe Armée. Ici, je veux saluer le vain­queur de la Marne, Joffre, qui, la bataille des fron­tières per­due, a su res­ter maître de soi, et exal­ter le moral du sol­dat pen­dant la retraite et l’invasion.

C’est bien lui qui a arrê­té l’ennemi sur la route de Paris, comme Phi­lippe Auguste à Bou­vines, comme Vil­lars à Denain. Foch l’a tou­jours pro­cla­mé le vain­queur de la Marne : sa mer­veilleuse cam­pagne de 1918 est fille de cette pre­mière victoire. 

“ Ce sont les Anglais qui le demandèrent comme général en chef ”

C’est pour cela qu’il a deman­dé que, dans la pro­me­nade triom­phale des Armées alliées, à Paris, le 14 juillet 1919, Joffre défi­lât à côté de lui. 

Au cours de sa glo­rieuse his­toire, la France a tou­jours trou­vé, au moment oppor­tun, l’homme néces­saire. En 1914, quand tout était com­pro­mis, il fal­lait un chef pru­dent, d’un mer­veilleux sang-froid : elle a eu Joffre. 

En 1918, pour bou­ter l’ennemi hors de France, il en fal­lait un autre, har­di, impé­tueux : elle a eu Foch – Condé après Turenne. 

Et ces deux chefs, tous deux pyré­néens, sont fils de notre admi­rable École, celle qui apprend à apprendre. […] 

Quand, après 43 ans de paix, la guerre éclate, Foch a 63 ans. II n’a jamais conduit d’expédition colo­niale. Il ne sait de la guerre que ce qu’il a lu dans les livres : il n’a que l’expérience des autres. Mais il était né chef. Il en avait natu­rel­le­ment les qua­li­tés maî­tresses : l’autorité, celle que ne confèrent ni les titres, ni les galons ; la volon­té qui n’a pas peur des res­pon­sa­bi­li­tés, qui ne connaît ni hési­ta­tion, ni décou­ra­ge­ment, qui main­tient jusqu’au bout les déter­mi­na­tions prises. 

Portrait du maréchal Foch par Louis Bombled
Le maré­chal Foch par Louis Bom­bled, vers 1920.

En 1914, la guerre a tué son fils et un de ses deux gendres. Il en souffre cruel­le­ment ; mais, très vite, ne veut pen­ser et ne pense plus qu’à la guerre. Quand il ne com­man­dait pas, il savait persuader. 

En 1914, quand il arrê­ta les Alle­mands sur l’Yser, il ne com­man­dait pas, il conseillait ; mais ses avis, parce qu’ils étaient bons, ont été sui­vis par les Belges et les Anglais. Plus tard, il sait faire accep­ter ses direc­tives par les Italiens. 

1916 est l’année de Ver­dun et de la Somme ; les Alle­mands ont fait des pertes énormes et parlent de paix : si nos affaires avaient alors été mieux conduites, on pou­vait ter­mi­ner la guerre en 1917. Mais comme la bataille de la Somme n’avait pas don­né tout ce qu’on en espé­rait, très mal­heu­reu­se­ment, on écarte Joffre. On vou­lait, en même temps, se débar­ras­ser de Foch, en le pré­ten­dant malade. Il ne l’était nul­le­ment et, pour conti­nuer à com­battre, eut accep­té une divi­sion, voire une brigade. 

Au com­men­ce­ment de 1917, on fait vers Laon une ten­ta­tive de per­cée ; elle échoue. Arrive la débâcle russe. Dans notre armée, qui avait jusque-là mon­tré le meilleur esprit, il y eut des muti­ne­ries et un vent de défai­tisme souf­fla de l’arrière. Cle­men­ceau, chef du gou­ver­ne­ment en novembre, lui fait tête et réta­blit la dis­ci­pline du pays. Ça a été un immense service. 

En mars 1918, après l’échec de l’armée anglaise de Gough, tout le monde com­prit, enfin, qu’il fal­lait un com­man­de­ment unique. Cle­men­ceau y pen­sait, mais pour lui-même, avec Foch comme chef d’état-major. Ce sont les Anglais qui le deman­dèrent comme géné­ral en chef. 

En mai, nous sommes bous­cu­lés au Che­min des Dames. Déjà des par­le­men­taires, affo­lés, deman­daient la révo­ca­tion de Foch : Cle­men­ceau le main­tint. Le 18 juillet, Foch attaque à Vil­lers-Cot­te­rêts ; puis, sans lais­ser aux Alle­mands le temps de se remettre, pour­suit sa marche triom­phale vers la fron­tière. De ses belles manœuvres, je ne me per­met­trai pas de par­ler. D’autres l’ont fait qui, eux, étaient qualifiés. 

Le 31 octobre, alors que douze armées alliées reje­taient les Alle­mands sur leurs com­mu­ni­ca­tions, Foch expo­sait aux chefs alliés leur situa­tion déses­pé­rée. On lui deman­da si, dans ces condi­tions, il ne fal­lait pas conti­nuer la bataille. 

Il répon­dait : « Je ne fais pas la guerre pour la guerre, mais pour des résul­tats. Si l’ennemi donne aux gou­ver­ne­ments alliés le moyen d’obtenir les résul­tats qu’ils dési­rent, il n’y a pas de rai­son pour que le sang des com­bat­tants conti­nue à cou­ler. » C’est bien le lan­gage du grand chré­tien qu’il était. 

On a cri­ti­qué l’armistice comme pré­ma­tu­ré. On a dit que les Alle­mands se seraient sen­tis plus com­plè­te­ment vain­cus si on l’avait signé à Ber­lin. Foch n’ignorait pas ces cri­tiques et m’en a par­lé sou­vent. « L’armistice, disait-il, nous a don­né toute la sécu­ri­té qu’il nous fal­lait, les ponts du Rhin ; nous pou­vions aller à Ber­lin ; qu’y aurions-nous gagné ? Nous n’y aurions trou­vé per­sonne et il eut fal­lu occu­per mili­tai­re­ment toute l’Allemagne. La guerre est un moyen ; la paix est le but. » […] 

“ Il ne suffit pas de vaincre, il faut survivre à la victoire ”

Pour Foch, notre fron­tière mili­taire est le Rhin : celui qui l’a est le maître. Dès qu’un enne­mi le passe, la France est en danger. […] 

Dès qu’on a par­lé des condi­tions de la paix, les Anglais ont immé­dia­te­ment fait connaître ce qu’ils vou­laient et sur quoi ils n’admettaient aucune discussion. […] 

Ils ont eu tout ce qu’ils ont deman­dé et, de très long­temps, l’Angleterre n’a rien à craindre de l’Allemagne. Foch a fait tout ce qui était pos­sible pour assu­rer notre sécu­ri­té ; mais les Anglais ne vou­laient pas que la France fût trop vic­to­rieuse, et Foch n’a pas été appuyé. Il sen­tait qu’on éla­bo­rait le Trai­té en dehors de lui ; il a deman­dé à plu­sieurs reprises à être enten­du. On lui a répon­du, en invo­quant la supré­ma­tie du pou­voir civil, qu’avec la vic­toire son rôle était fini. 

Couverture de l’ouvrage du photographe-portraitiste Paul Darby en l’honneur du maréchal Foch.
Cou­ver­ture de l’ouvrage du pho­to­graphe-por­trai­tiste Paul Dar­by en 1920 en l’honneur du maré­chal Foch.

On l’a cepen­dant enten­du : « Il n’y a pas de prin­cipe, a‑t-il dit aux gou­ver­nants d’alors, qui puisse obli­ger un peuple libre à vivre sous une menace conti­nuelle et à ne comp­ter que sur ses alliés pour lui épar­gner le désastre quand il vient de payer son indé­pen­dance de plus de 500 000 cadavres et d’une dévas­ta­tion sans exemple. 

Il n’y a pas de prin­cipe qui puisse pré­va­loir contre le droit des peuples à l’existence, contre le droit abso­lu qu’ont la France et la Bel­gique d’assurer leur indé­pen­dance. » Il n’a réus­si qu’à être enten­du, non à être écou­té ; il n’a pas même obte­nu un pro­cès-ver­bal consta­tant ce qu’il avait dit. 

Et il a pu dire à des ministres d’alors : « Si le peuple fran­çais savait ce que vous avez fait, il vous pen­drait. » Donc, mal­gré tous ses efforts, nous serons vis-à-vis de l’Allemagne dans une situa­tion pire qu’en 1914. […] 

Beau­coup de cama­rades cherchent des situa­tions hors de l’armée. Elles ne sont pas faciles à trou­ver – la Socié­té des Amis de l’École en sait quelque chose – et, sou­vent, elles ne valent pas celles que leur assu­rait l’École. Foch déplo­rait ces trop nom­breuses démis­sions, alors, disait-il, que ceux qui entrent main­te­nant dans l’armée sont sûrs d’être généraux. 

Le but de la vie n’est pas uni­que­ment de gagner de l’argent ; le mini­mum qu’il faut, le pays doit l’assurer à ses offi­ciers. Que, sans ces­ser de l’éclairer – et vos anciens s’y efforcent – on lui en laisse le temps : il le fera. Et il fau­dra bien aus­si qu’on redonne aux offi­ciers les avan­tages moraux d’autrefois.

Je viens de par­ler du recru­te­ment de l’École. Il y a un autre recru­te­ment autre­ment impor­tant : celui de la France. Il ne suf­fit pas de vaincre, il faut sur­vivre à la vic­toire. Sau­ver la France, c’était le devoir d’hier ; le devoir d’aujourd’hui, c’est de la perpétuer. […] 

Appe­ler l’attention des Fran­çais sur l’urgence d’assurer le recru­te­ment de la France, voi­là une belle croi­sade à faire, digne de vous, mes cama­rades. Cette croi­sade, Foch vous la demande, nos 800 morts l’imposent : il ne faut pas qu’ils soient morts pour rien. Le suc­cès en sera lent : mais, vous le savez bien, il n’est pas néces­saire d’espérer pour entre­prendre, ni de réus­sir pour persévérer. 

Je m’arrête. En par­lant de Foch, en rap­pe­lant ce qu’il faut pour que la France dure, j’ai fidè­le­ment sui­vi la plus belle par­tie de notre vieille devise : « POUR LA PATRIE. 

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1. Le fac-simi­lé de ce dis­cours est dis­po­nible sur demande à olivier.herz [at] m4x.org

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