Créer de la valeur là où personne n’en voit

Dossier : L’entreprise dans la sociétéMagazine N°690 Décembre 2013
Par Alain MATHIEU (57)

Le rôle d’un patron de PME a été fort bien décrit au siè­cle dernier par Auguste Detoeuf : « Toute son activ­ité, tout son débrouil­lage, toute son adap­ta­tion quo­ti­di­enne à une sit­u­a­tion sans cesse changeante, toute cette action qui exige des déci­sions, des risques, des respon­s­abil­ités inin­ter­rompues est tout le con­traire de l’action d’un salarié. » Il faut donc lui faciliter la tâche.

REPÈRES
Le taux des prélève­ments oblig­a­toires sur les entre­pris­es était en France, en 2010, le plus élevé d’Europe, à 18,3 % du PIB, le taux de l’Allemagne étant à 12,2 %, soit 6,1 % en dessous de la France, ou env­i­ron 120 mil­liards d’euros par an. Les entre­pris­es français­es versent des impôts et coti­sa­tions incon­nus des entre­pris­es alle­man­des : taxe pro­fes­sion­nelle (main­tenant rem­placée par deux nou­veaux impôts), taxe sur les salaires, verse­ment trans­port, C3S, taxe d’apprentissage, 1,6 % for­ma­tion, 1 % loge­ment, 5,4 % pour les allo­ca­tions familiales.
La rémunéra­tion totale des salariés des admin­is­tra­tions publiques était en France, en 2011, de 13,2% du PIB et en Alle­magne de 7,7 %, soit 5,5 % d’écart.

Code du travail et Code des impôts

Pour que son entre­prise sur­vive, la pri­or­ité du chef d’entreprise doit être la sat­is­fac­tion de ses clients et non l’application de règle­ments. Or, le patron français doit con­naître et appli­quer les 3 371 pages du Code du tra­vail (sans compter la jurispru­dence), les 3 450 pages du Code des impôts, etc. Si ses com­man­des bais­sent, il devrait pou­voir ajuster ses effec­tifs et ne pas être soumis à la déci­sion d’un juge qui estimera qu’il n’y a pas de cause « réelle et sérieuse » à sa déci­sion de licencier.

Le développe­ment des entre­pris­es ne dépend pas des déci­sions politiques

S’il dépasse cinquante salariés, il se ver­ra impos­er trente-qua­tre oblig­a­tions et charges sup­plé­men­taires, notam­ment des délégués syn­di­caux désignés par des syn­di­cal­istes extérieurs à l’entreprise (et seuls com­pé­tents pour sign­er des accords d’entreprise) et des délégués au comité d’entreprise s’ajoutant aux délégués du personnel.

Des inspecteurs du tra­vail, des impôts, de la Sécu­rité sociale vien­dront s’installer chez lui, tous per­suadés qu’un employeur privé est for­cé­ment un exploiteur de ses salariés.

Les poncifs à la mode

Les dirigeants poli­tiques français n’ont pas davan­tage com­pris que nous ne sommes plus à l’époque des plans quin­quen­naux et que le développe­ment des entre­pris­es dans les « secteurs d’avenir » ne dépend pas de leurs déci­sions. Ils repren­nent en chœur tous les pon­cifs « tech­no » à la mode : tech­nolo­gies numériques, biotech­nolo­gies, nan­otech­nolo­gies. Certes ces secteurs ont le vent en poupe dans le monde.

Mais le prob­lème est de savoir ce qui marchera en France dans l’avenir. Si, après la guerre, les déci­sions avaient été pris­es par des hommes poli­tiques, les prin­ci­paux nou­veaux employeurs français n’existeraient pas, comme les hyper­marchés, les sociétés d’intérim, Sodexo, Accor, le Club Med ou Decaux.

Un casseur d’idées reçues

Les dirigeants poli­tiques et admin­is­trat­ifs et les médias ignorent une qual­ité essen­tielle dont doit faire preuve un créa­teur d’entreprise inno­vante. Celui-ci voit la pos­si­bil­ité de créer de la valeur là où per­son­ne n’en voit. C’est un casseur d’idées reçues. Il ne suit pas les sen­tiers battus.

Son mérite est de se bat­tre pour faire accepter des idées que les autres trou­vent folles et pour s’attaquer à des intérêts bien défendus, bref de réus­sir l’impossible. Pour un pays comme la France, les secteurs d’avenir ne seront jamais ceux qu’imaginent les hommes politiques.

Ceux-ci devraient donc aban­don­ner les idées qu’ils chéris­sent : les tech­nolo­gies, les « pôles de com­péti­tiv­ité », la banque publique d’investissement, le pro­tec­tion­nisme, la relance par la con­som­ma­tion, le crédit d’impôt-recherche, etc.

Deux con­cep­tions de la fonc­tion publique

Les fonc­tion­naires alle­mands tra­vail­lent 41 heures par semaine, les fonc­tion­naires français 35 heures. Les pro­fesseurs alle­mands sont présents à plein temps à l’école alors que les oblig­a­tions des Français vont de 15 à 18 heures. L’absentéisme pub­lic en Alle­magne est le même que dans le secteur privé, alors qu’il est le dou­ble en France. Les retraites publiques français­es sont de 4% du PIB et en Alle­magne de 1,5%. La rémunéra­tion moyenne d’un fonc­tion­naire français est de 23% supérieure à celui des Alle­mands. Le nom­bre de fonc­tion­naires alle­mands a bais­sé de 2,2 mil­lions depuis 1990 alors que celui des Français aug­men­tait de 1 million.

Depuis l’Agenda 2010 lancé en mars 2003 par Ger­hard Schroed­er, les Alle­mands ont en out­re dimin­ué leurs dépens­es sociales : moin­dre indem­ni­sa­tion du chô­mage ; pas­sage pro­gres­sif de l’âge légal de départ à la retraite de 65 à 67 ans ; con­ver­gence des tar­ifs de rem­bourse­ment entre les hôpi­taux publics et privés réal­isée en 2009, et pri­vati­sa­tion d’une cen­taine d’hôpitaux publics ; moin­dres dépens­es de loge­ments publics par la vente de plus de la moitié des HLM, etc.

Défendre l’intérêt général

Nos poli­tiques devraient rester mod­estes et, comme leurs col­lègues alle­mands, anglais, cana­di­ens, sué­dois, fin­landais qui ont rétabli la sit­u­a­tion de pays en dif­fi­culté, accepter de faire con­fi­ance aux entre­pre­neurs, qui trou­veront pour notre pays les créneaux d’avenir aux­quels per­son­ne n’avait pen­sé. Mais il faudrait pour cela qu’ils défend­ent plus l’intérêt général que leur pro­pre intérêt et qu’ils déci­dent de baiss­er mas­sive­ment les dépens­es publiques, pour que nos entre­pris­es soient au moins à égal­ité de charges avec les allemandes.

Les Français n’ont plus con­fi­ance en leurs dirigeants poli­tiques. Dans les sondages, pour redress­er le pays, à l’inverse de leurs dirigeants et des médias, 90 % des Français priv­ilégient la baisse des dépens­es publiques, 60% sont opposés au « Grand Emprunt » pub­lic, les deux tiers souhait­ent align­er les con­trats des nou­veaux fonc­tion­naires sur ceux du secteur privé, les trois quarts sont pour la sup­pres­sion d’un niveau de col­lec­tiv­ités locales.

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