En finir avec les idées reçues sur le financement

Dossier : L’entreprise dans la sociétéMagazine N°690 Décembre 2013
Par François DROUIN (71)

Les entre­pris­es doivent être cir­con­spectes lorsqu’elles ont un besoin de finance­ment. Elles doivent en opti­miser la struc­ture, veiller aux con­di­tions annex­es et naturelle­ment en mesur­er le coût réel, car c’est tou­jours le client qui paie.

Les « con­di­tions de crédit », comme les « pactes d’actionnaires », sont par­fois dev­enues com­plex­es et les con­trats ont été com­plétés de quelques engage­ments ou « garanties » com­plé­men­taires pour réduire le risque du prê­teur, ou prévoir ce qui se passerait si tel ou tel engage­ment n’était pas respec­té (les fameux covenants).

Tout cela s’exerce en France dans un envi­ron­nement mou­vant et flu­ide dans lequel baig­nent trop sou­vent des idées reçues.

REPÈRES
Inve­stir et innover requiert des moyens financiers, à la fois des fonds pro­pres et du crédit. Les fonds pro­pres provi­en­nent soit de l’entreprise (pro­duits de l’activité ou par­tic­i­pa­tion des action­naires), soit de l’extérieur (financiers, investisseurs).
Le principe est le suiv­ant : Je mets de l’argent à votre dis­po­si­tion aujourd’hui et nous parta­geons les gains s’il y en a, et quand il y en aura, selon une clé de répar­ti­tion définie.
Le crédit peut revêtir de mul­ti­ples formes, l’imagination tech­nique des financiers ayant pro­gressé pour s’adapter aux dif­férents types de risques et de besoins des entreprises.
Le principe reste le même : Je mets de l’argent à votre dis­po­si­tion aujourd’hui pour partager un risque et vous vous engagez à m’en ren­dre davan­tage demain dans des con­di­tions que nous fixons maintenant.
La fron­tière entre les « fonds pro­pres » et le « crédit » peut être ténue, poreuse, mais surtout les deux approches sont com­plé­men­taires, même si le risque pris n’est pas le même, et la répar­ti­tion des gains éventuels, non plus.

Les banques ne veulent plus prêter

La pre­mière idée reçue serait que « les ban­ques ne veu­lent plus prêter ».

Mais on entend aus­si le dis­cours inverse : « Les ban­ques ton­dent la laine sur le dos des PME. » Pourquoi voudraient-elles cess­er d’exercer ce méti­er prospère ?

C’est tou­jours le client qui paie

En réal­ité, la crois­sance des prêts accordés par les ban­ques est restée régulière. L’Observatoire du finance­ment des entre­pris­es souligne dans son rap­port de juil­let 2012 que dans l’ensemble, et de la même manière que quelques années aupar­a­vant, les encours de crédit ont ralen­ti au plus fort de la crise économique, mais sans que ne se dévelop­pent de « véri­ta­bles indices de la dif­fi­culté accrue des entre­pris­es dans l’accès au financement ».

En revanche, si le sen­ti­ment d’une réti­cence des ban­ques à prêter est si fort, con­traire­ment aux faits, c’est parce que, sous le dou­ble effet de la mon­tée des risques en rai­son de la crise et des nou­velles con­traintes imposées aux ban­ques, les con­di­tions d’octroi de crédit se sont ren­for­cées. La com­plex­ité crois­sante fait crain­dre le rejet.

Il est du reste sig­ni­fi­catif que les entre­pris­es inter­rogées répon­dent : « Oui, le crédit se fait plus rare, mais pas pour moi. »

Les banques ont joué le jeu.

Même en péri­ode de crise grave, « les ban­ques ont joué le jeu ». Des fonds excep­tion­nels de garantie des crédits ban­caires ont été créés en 2008 afin d’encourager les étab­lisse­ments ban­caires à venir en aide aux PME et ETI saines et viables. Ce parte­nar­i­at pub­lic-privé de partage de risque a eu l’effet escomp­té et per­mis de sauve­g­arder de très nom­breuses entre­pris­es tout en préser­vant l’emploi.

Revenir aux faits
En sep­tem­bre 2008, l’une des plus grandes ban­ques améri­caines, Lehman Broth­ers, était acculée à la fail­lite, entraî­nant avec elle une crise ban­caire et finan­cière mon­di­ale que la volon­té des États et la coopéra­tion des étab­lisse­ments ban­caires ont per­mis de juguler.
En France, des mil­liers d’entreprises PME et ETI se sont trou­vées con­fron­tées à de graves ten­sions de tré­sorerie sus­cep­ti­bles de les faire dis­paraître. Les ban­ques ne pou­vaient plus assur­er seules le finance­ment des crédits de tré­sorerie. Ce risque, il a fal­lu le partager avec elles et, sans la mobil­i­sa­tion de l’État, la leur et celle d’Oseo, le plan de relance mis en place en octo­bre 2008 n’aurait jamais eu le suc­cès que l’on sait.

Plus de 5,3 mil­liards d’euros de finance­ments ont été accordés en faveur de 21 000 entre­pris­es, 350 000 emplois ont été préservés, 90 % des entre­pris­es soutenues ont été épargnées par la ces­sa­tion d’activité.

Est-il besoin d’ajouter, pour illus­tr­er la per­ti­nence d’une alliance pub­lic-privé, que le dis­posi­tif mis en place a été très économe de la ressource publique puisque son coût réel, en tout état de cause, ne dépassera pas 800 euros par emploi direct préservé, ce qui est très mod­este ? Il est aus­si pos­si­ble de retourn­er l’argument : puisque le risque s’est en défini­tive révélé si lim­ité, pourquoi les ban­ques ne l’ont-elles pas pris seules ? Sim­ple­ment parce qu’en rai­son du con­texte d’inquiétude général­isé, elles ne l’auraient pas fait.

Savoir mobiliser l’Europe

Non, les ban­quiers ne sont pas les enne­mis des PME et ETI. Serait-ce alors l’Europe (autre idée reçue) qui serait la respon­s­able de tous leurs maux ? Qui peut le croire ? Certes, nom­breux sont les entre­pre­neurs français à penser – et ils n’ont pas tou­jours tort – que les insti­tu­tions com­mu­nau­taires seraient mieux inspirées de se souci­er davan­tage de ce qui se passe aux fron­tières de l’Union plutôt que de régle­menter notre marché intérieur, mais la ques­tion n’est pas là.

Pourquoi l’Europe serait-elle la cause des dif­fi­cultés de nos entre­pris­es alors que nos voisins alle­mands, pour ne pren­dre que cet exem­ple, ne voient en elle aucun frein à leur crois­sance et à leur com­péti­tiv­ité ? L’Europe gêne-t-elle en quoi que ce soit le développe­ment du Mit­tel­stand alle­mand ? L’argument n’est pas sérieux et la recherche sys­té­ma­tique de boucs émis­saires pour mas­quer notre retard ou nos faib­less­es ne nous rend pas service.

L’Europe a été et reste un for­mi­da­ble out­il de com­péti­tiv­ité et de crois­sance. Elle est le pre­mier marché mon­di­al intérieur et con­stitue donc un gise­ment remar­quable de crois­sance et d’emplois. Il faut savoir mieux la mobilis­er. Elle dis­pose d’outils puis­sants comme, par exem­ple, la Banque européenne d’investissement qui, astu­cieuse­ment util­isée par tous les étab­lisse­ments de place européens, devrait jouer un rôle moteur dans le finance­ment des PME et des ETI de notre continent.

Des investisseurs avisés et patients

Après les ban­ques et l’Europe, il reste encore quelques idées reçues sur le finance­ment de nos entre­pris­es. Si elles ne gran­dis­sent pas comme elles le devraient pour attein­dre une taille cri­tique suff­isante pour affron­ter la com­péti­tiv­ité mon­di­ale, ce serait les entre­pre­neurs eux-mêmes qui en seraient respon­s­ables. Ils ne voudraient pas grandir, ils ne voudraient pas se dévelop­per, ils ne voudraient pas ouvrir leur cap­i­tal. La réal­ité est plus subtile.

L’Europe reste un for­mi­da­ble out­il de com­péti­tiv­ité et de croissance

Les entre­pre­neurs, qui ont, pour la plu­part d’entre eux, créé leur entre­prise ou en ont hérité ne red­outent pas d’ouvrir leur cap­i­tal. Ils souhait­ent juste, ce qui est com­préhen­si­ble à défaut d’être tou­jours facile, en con­serv­er le contrôle.

Cela sup­pose des investis­seurs avisés, patients, respectueux du pro­jet d’entreprise, des investis­seurs qui n’attendent pas des retours démesurés, rapi­des et dis­pro­por­tion­nés sur l’argent qu’ils ont immo­bil­isé. C’est grâce à cette alchimie pub­lic-privé entre les ban­ques mais aus­si entre les cap­i­tal-investis­seurs et les ter­ri­toires que les PME et les ETI de notre pays trou­veront les finance­ments néces­saires adap­tés à leur pro­jet de crois­sance et au ren­force­ment de leur compétitivité.

L’équilibre est déli­cat, mais c’est à ce jour ce que l’on peut trou­ver de plus per­ti­nent pour bien financer nos entreprises.

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