Hôpital Bichat

Covid-19 et diabète, la télémédecine en pointe à Bichat

Dossier : Covid-19Magazine N°758 Octobre 2020
Par Alix VERDET
Par Ronan ROUSSEL (91)

Ronan Rous­sel (91) est un poly­tech­ni­cien médecin, chef du ser­vice de dia­bé­tolo­gie de l’hôpital Bichat, un hôpi­tal sur tous les fronts pen­dant la crise Covid. En plus des malades de la Covid-19, Bichat a accom­pa­g­né, via la télémédecine et l’application CoviDIAB, plus de 20 000 per­son­nes dia­bé­tiques, une pop­u­la­tion à risque de dévelop­per des formes sévères de Covid. Le recours à cette tech­nolo­gie s’est révélé par­ti­c­ulière­ment per­ti­nent pen­dant le con­fine­ment et un pré­cieux allié de la pra­tique tra­di­tion­nelle de la médecine.

Quel a été ton emploi du temps pendant la crise de la Covid-19 ?

Ça a été dense et ça ne se calme pas car il faut com­plète­ment réor­gan­is­er l’activité. Les gens sont réti­cents à venir à l’hôpital par crainte du virus, notam­ment à Bichat qui a été sur le front. Après chaque con­sul­ta­tion il y a une procé­dure de net­toy­age et on doit aus­si lim­iter les inter­ac­tions entre les patients à l’hôpital de jour, par exemple.

Comment s’est passée la crise à Bichat ?

L’hôpital de jour et les con­sul­ta­tions ont été arrêtés pour l’essentiel, notre ser­vice n’a gardé que la moitié des lits pour des hos­pi­tal­i­sa­tions clas­siques. Si les lits étaient fer­més, c’était pour libér­er du per­son­nel pour aller dans les ser­vices dédiés à la Covid, j’ai moi-même effec­tué des gardes de nuit dans des ser­vices Covid. En effet les patients atteints de la Covid étaient beau­coup plus con­som­ma­teurs de soins que des patients nor­maux. Ce qui fait que Bichat était à 80 % affec­té à la Covid, en ayant deux fois moins de lits qu’en temps normal.

Tes activités ont-elles changé ?

Nous nous sommes réor­gan­isés pour ren­dre ser­vice aux patients dia­bé­tiques qui n’étaient pas au con­tact de Bichat. Ça a été une mon­tée en charge très impor­tante de l’activité de télé­con­sul­ta­tion, de la télé­sur­veil­lance du dia­bète en util­isant des plate­formes de télé­suivi fondé sur la trans­mis­sion des gly­cémies. Le dia­bète étant une mal­adie chronique, on con­naît les patients. Le télé­suivi per­met d’avoir un nou­veau canal de com­mu­ni­ca­tion avec eux et de se rap­procher d’eux, con­traire­ment à ce qu’on pour­rait imag­in­er. Quand j’évoque la télémédecine, la réac­tion est sou­vent épi­der­mique, dis­ant que ce n’est pas humain, que ça éloigne le patient du médecin. En réal­ité ça rap­proche énor­mé­ment l’équipe soignante des patients.

Habituelle­ment, on voit les patients tous les six mois, par­fois même une seule fois par an. Alors que, de l’équipement du patient par un soignant avec un lecteur de gly­cémie relié à son appli au suivi des relevés de gly­cémie par ce même soignant, les inter­ac­tions avec le patient sont plus nom­breuses. Certes c’est dig­i­tal, mais le patient con­naît la per­son­ne, il peut lui pos­er des ques­tions s’il a besoin de réas­sur­ance. C’est un canal dig­i­tal d’un lien humain qui est très fort.

“Les diabétiques ont été assez
stigmatisés dans les annonces
gouvernementales.”

Depuis combien de temps pratiques-tu la télémédecine ?

Nous étions pilotes pour les ser­vices de dia­bé­tolo­gie de l’AP-HP avec les col­lègues de la Pitié-Salpêtrière pour installer les out­ils de télémédecine de dia­bé­tolo­gie à l’hôpital, car c’est un chantier com­plexe. Dia­beo a été le pre­mier out­il, aujourd’hui aban­don­né. Il a fal­lu organ­is­er les plan­nings, prévoir de récep­tion­ner les don­nées, les faire entr­er dans les ser­vices financiers, véri­fi­er que les fire­walls de l’hôpital ne blo­quaient pas les out­ils de télémédecine. La crise san­i­taire a été un accéléra­teur impor­tant de cette démarche.

Actuelle­ment, 200 patients sont suiv­is en télémédecine. Il s’agit de patients sous insu­line car il existe un mod­èle économique pour ce traite­ment. C’est le pro­gramme Étapes (Expéri­men­ta­tions de télémédecine pour l’amélioration des par­cours en san­té) qui est une expéri­men­ta­tion de la HAS (Haute Autorité de san­té) et de la sécu­rité sociale, qui rem­bourse le temps que les pro­fes­sion­nels passent à faire ce suivi et à don­ner des recom­man­da­tions aux patients. C’est une démarche expéri­men­tale nationale qui a com­mencé il y a plus de deux ans et qui va dur­er cinq ans.

Ce pro­gramme ne con­cerne pas seule­ment le dia­bète mais aus­si le télé­suivi des patients insuff­isants car­diaques ou por­teurs de pace­mak­ers. Nous sommes en train d’adapter ces plate­formes aux patients sous d’autres formes de traite­ments antidi­a­bé­tiques. La France est très en avance du fait de l’expérimentation de ce mod­èle économique. Plusieurs start-up se sont mis­es sur ce seg­ment, nous util­isons essen­tielle­ment la plate­forme française Dia­b­next, qui se veut uni­verselle, com­pat­i­ble avec la plu­part des dis­posi­tifs médicaux.

Quels sont les avantages côté patients en plus de la réassurance et de la formation ?

Ce télé­suivi per­met des gains de temps con­sid­érables et aus­si l’amélioration du con­trôle gly­cémique au long cours qui est le déter­mi­nant essen­tiel des com­pli­ca­tions du dia­bète. Le traite­ment du dia­bète est très orig­i­nal. C’est un traite­ment injectable que le patient s’administre lui-même, dont il déter­mine lui-même la posolo­gie après avoir lui-même recueil­li l’information. Ça fait beau­coup d’originalité et d’obstacles à franchir pour que le patient soit autonome. Franchir tous ces obsta­cles, c’est ce qu’on appelle l’éducation thérapeu­tique qui fonc­tionne très bien avec un sup­port con­tinu comme l’application. Ça évite des déplace­ments à l’hôpital et per­met de reli­er les patients situés dans des zones un peu désertes en spé­cial­istes à une équipe soignante, de délivr­er un ser­vice expert à dis­tance même s’il faut bien qu’il y ait un con­tact à un moment ou à un autre.

Et du côté des médecins ?

Le télé­suivi per­met que les choses soient organ­isées et ne néces­si­tent pas une inter­ven­tion d’urgence pour un patient qui a trop atten­du pour appel­er. Les prob­lèmes et com­pli­ca­tions sont beau­coup mieux anticipés, leurs pris­es en charge sont mieux canal­isées. Le pro­gramme Étapes con­cerne une pop­u­la­tion assez étroite pour l’instant, dia­bé­tique sous insu­line, avec un équili­bre du dia­bète médiocre qui jus­ti­fie d’entrer dans le pro­gramme. Pen­dant le con­fine­ment, cette lim­ite sur l’éligibilité au pro­gramme a été lev­ée au moins tran­si­toire­ment à la demande des patients.

Les diabétiques font-ils partie des patients les plus à risque ?

Oui, ils ont même été assez stig­ma­tisés dans les annonces gou­verne­men­tales. Ces recom­man­da­tions s’appuyaient sur les pre­miers arti­cles sci­en­tifiques qui nous par­ve­naient, de Chine essen­tielle­ment, qui décrivaient qu’une pro­por­tion impor­tante des pop­u­la­tions atteintes d’une forme sévère de com­pli­ca­tions dues au virus était dia­bé­tique, une pro­por­tion qui dépas­sait la pro­por­tion de dia­bé­tiques dans la pop­u­la­tion chi­noise. Mais le dia­bète est extrême­ment hétérogène, les patients ont été effrayés et ont été très deman­deurs d’aide au suivi, mais aus­si de recevoir des infor­ma­tions spé­ci­fiques au dia­bète. De quel dia­bète s’agit-il ? De type 1 ou de type 2 ?… Au début nous n’avions pas les répons­es à ces ques­tions. Finale­ment il y avait extrême­ment peu de dia­bé­tiques de type 1 (env­i­ron 2 %), une majorité de dia­bètes de type 2, et le fac­teur très pré­dic­tif de com­pli­ca­tions s’est révélé être l’obésité.

C’est la rai­son pour laque­lle nous avons décidé avec les col­lègues de la Fédéra­tion de dia­bé­tolo­gie de Paris (AP-HP) d’ouvrir un canal d’information et de com­mu­ni­ca­tion avec tout patient dia­bé­tique en France, l’application CoviDIAB. C’est un site d’informations actu­al­isées sur le dia­bète et la Covid, mais aus­si un canal inter­ac­t­if où l’on accom­pa­gne les patients dans un con­texte d’épidémie. Nous avons inté­gré des ques­tion­naires sur les symp­tômes de la Covid qui généraient des recom­man­da­tions. Si des symp­tômes étaient évo­qués, l’algorithme analy­sait ces répons­es et générait des recom­man­da­tions d’orientation : con­tactez votre médecin trai­tant, etc.

“La télé-médecine
est une carte qu’on se doit d’avoir dans son jeu pour le bénéfice
des patients. ”

Le patient est-il le seul à recevoir cette recommandation ?

À ce stade, c’est semi-automa­tisé et seul le patient reçoit cette recom­man­da­tion. Si jamais une recom­man­da­tion était faite, le lende­main le patient rece­vait une ques­tion lui deman­dant s’il avait suivi la recom­man­da­tion et quelle en avait été la con­clu­sion. Si le patient répondait non ou s’il ne répondait pas, une alerte était générée pour les médecins du ser­vice de dia­bé­tolo­gie de Bichat, rapi­de­ment étof­fé d’étudiants hos­pi­tal­iers pour répon­dre à ces alertes. On con­tac­tait alors ces patients soit via l’appli CoviDIAB, soit par télé­phone. Cer­tains patients avaient peur de sor­tir pen­dant l’épidémie et l’appel était pré­cieux pour les encour­ager à con­sul­ter. On estime avoir con­tac­té env­i­ron 1% des patients sur CoviDIAB. Heureuse­ment d’ailleurs car l’appli a eu pas mal de suc­cès avec 20 000 inscrits au total, bien plus que le nom­bre de patients suiv­is à Bichat. CoviDIAB s’adressait donc essen­tielle­ment à des per­son­nes qui n’étaient pas malades de la Covid.

Avec cette approche indi­vidu­elle, nous avons main­tenu un lien avec les per­son­nes qui se posaient des ques­tions. Nous avons organ­isé trois fois par semaine des lives d’une heure, sou­vent avec un invité – un col­lègue d’infectiologie, de virolo­gie, etc. – et nous répon­dions aux ques­tions des patients con­nec­tés à ce live qui réu­nis­sait entre 500 et 600 per­son­nes. Ces lives exis­tent tou­jours à rai­son de deux fois par semaine. Le retour des patients a été excel­lent. Ils étaient très heureux d’avoir cette source d’informations anti-fake news, dans une ambiance d’empathie qui les réas­sur­ait. Tout cela a été fait pour lever l’anxiété des patients.

Il faut reconnaître que nous avons été abreuvés pendant deux mois d’informations très anxiogènes avec l’annonce quotidienne du nombre de décès et de personnes hospitalisées, sans grande empathie.

Une de mes patientes m’a con­tac­té directe­ment car elle était choquée par l’emploi par exem­ple du terme de comor­bid­ité lié aux patients dia­bé­tiques, comme si leur mort due à cette comor­bid­ité était « de leur faute ». J’étais tout à fait d’accord avec elle et nous avons écrit une tri­bune parue dans La Croix pour dénon­cer le choc des mots util­isés et le car­ac­tère répéti­tif, tel un jour­nal de guerre, annonçant les vic­toires et surtout les défaites, jour après jour. L’application a ain­si généré beau­coup de retours très posi­tifs des patients. Les lives ont aus­si per­mis de con­stater que beau­coup de patients n’avaient plus de nou­velles de leur médecin traitant.

La pop­u­la­tion médi­cale est en effet hétérogène, en par­tie vieil­lis­sante. Les médecins hos­pi­tal­iers étaient occupés à autre chose, cer­tains étaient sub­mergés. Des médecins libéraux qui n’avaient pas fait la démarche intel­lectuelle ou tech­nique de se met­tre à la télémédecine ont par­fois bais­sé le rideau pour deux mois. Il me sem­ble que c’est un peu une faute, c’est un peu aban­don­ner ses patients en rase cam­pagne. Je ne dis pas que la télémédecine ou la télé­sur­veil­lance doivent rem­plac­er tout le reste, mais c’est une carte qu’on se doit d’avoir dans son jeu pour le béné­fice des patients. Nous-mêmes avons décidé de con­tin­uer les lives indépen­dam­ment de la crise Covid. CoviDIAB s’est trans­for­mé en Diab’Échange car on y par­le davan­tage du dia­bète que de la Covid. C’est tou­jours ouvert au-delà de nos pro­pres patients.

Avec la télémédecine, comment peut-on être sûr de la protection des données de santé ?

Pour les plate­formes de suivi, il existe un cadre légal extrême­ment rigoureux, les don­nées sont stock­ées chez des hébergeurs de don­nées de san­té. Pour réalis­er l’application CoviDIAB, nous avons tra­vail­lé avec une start-up de Toulouse, Iri­ade, qui a repris le squelette d’une appli­ca­tion déjà util­isée dans le ser­vice pour pré­par­er les hos­pi­tal­i­sa­tions (ques­tion­naires à rem­plir, vidéo qui explique l’opération). Cela explique pourquoi l’appli a pu être si rapi­de­ment opéra­tionnelle au moment de la crise, en moins d’une semaine. C’est une appli aus­si sécurisée que les out­ils médicaux.

Pour ce qui est de la télé­con­sul­ta­tion, il est fasci­nant de voir que toutes les bar­rières sont tombées en 24 heures. Il a été recom­mandé par l’AP-HP d’utiliser un logi­ciel assez impar­fait mais sécurisé, Ortif. En revanche il est bien moins facile d’utilisation que Skype ou Zoom qui n’ont pas la même sécu­rité. On pou­vait utilis­er ces plate­formes à con­di­tion de prévenir le patient que nous n’utilisions pas la plate­forme recom­mandée. Sur le principe, une pos­si­bil­ité de faille a été acceptée.

Comment passe-t-on de l’École polytechnique au service de diabétologie de Bichat ?

Comme j’étais bon en maths et en physique, j’ai fait une pré­pa. Mon père est ingénieur, mon frère est cen­tralien, donc il fal­lait que je fasse mieux que Cen­trale ! À l’X, en pre­mière année j’ai fait mon ser­vice mil­i­taire et nous avons été sen­si­bil­isés à l’ingénierie médi­cale qui était mal en point à l’époque. Nous étions une dizaine de volon­taires à tourn­er dans les hôpi­taux mil­i­taires pour éval­uer les besoins tech­niques médi­caux. Ça m’a beau­coup plu, non pas tant l’aspect tech­nique que l’aspect médi­cal, le con­tact avec les gens. Faire médecine m’a tra­ver­sé l’esprit mais je ne me voy­ais pas repar­tir en pre­mière année. J’ai fait pas mal de biolo­gie à l’X, mais sans être intéressé plus que ça par le labo. 

J’ai eu la pos­si­bil­ité d’effectuer un stage au CEA à la direc­tion des sci­ences du vivant qui fai­sait de la RMN (réso­nance mag­né­tique nucléaire). C’était de la physique qui per­me­t­tait la pra­tique de la spec­tro­scopie RMN pour mesur­er de façon non inva­sive des con­cen­tra­tions de molécules dans les tis­sus. Celui qui pro­po­sait ce stage de 4A était Gilles Bloch (81), main­tenant le patron de l’Inserm, un poly­tech­ni­cien qui avait fait médecine pen­dant ses études à l’X. Il s’agissait de recherche médi­cale et c’était en même temps assez tech­nologique, ce qui me plai­sait bien. 

Les médecins avaient un peu peur de cette par­tie tech­nique, les tech­ni­ciens qui venaient des sci­ences avaient un peu peur de l’humain, alors que les deux me plai­saient. À ce moment-là a été ren­due pos­si­ble une passerelle entre l’X et la troisième année de médecine sur dossier. J’ai pris goût à l’hôpital, j’ai passé l’internat et je suis devenu dia­bé­to­logue du fait de mon activ­ité de recherche sur la con­cen­tra­tion de glu­cose dans le mus­cle. Par­fois on me demande pourquoi j’ai aban­don­né Poly­tech­nique. Je n’ai pas du tout ce sen­ti­ment-là. Pour moi c’est un infléchisse­ment, j’ai eu l’embarras du choix à plusieurs étapes et je ne regrette pas mon choix. Je reçois chaque année cinq ou six poly­tech­ni­ciens qui songent à une car­rière de médecine. 

Ta formation d’ingénieur t’aide-t-elle pour la télémédecine ?

C’est clair depuis le début. Je ne suis pas un geek mais j’ai une cer­taine aisance avec le dig­i­tal, le développe­ment, les plate­formes… Tout cela me par­le, le jar­gon des ingénieurs n’est pas une langue étrangère pour moi. C’est d’autant plus impor­tant que main­tenant le ser­vice a une cer­taine répu­ta­tion dans ce domaine, et l’on voit pass­er des e‑mails de start-up qui nous écrivent pour pro­pos­er des idées, mais qui sont en fait infais­ables ou à côté du besoin des clin­i­ciens. Le fait d’être ingénieur m’aide pour le leur dire. Je suis à l’aise dans ces deux mondes.

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