Missile Méteor sous un Rafale

Coopération européenne, taille critique et autonomie stratégique

Dossier : Dossier FFEMagazine N°729 Novembre 2017
Par Antoine BOUVIER (80)

UNE INDUSTRIE PAS COMME LES AUTRES

L’industrie de défense n’est pas une indus­trie comme les autres. Sa final­ité est de fournir aux forces armées les moyens de rem­plir leurs missions. 

L’industrie de défense est un élé­ment essen­tiel de la pos­ture de défense et con­tribue directe­ment à l’autonomie stratégique de la Nation, c’est-à-dire à sa capac­ité à agir seule ou à peser au sein d’une alliance. 

Con­crète­ment, le rôle de l’industrie de défense est de garan­tir un accès indépen­dant aux tech­nolo­gies et équipements cri­tiques afin d’assurer lib­erté d’action, capac­ité d’entrée en pre­mier sur les théâtres d’opérations, sécu­rité des appro­vi­sion­nements et supéri­or­ité opérationnelle. 


Le mis­sile Mete­or aux essais sous Rafale. Ce pro­gramme à six pays européens con­fère aujourd’hui au Rafale et à la France une arme de supéri­or­ité aéri­enne incontestable.
© Das­sault Avi­a­tion – G. Gosset

DÉPENDANCE MUTUELLE

L’autonomie stratégique est his­torique­ment et par nature un objec­tif nation­al. Mais le lance­ment de pro­grammes d’armement en coopéra­tion et la con­sol­i­da­tion de l’industrie de défense européenne sont aus­si de puis­sants leviers d’intégration politique. 

Le Transall, le Milan, le Hot ont con­tribué à sceller la réc­on­cil­i­a­tion fran­co-alle­mande : une dépen­dance mutuelle entre la France et l’Allemagne sur des capac­ités mil­i­taires illus­trait alors l’impossibilité d’un nou­veau conflit. 

Des années plus tard, en 2010, le Traité de Lan­cast­er House entre la France et la Grande- Bre­tagne réin­tro­duit cette notion de dépen­dance mutuelle sous l’angle de la néces­saire ratio­nal­i­sa­tion de l’industrie de défense : pour réduire les dupli­ca­tions, il faut entr­er dans une logique de spé­cial­i­sa­tion transna­tionale et donc accepter – ou plutôt anticiper et organ­is­er – cette dépen­dance mutuelle. 

Deux pays qui dépen­dent mutuelle­ment l’un de l’autre pour une tech­nolo­gie ou une capac­ité mil­i­taire, ce sont deux pays qui ont décidé d’élargir au-delà du périmètre pure­ment nation­al l’objectif d’autonomie stratégique, ce que les Bri­tan­niques avaient résumé en 2010 par la for­mule « Share it or lose it ». 

Depuis plus de 20 ans MBD puis MBDA ont été à l’avant-garde de cette dynamique européenne : pro­grammes en coopéra­tion (Milan, Scalp/Storm Shad­ow, Aster, Mete­or …), inté­gra­tion indus­trielle, ini­tia­tive fran­co-bri­tan­nique « One MBDA », cen­tres d’excellence fran­co-bri­tan­niques spécialisés… 

L’AMBITION POLITIQUE EST LÀ

Les coopéra­tions bilatérales ou mul­ti­latérales entre Nations res­teront encore pour de très nom­breuses années le prin­ci­pal moteur de l’intégration de l’industrie de défense européenne, mais l’étape suiv­ante se pré­pare déjà à Bruxelles. 

MBDA REGROUPE PLUS DE 60 % DE L’INDUSTRIE EUROPÉENNE DES MISSILES ET EXPORTE HORS D’EUROPE PLUS DE 50 % DE SON CHIFFRE D’AFFAIRES.

La Com­mis­sion s’était mal­heureuse­ment longtemps lim­itée à une approche prin­ci­pale­ment régle­men­taire de l’industrie de défense, approche qui occul­tait totale­ment la notion de souveraineté. 

Mais en juin 2016, la « Stratégie glob­ale » élaborée par Fed­er­i­ca Mogheri­ni, haute représen­tante de l’UE pour les affaires étrangères et la poli­tique de sécu­rité, place pour la pre­mière fois l’autonomie stratégique européenne au cœur des objec­tifs de l’Union. Certes la notion d’autonomie stratégique européenne doit encore être pré­cisée et chaque pays l’interprète à sa manière, mais le mot est lancé et l’ambition poli­tique est là ! 

Cette ambi­tion poli­tique s’exprime de façon très con­crète par des ini­tia­tives – Fonds Européen de défense, Action pré­para­toire pour la Recherche, Coopéra­tion Struc­turée Per­ma­nente – qui ont pour objec­tif de favoris­er la coopéra­tion entre États-Mem­bres et de don­ner de la sub­stance à cette nou­velle notion d’autonomie stratégique européenne. 

ASSURER LA PÉRENNITÉ DE L’INDUSTRIE

Cet élar­gisse­ment pro­gres­sif à un cadre européen de l’objectif, his­torique­ment nation­al, d’autonomie stratégique rejoint l’impératif indus­triel de taille cri­tique. Seule la taille cri­tique garan­tit la capac­ité d’investir, de dévelop­per de nou­veaux pro­duits, de s’implanter sur de nou­veaux marchés. En l’absence de taille cri­tique, la péren­nité de l’industrie de défense européenne n’est pas assurée. 

C’est cette dynamique vertueuse, que les pres­sions sur les bud­gets de défense européens ne peu­vent qu’accentuer, qu’il faut résol­u­ment pour­suiv­re. Cer­taines tech­nolo­gies, cer­taines capac­ités doivent certes rester nationales, mais le périmètre naturel de l’industrie de défense est main­tenant l’Europe.

Seuls des cham­pi­ons européens ouverts sur le monde peu­vent aujourd’hui attein­dre cette taille cri­tique. Si MBDA est la seule entre­prise de défense européenne qui a une taille équiv­a­lente à celle de ses grands con­cur­rents améri­cains, c’est parce que MBDA regroupe plus de 60% de l’industrie européenne des mis­siles et exporte hors d’Europe plus de 50% de son chiffre d’affaires.

RÉUSSIR A 28 ET PAS SEULEMENT À 27

Ce périmètre européen de l’industrie de défense pour­ra-t-il se lim­iter à la future Europe des 27 ? 

Federica Mogherini
Change­ment de par­a­digme : la Haute représen­tante Fed­er­i­ca Mogheri­ni, dans son dis­cours, en juin 2016, sur la stratégie glob­ale, place pour la pre­mière fois l’autonomie stratégique au cœur des objec­tifs de l’Union Européenne. © EU Council

Le Brex­it ne devrait pas affecter les coopéra­tions bilatérales ou mul­ti­latérales entre la Grande- Bre­tagne et ses parte­naires européens, mais la ques­tion de l’accès de la Grande-Bre­tagne aux pro­grammes com­mu­nau­taires est posée. 

L’impératif de taille cri­tique et le con­stat que l’Europe des 27 partagera avec la Grande-Bre­tagne les mêmes intérêts de sécu­rité, devraient per­me­t­tre de répon­dre pos­i­tive­ment à cette ques­tion, même si ce sujet n’est pas formelle­ment à l’ordre du jour des négo­ci­a­tions sur le Brexit. 

Ce n’est pas par une coïn­ci­dence de cal­en­dri­er que le pro­jet fran­co-bri­tan­nique mené par MBDA de nou­veau mis­sile anti­navire et de frappe dans la pro­fondeur a été signé en mars 2017 la veille du jour où la Grande-Bre­tagne a déclenché l’article 50 : c’est parce que les 2 pays ont voulu sym­bol­ique­ment affirmer que la Grande-Bre­tagne devait rester arrimée au reste de l’Europe pour les sujets de défense les plus structurants. 

L’enjeu pour l’industrie de défense française et européenne est donc bien de réus­sir, à 28 et pas seule­ment à 27, cette muta­tion pro­fonde qui asso­cie l’impératif indus­triel de taille cri­tique – c’est-à-dire les coopéra­tions sur les pro­grammes et l’intégration indus­trielle — à la mise en place de nou­veaux mod­èles élar­gis d’autonomie stratégique. 


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