Conseiller un dirigeant

Dossier : Le conseilMagazine N°611 Janvier 2006
Par Georges RICHERME (60)

Une qual­ité essen­tielle du dirigeant est d’ac­corder dans le temps et l’e­space le flux inin­ter­rompu de déci­sions stratégiques1.
De maîtris­er en par­ti­c­uli­er les horloges :

savoir sat­is­faire aux exi­gences du court terme (redresse­ment des comptes, désendet­te­ment…) tout en pré­parant l’avenir,
• savoir accorder les hori­zons tem­porels des dif­férentes fonc­tions de l’en­tre­prise2 (de la recherche à la for­ma­tion des hommes en pas­sant par les investisse­ments struc­turants tant indus­triels que marketing…),
• savoir accorder à la cul­ture et à la dynamique pro­pres de l’en­tre­prise, au bon tem­po, les évo­lu­tions, con­traintes et oppor­tu­nités externes…

“Accord” de plus en plus déli­cat dans un univers aux fron­tières plus floues et aux évo­lu­tions moins pré­dictibles, mais accord essen­tiel : si le suc­cès d’une entre­prise tient à la com­pé­tence de ses hommes, à la qual­ité de ses proces­sus, à la per­ti­nence de ses objec­tifs, ne doit-elle pas sa valeur et sa péren­nité à leur accord, et à leur accord dans la durée ?

D’où l’ef­fort tou­jours à repren­dre pour rassem­bler har­monieuse­ment ce que la spé­cial­i­sa­tion fonc­tion­nelle, néces­saire aux organ­i­sa­tions com­plex­es, dis­tingue, et finale­ment dis­perse ; effort de plus en plus surhu­main, dès lors qu’il se refuse à être seule­ment intuitif.

Pour rem­plir sa mis­sion, un dirigeant doit réu­nir des qual­ités excep­tion­nelles à la fois man­agéri­ales et stratégiques, de lead­er­ship et de vision, de juge­ment et de déci­sion, ce qui impose de savoir inté­gr­er, sans cesse, des fac­teurs de déci­sion tou­jours plus nom­breux et évolués, de nature mar­ket­ing, com­mer­ciale, tech­nologique, indus­trielle, finan­cière, cul­turelle, poli­tique, sociale, comportementale…

Le car­ac­tère com­plexe et pluridis­ci­plinaire de la déci­sion “stratégique” ne saurait con­duire à déléguer son élab­o­ra­tion à une quel­conque direc­tion de la stratégie, qui peut con­stituer toute­fois un sup­port pré­cieux pour la réflex­ion ; ni à se repos­er sur une équipe de direc­tion, ou des adjoints, qui, s’ils sont des appuis indis­pens­ables, demeurent pour le dirigeant des vecteurs de son action. Le dirigeant doit-il pour autant s’en remet­tre à son seul juge­ment ? Est-il suff­isant qu’il s’en­toure d’ex­perts poin­tus, dont la ratio­nal­ité méthodologique ras­sure à défaut d’être tou­jours per­ti­nente ? Ou qu’il recoure à des con­seils externes à spec­tre plus large mais spé­cial­isés pour répon­dre à la ques­tion du moment3 ?

Plus une déci­sion se situe à un niveau stratégique et glob­al, qui est celui du dirigeant, plus elle requiert de l’ex­péri­ence et une vision glob­ale de l’en­tre­prise, du monde et de l’homme, les approches ou inter­ven­tions “tech­ni­ci­ennes” étant non seule­ment insuff­isantes, mais pou­vant même s’avér­er dan­gereuses par igno­rance des effets induits.

L’ex­cès de spé­cial­i­sa­tion, la dic­tature de plus en plus mal vécue en par­ti­c­uli­er de “l’in­for­ma­ti­sa­tion” de l’en­tre­prise généra­trice de déci­sions de “mau­vais sens” (l’outil et le com­ment prenant le pas sur le pourquoi et l’ob­jec­tif…), les cat­a­stro­phes engen­drées par le recours abusif à des con­sul­tants experts dans leur approche, mais focal­isés sur un mail­lon de la chaîne de valeur et oublieux de la com­plex­ité “biologique” de l’en­tre­prise… ont imposé depuis une quin­zaine d’an­nées une vision plus large de l’en­tre­prise et par­tant des propo­si­tions plus glob­ales pour aider à la diriger, à la pilot­er, à l’animer4… Cette glob­al­i­sa­tion va certes dans le bon sens mais ne répond qu’im­par­faite­ment à l’acuité du prob­lème, l’é­cart objec­tive­ment crois­sant entre l’am­pleur des mis­sions du dirigeant et sa capac­ité à les con­duire harmonieusement.

▲ Dans une posi­tion émi­nente autant qu’­ex­posée, la soli­tude est dan­gereuse. D’où l’ap­pui, depuis longtemps recher­ché, sur un homme de con­fi­ance amené avec soi ou choisi au sein de l’en­tre­prise. Il arrive toute­fois que le “con­seiller du Prince” soit trop enfer­mé dans la rela­tion per­son­nelle ou trop impliqué dans la struc­ture pour avoir l’indépen­dance de juge­ment ou la lib­erté de parole néces­saires. La ten­dance à la volatil­ité des dirigeants rend par ailleurs de plus en plus rare la fon­da­tion d’une rela­tion durable entre un dirigeant et un con­seiller “insti­tu­tion­nel“5.

D’où le recours à un “coach”, pour pal­li­er cet éparpille­ment rela­tion­nel et bris­er la soli­tude du “chef”. Mais le coach­ing, parce qu’il vise la mise en valeur de la per­son­nal­ité et du poten­tiel du dirigeant en tant que “leader”, demeure volon­taire­ment très en retrait par rap­port à la sit­u­a­tion objec­tive de l’en­tre­prise avec laque­lle le dirigeant est aux pris­es : posi­tion de principe qui donne à ce recours à la fois sa valeur et ses limites.

D’où l’in­térêt du recours à un con­seiller “général­iste” de méti­er ayant l’ex­péri­ence vécue du man­age­ment et pou­vant offrir, dans la durée, un mode d’ac­com­pa­g­ne­ment lais­sant le dirigeant s’ap­pro­prier la mat­u­ra­tion née de cet échange6.

Out­re les avan­tages clas­siques du recours à un con­seil externe (apport méthodologique et infor­matif, mise au clair des enjeux, util­i­sa­tion d’un tiers autorisé mais extérieur pour faire pass­er des visions icon­o­clastes et des déci­sions dif­fi­ciles…), l’ac­com­pa­g­ne­ment “stratégique” par un con­seiller ayant une expéri­ence vécue de dirigeant per­met la prise de recul et l’échange en “miroir” haute­ment souhaita­bles pour des déci­sions sus­cep­ti­bles d’in­duire un change­ment majeur dans l’entreprise.

Plus pré­cisé­ment l’ac­com­pa­g­na­teur con­stitue ain­si le pôle d’une rela­tion car­ac­térisé par l’al­liance — rare — de la prox­im­ité (rela­tion de con­fi­ance dans la durée, estime mutuelle, par­ité intel­lectuelle, com­préhen­sion partagée des fon­da­men­taux du méti­er de dirigeant…) et de la dis­tance (dis­tinc­tion des rôles, indépen­dance de l’ac­com­pa­g­na­teur, recul per­mis par la con­nais­sance d’autres pra­tiques, en d’autres temps, d’autres lieux, d’autres secteurs…).

▲ En réponse aux dirigeants con­scients de l’in­térêt d’une assis­tance glob­ale à la con­duite de leurs respon­s­abil­ités (de l’é­clairage des déci­sions sen­si­bles à l’ac­com­pa­g­ne­ment de leur lead­er­ship dans la con­duite des change­ments néces­saires), une nou­velle offre de con­seil de dirigeants s’af­firme aujour­d’hui, soucieuse d’une approche expéri­men­tée et “poly­tech­ni­ci­enne” sachant alli­er rigueur dans l’analyse, sens des sit­u­a­tions et com­préhen­sion des hommes, cap­i­tal­isant sur l’ac­quis méthodologique du méti­er de con­seil tout en offrant la richesse irrem­plaçable du vécu.

En plus des con­seillers de haut vol pour très grands patrons, ou d’an­ciens dirigeants ven­dant “leur” méth­ode, appa­rais­sent des cab­i­nets spé­cial­isés com­posés de con­seillers essen­tielle­ment seniors, eux-mêmes anciens dirigeants ayant acquis une bonne expéri­ence du conseil.

Mal­gré le car­ac­tère per­son­nel et con­fi­den­tiel de leur inter­ven­tion comme con­seil d’un dirigeant, l’ap­par­te­nance à une équipe leur per­met en effet de béné­fici­er d’un spec­tre plus large d’ex­péri­ences partagées et réfléchies.

Ain­si l’ac­com­pa­g­ne­ment de dirigeant, qui a pour but d’aider ce dernier à définir et réalis­er ses objec­tifs stratégiques au sein d’une rela­tion humaine­ment riche, appa­raît comme un “méti­er” à la fois très ancien et très actuel, au con­flu­ent d’at­tentes encore large­ment infor­mulées et d’une offre de con­seil adap­tée com­mençant à se structurer.

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1. Étant posé que la stratégie fait par nature par­tie des préoc­cu­pa­tions cen­trales et per­ma­nentes du dirigeant, car elle con­cerne l’en­tre­prise dans sa glob­al­ité (et non tel ou tel de ses acteurs, tel ou tel de ses sous-ensem­bles fonc­tion­nels ou opéra­tionnels) et prend en compte, sol­licite, mobilise l’ensem­ble de ses ressources, dans sa déf­i­ni­tion comme dans sa mise en oeu­vre ; s’in­scrit dans la durée et le long terme de l’en­tre­prise, même si elle peut (et doit sou­vent) sus­citer des déci­sions extrême­ment rapi­des ; regarde aux ori­en­ta­tions fon­da­men­tales de l’en­tre­prise, tra­vaille à ses évo­lu­tions majeures, pro­fondes, voire existentielles…
Si ce qui doit focalis­er un moment don­né l’at­ten­tion du dirigeant varie éminem­ment en fonc­tion de la sit­u­a­tion de l’en­tre­prise et de son envi­ron­nement (désendet­te­ment, redresse­ment opéra­tionnel, renou­velle­ment et mise sous ten­sion de l’équipe dirigeante, réor­gan­i­sa­tion majeure, parte­nar­i­at stratégique, ces­sion d’ac­tiv­ités, ouver­ture du cap­i­tal…), il s’ag­it tou­jours d’une mis­sion, d’une opéra­tion, de la prise d’une déci­sion “stratégiques”.

2. Ou plus générale­ment dans le cadre de notre analyse toute struc­ture suff­isam­ment com­plexe pour jus­ti­fi­er que son dirigeant soit accom­pa­g­né par un tiers : ain­si par exem­ple une col­lec­tiv­ité ter­ri­to­ri­ale impor­tante, un départe­ment min­istériel voire un État.

3. Alors que sont apparues très tôt des réflex­ions, le plus sou­vent très théoriques, s’es­sayant à une vision plus glob­ale de l’en­tre­prise, même si le con­seil de direc­tion “général­iste” a été revendiqué assez vite comme un méti­er à part entière, la jeune his­toire du con­seil témoigne surtout de modes suc­ces­sives focal­isant l’at­ten­tion sur des com­posantes ou des fac­teurs exces­sive­ment isolés, séparés, de l’or­gan­i­sa­tion et du développe­ment de l’entreprise.

4. Ain­si par exem­ple, mal­gré leurs lim­ites, de la créa­tion de valeur ou du man­age­ment par la performance.

5. S’il arrive par ailleurs qu’une rela­tion plus per­son­nelle et plus glob­ale s’étab­lisse dans la durée avec tel con­sul­tant en stratégie, ban­quier ou avo­cat d’af­faires…, elle demeure la plu­part du temps ponctuelle et somme toute focalisée.

6. Ce qui le dis­tingue du coach­ing dit stratégique qui, s’il vise l’ac­com­pa­g­ne­ment dans la durée de la réflex­ion et des préoc­cu­pa­tions du dirigeant sur l’en­tre­prise dont il a la charge, demeure comme tout coach­ing en retrait par rap­port au con­tenu du mécan­isme décisionnel.

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