Comment répondre aux attentes des actionnaires ?

Dossier : Les services aux entreprisesMagazine N°568 Octobre 2001
Par Michel GAUTHIER (72)
Par Henri TCHENG (86)
Par Frédéric WISCART (92)

Ainsi, récem­ment inter­rogés par le départe­ment de con­seil en stratégie d’An­der­sen sur les attentes des marchés financiers, plus de la moitié des prési­dents d’en­tre­pris­es représen­ta­tives du SBF250 recon­nais­sent avoir fait évoluer leur stratégie à moyen terme et long terme pour mieux répon­dre aux attentes des investis­seurs et de leurs action­naires. Encore plus sig­ni­fi­catif : plus des deux tiers ont déclaré accroître sub­stantielle­ment leurs efforts de com­mu­ni­ca­tion financière.

Ain­si, l’en­jeu de la ges­tion par la créa­tion de valeur est de réc­on­cili­er con­duite interne des opéra­tions et sat­is­fac­tion des action­naires (matéri­al­isée in fine par les div­i­den­des reçus et la promesse de plus-values).

Pour s’en­gager face aux marchés financiers sur sa stratégie et sa per­for­mance à court, moyen et long terme, l’en­tre­prise doit donc s’ap­puy­er sur deux démarch­es étroite­ment liées :

  • la mise en place d’un sys­tème de pilotage par la valeur, décli­nant la stratégie en leviers d’ac­tions puis indi­ca­teurs clés de performance ;
  • la ges­tion active de la rela­tion avec les marchés financiers, qui ne peut plus aujour­d’hui se lim­iter à la com­mu­ni­ca­tion finan­cière traditionnelle.

Le pilotage des performances par la valeur

Le pilotage des per­for­mances par la valeur n’est pas un sim­ple out­il de mesure des résul­tats. Il s’ag­it d’un proces­sus majeur intégrant :

  • la déf­i­ni­tion et la com­mu­ni­ca­tion de la stratégie aux équipes ;
     
  • la for­mal­i­sa­tion d’une organ­i­sa­tion et d’un mod­èle de man­age­ment, per­me­t­tant de définir le découpage de l’en­tre­prise en unités de man­age­ment, les rôles et respon­s­abil­ités de cha­cun, les grands proces­sus de décision ;
     
  • la déf­i­ni­tion d’indi­ca­teurs clés de per­for­mance : il s’ag­it de déclin­er les objec­tifs stratégiques en leviers d’ac­tions, eux-mêmes asso­ciés à des indi­ca­teurs. Ceux-ci sont des mesures dites de résul­tats (“ ai-je atteint mon objec­tif ? ”), ou de moyens (“ com­ment vais-je attein­dre mon objec­tif ? ”). Une dérive des indi­ca­teurs de moyens per­met, en général, d’an­ticiper une dérive des indi­ca­teurs de résul­tats. Bien enten­du, un sys­tème d’indi­ca­teurs répon­dant aux exi­gences de créa­tion de valeur s’ar­tic­ule autour de plusieurs dimen­sions : l’axe financier mais égale­ment les axes ” Hommes et Tal­ents “, ” Proces­sus ” et ” Clients “. Les sys­tèmes de pilotage les plus sat­is­faisants sont ceux qui équili­brent, pour chaque unité de man­age­ment, ces dif­férentes dimen­sions en fonc­tion des mis­sions et respon­s­abil­ités du niveau considéré ;
     
  • la plan­i­fi­ca­tion et l’al­lo­ca­tion des ressources con­sis­tent à inté­gr­er les ini­tia­tives stratégiques, les plans financiers et les plans d’ac­tions opéra­tionnels, à fix­er les objec­tifs à moyen et à court terme et à allouer les ressources (finan­cières, humaines, con­nais­sance…) entre les dif­férentes unités man­agéri­ales, les pro­jets et ini­tia­tives. La déf­i­ni­tion et le suivi d’indi­ca­teurs clés de per­for­mance, en fonc­tion de la stratégie de l’en­tre­prise et de sa décli­nai­son en leviers de créa­tion de valeur, con­tribuent à sim­pli­fi­er la com­posante ” admin­is­tra­tive ” de ce proces­sus, en focal­isant les éner­gies sur ce qui importe réellement ;
     
  • l’é­val­u­a­tion et le con­trôle des per­for­mances, à l’aune des indi­ca­teurs défi­nis, per­me­t­tent le lance­ment anticipé d’ac­tions cor­rec­tri­ces, ou la remise en cause des direc­tions choisies avant même la dégra­da­tion des résul­tats financiers ;
     
  • la ges­tion des car­rières, des rémunéra­tions, le coach­ing des équipes doivent aus­si s’in­scrire dans cette logique : en la matière, les entre­pris­es les plus avancées ont mis en place un sys­tème de bonus pluri­an­nuels s’ap­puyant sur un indi­ca­teur de créa­tion de valeur, éventuelle­ment com­plété par un ou deux indi­ca­teurs clés de per­for­mance spé­ci­fiques à l’en­tité considérée.


L’en­jeu d’un sys­tème de pilotage par la valeur est de met­tre en cohérence ces dif­férentes activ­ités trop sou­vent dis­tinctes, voire antagonistes.

L’in­tro­duc­tion d’un indi­ca­teur syn­thé­tique de créa­tion de valeur, partagé par tous les niveaux de l’en­tre­prise, aide à cimenter le dis­posi­tif. Tous les indi­ca­teurs ” en vogue ” reposent sur le même fonde­ment : créer de la valeur, c’est pro­duire un résul­tat opéra­tionnel supérieur au coût du cap­i­tal employé pour génér­er ce résul­tat (c’est-à-dire l’ap­pareil pro­duc­tif mais aus­si les créances clients, les dettes four­nisseurs et les stocks). Un indi­ca­teur de ce type per­met d’in­té­gr­er dans une même logique des niveaux qui mesuraient aupar­a­vant leur per­for­mance à l’aune d’indi­ca­teurs hétérogènes.

Met­tre en place une telle démarche ne peut se faire sans l’im­pli­ca­tion de tous les niveaux de l’en­tre­prise. Oui, il s’ag­it de sat­is­faire les action­naires. Mais il s’ag­it aus­si d’aider les respon­s­ables opéra­tionnels à pilot­er leur entité. Ain­si, la direc­tion générale pour­ra-t-elle définir indi­ca­teurs financiers (logique action­nar­i­ale) et stratégiques (logique de grands pro­jets). Elle doit cepen­dant se garder de définir elle-même les indi­ca­teurs opéra­tionnels des unités, sauf à assumer un inter­ven­tion­nisme fort dans la con­duite des opérations.

Pilot­er les per­for­mances par la valeur con­tribue donc à tous les niveaux de l’entreprise :

  • à la mise en œuvre de la stratégie de façon cohérente par l’ensem­ble des équipes,
  • à l’amélio­ra­tion de la capac­ité d’an­tic­i­pa­tion et de prise de déci­sions stratégiques ou tactiques,
  • à la cohérence entre les objec­tifs fixés aux équipes par le man­age­ment, et ceux com­mu­niqués aux action­naires et aux marchés financiers.

Un nouvel art : la communication financière

En matière de com­mu­ni­ca­tion finan­cière, ” le vent vient de l’Ouest ” : la dic­tature du ” quar­ter­ly result ” à l’améri­caine s’est rapi­de­ment imposée. La per­for­mance réal­isée, fonde­ment de la dis­tri­b­u­tion des div­i­den­des, est aujour­d’hui dev­enue un pro­duit qu’un prési­dent livre à ses clients, les action­naires. Si la livrai­son n’est pas bonne, le client-action­naire mécon­tent s’en va, le cours baisse et le prési­dent change.

Délivr­er une infor­ma­tion chiffrée détail­lée sur la per­for­mance réal­isée est devenu une pra­tique courante. En la matière, la gour­man­dise des ana­lystes est sans lim­ite. Les entre­pris­es com­mu­niquent donc de façon tou­jours plus pré­cise et trans­par­ente sur leur per­for­mance. Général­i­sa­tion des indi­ca­teurs de créa­tion de valeur, seg­men­ta­tion de l’in­for­ma­tion par méti­er, pub­li­ca­tion d’indi­ca­teurs opéra­tionnels sont autant d’ex­em­ples. Mais atten­tion, la com­mu­ni­ca­tion finan­cière trimestrielle doit être maîtrisée si l’on veut éviter que son titre soit chahuté : les mod­èles des ana­lystes et des investis­seurs insti­tu­tion­nels con­sis­tant, peu ou prou, à cap­i­talis­er les résul­tats annon­cés, ampli­fient les vari­a­tions de per­for­mance d’un trimestre sur l’autre. La pub­li­ca­tion trimestrielle devient un art… pra­tiqué toute­fois sous le con­trôle des autorités de place et des auditeurs.

Au-delà de l’in­for­ma­tion chiffrée sur la per­for­mance réal­isée, la com­mu­ni­ca­tion finan­cière de cer­taines entre­pris­es ouvre aujour­d’hui des per­spec­tives sur le développe­ment et les per­for­mances à venir

.Il s’ag­it donc maintenant :

  • d’ex­pliciter la stratégie de l’en­tre­prise, son posi­tion­nement con­cur­ren­tiel et de marché au sein d’un secteur d’ap­par­te­nance. En effet, com­bi­en de prési­dents ont été mis à mal lorsqu’on leur demandait d’ex­pli­quer les métiers de leur groupe, de com­par­er leur per­for­mance à celles de ” purs ” con­cur­rents (la mul­ti­pli­ca­tion des fonds indi­ciels n’ayant fait que ren­forcer la pra­tique déjà courante du ” bench­mark ”), ou encore de pré­cis­er leur stratégie de crois­sance externe ?
     
  • en phase avec cette stratégie, de com­mu­ni­quer des engage­ments clairs, chiffrés et assor­tis d’une échéance tem­porelle, tout en restant pru­dent et flex­i­ble pour lim­iter la désor­mais sévère sanc­tion en cas de ” prof­it warn­ing “. Réal­isée par le départe­ment de con­seil en stratégie d’An­der­sen, une étude récente de la com­mu­ni­ca­tion finan­cière de quar­ante groupes européens mon­tre que plus des trois quarts s’en­ga­gent sur des objec­tifs à plus d’un an devant les marchés. Le nom­bre de ” cham­pi­ons de la créa­tion de valeur ” devenus ” dieux déchus en bourse ” (Cis­co, Daim­ler Chrysler, Lucent…) incite toute­fois à la mod­éra­tion. Dans les secteurs des télé­com­mu­ni­ca­tions et des nou­velles tech­nolo­gies, la crise des marchés bour­siers a provo­qué de nom­breuses réori­en­ta­tions de la com­mu­ni­ca­tion finan­cière des entre­pris­es : réor­gan­i­sa­tions et réduc­tions des coûts ont vite été décidées et communiquées.


En matière de com­mu­ni­ca­tion finan­cière, la leçon est donc claire : il s’ag­it d’être irréprochable, pré­cis et trans­par­ent sur ce que l’en­tre­prise a fait ; il faut être ambitieux sur ce qu’elle va faire, don­ner chair aux objec­tifs avec des chiffres, et être adroit pour con­serv­er sa marge de manœuvre.

Actionnaires et marchés financiers

Mais, au-delà d’une meilleure com­mu­ni­ca­tion et d’en­gage­ments plus mar­qués, c’est toute la rela­tion avec l’ac­tion­naire et les marchés financiers qu’il s’ag­it de repenser. Si l’en­tre­prise con­naît de mieux en mieux ses clients, elle ne peut pas en dire autant de ses action­naires. Au-delà de la sim­ple recon­nais­sance, por­teurs indi­vidu­els, investis­seurs insti­tu­tion­nels et ana­lystes financiers doivent être attirés par du con­tenu (mise à dis­po­si­tion rapi­de et fréquente d’une infor­ma­tion riche et trans­par­ente), puis inter­a­gir avec l’en­tre­prise et entre eux. L’en­jeu est de con­stru­ire une véri­ta­ble com­mu­nauté autour de l’en­tre­prise, lui per­me­t­tant de tou­jours mieux con­naître les acteurs des marchés financiers, de mieux répon­dre à leurs attentes, et de les fidéliser.

Action­naires, investis­seurs et ana­lystes con­stituent une nou­velle forme de clients. Pour les sat­is­faire, on peut s’ap­puy­er sur les tech­niques de ges­tion de la rela­tion client.

Déjà, cer­taines entre­pris­es indus­trielles ont mon­tré la voie en délivrant de l’in­for­ma­tion en quan­tité et qual­ité sur leur site Inter­net, en répon­dant aux ques­tions des action­naires et investis­seurs en temps réel, en créant un club action­naires, en organ­isant des vis­ites d’usines ou des séances de for­ma­tion à la Bourse… Le développe­ment des tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et de la com­mu­ni­ca­tion autorise un nou­veau mode de ” rela­tion indi­vidu­elle de masse “.

Ces out­ils peu­vent soutenir une véri­ta­ble stratégie de com­mu­ni­ca­tion finan­cière et de rela­tion avec l’in­vestis­seur, instru­ment pré­cieux d’at­trac­tion, de con­nais­sance et de fidéli­sa­tion de l’ac­tion­naire. Et dans le paysage économique actuel et futur, c’est une source d’a­van­tage con­cur­ren­tiel certain.

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