Comment faire vibrer un X

Dossier : TrajectoiresMagazine N°699 Novembre 2014
Par Florian FEPPON (12)

Com­ment innover pour innover ? Com­ment choisir un sujet de recherche avec l’objectif de décou­vrir quelque chose de nou­veau ? Le tout dans un temps lim­ité ? Heureuse­ment, les oppor­tu­nités ne man­quent pas à l’X et c’est de manière finale­ment assez naturelle que nous avons trou­vé notre sujet et mené sa réalisation.

Que s’est-il passé concrètement pendant ces neuf mois ?
Nous sommes tout d’abord cinq élèves X 2012 unis par le souhait commun d’effectuer un PSC de physique dans le domaine des ondes. La première bonne idée que nous ayons eue a été d’obtenir conseil auprès du laboratoire PMC (Physique de la matière condensée) localisé à l’École polytechnique.
Nous avons de la sorte été orientés sur les travaux récents de Marcel Filoche (82), devenu notre tuteur, et de sa collègue mathématicienne Svitlana Mayboroda, professeur à l’université du Minnesota.

En neuf mois, notre groupe, avec l’aide de son tuteur et d’autres chercheurs, est par­venu à pos­er les bases d’une méth­ode totale­ment nou­velle d’ingénierie des vibra­tions, issue de travaux extrême­ment récents et jamais appliqués dans l’industrie.

Nous avons prou­vé son effi­cac­ité aus­si bien numérique­ment qu’expérimentalement sur un prob­lème mod­èle sim­ple qui a valu à notre pro­jet d’être retenu par­mi les trois PSC primés cette année.

Prédire la localisation des vibrations

Nous nous sommes intéressés au prob­lème du con­trôle de la local­i­sa­tion des vibra­tions. Ce thème est par exem­ple omniprésent dans l’industrie, où l’on s’efforce de con­cevoir des struc­tures capa­bles de se pro­téger con­tre des vibra­tions indésir­ables, de maîtris­er leur répar­ti­tion spa­tiale et spec­trale, ou encore d’optimiser la fatigue des matériaux.

“ Poser les bases d’une méthode nouvelle d’ingénierie des vibrations ”

Tout d’abord, on entend par local­i­sa­tion le fait qu’à l’intérieur d’une struc­ture com­plexe ou hétérogène, les vibra­tions peu­vent avoir ten­dance à se con­cen­tr­er en des endroits dif­férents en fonc­tion de la fréquence ou du mode d’excitation. Or, jusqu’à présent, ce phénomène de local­i­sa­tion reste essen­tielle­ment imprévis­i­ble et mal maîtrisé.

Les zones de local­i­sa­tion pour une plaque à géométrie com­plexe1

Les méth­odes util­isées pour s’en pré­mu­nir ou pour le con­trôler sont donc essen­tielle­ment fondées sur des méth­odes empiriques.

En 2012, Mar­cel Filoche et Svit­lana May­boro­da décou­vrent qu’il est en fait pos­si­ble de prédire la local­i­sa­tion des vibrations.

L’idée est assez sim­ple : prenez par exem­ple une plaque mince en métal ayant une géométrie aus­si com­plexe que vous le souhaitez. Appliquez une pres­sion uni­forme sur cette plaque et con­sid­érez les lignes de plus forte résis­tance (celles où la déflex­ion locale de la plaque est minimale).

La théorie dévelop­pée démon­tre que les vibra­tions ont alors ten­dance à se localis­er dans les zones bor­dées par ces lignes, les lignes de plus forte résis­tance chas­sant en quelque sorte les vibra­tions. Con­trôler la local­i­sa­tion des vibra­tions revient alors à con­trôler la géométrie de ces zones.

Mais le grand intérêt de leurs résul­tats est que ces lignes sont cal­cu­la­bles numérique­ment assez facile­ment et que le résul­tat se généralise à tout sys­tème vibratoire.

Les vibra­tions étant omniprésentes en physique, il n’a pas été dif­fi­cile d’être immé­di­ate­ment séduit par la théorie.

Comment localiser un X

Nous avons alors rapi­de­ment voulu ten­ter d’appliquer cette théorie, qui n’avait jusque-là été véri­fiée que numérique­ment, à la réso­lu­tion d’un prob­lème inverse : est-il pos­si­ble de définir d’abord les car­ac­téris­tiques vibra­toires d’un sys­tème, puis d’en déduire sa morphologie ?

La plaque ayant servi au montage expérimental.
La plaque ayant servi au mon­tage expérimental.

En d’autres ter­mes, quelles con­traintes doit-on impos­er pour délim­iter les zones de local­i­sa­tion dès la con­cep­tion du sys­tème ? Avec notre tuteur, nous avons alors eu l’idée amu­sante de déter­min­er les con­traintes qui per­me­t­traient par exem­ple de localis­er un « X » dans une plaque, en référence à l’École.

Contraindre le problème

Le prob­lème qui s’est alors posé et qui s’est peut-être révélé le plus dif­fi­cile à résoudre a été de bien con­train­dre le prob­lème. Une solu­tion triv­iale pour localis­er un X est par exem­ple de blo­quer inté­grale­ment son con­tour : cela n’est pas une solu­tion acceptable.

Nous avons donc restreint le prob­lème qui comp­tait trop de degrés de lib­erté à la ques­tion suiv­ante : com­ment localis­er les vibra­tions au sein du X en altérant au min­i­mum la plaque, par exem­ple, en se don­nant la pos­si­bil­ité de ne blo­quer qu’un nom­bre fixé de points ?

En quelques mois, nous avons alors dess­iné ce X, dévelop­pé une méth­ode nous per­me­t­tant de cal­culer numérique­ment la posi­tion opti­male de 4 ou 16 points de blocages, puis réal­isé les plaques avec les points blo­qués correspondants.

Quelle sat­is­fac­tion de voir quelques semaines plus tard notre « X » vibr­er dans la plaque con­for­mé­ment à nos attentes sur les instru­ments de mesure.

Nous ne nous sommes bien sûr pas lim­ités au X et avons égale­ment appliqué notre méth­ode pour des formes ayant moins de symétries ou pour une plaque d’épaisseur variable.

UNE MÉTHODE GÉNÉRALISABLE

Bien évidemment, le problème résolu peut paraître relativement simpliste, mais l’intérêt de notre méthode est qu’elle semble généralisable et même applicable à des systèmes industriels.
Nous devions également concevoir un système compatible avec l’expérimentation. Il s’agissait donc plus de placer le problème à notre portée que de restreindre l’objectif.

Que retenir finale­ment de ce pro­jet de recherche à l’X ? Qu’une petite péri­ode d’angoisse au début est naturelle, voire néces­saire, et que définir pré­cisé­ment son cadre de tra­vail est l’une des étapes les plus déli­cates. S’il y a bien une chose que nous ayons égale­ment con­statée, c’est que les résul­tats et les idées ne tombent pas du ciel mais provi­en­nent de ren­con­tres et de l’expérience de chacun.

Nous avons eu l’extrême chance de pou­voir être mis en rela­tion avec l’équipe de Patrick Seb­bah de l’Institut Langevin à Paris, et notam­ment avec Michaël Atlan, chercheur de l’Institut Langevin ayant dévelop­pé un out­il de mesure qui est l’un des meilleurs du monde dans son domaine, sans lequel nous n’aurions peut-être jamais pu dis­pos­er de la pré­ci­sion et du temps néces­saire pour réalis­er nos expérimentations.

Résultats de mesure
À gauche, le X dans lequel on souhaitait localis­er les vibra­tions et la con­fig­u­ra­tion à 16 points opti­male. À sa droite, des acqui­si­tions expéri­men­tales de modes de vibra­tion con­fron­tés à des sim­u­la­tions numériques.

Le jeu en valait la chandelle


Le dis­posi­tif de mesure.

Tra­vailler tous ensem­ble aura été une grande expéri­ence. Nous étions plusieurs mem­bres très per­fec­tion­nistes (peut-être par­fois trop) et avons passé de nom­breuses heures à peaufin­er tra­vail numérique et expéri­men­tal, rap­port, arti­cle de recherche et présen­ta­tions. Con­cili­er ce pro­jet avec cours, ren­du d’autres pro­jets et binets n’a pas tou­jours été aisé.

“ Les résultats et les idées ne tombent pas du ciel mais proviennent de rencontres ”

Le jeu en a valu la chan­delle par la sat­is­fac­tion d’avoir beau­coup appris, que ce soit en math­é­ma­tiques pures ou appliquées, en physique théorique et expéri­men­tale. Quelle chance de dis­pos­er des con­nais­sances néces­saires pour « goûter » la théorie !

Aujourd’hui, le pro­jet est pour­suivi sur le plan expéri­men­tal par l’équipe de l’Institut Langevin. Bien évidem­ment, du tra­vail reste à accom­plir pour trans­former la méth­ode dévelop­pée par ce pro­jet de recherche en out­il industriel.

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1. Image repro­duite d’après Mar­cel Filoche et Svit­lana May­boro­da, “Uni­ver­sal Mech­a­nism for Ander­son and Weak Local­iza­tion”. Pro­ceed­ings of the Nation­al Acad­e­my of Sci­ences, 109(37) :14761–14766, 2012.

PSC réal­isé par Max­ence Ernoult, Aimé Lab­bé, Alix Garel­li, Flo­ri­an Fep­pon et Camille Gillot (2012).

2 Commentaires

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20060042répondre
17 novembre 2014 à 11 h 57 min

appli­ca­tion en acoustique ?

Très intéressant.
Pensez vous qu’il soit pos­si­ble d’u­tilis­er ces méth­odes afin de déter­min­er la forme et posi­tion idéale des bar­rages sur une table de gui­tare acous­tique ? L’idée étant de favoris­er un cer­tain type de fréquences par rap­port à un autre, ou de s’as­sur­er que le spec­tre sonore “com­plet” (entre guillemets car il dépend avant tout du reste de la gui­tare) est bien retrans­mis, tout en main­tenant la fonc­tion prin­ci­pale du bar­rage qui est de rigid­i­fi­er la table pour qu’elle ne se voile pas sous la ten­sion des cordes.
Jusqu’i­ci, je crois savoir que c’est tou­jours fait de façon empirique.

LAPALUS Pierrerépondre
1 juillet 2017 à 18 h 26 min

Sujet de tra­vail fort
Sujet de tra­vail fort intéres­sant, approché de manière théorique ET pragmatique.

A n’en pas douter, ce type d’ap­proche peut débouch­er sur une infinité d’ap­pli­ca­tions dans les bureaux d’é­tudes industriels.

Cha­peau les jeunes !

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