Classer les universités ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°726 Juin/Juillet 2017
Par Yves QUÉRÉ

Une cri­tique du classe­ment de Shang­hai qui fait une part trop belle à la recherche et nég­lige la qual­ité de l’en­seigne­ment, pour­tant mis­sion pre­mière des uni­ver­sités. Prob­a­ble­ment parce qu’il est dif­fi­cile de juger ce dernier point de l’extérieur. 

Nous vivons, de manière incon­sid­érée, à l’ère des classe­ments. Il en est un qui chaque année met en émoi le monde académique, fait trem­bler les min­istères, réjouit les uns et con­sterne les autres : c’est le classe­ment – dit de Shang­hai – des uni­ver­sités du monde entier. 

Dès sa paru­tion, tous se pré­cip­i­tent pour savoir où se situe la leur, avec l’espoir qu’elle se trou­ve dans le fameux top 50. Et les exclus se lan­cent alors, pour y trou­ver place, dans des réformes mas­sives, sou­vent irréfléchies, tournées en par­ti­c­uli­er vers l’inflation (taille, pop­u­la­tion estudiantine…). 

LA MISSION PREMIÈRE DES UNIVERSITÉS…

À dire vrai, ce top 50 sur­prend par­fois. Ain­si, lors d’une récente échéance, il ne com­pre­nait pas une seule des uni­ver­sités alle­man­des. Pour qui con­naît l’extrême qual­ité de nom­bre d’entre elles, il y avait là de quoi grande­ment s’étonner et se deman­der ce que, en réal­ité, classe ce classement. 

“ Juger une université en fermant les yeux sur sa tâche première d’enseignement, est aussi convaincant que de juger une voiture sur sa carrosserie en ignorant son moteur ”

Il existe deux voies d’entrée prin­ci­pales pour éval­uer la qual­ité d’une uni­ver­sité : l’enseignement qu’on y prodigue et la recherche qu’on y fait. Or, nos col­lègues de Shang­hai ont décidé de juger celle-ci et d’ignorer celui-là. 

Fort bien, mais une uni­ver­sité n’est-elle pas, avant toute chose – depuis la pre­mière en date d’entre elles, celle de Bologne – un lieu où l’on dis­serte sur la con­nais­sance, où les uns dis­pensent un savoir maîtrisé mais tou­jours en évo­lu­tion, les autres le recueil­lant, l’analysant, désireux de le porter plus loin ; un lieu où l’on célèbre la cul­ture, bref où l’on apprend, au dou­ble sens du to teach et to learn, le tout dans la saine pra­tique du dia­logue ouvert ? 

N’est-ce pas là la pre­mière de ses fonctions ? 

… OUBLIÉE DANS LES CLASSEMENTS

Mais qui donc sait juger la qual­ité de l’enseignement dis­pen­sé par une uni­ver­sité ? Seuls les étu­di­ants, qui assis­tent aux cours, pour­raient à ce sujet avoir voix au chapitre, quitte à ce que l’on tienne compte de leur témoignage avec une cer­taine prudence. 

Les inter­roge-t-on ? Par­fois, mais seule­ment à usage interne. On le fait – depuis longtemps – à l’École poly­tech­nique et les infor­ma­tions ain­si recueil­lies ont plus d’une fois joué un rôle sur la péd­a­gogie, voire la car­rière d’enseignant, de tel ou tel. 

En l’absence de cette don­née pri­mor­diale, il ne reste que l’activité de recherche à éval­uer. Assuré­ment, elle est essen­tielle, car un bon enseigne­ment doit – con­di­tion néces­saire mais pas du tout suff­isante – s’appuyer sur une bonne recherche. 

On peut éval­uer celle-ci par le nom­bre, et si pos­si­ble la qual­ité, des pub­li­ca­tions sci­en­tifiques qui éma­nent de cette Uni­ver­sité, le nom­bre des lau­réats Nobel ou Fields qui en font par­tie, etc. 

Mais cette éval­u­a­tion elle-même a ses lim­ites. Il est en par­ti­c­uli­er bien des pays, et juste­ment l’Allemagne en est, comme l’Italie ou la France, où une part impor­tante de la recherche ne par­ticipe pas au classe­ment dont nous par­lons, effec­tuée qu’elle est dans des Insti­tuts situés hors uni­ver­sités (Insti­tuts Max Planck, CNRS, CEA, Inserm, etc.). 

Juger (et class­er) une uni­ver­sité en fer­mant les yeux sur sa tâche pre­mière, l’enseignement, est aus­si con­va­in­cant que de juger une voiture sur sa car­rosserie en igno­rant son moteur ; ou un hôpi­tal sur le nom­bre de ses lits sans s’intéresser à la qual­ité des soins qu’on y prodigue ; ou un avo­cat sur les livres qu’il a écrits en oubliant de tenir compte de ses plaidoiries. 

Au moment de la pub­li­ca­tion de cet arti­cle, un de nos cama­rades affiche l’ar­ti­cle suiv­ant dans le blog de L’Ex­press :

Le classe­ment des meilleures uni­ver­sités européennes ressem­ble au classe­ment des foot­balleurs les plus sures­timés de Pan­théon Foot

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