Trieur de bagages d'un aéroport

Une grande infrastructure face au défi des ans

Dossier : ExpressionsMagazine N°730 Décembre 2017
Par Philippe LABORIE (83)

Des méth­odes orig­i­nales et puis­santes per­me­t­tent d’as­sur­er la main­te­nance des grands sites indus­triels, donc de garder l’ensemble en con­di­tion mal­gré le vieil­lisse­ment. L’une des forces du con­cept est de fournir un matéri­au com­mun au ter­rain et au niveau stratégique. 

Nos aéro­ports sont mil­lion­naires en mètres car­rés de planch­ers d’aérogares, mul­ti­mil­lion­naires en mètres car­rés de chaussées aéro­nau­tiques, ils dis­tribuent de l’énergie – 80 MW d’électricité, 70 MW de froid, 188 MW de chaleur –, ils abri­tent aus­si l’équivalent en aci­er de plusieurs tours Eif­fel dans les machines qui achem­i­nent, sécurisent et tri­ent les bagages de soute. 

Nous en par­lerons aujourd’hui sous un angle mécon­nu, celui des méth­odes par lesquelles le groupe ADP veille à main­tenir l’ensemble en con­di­tion mal­gré le vieillissement. 

UNE MÉTHODE À LA MESURE DES ENJEUX

L’enjeu est de taille : Paris-Charles-de- Gaulle, aéro­port quadragé­naire dont la crois­sance n’a jamais cessé, voit tous les ans de nou­velles instal­la­tions attein­dre le terme de leur vie théorique. 

“ Il s’agit de garantir la pérennité de l’outil de production que constituent nos installations pour nos clients ”

Orly, bien­tôt cen­te­naire, a entamé une renais­sance dans laque­lle de nom­breux ouvrages anciens sont remis à niveau. Il s’agit d’agréger une vue d’ensemble de cette mul­ti­tude de réno­va­tions à pro­gram­mer et exé­cuter, pour garan­tir la péren­nité de l’outil de pro­duc­tion que con­stituent nos instal­la­tions pour nos clients. 

Retenons trois piliers de cette méth­ode : l’indice de vétusté physique (IVP) est un pour­cent­age qui mesure le vieil­lisse­ment d’un ouvrage ou d’un groupe d’ouvrages ; le déficit de main­tien d’actifs (DMA) est un écart par rap­port à l’état de neuf ; la matrice de crit­ic­ité cote les com­posants de cet écart en fonc­tion d’une échelle de grav­ité et d’impact qui reflète les pri­or­ités de l’entreprise.

Com­binées, l’agrégation des DMA et la matrice de crit­ic­ité don­nent une appré­ci­a­tion des risques liés au vieil­lisse­ment, en les seg­men­tant de façon à cibler le traite­ment sur les plus sérieux. 

QUELQUES CAS D’ÉCOLE

Prenons l’aérogare CDG‑1 : elle a beau­coup vécu depuis son ouver­ture en 1974, aus­si son bâti­ment prin­ci­pal cir­cu­laire a‑t-il été com­plète­ment rénové dans les années 2000. Restaient ses salles d’embarquement en forme de satel­lites. Leurs IVP dépas­sant 15 % en 2008, une action s’imposait, mais pas une réno­va­tion com­plète en l’état car on pen­sait les faire évoluer. 

LE FACILITY CONDITION INDEX

Nés à l’US Navy, les concepts de base du Facility Condition Index ont été formalisés à partir de 1991 pour la gestion des bâtiments universitaires.
À ce jour, ils sont en usage dans plusieurs organisations comme la NASA, le DOD (Department of Defense) des États- Unis et toutes ses branches, un très grand nombre de villes, d’hôpitaux et d’universités au Canada et aux USA.

Aus­si, dans l’attente du pro­jet de jonc­tion déclenché en 2015, les satel­lites ont-ils reçu une réno­va­tion par­tielle « juste néces­saire », con­sis­tant à remet­tre à niveau leurs équipements vitaux et à trans­former leur ambiance interne. Leurs indices de vétusté sont restés élevés, ce qui est gérable pour une péri­ode tran­si­toire si l’on pal­lie par une main­te­nance accrue les risques liés aux déficits de main­te­nance non encore traités. 

Prenons nos voies de cir­cu­la­tion avions : il s’agit de chaussées aéro­nau­tiques, généreuse­ment dimen­sion­nées pour sup­port­er les avions les plus lourds. Or depuis 2013, nous avons con­staté un vieil­lisse­ment inat­ten­du : leur IVP (indice de vétusté) est passé de 4,1 % à 6,8 %. C’est un effet retardé de l’entrée en ligne pen­dant les années 2000 d’une généra­tion d’avions gros-por­teurs dont la masse est con­cen­trée sur deux jambes de train d’atterrissage (ce n’est pas l’A380 qui, quoique plus lourd, répar­tit sa masse sur un train prin­ci­pal à qua­tre jambes). 

Quelle que soit la cause, il s’agit de cor­riger, d’abord sur les voies les plus cri­tiques (celles qui sont proches des pistes), puis sur l’ensemble, en con­tenant à un niveau con­stant le DMA (déficit de main­tien d’actifs) des secteurs cri­tiques, et en pri­or­isant les inter­ven­tions sur les autres voies. 

À Orly, lors des pre­mières années d’utilisation de la méth­ode, la cota­tion des déficits de main­tien d’actifs par crit­ic­ité a servi de sup­port à un ciblage des investisse­ments sur les défi­ciences critiques. 

Un effet posi­tif sur le vol­ume des risques les plus sérieux a été obtenu et mesuré, avant même qu’il ne soit décidé un raje­u­nisse­ment général. Celui-ci est main­tenant engagé et l’indice de vétusté a pour la pre­mière fois bais­sé cette année. 

COMMENT FAIT-ON ?


Les trieurs de bagages, cathé­drales d’acier dans une ville souter­raine en miroir des aérog­a­res. © AÉROPORT DE PARIS

Annuelle­ment, les ouvrages, leurs DMA et leurs indices de vétusté sont recen­sés et éval­ués par une enquête menée par un con­sul­tant externe, l’entreprise TB Mae­stro SA, qui nous a apporté la méthodolo­gie et nous a aidés à la trans­pos­er à l’ensemble des installations. 

Garant de l’homogénéité et de l’intégrité de l’information depuis le ter­rain jusqu’aux rap­ports de syn­thèse, le con­sul­tant pro­duit une base de don­nées de quelque 3 500 DMA, de laque­lle il com­pile les indi­ca­teurs sous la forme de car­nets de san­té par unité respon­s­able et par aéro­port, ain­si que sous la forme d’un porte­feuille de projets. 

Sur la base de cycles de vie théoriques des ouvrages, l’ensemble est pro­jeté au-delà de l’horizon de cinq ans que donne l’enquête de ter­rain. Après cette com­pi­la­tion, les résul­tats retour­nent au ter­rain sous la forme d’une actu­al­i­sa­tion des pro­grammes d’investissement « vétusté », sur un hori­zon de cinq ans glissants. 

C’est l’une des forces de la méth­ode : elle four­nit un matéri­au com­mun au ter­rain et au niveau stratégique. Les unités de ter­rain y trou­vent le con­tenu et les pri­or­ités de leur pro­gramme d’investissement, ain­si qu’un lan­gage com­mun pour expliciter les risques liés au vieil­lisse­ment de leurs installations. 

“ Une force de la méthode est de fournir un matériau commun au terrain et au niveau stratégique ”

Le niveau stratégique y trou­ve la for­mu­la­tion d’une tra­jec­toire glob­ale, en ter­mes de vieil­lisse­ment ou de raje­u­nisse­ment, et en ter­mes de niveau de risque agrégé. 

Le groupe ADP a été l’une des pre­mières entre­pris­es en France à sys­té­ma­tis­er ces démarch­es, qui ont fait l’objet de travaux de nor­mal­i­sa­tion : BSI en Grande-Bre­tagne (PAS 55 depuis 2004), ISO (pub­li­ca­tion en jan­vi­er 2014 d’une norme ISO 55 000 à la suite de qua­tre ans de travaux pré­para­toires internationaux). 

L’objectif affiché de la norme ISO 55 000 est d’assurer « … non seule­ment les organ­ismes de tutelle mais surtout les action­naires et les investis­seurs insti­tu­tion­nels de la meilleure rentabil­ité de l’euro investi dans la péren­nité des act­ifs indus­triels de plus en plus complexes ». 

On ne saurait mieux résumer.

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