Découvrir aujourd’hui les innovations qui feront le monde de demain

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°786 Juin 2023
Par Jean-Dominique COSTE

Dans le domaine de l’innovation et de la R&T, Air­bus Blue Sky tra­vaille sur les tech­no­lo­gies qui dis­rup­te­ront l’aérospatial et l’aéronautique dans 10, 20 ou encore 30 ans. Jean-Domi­nique Coste, res­pon­sable de cette équipe à la pointe de l’innovation, nous en dit plus sur le péri­mètre d’action d’Airbus Blue Sky avec un focus sur les pistes explo­rées et les prin­ci­paux pro­jets déployés.

Airbus Blue Sky est une fonction en charge d’explorer les technologies futures à haut potentiel stratégique pour l’aérospatial. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Air­bus Blue Sky est une des fonc­tions cen­trales d’Airbus. Elle couvre ain­si l’ensemble des divi­sions du groupe : les avions de ligne, la défense, le spa­tial, les héli­co­ptères. Sa mis­sion est de déve­lop­per des concepts et des tech­no­lo­gies qui ont voca­tion à adres­ser les besoins de l’ensemble de ces divisions.

Tou­te­fois, Air­bus Blue Sky n’est pas une fonc­tion R&T ou inno­va­tion clas­sique. Nous avons la spé­ci­fi­ci­té de nous foca­li­ser sur des tech­no­lo­gies de très long terme, avec un hori­zon mini­mum de 10 ans et allant jusqu’à 20, voire 30 ans. Nous regar­dons ain­si l’évolution du péri­mètre tech­no­lo­gique et socié­tal sur le long terme pour iden­ti­fier les nou­velles tech­no­lo­gies qui poten­tiel­le­ment pour­raient être stra­té­giques et dis­rup­tives pour notre indus­trie et sur les­quelles Air­bus ne s’est pas encore positionné.

« Sa mission est de développer des concepts et des technologies qui ont vocation à adresser les besoins de l’ensemble de ces divisions. »

Nous sommes donc face à un péri­mètre qua­si-illi­mi­té de tech­no­lo­gies à consi­dé­rer. On s’in­té­resse aus­si bien au domaine scien­ti­fique et phy­sique, qu’au monde des plas­mas, de la bio­tech­no­lo­gie, ou de la psy­cho­lo­gie… Nous pas­sons au crible tous ces uni­vers et fil­trons les élé­ments qui pour­raient rendre Air­bus encore plus com­pé­ti­tif et inno­vant sur ces dif­fé­rents mar­chés, mais sommes aus­si à la recherche de solu­tions qui peuvent avoir des impacts globaux.

On est sur des pro­jets que l’on peut qua­li­fier de high risk, high reward, des concepts moon­shot qui peuvent influen­cer non seule­ment le pro­duit en soit, mais aus­si la façon dont les usa­gers les uti­lisent et com­ment ces der­niers per­çoivent leur rela­tion au transport.

Aujourd’hui, Air­bus Blue Sky s’appuie sur une équipe à taille humaine com­po­sée d’un cœur de six experts scien­ti­fiques qui tra­vaillent sur le déve­lop­pe­ment des sujets et des pro­jets qui sont ensuite exé­cu­tés et déployés par un groupe de per­sonnes issu de nos pôles de com­pé­tences en interne.

Plus concrètement, quels sont le périmètre d’action et la feuille de route de cette entité ?

Sur la base de nos études de veille, nous avons défi­ni cinq grands axes :

  • L’énergie : au-delà du fait que l’aérospatial soit un sec­teur très éner­gi­vore, l’énergie repré­sente aus­si un des prin­ci­paux enjeux envi­ron­ne­men­taux actuels. Dans l’aviation, au cours des 100 der­nières années, l’innovation a essen­tiel­le­ment été incré­men­tale. Nous n’avons, en effet, pas connu de dis­rup­tion majeure. Aujourd’hui, la dimen­sion envi­ron­ne­men­tale est le plus impor­tant fac­teur de chan­ge­ment pour notre indus­trie qui, pour sur­vivre, doit se réin­ven­ter. Pour ce faire, nous cher­chons de nou­velles éner­gies ; étu­dions de nou­velles façons de dis­tri­buer l’énergie et de la conver­tir, mais aus­si déve­lop­pons notre rôle dans la chaîne de valeur de l’énergie afin de ne plus être uni­que­ment un consom­ma­teur d’énergies ;
  • Repen­ser le trans­port : alors qu’ Air­bus trans­porte des per­sonnes, des biens et de la don­née, la pro­chaine étape est de réflé­chir à des façons plus effi­caces pour assu­rer leur transport ;
« Sur la base de nos études de veille, nous avons défini cinq grands axes : l’énergie, repenser le transport, le design pour l’impact sociétal, la bioconvergence, le futur des systèmes industriels. »
  • Le desi­gn pour l’impact socié­tal : actuel­le­ment, Air­bus conçoit des pro­duits pour répondre à des besoins des com­pa­gnies aériennes, ses prin­ci­paux clients, ou de minis­tères de la Défense dans le monde. Dans ce cadre, l’impact de ce pro­duit sur le pas­sa­ger, qui va prendre l’avion ou sur le citoyen qui va indi­rec­te­ment béné­fi­cier de nos solu­tions, n’est pas suf­fi­sam­ment pris en compte. L’idée est donc de ten­ter d´anticiper cet impact dans la concep­tion de nos pro­duits afin de mieux le prendre en compte ;
  • La bio­con­ver­gence : il s’agit de capi­ta­li­ser sur les der­nières avan­cées dans le monde de la bio­lo­gie et de la san­té pour les mettre au ser­vice d’industrie plus « hard­ware » comme la nôtre. Nous explo­rons plu­sieurs pistes pour créer des pas­se­relles et trou­ver des syner­gies afin de faire, par exemple, des desi­gns orga­niques ou encore de l’augmentation de l’humain… ;
  • Le futur des sys­tèmes indus­triels : Air­bus est face à un impor­tant défi en termes d’accroissement de sa pro­duc­tion. En crois­sance per­ma­nente depuis plu­sieurs années, suite à la pan­dé­mie et au redé­mar­rage de l’activité indus­trielle, nous devons faire face à une hausse excep­tion­nelle de la demande qui nous pousse à repen­ser notre façon de pro­duire pour opti­mi­ser nos capa­ci­tés indus­trielles et les rendre plus adap­tables et flexibles.

Et comment cette feuille de route se traduit-elle en termes de projets ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?

En 2022, nous avons lan­cé le pro­jet Power Bea­ming, un de nos pro­jets phares qui se pour­suit cette année. Il s’agit d’une tech­no­lo­gie qui per­met de trans­mettre de l’énergie à dis­tance. Aujourd’hui, nous savons trans­mettre de l’information à dis­tance par rayon­ne­ment. Avec cette tech­no­lo­gie, demain, nous serons en capa­ci­té de faire de même avec l’énergie. Cette inno­va­tion va nous per­mettre de redé­fi­nir les réseaux éner­gé­tiques au sol, car nous n’aurons plus besoin de câbles, mais aus­si d’accélérer la tran­si­tion éner­gé­tique en reliant, par exemple, direc­te­ment des fermes éoliennes aux points clés du réseau…

Dans le domaine spa­tial, cette tech­no­lo­gie va nous don­ner la pos­si­bi­li­té de déployer des fermes solaires dans l’espace, où l’énergie du soleil est la seule éner­gie renou­ve­lable dis­po­nible 24h/24 à une puis­sance maxi­male. Notre objec­tif avec ce pro­jet est de trans­fé­rer cette éner­gie direc­te­ment de l’espace au sol.

Nous nous inté­res­sons aus­si au méta­vers. Nous sommes convain­cus que le méta­vers, c’est-à-dire la connexion d’espaces ou de réa­li­tés hybrides et éloi­gnés, va for­te­ment dis­rup­ter l’industrie et notre per­cep­tion du transport.
Aujourd’hui, lors d’un vol, les pas­sa­gers doivent mettre leur smart­phone en mode avion, qui est syno­nyme d´isolement. Demain avec le méta­vers, depuis l’avion, ils pour­ront se connec­ter à d’autres per­sonnes et espaces, par­ti­ci­per à des réunions, se rendre dans des envi­ron­ne­ments vir­tuels… C’est un sujet qui nous mobi­lise for­te­ment au sein de notre entité.

« En 2022, nous avons lancé le projet Power Beaming : une technologie qui permet de transmettre de l’énergie à distance. »

Nous regar­dons aus­si la fusion nucléaire, qui, contrai­re­ment aux idées reçues, a connu de nom­breuses avan­cées au cours des der­nières années. On pense que, sur le long terme, il sera pos­sible d’avoir accès à des réac­teurs mobiles dans les années à venir. Nous essayons donc d’identifier dès aujourd’hui les impli­ca­tions pour l’aérospatial.

Dans un autre registre, on peut aus­si citer le Pro­jet 42, dans le cadre duquel nous essayons de modé­li­ser l’acceptation sociale de futurs pro­jets et pro­grammes dis­rup­tifs d’Airbus comme l’avion à hydro­gène, qui sera le pre­mier avion à zéro émis­sion, ou encore les taxis volants… Ce sont des pro­jets pas­sion­nants, car au-delà de l’acceptation de nou­veaux modes de trans­port, plus lar­ge­ment, c’est l’acceptation des nou­velles tech­no­lo­gies qui est aus­si en question.

Enfin, nous sommes très ouverts sur notre éco­sys­tème et sommes très deman­deurs de col­la­bo­ra­tions avec d’autres indus­triels afin de par­ta­ger nos expé­riences, nos suc­cès tech­no­lo­giques, mais aus­si afin de lever ensemble les ver­rous et les freins tech­no­lo­giques et de solu­tion­ner les éven­tuels pro­blèmes que nous pou­vons rencontrer.

Qu’en est-il de la transition énergétique et la décarbonation des usages et notamment des transports. Comment Airbus Blue Sky peut y contribuer ?

C’est un sujet stra­té­gique pour Air­bus. Notre mis­sion est de com­men­cer à pré­pa­rer dès aujourd’hui l’après-transition. Un des objec­tifs d’Airbus dans le cadre de la décar­bo­na­tion des trans­ports est de déve­lop­per le pre­mier avion zéro émis­sion à hori­zon 10 ans. Ce nou­vel avion pour­ra être basé sur l’hydrogène. Cela implique de déve­lop­per toute la chaîne de valeur de l’hydrogène, qui est actuel­le­ment qua­si-inexis­tante. Dans ce cadre, notre rôle est d’anticiper les pro­chaines étapes pour garan­tir que l´ensemble de la chaîne de valeur soit décarbonée.

Et pour conclure, quels sont les principaux challenges ?

Au sein de notre enti­té, nous sommes natu­rel­le­ment très opti­mistes ! Tou­te­fois, cela n’est pas tou­jours évident de démon­trer la fai­sa­bi­li­té tech­nique d’une tech­no­lo­gie à nos diverses par­ties pre­nantes. Il y a un fort enjeu de sen­si­bi­li­sa­tion, pour convaincre nos dif­fé­rents inter­lo­cu­teurs de la per­ti­nence de nos tra­vaux et des pistes que nous explo­rons : la Com­mis­sion euro­péenne, les gou­ver­ne­ments, les agences, les ins­ti­tu­tions… Encore aujourd’hui, nous devons aus­si les convaincre que les nou­velles tech­no­lo­gies ne repré­sentent pas une menace.

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