« Nous avons besoin de visionnaires proches du terrain »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°786 Juin 2023
Par Bertrand ALLOIN

À l’heure où les réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tion et d’énergie sont omni­pré­sents et en pleine trans­for­ma­tion, le groupe Firalp connait une recru­des­cence de son acti­vi­té. Ce construc­teur de réseaux est en effet l’un des prin­ci­paux acteurs du sec­teur en France. Quels sont les grands enjeux actuels de son déve­lop­pe­ment dans le contexte de la décar­bo­na­tion ? Élé­ments de réponse avec Ber­trand Alloin, pré­sident de Firalp.

Pouvez-vous présenter l’activité du groupe FIRALP ?

Notre groupe est un spé­cia­liste natio­nal de la construc­tion et de la main­te­nance dans le domaine de la dis­tri­bu­tion d’énergie. Notre acti­vi­té se struc­ture autour de plu­sieurs métiers : réseaux élec­triques (50 %), réseaux numé­riques (25 %), ter­ri­toires connec­tés et éclai­rage public (10 %), gaz et chauf­fage urbain (10 %) et enfin élec­tri­ci­té indus­trielle et ter­tiaire. Nous sommes une ETI indé­pen­dante de 3000 per­sonnes répar­ties sur soixante sites en France.

Le contexte économique est-il favorable à vos activités ?

Grâce à la tran­si­tion éner­gé­tique et à la tran­si­tion numé­rique, nous sommes très sol­li­ci­tés ! Cette forte demande nous per­met de nous déve­lop­per, sur­tout au tra­vers d’une crois­sance orga­nique (entre 6 et 10 % chaque année).
Comme toutes les entre­prises, nous avons connu la crise du COVID, et la hausse du car­bu­rant et des matières pre­mières nous a for­te­ment impac­tés. Cepen­dant ces dif­fi­cul­tés nous font pro­gres­ser en fai­sant émer­ger de nou­veaux défis tels que maî­tri­ser nos coûts ou réduire nos consom­ma­tions de gasoil.

Quels sont les leviers de votre croissance ?

Ces dix der­nières années, de nou­velles acti­vi­tés ont émer­gé (la télé­ges­tion, le pilo­tage intel­li­gent en ville…) qui trans­forment nos villes et nos ter­ri­toires. Le déploie­ment de la fibre optique est une condi­tion néces­saire à ces déve­lop­pe­ments. C’est pour­quoi le plan France Très Haut Débit (PFTHD) a été lan­cé en 2014 par le gou­ver­ne­ment. Aujourd’hui, s’il reste envi­ron 20 % du réseau à déployer, la France fait figure de pre­mier pays d’Europe pour l’équipement en fibre optique.

En outre, la créa­tion de mil­liers de fermes solaires et éoliennes a injec­té beau­coup d’énergie décar­bo­née dans le réseau. Les éner­gies renou­ve­lables ont donc obli­gé Ene­dis à recon­fi­gu­rer son réseau et à le rendre plus solide, plus adap­té pour rece­voir de nom­breux points d’injection,ce pour quoi il n’avait pas été conçu au départ.

Le contexte cli­ma­tique a éga­le­ment un impact : les intem­pé­ries de plus en plus vio­lentes et fré­quentes accé­lèrent l’usure natu­relle du réseau. Nous inter­ve­nons donc fré­quem­ment pour répa­rer ou réno­ver. Enfin, on consomme tout sim­ple­ment de plus en plus d’électricité, et cette aug­men­ta­tion génère de l’activité sup­plé­men­taire pour les bâtis­seurs d’infrastructures que nous sommes.

Comment réagissez-vous au contexte actuel de décarbonation ?

Notre acti­vi­té demande une grande puis­sance. Nous avons de nom­breux poids lourds, des engins de chan­tier, plus de 4000 véhi­cules imma­tri­cu­lés au total ! Pour le moment, nous sommes contraints de consom­mer du gasoil. Mais en décar­bo­nant pro­gres­si­ve­ment, notre but est d’émettre moins de CO2 tout en main­te­nant ou aug­men­tant notre pro­duc­ti­vi­té. Les attentes des can­di­dats, de nos clients ou four­nis­seurs, nous incitent plus que jamais à prendre ce virage environnemental.

Quelle est votre stratégie pour décarboner vos activités ?

En 2021, nous avons fait faire le bilan car­bone du Groupe sur les 3 caté­go­ries d’émissions (le 3e scope cor­res­pon­dant aux émis­sions indi­rectes). Si la com­bus­tion d’énergies fos­siles repré­sente plus de 20 % de nos émis­sions, la grosse majo­ri­té pro­vient des « intrants » c’est-à-dire tout ce que l’on achète ou ce que l’on sous-traite.

Notre objec­tif : réduire notre empreinte car­bone de 10 % pour 2025, et de 20 % en 2030 (sur les 3 scopes) en sui­vant une feuille de route stricte. Celle-ci com­prend notam­ment : un chan­ge­ment dans nos habi­tudes de dépla­ce­ment et de ges­tion des déchets, l’achat de nacelles, de poids lourds et de véhi­cules élec­triques, le recy­clage des maté­riaux que nous exca­vons, et l’achat de maté­riaux de construc­tion à bas car­bone (béton, enro­bé, plas­tique…). Nous tra­vaillons sur tous ces sujets et espé­rons même être en avance sur nos objectifs.

Quels sont les enjeux actuels de la construction et de la maintenance des réseaux ?

On peut dis­tin­guer deux enjeux. D’abord, il s’agit pour nous de tenir la cadence sur les mar­chés clas­siques boos­tés par les éner­gies renou­ve­lables. Ensuite, il nous faut absor­ber les mar­chés émer­gents. Pour réus­sir ce défi, notre filiale RESONANCE prend en charge les grands pro­jets natio­naux et les nou­velles acti­vi­tés (l’installation de bornes élec­triques, le bio­gaz…). Mais ces nou­veaux mar­chés ne doivent pas nous faire oublier nos clients his­to­riques qui sont le socle de notre acti­vi­té. SOBECA, qui inter­vient sur les tra­vaux de génie civil, res­te­ra notre filiale principale.

Au fond, les contraintes environnementales seraient plutôt des opportunités de croissance pour votre société ?

Abso­lu­ment ! Pho­to­vol­taïque et bio­gaz sont des éner­gies d’avenir et des nou­velles pers­pec­tives d’activité pour nous, tout comme les bornes de recharge élec­triques. Néan­moins, il ne faut pas négli­ger l’investissement néces­saire en terme de for­ma­tion. Aller vers de nou­velles acti­vi­tés néces­site aus­si de for­mer nos équipes à de nou­veaux savoir-faire. C’est ce que nous nous employons à faire actuel­le­ment sur la construc­tion et la main­te­nance des bornes électriques.

Quelles sont les perspectives de carrières que vous pouvez proposer aux jeunes ingénieurs ?

Notre crois­sance est sou­vent frei­née par un manque de main‑d’œuvre, à tous les niveaux (cadres, ouvriers, char­gés d’exploitation). Pour­tant nous sommes une entre­prise de tra­vaux publics qui a beau­coup à offrir : des valeurs fortes, du savoir-faire, des moyens pour réus­sir. Nous avons mis en place des par­cours d’intégration qui per­mettent d’accueillir pro­gres­si­ve­ment les nou­veaux col­la­bo­ra­teurs. Par ailleurs, nous misons beau­coup sur l’alternance (10 % de notre effec­tif avec un objec­tif d’embauche de 50 %). Pour y par­ve­nir, nous pro­po­sons un tuto­rat struc­tu­ré avec un sui­vi men­suel. Nous avons aus­si noué des rela­tions étroites avec de nom­breuses écoles (tout niveau confon­du) pour mieux nous faire connaître auprès des jeunes et faci­li­ter nos recrutements.

Nous avons notam­ment besoin d’ingénieurs pour enca­drer et mana­ger. Pour s’intégrer et réus­sir, les ingé­nieurs sor­tis des grandes écoles doivent mon­trer un inté­rêt pour la pro­duc­tion et le chan­tier (en géné­ral, ils y passent un an avant d’encadrer). Cette double com­pé­tence « mana­geur » et « opé­ra­tion­nel » est très impor­tante chez nous.

Quelle place donnez-vous à l’innovation ?

Nous vou­lons avoir cinq ans d’avance dans notre sec­teur d’infrastructure et de tra­vaux. Aux postes de direc­tion, nous avons besoin d’ingénieurs à la fois vision­naires, concep­tuels (pro­cess) et opé­ra­tion­nels. Nous consa­crons beau­coup de moyens et d’investissement (2 % des résul­tats chaque année) sur 3 axes : digi­ta­li­sa­tion, méca­ni­sa­tion et for­ma­tion. Nous déve­lop­pons des appli­ca­tions numé­riques : l’objectif est de digi­ta­li­ser au maxi­mum les pro­cess de ges­tion des tra­vaux (pré­pa­ra­tion, plan­ning, fac­tu­ra­tion, etc.).

La méca­ni­sa­tion doit per­mettre quant à elle de réduire les nui­sances, l’accidentologie et la péni­bi­li­té. C’est un sujet pas­sion­nant pour des ingé­nieurs géné­ra­listes ! La for­ma­tion est éga­le­ment dans notre ADN : nous avons construit une école interne « La Fabrik » et un hôtel à proxi­mi­té de notre siège (Nord de Lyon) pour inter­na­li­ser 90 % de nos for­ma­tions avec une exi­gence beau­coup plus éle­vée que dans les centres de for­ma­tion externes.

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