Les résultats de simulation numérique sur le stellarator.

Focus sur la fusion nucléaire : une source d’énergie décarbonée à fort potentiel

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°786 Juin 2023
Par Simon BELKA
Par Victor PROST (X12)

Mécon­nue du grand public, la fusion nucléaire, qui per­met de pro­duire une éner­gie renou­ve­lable non-inter­mit­tente, peut pour­tant jouer un rôle impor­tant dans la décar­bo­na­tion des usages et contri­buer ain­si au suc­cès de la tran­si­tion éner­gé­tique. Créée en 2020, Renais­sance Fusion ambi­tionne jus­te­ment de déve­lop­per et d’industrialiser cette tech­no­lo­gie. Simon Bel­ka, direc­teur des rela­tions publiques, et Vic­tor Prost (X12), ingé­nieur méca­nique et chef d’équipe de l’ingénierie du sys­tème nucléaire, nous en disent plus dans cet entretien.

Qu’est-ce que Renaissance Fusion ?

Simon Bel­ka : Renais­sance Fusion est une start-up qui a été créée en juillet 2020 par le phy­si­cien Fran­ces­co Volpe, qui évo­lue dans le monde de la phy­sique, et notam­ment de la fusion nucléaire, depuis plus de 25 ans. Basée à Gre­noble, qui dis­pose d’un riche éco­sys­tème de recherche et uni­ver­si­taire, Renais­sance Fusion a pour objec­tif de déve­lop­per et de com­mer­cia­li­ser un réac­teur à fusion nucléaire d’une puis­sance d’un giga­watt élec­trique pour pro­duire une élec­tri­ci­té tota­le­ment décar­bo­née, abon­dante et non-intermittente.

Dans cette démarche, nous tra­vaillons aus­si sur des déve­lop­pe­ments connexes, notam­ment des supra­con­duc­teurs et des aimants, que nous sou­hai­tons com­mer­cia­li­ser dès 2025 afin de géné­rer nos pre­miers reve­nus. Aujourd’hui, la start-up emploie près de 35 per­sonnes de 13 natio­na­li­tés dif­fé­rentes et nous avons pour objec­tif de dou­bler nos effec­tifs avant la fin 2023.

Au cœur de vos expertises, on retrouve donc la fusion nucléaire. Pouvez-vous nous en dire plus ?

S.B : La fusion nucléaire est un domaine qui couvre plu­sieurs points tech­no­lo­giques. Renais­sance Fusion a fait le choix de se spé­cia­li­ser et de se posi­tion­ner sur trois briques technologiques :

le liquide de refroi­dis­se­ment à base de métaux liquides qui pro­tège les parois solides du réac­teur, tout en per­met­tant de regé­né­rer du carburant ;

les aimants supra­con­duc­teurs, un maté­riau qui n’oppose aucune résis­tance à très basse tem­pé­ra­ture : nous avons déve­lop­pé une nou­velle méthode de fabri­ca­tion de ce maté­riau afin d’avoir des champs magné­tiques com­plexes et intenses qui seront très utiles pour notre réac­teur de fusion nucléaire ;

une nou­velle façon de conce­voir la fusion nucléaire avec des réac­teurs plus com­pacts et simples à fabri­quer ce qui per­met­trait de réduire les coûts de construc­tion et le temps de déve­lop­pe­ment des réac­teurs. Pour ce faire, nous tra­vaillons sur la phy­sique des plas­mas, la ther­mique ou encore l’ingénierie de manière générale.

Et pour appré­hen­der l’ensemble de ces dif­fé­rents domaines, nous nous appuyons sur des experts de la fusion mais éga­le­ment sur les com­pé­tences tech­niques de nos doc­teurs et ingé­nieurs issus de labo­ra­toires de pointe dans leur domaine.

En quoi votre approche est-elle différente de la fission nucléaire ?

S.B : La fis­sion et la fusion sont deux éner­gies nucléaires. Ce sont aus­si deux pro­ces­sus inverses qui s’opèrent au niveau des atomes. Dans la fis­sion, on part de noyaux lourds, en géné­ral des noyaux d’uranium, que l’on va cher­cher à cas­ser avec des neu­trons pour géné­rer de l’énergie. Dans la fusion, on part de deux atomes légers, en géné­ral des atomes d’hydrogène, qu’on cherche à fusion­ner pour don­ner un noyau plus lourd. Ce pro­ces­sus per­met de géné­rer de l’énergie. La fusion a l’avantage d’être un pro­ces­sus beau­coup plus sûr que la fis­sion. Il n’y a, en effet, pas de risque de réac­tion en chaîne ou de fonte du cœur. En paral­lèle, on note aus­si des dif­fé­rences au niveau des déchets pro­duits. Ceux pro­duits direc­te­ment par la réac­tion entraî­née par la fusion nucléaire sont limi­tés et ont, par ailleurs, une demie-vie beau­coup plus faible.

V.P : On note aus­si une dif­fé­rence au niveau de la source de car­bu­rants uti­li­sés. Pour la fis­sion nucléaire, il s’agit de métaux rares et de mine­rais qui sont sou­vent minés dans des zones dif­fi­ciles d’accès où les res­sources sont très loca­li­sées. Leur dis­po­ni­bi­li­té a aus­si voca­tion à se réduire sur le long terme. Pour la fusion nucléaire, le car­bu­rant prin­ci­pal est l’hydrogène, qui peut notam­ment être pro­duit à par­tir d’eau de mer, une res­source qua­si­ment inépuisable !

En matière de transition énergétique et de décarbonation, quelle est votre proposition de valeur ?

S.B : Au cœur de notre valeur ajou­tée, on retrouve tout d’abord l’ensemble des avan­tages de la fusion nucléaire que nous venons de détailler. En paral­lèle, l’énergie pro­duite est décar­bo­née et abon­dante, ce qui en fait une alter­na­tive très inté­res­sante aux éner­gies renou­ve­lables qui sont inter­mit­tentes et dif­fi­ci­le­ment pilo­tables. Forts de ces constats, Renais­sance Fusion tra­vaille donc sur la fabri­ca­tion d’un réac­teur d’une puis­sance impor­tante, d’environ un giga­watt élec­trique. En capi­ta­li­sant sur des inno­va­tions tech­no­lo­giques majeures, nous allons aus­si déve­lop­per un réac­teur rela­ti­ve­ment com­pact à un coût com­pé­ti­tif et qui, en plus, per­met­tra d’avoir une élec­tri­ci­té à un coût très com­pé­ti­tif (40 à 80 euros du mégwattheure).

V.P : Depuis quelques années, nous enten­dons beau­coup par­ler de décar­bo­na­tion et de neu­tra­li­té car­bone. Concrè­te­ment, la tran­si­tion éner­gé­tique couvre plu­sieurs dimen­sions et notam­ment le car­bone d’une res­source éner­gé­tique et les maté­riaux néces­saires pour pro­duire de l’électricité…

Face aux pénu­ries de maté­riaux rares et au regard des carac­té­ris­tiques de chaque éner­gie renou­ve­lable, il n’est pas per­ti­nent, voire ris­qué, de pri­vi­lé­gier une seule forme d’énergie renou­ve­lable. Dans ce cadre, la fusion nucléaire a la par­ti­cu­la­ri­té de per­mettre d’avoir un mix éner­gé­tique qui va réduire le risque de dépen­dance à un métal rare, par exemple, et faci­li­ter la tran­si­tion éner­gé­tique et la décarbonation.

Où en est Renaissance Fusion ? Quelles sont les prochaines étapes ?

S.B : Pour fabri­quer notre réac­teur, nous avons défi­ni un plan en trois étapes. Pre­miè­re­ment, nous allons démon­trer la per­ti­nence de nos briques tech­no­lo­giques : les aimants HTS, les métaux liquides et, puis, le réac­teur. Plu­sieurs démons­tra­teurs sont pré­vus pour qua­li­fier nos tech­no­lo­gies à hori­zon 2025. Deuxiè­me­ment, nous allons mettre en place un réac­teur expé­ri­men­tal pour démon­trer les per­for­mances et la ren­ta­bi­li­té éner­gé­tique de notre tech­no­lo­gie. Enfin, troi­siè­me­ment, nous allons tra­vailler sur un pro­to­type de cen­trale élec­trique pour pro­duire de l’électricité avec un réac­teur pre­mier de série qui a voca­tion à être indus­tria­li­sé et à deve­nir le pro­duit phare de Renais­sance Fusion.

V.P : Sur un plan plus opé­ra­tion­nel, en cohé­rence avec notre feuille de route tech­no­lo­gique, je tra­vaille sur la démons­tra­tion de la sim­pli­fi­ca­tion de la construc­tion du réac­teur. Actuel­le­ment, nous sommes mobi­li­sés sur plu­sieurs pro­to­types afin de tes­ter nos nou­velles tech­niques de fabri­ca­tion des aimants, d’assemblage de réac­teurs et parois à métal liquide…

Plus pré­ci­sé­ment, pour le refroi­dis­se­ment à base de métal liquide, le pre­mier démons­tra­teur est en action et nous réa­li­sons actuel­le­ment les tests de vitesse, de pla­quage de métal liquide sur les parois afin de pou­voir nous appuyer sur un pre­mier retour sur expé­rience afin d’améliorer le pro­ces­sus. Sur la der­nière brique tech­no­lo­gique, la fabri­ca­tion des aimants HTS se passe en deux étapes : d’abord, la matière pre­mière qui va être supra­con­duc­trice, et, ensuite, la trans­for­ma­tion de cette matière pre­mière supra­con­duc­trice en aimant qui vont pro­duire des champs magné­tiques complexes.

Pour ce faire, nous uti­li­sons un sys­tème de laser qui va venir impri­mer des cir­cuits de cou­rant sur les rubans supra­con­duc­teurs pour pro­duire le champ magné­tique. Aujourd’hui, nous sommes en train de démon­trer la pos­si­bi­li­té de créer des champs magné­tiques com­plexes avec la tech­no­lo­gie laser. La pro­chaine étape sera de déve­lop­per nos machines pour fabri­quer ces aimants uspraconducteurs.

Quels sont vos principaux enjeux ?

S.B : Notre pre­mier enjeu est humain. Comme pré­cé­dem­ment men­tion­né, nous avons de très fortes ambi­tions en termes de crois­sance avec l’objectif de dou­bler nos effec­tifs pour être 70 à la fin de l’année. Nous recher­chons donc des jeunes talents et des per­sonnes qui ont les com­pé­tences et l’expérience néces­saires pour venir ren­for­cer nos équipes et nous aider à avan­cer sur l’ensemble des sujets tech­niques et tech­no­lo­giques qui nous mobi­lisent actuellement.

En tant que start-up, nous avons aus­si un fort enjeu finan­cier. À l’heure actuelle, nous n’avons pas d’activités com­mer­ciales et nous dépen­dons donc essen­tiel­le­ment de finan­ce­ments publics et pri­vés. Nous devons convaincre les inves­tis­seurs de la per­ti­nence de notre tech­no­lo­gie et de notre pro­jet pour finan­cer les pro­chains déve­lop­pe­ments. Cela néces­site, par ailleurs, que nous accé­lé­rions nos déve­lop­pe­ments pour démon­trer la fai­sa­bi­li­té et la per­for­mance de notre approche.

Enfin, nous avons aus­si un enjeu de sen­si­bi­li­sa­tion et de com­mu­ni­ca­tion autour de la fusion nucléaire, cette nou­velle éner­gie, qui reste mécon­nue en com­pa­rai­son aux autres éner­gies renou­ve­lables. Nous devons mettre en avant ses avan­tages, mais aus­si ras­su­rer l’opinion publique pour contri­buer à son accep­ta­tion de manière géné­rale par la société.

Poster un commentaire