Château Lafite-Rothschild

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°548 Octobre 1999Rédacteur : Laurens DELPECH

Lafite appar­tient au club très fer­mé des pre­miers crus classés de Bor­deaux et son his­toire est aus­si digne d’intérêt que les vins pro­duits par cette superbe pro­priété. L’existence de Lafite en tant que seigneurie est attestée dès le qua­torz­ième siè­cle. Il y avait prob­a­ble­ment déjà des vignes sur la pro­priété, mais la répu­ta­tion de Lafite n’a com­mencé à s’établir que qua­tre siè­cles plus tard, avec les Ségur.

Le pre­mier des Ségur pro­prié­taires de Lafite était Jacques de Ségur, qui pos­sé­dait égale­ment Calon (main­tenant Calon-Ségur, un deux­ième cru classé de Pauil­lac). Son fils, Alexan­dre, épousa en 1695 Marie-Thérèse de Clausel, héri­tière de Château Latour.

C’est leur fils, Nico­las-Alexan­dre, surnom­mé “ le prince des vignes ”, qui a vrai­ment lancé Lafite au XVIIIe siè­cle. C’est en effet au début de ce siè­cle après la fin de la guerre de suc­ces­sion d’Espagne, que les grands crus de Bor­deaux ont pris leur essor, notam­ment sur le marché anglais. Dans les années 1730, Robert Wal­pole, le Pre­mier min­istre anglais, achetait une bar­rique de Lafite tous les trois mois.

Au XIXe siè­cle, en 1868, Lafite fut acheté par le baron James de Roth­schild, de la branche française des Roth­schild, après que Nathaniel de Roth­schild, de la branche anglaise de la famille, eut acheté Mou­ton quinze ans aupar­a­vant. Le baron James, qui souf­frait déjà de la mal­adie qui devait l’emporter trois mois après l’achat de Lafite, écrivait à ses fils : “ Sou­venez-vous que nous sommes ban­quiers, pas agriculteurs. ”

De fait, pen­dant près d’un siè­cle, Lafite sera géré à dis­tance. Lafite a été pour le baron James un excel­lent investisse­ment : au prix de 4 mil­lions de francs-or, le prix d’achat de la pro­priété ne représen­tait jamais que la con­tre-valeur de huit millésimes.

Mais dès 1880 le Médoc fut sévère­ment touché par le phyl­loxéra et com­mençait seule­ment à s’en remet­tre quand débu­ta une péri­ode de mévente des vins fins qui devait dur­er près de trente ans (de la crise de 29 à la fin des années cinquante). Il faut avoir de la for­tune pour bien gér­er un pre­mier cru classé. À cet égard, les Roth­schild ont fait beau­coup de bien à Lafite : ils ont su don­ner à leurs régis­seurs les moyens de main­tenir tou­jours ce vin par­mi les pre­miers, sans trop s’en occu­per directement.

Lafite est le plus grand des pre­miers crus avec une super­fi­cie de 92 hectares. C’est un vig­no­ble grav­eleux, avec un sous-sol cal­caire. L’encépagement se répar­tit entre 70 % de caber­net­sauvi­gnon, 20 % de mer­lot, 5 % de caber­net franc et 5 % de petit ver­dot. Les chais vien­nent d’être refaits et sont très impres­sion­nants, tant par leur archi­tec­ture que par leur taille.

Naturelle­ment, tous les moyens tech­niques sont à la dis­po­si­tion du vini­fi­ca­teur, et l’actuel pro­prié­taire, le baron Éric de Roth­schild, par­ticipe active­ment aux assem­blages. Comme les autres crus de ce niveau, Lafite est élevé dans 100 % de fûts neufs. La pro­priété pro­duit égale­ment un sec­ond vin “ Les Car­ru­ades de Lafite ”. Elle fait par­tie du groupe “ Domaines Barons de Roth­schild ” qui rassem­ble égale­ment les Châteaux Duhart-Milon (cinquième cru classé de Pauil­lac), L’Évangile (Pomerol) et Rieussec (pre­mier cru classé de Sauternes) ain­si qu’une pro­priété au Chili “ Los Vas­cos ” et une autre au Por­tu­gal “ Quin­ta do Carmo ”.

Le Château Lafite-Roth­schild est un vin qui se car­ac­térise par sa finesse et son élé­gance. Le nez est sub­til et com­plexe avec des arômes rich­es et con­cen­trés par­mi lesquels on dis­tingue sou­vent une note de vio­lette. En bouche, il est har­monieux et présente un bel équili­bre entre des tan­nins bien mûrs, le fruit et l’acidité. La per­sis­tance est tou­jours éton­nante. Ce grand vin de haute gas­tronomie accom­pa­gne de mul­ti­ples pré­pa­ra­tions mais il est remar­quable­ment mis en valeur par un agneau de Pauil­lac rôti.

Voici nos com­men­taires sur quelques mil­lésimes de Car­ru­ades, Lafite et Rieussec.

  • Car­ru­ades de Lafite 1998
    Robe rouge som­bre avec des reflets vio­lets. Au nez, il est très “ fruits rouges ” (cerise, fram­boise) ; on perçoit égale­ment la vanille du fût (il s’agit d’un vin en cours d’élevage, qui sera mis en bouteilles l’an prochain). L’attaque est douce, la bouche ronde et chaleureuse. Per­sis­tance moyenne.
  • Château Lafite-Roth­schild 1995
    Très belle robe d’un rouge pro­fond. Nez intense et com­plexe de fruits noirs, de cèdre et d’épices avec une pointe d’arômes de tor­ré­fac­tion. En bouche, le vin est très suave, d’un con­tact très doux tout en étant intense. Remar­quable élé­gance des tan­nins. Incroy­able per­sis­tance. Force, finesse et élé­gance : un très grand Lafite.
  • Château Lafite-Roth­schild 1987
    Robe rouge avec des reflets tuilés. Le nez est mar­qué par l’apparition d’arômes d’évolution (cuir, champignons…) : il y a beau­coup de mer­lot dans ce 87. Le vin est assez flu­ide, d’une tex­ture sou­ple, avec une acid­ité assez mar­quée. Un vin qui ne manque pas d’agrément, mais qui doit mieux s’exprimer à table qu’en dégus­ta­tion pure.
  • Château Lafite-Roth­schild 1983
    Belle robe rubis sans aucun signe d’évolution. Nez com­plexe et fin de vio­lette, de réglisse avec une note de mine de cray­on (sig­na­ture d’un grand pauil­lac). Bouche ronde, sen­suelle, très savoureuse. Superbe finale avec une note de fraîcheur men­tholée. Un Lafite d’anthologie.
  • Château Rieussec 1996
    Jaune soutenu. Nez d’abricot très mûr, de mangue, d’épices. Attaque douce. Vin fruité et doux, un peu crémeux. Finale fruitée et per­sis­tance moyenne. Un vin encore un peu uni­latéral qui va gag­n­er en com­plex­ité en prenant de l’âge.
  • Château Rieussec 1989
    Jaune clair. Nez d’ananas, de miel et d’amande gril­lée. En bouche, il est riche et com­pact. Un sauternes onctueux, d’une belle persistance.
  • Château Rieussec 1978
    Or fon­cé. Nez com­plexe d’amande gril­lée, de caramel, de miel, de con­fi­ture d’abricots. En bouche il est sen­suel, onctueux, intense et ne mon­tre aucune trace d’oxydation. Un très beau vin à la fois mas­sif et élé­gant. Très belle per­sis­tance sur des notes raf­finées de con­fi­ture d’agrumes.

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Château Lafite-Roth­schild, 33250 Pauil­lac, tél. : 05.56.73.18.18.
Domaines Barons de Roth­schild, 33, rue de la Baume, 75008 Paris, tél. : 01.53.89.78.01.

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