Le Château de La Rivière, à Fronsac

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°534 Avril 1998Rédacteur : Laurens DELPECH

Sur la rive droite à l’ouest de Libourne, la région de Fron­sac donne un peu l’im­pres­sion de vivre tran­quille­ment une exis­tence pai­sible entre l’Isle et la Dor­dogne, à l’é­cart des grands axes. Elle est loin d’être aus­si connue que les régions voi­sines de Saint-Émi­lion et Pome­rol. Pour­tant, ses vins rouges char­pen­tés, har­mo­nieux et pro­fonds com­mencent à révé­ler le poten­tiel de son ter­roir, et ce à un coût plus que rai­son­nable. Fron­sac, ou la bonne affaire de la rive droite…

Long­temps, les pro­prié­tés ont pro­po­sé aux ama­teurs des vins robustes et tan­niques, qui avaient certes leur charme, mais man­quaient peut-être de la sou­plesse qui aurait per­mis de conqué­rir un plus vaste public. Depuis quelques années, tou­te­fois, les fron­sacs se sont civi­li­sés : on y cueille une ven­dange plus mûre, la vini­fi­ca­tion est mieux sui­vie, et les fûts de chêne neufs ont fait leur appa­ri­tion. On s’est aper­çu à cette occa­sion qu’on pou­vait faire à Fron­sac de très bons vins, égaux à ceux de Saint-Émi­lion ou de Pome­rol , une véri­té déjà connue au XIXe siècle mais qu’on avait fini par oublier, car la région a été très affec­tée par le phyl­loxé­ra. Il est cer­tain que la par­cel­li­sa­tion exces­sive du vignoble était aus­si un fac­teur sup­plé­men­taire de fra­gi­li­té, et ce n’est pas par hasard si – aujourd’­hui ‑le signal du renou­veau vient d’une des plus grandes pro­prié­tés, le Châ­teau-La Rivière, qui pos­sède 53 hec­tares de vignes.

L’histoire de La Rivière

Cette pro­prié­té excep­tion­nelle a connu une his­toire non moins excep­tion­nelle. Son site, un bel­vé­dère qui sur­plombe la Dor­dogne, l’a fait choi­sir au cours des siècles comme rési­dence par les maîtres du Fron­sa­dais : à une vil­la gal­lo-romaine ont suc­cé­dé un camp franc où Char­le­magne séjour­na en 769, au retour de Ron­ce­vaux, puis un châ­teau fort, construit par Gas­ton de l’lsle, et enfin le magni­fique édi­fice Renais­sance que nous admi­rons encore aujourd’­hui, et qui trône au milieu d’un superbe parc de quinze hec­tares rem­pli de chênes et de pla­tanes sécu­laires. Les armoi­ries de La Rivière racontent sym­bo­li­que­ment les grands moments de l’his­toire du châ­teau. Le lion pla­cé au centre a une cri­nière peu four­nie, c’est un » lion léo­par­dé « , clai­re­ment appa­ren­té aux léo­pards des Plan­ta­ge­nêts : n’ou­blions pas que l’A­qui­taine a été anglaise pen­dant trois siècles…

L'écu de La RivièreL’é­cu est éga­le­ment frap­pé d’une croix, marque dis­tinc­tive des Croi­sés : elle indique qu’un sei­gneur de La Rivière par­ti­ci­pa à une croi­sade, très cer­tai­ne­ment avec son suze­rain, Richard Cœur de lion. Il est pro­bable que ce fidèle com­pa­gnon (l “écu de La Rivière est sur champ d’a­zur, cou­leur de la fidé­li­té et de la per­sé­vé­rance) par­ta­gea les épreuves de l’in­for­tu­né monarque. On se sou­vient en effet qu’un Habs­bourg n’hé­si­ta pas – pour d’obs­cures rai­sons – à se sai­sir de Richard Cœur de Lion et à le main­te­nir en cap­ti­vi­té quand le hasard fit que ce prince dut tra­ver­ser des pos­ses­sions autri­chiennes à l’oc­ca­sion de son retour de Terre Sainte. La tra­di­tion veut que le vin de La Rivière que leur fit alors par­ve­nir la noble épouse du vas­sal de Richard fut un puis­sant récon­fort pour les deux pri­son­niers relé­gués dans une for­te­resse au bord du Danube où ils trom­paient leur ennui en dis­pu­tant d’in­ter­mi­nables par­ties de jac­quet et d’é­checs, jeux que les Arabes leur avaient appris.

Si Char­le­magne et Richard Cœur de Lion sont d’illustres par­rains pour le vin de La Rivière, il ne faut pas oublier pour autant le maré­chal-duc de Riche­lieu : c’est grâce aux car­rières de La Rivière que ce grand sei­gneur fas­tueux put faire construire le mer­veilleux théâtre de Bor­deaux. À cette époque, le châ­teau avait pris une appa­rence moins mar­tiale et fut pro­gres­si­ve­ment trans­for­mé en une demeure de charme, les pro­prié­taires uti­li­sant le relief et les nom­breuses sources du domaine pour y créer un jar­din mer­veilleux, dont la des­crip­tion figure dans de nom­breux ouvrages datant du Siècle des lumières. Il en reste aujourd’­hui les allées noyées de ver­dure, les majes­tueux lions de pierre à l’en­trée du domaine et la très char­mante fon­taine aux dames cachée au creux d’un étang …

Un grand domaine viticole

La péren­ni­té de La Rivière ne tient pas seule­ment à son his­toire ou à son site mais aus­si et sur­tout au superbe domaine viti­cole qui s’est consti­tué au fil des siècles autour du châ­teau. Le ter­roir est d’une qua­li­té excep­tion­nelle, il s’a­git en effet du pro­lon­ge­ment géo­lo­gique de la côte de Saint-Émi­lion. Entiè­re­ment situés en coteaux, les sols de La Rivière sont com­po­sés d’un mélange d’ar­gile, de cal­caire et de sable par­ti­cu­liè­re­ment pro­pice à la culture de la vigne. De sur­croît, cer­tains de ces coteaux sont situés plein sud, dans une sorte d’am­phi­théâtre natu­rel qui concentre l’ac­tion du soleil et per­met d’ob­te­nir des rai­sins d’une matu­ri­té excep­tion­nelle. Par ailleurs, la proxi­mi­té de la Dor­dogne, qui coule à quelques dizaines de mètres des vignes, exerce une action régu­la­trice sur le cli­mat : il ne gèle pas en hiver et les cha­leurs de l’é­té sont tem­pé­rées par la fraî­cheur de l’eau.

L’en­cé­pa­ge­ment est domi­né par le mer­lot (65 %) com­plé­té par 15 % de caber­net sau­vi­gnon, 12 % de caber­net franc et 8 % de mal­bec. La vini­fi­ca­tion est tra­di­tion­nelle, les cuves de vini­fi­ca­tion sont ther­mo­ré­gu­lées, ce qui per­met d’ex­traire le fruit des rai­sins tout en gar­dant des tan­nins ronds et velou­tés, exempts d’a­mer­tume. Le vin est ensuite éle­vé en fûts de chêne (neufs dans une pro­por­tion de 30 %). L’œ­no­logue de la pro­prié­té est – depuis le rachat de La Rivière par Jean Leprince en 1995 – le très célèbre Michel Rol­land, la star des œno­logues du Libour­nais. Le mil­lé­sime 1997 est par­ti­cu­liè­re­ment réus­si. Il va sûre­ment être bien pla­cé dans les dégus­ta­tions qui vont accom­pa­gner la sor­tie des primeurs.

Châ­teau de La Rivière
33126 La Rivière
Tél. : 05.57.55.56.56.
Fax : 05.57.24.94.39.

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