Au nord du Médoc

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°541 Janvier 1999Rédacteur : Laurens DELPECH

Quand on entre dans le nord du Médoc en lais­sant der­rière soi Pauil­lac et Saint-Estèphe, le paysage change de nature : on se retrou­ve vrai­ment dans une presqu’ île, entre fleuve et océan. L’immensité de l’estuaire de la Gironde, immen­sité presque trop­i­cale, accentue cette impres­sion d’étrangeté, alors qu’on passe dans un autre monde, avec ses petits ports où on vous sert une fri­t­ure croustil­lante en face du fleuve limoneux ; un monde où la vigne voi­sine avec des bateaux de pêche…

En fait, le change­ment de paysage n’induit pas vrai­ment une rup­ture, puisqu’on trou­ve égale­ment d’excellents vins dans le nord du Médoc, même s’il n’y a pas de crus classés. On est quand même passé des appel­la­tions com­mu­nales (Mar­gaux, Saint- Julien, etc.) et régionale haut-Médoc à la seule appel­la­tion régionale Médoc. Celle-ci s’est beau­coup dévelop­pée depuis les années soix­ante, où elle avait ten­dance à péri­cliter. Elle cou­vre env­i­ron 4 500 hectares et compte plus de 100 crus bour­geois, qui représen­tent 50 % de la production.

Le médoc est un vin rouge élaboré prin­ci­pale­ment à par­tir de caber­net sauvi­gnon et de mer­lot, sou­vent élevé dans des bar­riques de chêne. C’est un vin dense, char­nu et col­oré qu’il faut atten­dre quelques années avant de le boire. On peut acheter entre cinquante et cent francs, en fonc­tion des mil­lésimes et des répu­ta­tions. L’appellation Médoc est une des plus inno­vantes du Bor­de­lais, parce qu’on y trou­ve des pio­nniers, sou­vent venus de l’extérieur (rap­a­triés d’Afrique du Nord, citadins désireux de se lancer dans la viti­cul­ture…) qui s’attachent à pro­duire d’excellents vins, aptes à rivalis­er avec leurs voisins du Sud.

Par­mi les meilleurs de ces crus, on peut citer La Tour de By, un cru bour­geois tombé en déshérence qui a été “ remon­té” par Marc Pagès. La tour éponyme du domaine domine cinquante hectares de vignes. La forte pro­por­tion de caber­net sauvi­gnon donne un vin puis­sant et bien struc­turé, à l’agréable pro­fondeur fruitée.

Tour Haut- Caus­san, autre cru bour­geois, n’est pas fait par un out­sider puisque la famille Cour­ri­an, qui en est pro­prié­taire, vit à Blaig­nan depuis 1634… C’est un très beau vin, com­plexe et con­cen­tré, auquel un éle­vage lux­ueux dans le bois neuf apporte une touche de raffinement.

Le Château Poten­sac, cru bour­geois, est fait par l’équipe du Château Léoville-Las Cas­es, un sec­ond cru classé de Saint-Julien qui rivalise avec les pre­miers. Le résul­tat est un vin superbe, dense, pro­fond, con­cen­tré avec un fruit mûr intense.

Le Château Pat­ache d’Aux, cru bour­geois, pro­duit aus­si avec une grande régu­lar­ité d’excellents vins. Le Château Loudenne, cru bour­geois, appar­tenant à des Anglais depuis 1875, fait un très bon médoc, ferme et élé­gant avec une touche de boisé. On trou­ve aus­si à Château Loudenne un musée du vin et le domaine organ­ise des cours de dégus­ta­tion. Le Château Les Ormes-Sor­bet, cru bour­geois, pro­duit, année après année, un des meilleurs vins de l’appellation Médoc. C’est une valeur sûre. Le Château Greysac pro­duit une quan­tité appré­cia­ble (500 000 bouteilles) de médoc sou­ple et fruité, fin et élégant.

Je me sou­viens encore de mon émo­tion lorsque j’ai enfin pu boire en Amérique du Sud une bouteille de bor­deaux, qui s’est trou­vé être un Château Greysac, après avoir vécu pen­dant trois semaines avec comme hori­zon œnologique des caber­net sauvi­gnon chiliens, ver­sion 1 $ 50 cents F.O.B. départ Val­paraiso, et des mal­bec argentins… Si vous n’avez jamais com­pris ce que sig­ni­fie le mot “ élé­gance ” appliqué au vin, je vous con­seille vive­ment cette expéri­ence ; vous en revien­drez transformé…

Cette énuméra­tion de crus bour­geois du Médoc ne serait pas com­plète, si nous ne nous intéres­sions pas au dernier arrivé : le Château Rol­lan de By, cru bour­geois. Rol­lan de By ou l’histoire d’une pas­sion… Tout com­mence en 1989 quand Jean Guy­on, un déco­ra­teur parisien fou de vin (il col­lec­tionne les bouteilles de bor­deaux depuis l’âge de 18 ans…) rachète les deux hectares de Rol­lan de By, un vig­no­ble d’appellation Médoc, situé sur la com­mune de Bégadan. Très vite, il s’aperçoit que les deux hectares, plan­tés à 75 % en mer­lot, sont insuff­isants pour envis­ager une quel­conque rentabil­ité. Il achète donc en 1991 sept hectares pour agrandir son domaine et amor­tir les investisse­ments dans les chais et la cuver­ie, néces­saires à la réal­i­sa­tion d’un grand vin.

Depuis sep­tem­bre 1995 enfin, la pro­priété compte quinze hectares de vieilles vignes (entre vingt-cinq et cinquante ans), situées sur de belles croupes argi­lo-grav­eleuses du qua­ter­naire. La répar­ti­tion des cépages reste orig­i­nale pour le Médoc : 70 % mer­lot, 20 % caber­net sauvi­gnon et 10 % petit ver­dot. Grâce à une cul­ture atten­tive de la vigne et à des petits ren­de­ments, Jean Guy­on assure la qual­ité des raisins qui entrent au cuvi­er. Il pra­tique des cuvaisons longues dans des cuves très larges, afin d’obtenir un max­i­mum d’arômes. Les vins font leur fer­men­ta­tion mal­o­lac­tique (comme Le Pin et Valan­draud…) et sont élevés dans des bar­riques neuves.

Pour ren­forcer la rigueur des sélec­tions du grand vin, il fait aus­si un sec­ond vin : Château Fleur de By. Jean Guy­on applique en fait à ses vins les tech­niques de con­duite de la vigne, de vini­fi­ca­tion, d’assemblage et d’élevage des meilleurs crus classés. Ses efforts ont été récom­pen­sés par une troisième place à la Coupe des crus bour­geois 1995.

Voici nos com­men­taires sur les deux vins du mil­lésime 1996 :

• Château Fleur de By 1996

Robe rubis soutenue. Nez flat­teur, frais et net, avec des arômes de fruits rouges et une note flo­rale. Bouche sou­ple et ronde. Un vin tout en séduc­tion que l’on peut com­mencer à boire.

• Château Rol­lan de By 1996

Belle robe couleur pour­pre claire. Nez fine­ment boisé et fumé avec des arômes de fruits mûrs et d’épices. L’attaque est douce et enrobée ; les tan­nins sont présents mais avec une cer­taine ron­deur, sans agres­siv­ité. Équili­bre, inten­sité aro­ma­tique et longueur en bouche car­ac­térisent ce vin qui est à l’aube d’une très belle carrière.

Château La Tour de By, 33340 Bégadan, tél. : 05.56.41.50.03.
Château Tour Haut-Caus­san, 33340 Blaig­nan, tél. : 05.56.09.00.77.
Château Poten­sac, 33340 Ordonnac, tél. : 05.56.59.25.26.
Château Pat­ache d’Aux, 33340 Bégadan, tél. : 05.56.41.50.18.
Château Loudenne, 33340 Saint-Yzans-de-Médoc, tél. : 05.56.73.17.80.
Château Les Ormes-Sor­bet, 33340 Couquèques, tél. : 05.56.41.53.78.
Château Greysac, 33340 Bégadan, tél. : 05.56.73.26.56.
Château Rol­lan de By, 33340 Bégadan, tél. : 05.56.41.58.59.

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