Le millésime 2003 à Bordeaux

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°594 Avril 2004Rédacteur : Laurens DELPECH

Il est rare que les étés en France soient aus­si chauds que l’été 2003. Le mois d’août, en par­ti­cu­lier, a été vrai­ment cani­cu­laire. Une telle cha­leur n’a pas que des effets posi­tifs sur la matu­ri­té des rai­sins. Des baies séchées ou rôties par le soleil ne sont pas une matière pre­mière idéale pour faire un grand vin. Mais, en 2003, Bor­deaux a eu la chance de connaître un hiver froid, puis de béné­fi­cier de pré­ci­pi­ta­tions, en juillet et en sep­tembre, qui ont eu une grande influence sur la qua­li­té de la récolte.

Les pre­miers mois de 2003 ont été mar­qués par un hiver rigou­reux et humide. Il a plu régu­liè­re­ment, ce qui a per­mis au sol d’emmagasiner les réserves d’eau néces­saires. Au début du prin­temps, les nappes phréa­tiques étaient à leur niveau nor­mal, ce qui fait une grande dif­fé­rence avec – par exemple – les mil­lé­simes 1989 et 1990, qui ont été pré­cé­dés par un hiver aride. La crois­sance de la vigne a été rapide, les pre­miers bour­geons appa­rais­sant en mars, le mois de mars 2003 a été le plus chaud depuis mars 1945 (un autre grand mil­lé­sime), mais aus­si le plus sec, ce qui a eu une impor­tance consi­dé­rable pour la suite des évé­ne­ments. Dès le début du prin­temps, les vignes ont été for­cées d’aller cher­cher l’eau dont elles avaient besoin dans la terre à tra­vers leurs racines, puisqu’elles ne la rece­vaient pas du ciel. Elles étaient donc pré­pa­rées à une longue période de séche­resse, qui a com­men­cé à par­tir de la fin du mois de mai pour culmi­ner en août où, pen­dant onze jours consé­cu­tifs, on a pu enre­gis­trer des tem­pé­ra­tures supé­rieures à 35 °C.

Cette séche­resse a été tem­pé­rée par trois élé­ments spé­ci­fiques à Bor­deaux : le niveau éle­vé des nappes phréa­tiques, que nous avons déjà men­tion­né, mais aus­si l’influence des brises océa­niques. Pen­dant les 92 jours de séche­resse, les vents pré­do­mi­nants sont presque tou­jours venus de l’Ouest et ont appor­té au vignoble l’humidité de l’océan. Enfin, le niveau des pré­ci­pi­ta­tions durant les trois mois d’été s’est main­te­nu dans les moyennes sai­son­nières, même si cer­taines de ces pré­ci­pi­ta­tions ont pris la forme d’orages, comme le 24 juin où les soi­rées de Vinex­po ont été gâchées par la tempête.

La ven­dange a com­men­cé très tôt : dès le 12 août, on cueillait des rai­sins blancs dans l’appellation Pes­sac- Léo­gnan. His­to­ri­que­ment, c’est la ven­dange la plus pré­coce depuis 1893. Cer­taines pro­prié­tés n’ont pas pu com­men­cer les ven­danges, faute de pou­voir ras­sem­bler des équipes de ven­dan­geurs encore en vacances. Ce sont celles qui ont eu le plus de chance. À par­tir du 14 août, la tem­pé­ra­ture a com­men­cé à bais­ser légè­re­ment. La pluie est tom­bée les 18 et 19 août et encore le 24 août, ce qui a bien rafraî­chi les vignes et a incon­tes­ta­ble­ment avan­ta­gé les pro­prié­tés qui ont ven­dan­gé durant la semaine du 25 août. C’est à ce moment-là, vers le 3 sep­tembre, que la ven­dange des mer­lots a com­men­cé sur Pes­sac-Léo­gnan, Sain­tÉ­mi­lion et Pome­rol. Le début du mois de sep­tembre a été mar­qué par quelques pluies, mais ensuite le beau temps s’est ins­tal­lé, favo­ri­sant consi­dé­ra­ble­ment les pro­prié­tés qui n’avaient pas encore récol­té les rouges, c’est-à-dire gros­so modo le Médoc et la moi­tié de la rive droite (Saint-Émi­lion et Pome­rol). La ven­dange des caber­nets et des plus beaux mer­lots a eu lieu entre le 15 sep­tembre et le 3 octobre, dans des condi­tions cli­ma­tiques excep­tion­nelles (jour­nées enso­leillées, nuits fraîches) qui ont per­mis de ren­trer de très beaux raisins.

La vini­fi­ca­tion de ces rai­sins très sucrés a par­fois été déli­cate, mais les châ­teaux bor­de­lais sont main­te­nant bien équi­pés pour trier les rai­sins et vini­fier par­celle par par­celle dans des cuves réfri­gé­rées. La pro­duc­tion de vin en 2003 s’est éta­blie à 5 990 000 hec­to­litres, un peu moins qu’en 2002, et envi­ron 15 % de moins qu’un mil­lé­sime nor­mal. Encore une fois, ces chiffres montrent que Bor­deaux a moins souf­fert de la séche­resse que d’autres régions viti­coles : le défi­cit de récolte a été de 24% en Bour­gogne et de 36 % dans le Jura. Glo­ba­le­ment, 2003 reste un mil­lé­sime mar­qué par la cha­leur, avec des vins forts en alcool et sans aci­di­té exces­sive. Les résul­tats sont cepen­dant assez contras­tés en fonc­tion des régions de production.

Les blancs de Pes­sac-Léo­gnan ont paru souf­frir au début d’un cer­tain manque d’acidité, mais on pense main­te­nant que ces vins vont res­sem­bler à ceux pro­duits en 1982, 1990 et 2000 et qu’ils vont donc très bien évo­luer dans les années à venir. Par­ti­cu­liè­re­ment ceux où la pro­por­tion de sémillon dans l’assemblage est impor­tante. Cer­taines pro­prié­tés de Pes­sac-Léo­gnan qui ont fait des blancs magni­fiques ont aus­si très bien réus­si leurs rouges. 2003 sera encore un excellent mil­lé­sime de sau­ternes ; on a des vins très gras, avec beau­coup de sucre. La ven­dange a été très rapide. Il n’a fal­lu, dans la plu­part des cas, que deux “ tries ” (pas­sages dans les vignes) entre le 15 et le 30 sep­tembre. En termes de qua­li­té, ce ne sera pas 2001 (le plus grand mil­lé­sime de sau­ternes depuis 1988), mais ce sera au moins l’équivalent de 1990, une très bonne année.

En rouge, les plus grandes réus­sites semblent se situer dans le nord du Médoc, à Saint-Julien, Pauillac et Saint- Estèphe, avec une men­tion par­ti­cu­lière pour cette der­nière com­mune. Lafite et Cos d’Estournel seront sûre­ment excep­tion­nels, mais ce sera aus­si une très grande année de Châ­teau-Mar­gaux. Rive droite, les pro­prié­tés situées sur les vignobles de Côtes et au sud du pla­teau de Saint-Émi­lion ont fait de grands vins. La qua­li­té de la récolte est aus­si excel­lente dans les satel­lites de Saint-Émi­lion et dans les côtes de Cas­tillon. Les ama­teurs de grands vins à prix rai­son­nable pour­ront faire de belles acqui­si­tions dans ces appellations.

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