Ces Dames pointilleuses

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°552 Février 2000Par : Goldoni, dans une adaptation et mise en scène d’Attilio MagguilliRédacteur : Philippe OBLIN (46)

Aujourd’­hui, il sera ques­tion de Ces dames poin­tilleuses, de Gol­do­ni (1707−1793), spec­tacle mon­té pour toute la sai­son par la Comé­die ita­lienne. À pro­pos de cette pièce, on aura pu lire dans la rubrique théâ­trale d’un heb­do­ma­daire de large dif­fu­sion, consa­cré aux émis­sions des petites lucarnes, que Molière (1622- 1673) s’en était sou­ve­nu en conce­vant Le Bour­geois gen­til­homme. Comme quoi un chro­ni­queur de théâtre très lu peut per­mu­ter les siècles sans qu’apparemment son rédac­teur en chef s’en émeuve. Il s’agit d’un inté­res­sant exemple de ce que l’on appelle, je crois, “ l’exception cultu­relle française ”.

Je m’en vou­drais cepen­dant si cette bien acces­soire déplo­ra­tion venait à vous décou­ra­ger de cou­rir à la Comé­die ita­lienne, que je vous recom­mande chaque année depuis que La Jaune et la Rouge a créé cette chro­nique. Elle n’y est pour rien et ce serait sot­tise de votre part : vous per­driez là une occa­sion de vous requin­quer l’hypocondre, quand jus­te­ment ces occa­sions ne sont pas si fré­quentes, à la scène comme à la ville d’ailleurs.

Ain­si qu’à l’habitude en ce lieu béni, vous assis­te­rez à un éblouis­sant concen­tré d’art théâ­tral, sur un cane­vas des plus simples : des dames nobles et très poin­tilleuses sur la nais­sance, mais tout à fait désar­gen­tées, font feu de tout bois pour extor­quer de l’argent à un opu­lent mar­chand et à son épouse, de pas­sage à Venise, pour leur part fort “ nou­veaux riches ” et aspi­rant à se haus­ser du col en fré­quen­tant ce qu’ils prennent pour la haute société.

Gol­do­ni, fils de méde­cin, exer­ça de façon épi­so­dique le métier d’avocat : deux bonnes écoles pour apprendre à regar­der les gens. Fort de la connais­sance de ses contem­po­rains ain­si acquise, il écri­vit des comé­dies de moeurs.

L’adaptation et la mise en scène d’Attilio Mag­guilli change celle qui nous occupe en une déso­pi­lante lou­fo­que­rie, avec comé­diens à contre-emploi, com­men­taires inat­ten­dus, trou­vailles d’une pétillante cocas­se­rie et jeux de scène étour­dis­sants. La mer­veilleuse troupe, tou­jours menée par Hélène Les­trade, plus poin­tue que jamais, et Jean-Paul Lahore à la voix rayon­nante de conten­te­ment com­mu­ni­ca­tif, s’est enri­chie d’un nou­vel Arlequin.

Comme son nom (Guillaume Col­li­gnon) ne le sug­gère pas, il se situe dans la meilleure tra­di­tion ita­lienne des comé­diens acro­bates, bon­dis­sant de droite et de gauche, au besoin jusqu’à se sus­pendre aux cintres – certes pas bien haut dans cette salle pareille à un théâtre de pou­pée, mais tout de même ! L’idée m’a cepen­dant effleu­ré qu’il en fai­sait peut-être par moments un tan­ti­net trop. Mais quelle aisance, de corps comme de parole.

De son temps Gol­do­ni, sou­cieux de valo­ri­ser le théâtre d’auteur et sau­ve­gar­der la digni­té du texte, avait vou­lu chas­ser de la scène les masques, qu’il jugeait une solu­tion de faci­li­té bonne pour des bouf­fons ignares. Or nous sommes loin de cela à la Comé­die ita­lienne, de sorte que le retour aux masques ne me paraît en rien condam­nable, bien au contraire. Ils ajoutent à la fée­rie, sans laquelle il n’y a pas de vrai théâtre, et de sur­croît sont des­si­nés à la perfection.

Et, si vous me per­met­tez de sin­ger Molière, savez-vous que :

Nous l’avons, cet été, Madame, échap­pé belle ?

Eh oui ! Cet été même la Comé­die ita­lienne a man­qué fer­mer, har­ce­lée qu’elle était par la mali­gni­té du fisc. Il fal­lut une grève de la faim d’Attilio Mag­guilli et de nom­breuses inter­ven­tions, finan­cières et autres, venant d’autorités publiques et de grands théâtres, tant fran­çais qu’étrangers, pour épar­gner ce désastre aux Pari­siens, de souche ou d’occasion.

Quand ce ne serait que pour vous asso­cier, si peu que ce fût, à ce redres­se­ment, louez vite vos places rue de la Gaî­té. Ce sera un moyen comme un autre de mar­quer votre répro­ba­tion des diva­ga­tions fis­cales contem­po­raines et, en tout cas, de pas­ser une soi­rée comme vous n’en pas­sez pas souvent.

Poster un commentaire