Cabine téléphonique

« CALL SERVICE » : les cinq étapes d’une création

Dossier : Le tissu des PME françaisesMagazine N°522 Février 1997
Par Karim HATEM (84)

Dès ma sor­tie de l’X en 1989, j’a­vais l’i­dée de créer une entre­prise. Au début de l’an­née 1993 je repris avec trois asso­ciés un petit cabi­net de conseil en mana­ge­ment et l’o­pé­ra­tion fut réussie.

Mais c’é­tait plus une Asso­cia­tion d’ex­perts qu’une vraie entre­prise où la fonc­tion des diri­geants se dif­fé­ren­cie net­te­ment de celle des exé­cu­tants. Nous déci­dâmes donc de lan­cer en paral­lèle une entre­prise de ser­vices, et nous pres­sen­tions que des oppor­tu­ni­tés nous étaient appor­tées par l’é­vo­lu­tion des moda­li­tés d’emploi : temps par­tiel, horaires flexibles, télé­tra­vail…, et c’est dans ces direc­tions que nous diri­geâmes n os recherches. Ceci nous entraî­na dans un par­cours en cinq étapes, répar­ties sur trois ans. 

1re étape : trouver l’activité « géniale »

En tout cas, se per­sua­der una­ni­me­ment que cette acti­vi­té est géniale, car les moments de décou­ra­ge­ment seront tels qu’une foi indé­ra­ci­nable est nécessaire.

Géniale, parce que répon­dant à la demande de demain, et par­fai­te­ment adap­tée à nos capacités.

Le télé­tra­vail était dans l’air : deux rap­ports de Thier­ry Bre­ton et un concours orga­ni­sé par la Datar pour finan­cer les meilleures ini­tia­tives en la matière. Par ailleurs, une mis­sion de conseil sur les réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tion à valeur ajou­tée dans le sec­teur de la san­té m’a­vait mon­tré l’in­té­rêt de la per­ma­nence télé­pho­nique pour les méde­cins libéraux.

Nous avons néan­moins exa­mi­né beau­coup d’autres acti­vi­tés et lon­gue­ment dis­cu­té mais la voie des télé­ser­vices est sor­tie gagnante. Pour des rai­sons 100 % ration­nelles ? 50 % au plus – car la part d’ir­ra­tion­nel s’ac­croît avec la per­cep­tion des incertitudes. 

2e étape : formaliser le projet sur ses différents aspects

Cette étape est émi­nem­ment gra­ti­fiante parce qu’elle génère un sen­ti­ment de puis­sance : tout semble à prio­ri pré­vu, les pires hypo­thèses comme les meilleures, le scé­na­rio qui nous conduit à la for­tune en sept ans comme celui qui nous ruine en deux ans. Tout y est ration­nel, la concur­rence est ana­ly­sée, le point mort est cal­cu­lé ; le « busi­ness plan » fait l’ad­mi­ra­tion du ban­quier (qui me demande cepen­dant de réflé­chir aux garan­ties per­son­nelles que je pour­rais lui appor­ter). À ce stade, l’en­tre­pre­neur est au sum­mum de son inno­cente toute-puissance. 

3e étape : lancer la phase opérationnelle

Après le bel exer­cice intel­lec­tuel de la deuxième étape, quelques réa­li­tés désa­gréables se rap­pellent à nous :

  • la Datar ne nous retient pas par­mi les lau­réats de son concours (elle cou­ronne des can­di­dats moins chétifs) ;
  • la banque refuse de nous accor­der davan­tage qu’une petite ligne de cré­dit jus­qu’à ce que nous puis­sions affi­cher des résul­tats posi­tifs (la répu­ta­tion de fri­lo­si­té qu’on lui fait est donc bel et bien une réalité).
     

Notre confiance n’est pas réel­le­ment enta­mée, mais nous nous don­nons tout de même un ultime délai de réflexion.

Le désir d’a­gir l’emporte, aidé par les bons résul­tats de notre cabi­net de conseil Ylios, qui com­pen­se­ront les défaillances du cré­dit et de la subvention.

Notre entre­prise a désor­mais un nom : CALL SERVICE , et une stra­té­gie de lan­ce­ment : démar­rer par la per­ma­nence télé­pho­nique clas­sique avec plu­sieurs inno­va­tions attrayantes, puis élar­gir la gamme des télé­ser­vices offerts à nos clients.

C’est le pre­mier juillet 1994 que nous pas­sons enfin à l’ac­tion. Quatre mois d’ac­ti­vi­té fébrile où tout est mené de front : les bureaux, le maté­riel, les accès réseau, le recru­te­ment des télé-opé­ra­trices, du ven­deur et du super­vi­seur, les fichiers de pros­pec­tion, les mai­lings, sans comp­ter la for­ma­tion et la moti­va­tion du per­son­nel alors que l’ac­ti­vi­té est encore nulle.

Tout en menant ces opé­ra­tions, nous devons gagner notre vie en réa­li­sant au mieux nos mis­sions de consul­tants : tra­vail haras­sant mais exaltant. 

4e étape : la montée en charge et les incertitudes

Après l’exal­ta­tion, l’é­preuve de véri­té : « on a tout ce qu’il faut – donc des dépenses inexo­rables – il ne manque plus que les clients ».

Ah ! l’é­mo­tion du pre­mier client, de la pre­mière fac­tu­ra­tion, du pre­mier chèque ! Les deux pre­miers clients sont res­tés seuls pen­dant trois mois, chou­chou­tés comme vous pou­vez le penser…

Mais à ces petites vic­toires ponc­tuelles suc­cède la période des grandes incer­ti­tudes : des abon­ne­ments rési­liés, une pros­pec­tion plus dure que pré­vue, une concur­rence impré­vi­sible, des ven­deurs qui s’in­ter­rogent, une qua­li­té de ser­vices plus dif­fi­cile à réa­li­ser qu’à promettre.

La mise à l’é­preuve est quo­ti­dienne, et même si on se répète que la tem­pête forge le carac­tère, est-on tout à fait sûr d’en sortir ? 

5e étape : la consolidation des premiers fondements

Pro­gres­si­ve­ment les pré­mices d’une mon­tée régu­lière se font sen­tir par plu­sieurs signes. La pros­pec­tion est moins dure, le bouche à oreille des clients satis­faits fonc­tionne, l’o­ri­gi­na­li­té du ser­vice ren­du est mieux per­çue ; et il arrive même des appels spon­ta­nés de clients. Paral­lè­le­ment on iden­ti­fie les cibles de pros­pec­tion les plus ren­tables et les types d’offres les plus adap­tées à chaque tranche de prospects.

Aujourd’­hui, deux ans après notre lan­ce­ment, nous avons plus de 150 clients, sur plu­sieurs seg­ments pro­fes­sion­nels et le chiffre d’af­faires croît de 10 % par mois. Onze per­sonnes sont employées chez « Call Service ».

Nous savons sur quels axes nous devons pro­gres­ser à court terme (mar­ke­ting com­mer­cial, offre de nou­veaux ser­vices), et nous voyons les direc­tions à prendre d’i­ci deux ans. Nous ne sommes plus tout à fait une entre­prise en démarrage.

De nombreux enseignements

  • C’est une gageure de vou­loir cumu­ler, comme nous l’a­vons fait, l’exer­cice d’un métier acca­pa­rant et le lan­ce­ment d’une entre­prise où, en prin­cipe, on ne devrait pas être impli­qué au quo­ti­dien. Pen­dant la période de démar­rage – qui dure plus long­temps qu’on ne croit – il faut être en per­ma­nence sur le pont : dès que l’at­ten­tion se relâche, ça déraille.
  • Même atten­tifs, on n’é­chappe pas aux coups durs. En par­ti­cu­lier une erreur de recru­te­ment, sur­tout quand elle porte sur le com­mer­cial (ce qui nous est arri­vé) peut être fatale.
  • Il n’y a pas grand-chose à attendre des ban­quiers tra­di­tion­nels ; même une fois l’ac­ti­vi­té lan­cée et qua­si sta­bi­li­sée, ils n’osent pas. Peut-être aurons-nous plus de faci­li­tés avec le capital-développement.
  • Les aides de l’É­tat (CRE, APEJ…) sont com­pli­quées à obte­nir et por­teuses de contraintes : un sou­tien illusoire.
  • Lan­cer son entre­prise est une expé­rience irrem­pla­çable par laquelle devraient pas­ser tous les consul­tants. En tout cas, nos clients du conseil s’en aper­çoivent : ils font la dif­fé­rence avec les consul­tants clas­siques (que nous étions), qui sont de bons concep­teurs mais de piètres éva­lua­teurs du possible.


Et puis, il faut gar­der une chose en tête : quel que soit l’a­mu­se­ment – voir l’é­mer­veille­ment – qu’il y a à lire l’his­toire entre­pre­neu­riale des autres, on ne s’a­muse jamais autant qu’à vivre soi-même une telle aventure !

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