Propositions pour développer le tissu des PME françaises

Dossier : Le tissu des PME françaisesMagazine N°522 Février 1997
Par Martine CLEMENT

L’exemple des industries mécaniques

Pour illus­trer mon pro­pos je retien­drai quelques don­nées concer­nant la méca­nique, indus­trie de PMI par excel­lence, puisque com­po­sée à 97 % d’en­tre­prises employant moins de 500 salariés. 

Activités de la mécanique par taille d’entreprises

Au total la méca­nique compte 6 500 entre­prises qui emploient près de 500 000 sala­riés et réa­lisent un chiffre d’af­faires de 320 milliards.

Les PME sont net­te­ment majo­ri­taires en effec­tif employé (70 % du total), mais elles ne réa­lisent que 60 % du chiffre d’af­faires et 43 % des expor­ta­tions (tableau 1).

Il faut cepen­dant noter que les grandes entre­prises (voire les moyennes grandes) sont, plus fré­quem­ment que les petites, filiales de groupes étran­gers, que leurs expor­ta­tions com­prennent en fait une part non négli­geable d’é­changes au sein des filiales de la socié­té mère et que, de fait, leur impor­tance dans la valeur ajou­tée totale est sou­vent plus faible (par exemple : usines de simple montage).

L’é­vo­lu­tion des chiffres depuis quinze ans fait appa­raître que les PMI tirent mieux leur épingle du jeu que les grandes entre­prises. Il faut bien enten­du nuan­cer ce pre­mier constat : il peut en effet y avoir pas­sage du seuil des 500 sala­riés par des PMI qui gros­sissent ou par des grandes entre­prises qui se filia­lisent. De plus, le tis­su des PMI est en per­ma­nence ali­men­té par le bas. Les écarts consta­tés sont cepen­dant trop impor­tants pour ne pas être signi­fi­ca­tifs, au moins par­tiel­le­ment. En matière d’ef­fec­tif, il faut aus­si sou­li­gner que les plus petites des PMI sont créa­trices d’emploi. Une étude por­tant sur la période 1980 à 1992, dont les ten­dances res­tent valables aujourd’­hui, marque la nette pro­gres­sion des effec­tifs des PMI de 20 à 50 salariés. 

TABLEAU 1

Structure des PMI de la mécanique en Europe

Le sché­ma sui­vant montre net­te­ment que la situa­tion est pra­ti­que­ment la même dans les prin­ci­paux pays euro­péens, avec un fort tis­su de PMI. La France se situe, pour l’en­semble des para­mètres, dans une bonne moyenne par rap­port à ses par­te­naires (tableau 2).

L’I­ta­lie occupe la pre­mière place en nombre de PMI, l’Al­le­magne celle de lea­der au plan des grandes entreprises.

Si l’on pro­cède à l’a­na­lyse d’un autre para­mètre, celui de l’é­vo­lu­tion des expor­ta­tions, on s’a­per­çoit éga­le­ment, qu’in­dé­pen­dam­ment des récents phé­no­mènes moné­taires, l’I­ta­lie, avec une pro­gres­sion de 20 % de ses ventes sur les mar­chés étran­gers entre 1985 et 1992, occupe une place de choix, preuve de la dyna­mique com­mer­ciale de ses PMI en la matière.

TABLEAU 2

Du caractère parfaitement illustratif de la mécanique française

Cette illus­tra­tion, par l’exemple des indus­tries méca­niques, cor­ro­bore par­fai­te­ment le rap­port de la Com­mis­sion euro­péenne au Conseil euro­péen de Madrid sur le rôle des PME comme source dyna­mique d’emploi, de crois­sance et de com­pé­ti­ti­vi­té, rap­port qui fait res­sor­tir que sur les dix der­nières années la créa­tion nette d’emplois dans les PME a été supé­rieure aux pertes d’emplois dans les grandes entre­prises. Cette ana­lyse confirme d’ailleurs qu’en période de réces­sion, les PME recourent moins vite aux sup­pres­sions de postes, le sou­ci de conser­ver des com­pé­tences gui­dant la déci­sion des chefs d’entreprises.

Faiblesses ? ou freins au développement ?

En dépit de cette obser­va­tion, on constate que le poten­tiel des PME euro­péennes en matière de crois­sance et de créa­tion d’emplois n’est pas plei­ne­ment exploi­té car entra­vé par des défauts et des dys­fonc­tion­ne­ments fon­da­men­taux du mar­ché et des poli­tiques qui n’ont pas reçu de réponse satisfaisante.

Ce que d’au­cuns qua­li­fient com­mu­né­ment de fai­blesses des PME, mais qui sont en fait la consé­quence des freins qui entravent le déve­lop­pe­ment de leurs acti­vi­tés, se retrouve dans l’en­semble des pays euro­péens avec évi­dem­ment des varia­tions assez sen­sibles d’un pays à l’autre. Le tableau 3, extrait d’une récente enquête d’Ex­co & Grant Thorn­ton et Busi­ness Stra­té­gies conduite dans les 15 pays de l’U­nion euro­péenne ain­si qu’à Malte et en Suisse, illustre bien cette situa­tion en ce qui concerne le poids des régle­men­ta­tions et taxes : il est consi­dé­ré par l’en­semble des diri­geants de PME euro­péennes comme l’en­trave majeure au déve­lop­pe­ment de leurs acti­vi­tés. Ce tableau indique la fré­quence des réponses rela­tives à chaque type de handicap.

TABLEAU 3

Nom­breux sont les domaines où nous pour­rions sou­li­gner les fai­blesses des PME tant par rap­port au grandes entre­prises (dif­fi­cul­té d’ac­cès aux prêts ban­caires, aux mar­chés publics, aux pro­grammes de recherche natio­naux ou com­mu­nau­taires…), que par com­pa­rai­son avec d’autres pays, en Europe et au-delà. On peut citer à cet égard la sous-capi­ta­li­sa­tion des entre­prises euro­péennes par rap­port à leurs homo­logues amé­ri­caines due notam­ment au fait que les sys­tèmes fis­caux natio­naux pri­vi­lé­gient le finan­ce­ment par l’emprunt au détri­ment du finan­ce­ment par l’é­mis­sion d’actions.

En tout état de cause, je crois que vou­loir com­pa­rer sérieu­se­ment les forces et les fai­blesses des PME en France, en Europe et au delà, relève de l’u­to­pie. Car pour être par­fai­te­ment cré­dible il fau­drait d’a­bord éva­luer, pour chaque pays, les moyens dont dis­posent les PME pour la concep­tion, la pro­duc­tion, la pro­mo­tion, et la com­mer­cia­li­sa­tion de leurs pro­duits ou ser­vices. Cha­cun sait que, même au sein de l’U­nion euro­péenne, ces moyens sont très diver­si­fiés, et pour tout dire inégaux. Même si de nom­breuses études existent sur le sujet elle deman­de­raient à être actua­li­sées pra­ti­que­ment au jour le jour.

Stopper la politique du coup par coup

Si la Com­mu­nau­té et les États membres, tant au niveau natio­nal que régio­nal, s’ef­forcent de libé­rer le poten­tiel des PME, les ini­tia­tives enga­gées sont trop sou­vent insuf­fi­santes, peu acces­sibles et tou­jours très dis­pa­rates. Elles relèvent géné­ra­le­ment du « coup par coup » plu­tôt que d’une poli­tique struc­tu­rée à moyen ou long terme. En fait, on s’a­per­çoit que les para­mètres fon­da­men­taux de la crois­sance (recherche, inno­va­tion, for­ma­tion, expor­ta­tion), dont les fai­blesses ont été maintes fois sou­li­gnées par les diri­geants d’en­tre­prises, n’ont été que rare­ment, sinon jamais, inté­grés dans une réflexion glo­bale alors qu’ils sont indissociables.

Dix mesures incontournables pour que vivent et se développent les PME

C’est pour­quoi la Com­mis­sion « moyennes et petites entre­prises » du CNPF tra­vaille depuis de longs mois pour inver­ser cette ten­dance. Elle pro­pose un plan glo­bal et struc­tu­ré qui devrait per­mettre le déve­lop­pe­ment de nos petites et moyennes entre­prises, mal­gré un contexte éco­no­mique mon­dial très concur­ren­tiel et où les dis­tor­sions de concur­rence vont grandissant.

AjusteurDans ce cadre le CNPF a, il y a plus d’un an, appor­té une contri­bu­tion majeure au plan PME lan­cé par Alain Jup­pé, mais dont les mesures réel­le­ment concrètes se sont révé­lées insuffisantes.

Cepen­dant, convain­cus que le main­tien de la France dans le pelo­ton de tête des grandes nations dépend en grande par­tie du déve­lop­pe­ment de nos PME, nous n’a­vons pas bais­sé les bras : après consul­ta­tion appro­fon­die des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles et un tour de France des unions patro­nales, nous avons déga­gé un cer­tain nombre de pro­po­si­tions – dont plu­sieurs ont été faites par la Fédé­ra­tion des indus­tries méca­niques – à sou­mettre à la pro­chaine confé­rence annuelle des PME. Ces pro­po­si­tions que nous avons appe­lées « impé­ra­tifs » répondent à trois objec­tifs essen­tiels pour le deve­nir des PME :

– vivre,
– se développer,
– pou­voir se consa­crer plei­ne­ment à son métier. 

Au titre du premier impératif nous proposons trois orientations :

  • Mettre en oeuvre, avant six mois, une réforme en pro­fon­deur de la taxe professionnelle.

En atten­dant que soit réfor­mé cet impôt archaïque qui pèse de manière exces­sive sur les moyens de pro­duc­tion, il est indis­pen­sable de relan­cer l’in­ves­tis­se­ment et l’emploi en exo­né­rant de la taxe pro­fes­sion­nelle tout nou­vel inves­tis­se­ment et toute nou­velle embauche pen­dant deux ans.
Au-delà de cette mesure qui consti­tue­rait un signal fort pour les PME, la maî­trise des impôts locaux implique évi­dem­ment aus­si l’ar­rêt de la dérive des dépenses et de l’en­det­te­ment des col­lec­ti­vi­tés locales.

  • Mettre en place, de façon concrète et opé­ra­tion­nelle la Banque des PME (BDPME).

La créa­tion de cette ins­ti­tu­tion, annon­cée il y a un an, cor­res­pond en effet à une véri­table néces­si­té : les PME ont besoin d’un éta­blis­se­ment spé­cia­li­sé pour faire prendre en compte leurs spé­ci­fi­ci­tés par l’ap­pa­reil bancaire.

  • Réduire les délais de paie­ment, notam­ment ceux du sec­teur public.

De nom­breuses PME se trouvent aujourd’­hui confron­tées à des situa­tions into­lé­rables. Les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles viennent d’ob­te­nir la sus­pen­sion des contrôles fis­caux pour les PME vic­times d’un retard de paie­ment des admi­nis­tra­tions. C’est un pre­mier pas et leur action va se pour­suivre pour une réduc­tion signi­fi­ca­tive des délais de paie­ment, non seule­ment au niveau des admi­nis­tra­tions publiques mais aus­si dans les rela­tions inter-entre­prises. À cet effet des accords inter­pro­fes­sion­nels seront pré­pa­rés et de nou­velles formes de média­tion seront expérimentées. 

Pour répondre au deuxième impératif : « se développer », quatre orientations doivent guider les réflexions de la conférence des PME :

  • Faire du ren­for­ce­ment des fonds propres des PME une vraie priorité :

– en amé­lio­rant l’a­van­tage fis­cal de la loi Made­lin, – en encou­ra­geant les entre­prises à réin­ves­tir leurs béné­fices, – en per­met­tant aux futurs fonds d’é­pargne retraite d’in­ves­tir en actions de socié­tés non cotées.

  • Pré­pa­rer et encou­ra­ger les PME à expor­ter, par :

– la mise en place d’un gui­chet unique d’in­for­ma­tion, – l’a­mé­lio­ra­tion de l’ac­cès des PME aux dis­po­si­tifs d’ap­pui – le déve­lop­pe­ment du sou­tien de la Coface, tant en termes de pays que de taille d’entreprises.

  • Ren­for­cer l’ef­fort de recherche des PME :

– en sim­pli­fiant les dis­po­si­tifs d’aides à l’innovation,
– en sécu­ri­sant le cré­dit d’im­pôt recherche et en l’é­lar­gis­sant à l’innovation,
– en per­met­tant le recru­te­ment de per­son­nel qua­li­fié ne concer­nant pas uni­que­ment les tech­ni­ciens supé­rieurs ou les thésards.
– en faci­li­tant l’ac­cès des PME.aux pla­teaux scien­ti­fiques et tech­niques, exis­tant dans les labo­ra­toires de recherche

  • Favo­ri­ser la trans­mis­sion familiale.

Le mon­tant des droits à payer à l’oc­ca­sion d’une trans­mis­sion reste trop éle­vé ce qui fra­gi­lise la PME.à un moment stra­té­gique de sa vie. 

Pour atteindre le troisième impératif qui est de pouvoir se consacrer pleinement à son métier, nous proposons trois orientations :

  • Sim­pli­fier le droit du travail :
    – en enga­geant rapi­de­ment une réforme en pro­fon­deur du droit du tra­vail visant à plus de lisi­bi­li­té, plus de sou­plesse et faci­li­tant le pas­sage des seuils en ne le ren­dant obli­ga­toire que lorsque le fran­chis­se­ment du seuil est atteint de façon per­ma­nente pen­dant trois années consécutives.
     
  • Allé­ger la tâche des entreprises :
    L’ob­jec­tif étant :
     
    – une réduc­tion de 20 %, d’i­ci à 1997, des for­ma­li­tés admi­nis­tra­tives par sim­pli­fi­ca­tion mas­sive des pro­cé­dures, notam­ment par :
    • la pos­si­bi­li­té d’ac­cord tacite de l’ad­mi­nis­tra­tion en cas de non réponse dans les délais impartis,
    • le rem­pla­ce­ment de la plu­part des auto­ri­sa­tions préa­lables par des déclarations,
    • une sim­pli­fi­ca­tion des bul­le­tins de salaire,

    – la mise en place d’aides pra­tiques aux PME pour le pas­sage à l’euro.
     

  • Mettre en oeuvre le futur pro­to­cole com­mun de trans­mis­sion des don­nées infor­ma­ti­sées de l’en­tre­prise concer­nant le « social » et le « fiscal ».


Les expé­ri­men­ta­tions déjà ten­tées dans cer­taines régions ou dépar­te­ments ont mon­tré qu’il est pos­sible de mettre à la dis­po­si­tion des PME des sys­tèmes effi­caces dans ce domaine.

Un bel avenir si nous le voulons

Les pro­po­si­tions que nous venons d’é­non­cer, rele­vant d’un plan glo­bal et struc­tu­ré, ne consti­tue­raient pas à terme pour l’É­tat une charge sup­plé­men­taire dans la mesure où elles per­met­traient aux PME de déve­lop­per de l’ac­ti­vi­té et de l’emploi. C’est un chal­lenge majeur pour le deve­nir de notre nation, et nous avons tout ce qu’il faut pour le gagner : une jeu­nesse entre­pre­nante, des pro­fes­sion­nels de qua­li­té, des chefs d’en­tre­prise qui savent bien se battre, des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles agissantes.

Encore faut-il que les freins soient des­ser­rés et les accé­lé­ra­teurs mis en place. 

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