Groupement d'exportateurs OUTILEX

Pour que nos PME puissent faire face à l’avenir

Dossier : Le tissu des PME françaisesMagazine N°522 Février 1997
Par Jean-Stanislas PARROD
Par Gérard de LIGNY (43)

1 — La situation actuelle

1.1 — Culture terrienne

Dans les pays réelle­ment cap­i­tal­istes, l’en­tre­prise est, pour l’in­vestis­seur famil­ial, la meilleure voie pour faire fruc­ti­fi­er son pat­ri­moine, mais il peut :

  • soit, voir l’en­tre­prise comme un place­ment, sans s’in­téress­er à son com­bat : dans ce cas, il aban­donne ses prérog­a­tives aux ges­tion­naires salariés, et, ceux-ci le con­sid­èrent en retour comme un parte­naire dormant ;
  • soit, a con­trario, rem­plir son rôle d’as­so­cié, et entr­er dans les con­traintes de sa prospérité : il devient, alors, atten­tif aux évo­lu­tions de la tech­nolo­gie, des marchés, des hommes, et, il inter­vient dans le choix de la stratégie la plus prop­ice à l’en­richisse­ment durable de l’affaire.


Il a, de sur­croît, la pos­si­bil­ité de faire entr­er des parte­naires dans le cap­i­tal et si, à un cer­tain stade de l’évo­lu­tion, il ne se sent plus en mesure de soutenir seul le développe­ment de l’af­faire, il passe la main — par­tielle­ment ou totale­ment — à d’autres investisseurs.

C’est ain­si que, sché­ma­tique­ment, le cap­i­tal s’adapte aux dif­férentes phas­es de la crois­sance d’une société familiale.

Ce mod­èle s’ap­plique — plus ou moins pure­ment — dans les pays de tra­di­tion marchande (Angleterre, USA…).

Dans un pays de tra­di­tion ter­ri­enne comme la France, ce mod­èle s’in­scrit dans un con­texte cul­turel qui l’in­flu­ence très sensiblement.

D’abord, suiv­ant l’adage que “la terre doit appartenir à celui qui la cul­tive”, le pou­voir direc­to­r­i­al et le pou­voir cap­i­tal­iste sont le plus sou­vent, même dans les gross­es entre­pris­es famil­iales, étroite­ment liés. La con­ti­nu­ité s’en­racine de ce fait, mais il s’in­tro­duit dans le cap­i­tal d’év­i­dentes rigid­ités. Ceci est d’au­tant plus vrai qu’un autre principe affirme : que “la terre n’é­tant pas un bien marc­hand, l’héri­ti­er ne doit ni l’al­ién­er, ni la détourn­er de la pro­duc­tion instau­rée par ses pères”. Même assou­plis, ces com­porte­ments inci­tent le chef d’en­tre­prise et ses héri­tiers, à péren­nis­er les métiers, les pro­duits, les implan­ta­tions géographiques.

Les déci­sions de recon­ver­sions, d’al­liances, et a for­tiori de délo­cal­i­sa­tions sont donc très dif­fi­ciles à pren­dre et générale­ment très tardives.

Cette cul­ture ter­ri­enne s’est assez bien accordée avec la sit­u­a­tion économique française, notam­ment durant la longue péri­ode de développe­ment d’après-guerre, péri­ode d’in­fla­tion pen­dant laque­lle le crédit est devenu le mode de finance­ment priv­ilégié. Les entre­pris­es famil­iales ont pro­gressé alors, avec des fonds pro­pres rel­a­tive­ment faibles. Ceci, mal­heureuse­ment, a eu pour effet de les frag­ilis­er main­tenant que l’in­fla­tion a disparu.

1.2 — Nouvel environnement

Depuis le début de la décen­nie, le paysage économique s’est modifié :
1) les tech­nolo­gies nou­velles ont facil­ité les boule­verse­ments des marchés ain­si que la réduc­tion des prix ;
2) la com­plex­ité des sous-trai­tances et des échanges impose des parte­nar­i­ats dont l’en­tre­prise inté­grée n’a aucune pratique ;
3) les dis­tances ont été abolies, les pays à bas salaires sont aux portes, et la glob­al­i­sa­tion est inévitable ;
4) la con­cur­rence s’est élargie et dur­cie sans épargn­er les affaires familiales ;
5) les médias ont élevé sans cesse le seuil cri­tique d’en­trée dans la com­mu­ni­ca­tion com­mer­ciale (au moins pour les pro­duits de consommation).

2 — Voies du rajeunissement et de l’adaptation au marché


LA FRANCE DES OUTILS.
Cinquante indus­triels français ont créé le groupe­ment d’ex­por­ta­teurs OUTILEX (*) pour pro­mou­voir leurs fab­ri­ca­tions sur les marchés inter­na­tionaux : par­tic­i­pa­tion col­lec­tive aux salons, actions de prospec­tion, réal­i­sa­tion d’é­tudes, édi­tion de cat­a­logues et créa­tion d’un site sur Internet.

D’abord, nous devons nous per­suad­er que les Français sont armés pour s’adapter à la nou­velle donne de l’é­conomie mon­di­ale et pour se libér­er de cer­taines lour­deurs qui les entra­vent. Ces lour­deurs, ne les ont d’ailleurs pas empêchés de devenir le 4e expor­ta­teur du monde et d’align­er de nom­breuses réus­sites (mal­heureuse­ment trop con­cen­trées sur de grandes affaires).

C’est pourquoi, nous ne devons pas chercher à repren­dre des mod­èles étrangers, mais à en tir­er des leçons utiles.

Par exem­ple, nous sommes trop loin de la rela­tion cap­i­tal-man­age­ment des Anglo-Sax­ons pour essay­er de la copi­er, mais nous avons besoin d’un vrai “marché des cap­i­taux” appor­tant aux PME une meilleure assise de fonds pro­pres et une mobil­ité réelle des actionnariats.

De même, nous n’é­galerons jamais les Ital­iens dans l’art de sus­citer “l’ef­fet de ruche” entre des micro-entre­pris­es inter­con­nec­tées, mais leur exem­ple mon­tre l’im­por­tance des réseaux et incite chaque entre­prise à s’in­té­gr­er dans un sys­tème maillé.

Nous devons donc trou­ver nos pro­pres répons­es en :
a) ren­forçant l’ex­per­tise des direc­tions d’entreprises,
b) con­for­t­ant le cap­i­tal des entre­pris­es familiales.

2.1 — Renforcer l’expertise des directions d’entreprise

Il y a déjà en France, des avancées remar­quables dans le man­age­ment stratégique, et une prise de con­science de son util­ité qui se généralise. Mais cette con­science se traduit trop faible­ment, dans les entre­pris­es moyennes ou petites par les évo­lu­tions néces­saires : les dirigeants, en effet, qui se réser­vent la déci­sion stratégique, n’ont pas tou­jours, mal­gré leurs qual­ités de car­ac­tère, les points d’ap­pui, le temps, et les rela­tions néces­saires pour ouvrir de nou­velles voies.

Des pro­grès sont encore indis­pens­ables dans les trois domaines suivants :
a) la for­ma­tion com­plé­men­taire des entre­pre­neurs familiaux,
b) l’in­té­gra­tion de jeunes com­pé­tences dans leurs équipes,
c) le développe­ment d’un corps de con­sul­tants adap­tés aux besoins.

Quelques commentaires :

a) la for­ma­tion com­plé­men­taire des entre­pre­neurs familiaux,
Les “for­ma­tions pour dirigeants” sont trop influ­encées par les deman­des des Grandes Entre­pris­es et ne rejoignent pas suff­isam­ment les préoc­cu­pa­tions des entre­pris­es moyennes famil­iales. Pour celles-ci, une for­ma­tion de patron réal­isée par des patrons, au sein de petits groupes con­vivi­aux où les prob­lèmes spé­ci­fiques de ce type d’en­tre­prise pour­raient être débat­tus, serait très effi­cace. Ce serait du même coup l’oc­ca­sion de nouer des dia­logues entre entre­pris­es, de s’en­traîn­er au parte­nar­i­at (un début de “ruche”).

Dans ce domaine, les ini­tia­tives de l’As­so­ci­a­tion pour le pro­grès du man­age­ment (APM) et les pro­jets de J. Barache devraient être encouragés.

b) l’in­té­gra­tion de jeunes com­pé­tences dans leurs équipes,
La posi­tion de cadre dans une PME famil­iale, reste incon­fort­able, par suite de l’ac­ca­pare­ment du pou­voir par les pro­prié­taires et de l’ab­sence d’in­téresse­ment. D’un côté, les chefs d’en­tre­pris­es, red­outent l’e­sprit tech­nique et “con­tes­tataire” des jeunes diplômés. De l’autre, ces jeunes, du moins les plus courageux d’en­tre eux, préfèrent sou­vent, pour assur­er leur avenir, pren­dre les risques d’une créa­tion, alors qu’ils pour­raient ren­dre de plus évi­dents ser­vices en s’in­té­grant dans une entre­prise. Ils lui apporteraient, alors, leurs com­pé­tences et relèveraient les nou­veaux défis de la “guerre économique”.

Par bon­heur, la pra­tique de nou­veaux modes d’in­té­gra­tion des jeunes (par des mis­sions à l’é­tranger), l’évo­lu­tion des formes de pou­voir dans l’en­tre­prise famil­iale…, et le resser­re­ment de l’emploi dans les grandes entre­pris­es…, réori­en­tent vers les PME des experts de grandes valeurs.

L’équipe MECANERGIE : sept patrons de PME de Roanne
L’équipe MECANERGIE : sept patrons de PME de Roanne con­juguent leurs efforts pour faire face aux nou­velles exi­gences de leur clien­tèle et pénétr­er sur de nou­veaux marchés par des pro­duits innovants.

c) le développe­ment d’un corps de con­sul­tants adap­tés aux besoins.
Le recours à des con­seillers extérieurs, devrait être, pour un dirigeant de PME, un moyen d’al­léger sa soli­tude et d’ou­vrir des voies nou­velles. Apporter des con­nais­sances extérieures, tout autant que des com­pé­tences, tel devrait être le rôle de ces catalyseurs.

Mal­heureuse­ment, il n’y a pas en France de corps de con­sul­tants pour PME, qui apporte à ses clients, au-delà de la con­cep­tion de pro­jets, des accom­pa­g­ne­ments de l’ac­tion, avec des tar­ifs accessibles.

L’Hexa­gone ne manque pour­tant pas de dirigeants expéri­men­tés dont la car­rière pour­rait se pour­suiv­re dans le con­seil, moyen­nant une for­ma­tion com­plé­men­taire. Ponctuelle­ment des ini­tia­tives ont été lancées par les Cham­bres de com­merce et les Comités d’ex­pan­sion, mais à l’é­tranger, notam­ment en Angleterre, des organ­i­sa­tions plus effi­caces ont vu le jour et témoignent d’une prise de con­science plus profonde.

L’op­ti­misme reste toute­fois per­mis, car les ori­en­ta­tions sont bien tracées, et aucun obsta­cle insti­tu­tion­nel déter­mi­nant ne freine la progression. 

2.2 — Conforter le capital des entreprises familiales

À la vérité, il n’y aurait pas de blocage au niveau du cap­i­tal, si les dirigeants ne se heur­taient pas, dans la mise en oeu­vre de leurs straté­gies de renou­veau du cap­i­tal aux con­traintes actuelles de fonc­tion­nement “de l’in­sti­tu­tion financière”.

Trois redresse­ments parais­sent par­ti­c­ulière­ment urgents :
a) le ren­force­ment des fonds propres,
b) la facil­i­ta­tion des parte­nar­i­ats financiers,
c) la pro­tec­tion de la pérennité.


a) le ren­force­ment des fonds pro­pres, En pre­mier lieu, le chef d’en­tre­prise a besoin, pour abor­der cer­taines voies nou­velles, d’une sécu­rité finan­cière min­i­male, donc d’un niveau de fonds pro­pres très supérieur à celui dont on a pris l’habi­tude en France. Pour cela, il faut qu’il y ait des cap­i­taux prêts à s’in­ve­stir, et, des dirigeants prêts à accueil­lir les appor­teurs de capitaux.

Les fonds d’é­pargne du per­son­nel (du type TER ital­ien), et les fonds de place­ment des retraites par cap­i­tal­i­sa­tion pour­raient devenir des gise­ments de fonds pro­pres si toute­fois, la lég­is­la­tion définit au préal­able cor­recte­ment le cadre sécu­ri­taire requis.

La mobil­i­sa­tion de l’é­pargne en faveur des entre­pris­es locales (pour dévelop­per l’emploi de prox­im­ité), pour­rait elle aus­si pro­gress­er, à con­di­tion que soit assurée la liq­uid­ité des place­ments et la garantie des investisse­ments ini­ti­aux. Quelques pas ont été faits récem­ment dans cette direc­tion, mais d’autres avancées doivent encore être pro­posées par le législateur.

b) la facil­i­ta­tion des parte­nar­i­ats financiers, Les déten­teurs d’en­tre­pris­es famil­iales devront partager plus claire­ment leur cap­i­tal et leurs pou­voirs. C’est la con­di­tion pour que s’or­gan­isent des tours de tables cap­i­tal­is­tiques sta­bles, sans lesquels les parte­nar­i­ats indus­triels et com­mer­ci­aux, réclamés par les dirigeants, restent éphémères et frag­iles. Une telle ori­en­ta­tion peut par­tir de l’ac­cueil d’un action­naire minori­taire, pour aller jusqu’à une “recom­po­si­tion de l’ac­tion­nar­i­at” avec de nou­veaux venus, rem­plaçant les asso­ciés dormants.

Exer­ci­ce apparem­ment périlleux mais qui a déjà réus­si dans les nom­breux cas où les asso­ciés tra­di­tion­nels ont su pren­dre les dis­po­si­tions néces­saires, pour con­serv­er leur pat­ri­moine, et le valoriser.

Cela implique bien enten­du, que les nou­veaux parte­naires explici­tent leur éthique, leur prox­im­ité cul­turelle, leur dynamisme, et leur fair play, éventuelle­ment dans des joint ven­ture n’en­gageant pas défini­tive­ment les par­ties. Ain­si, le car­ac­tère pat­ri­mo­ni­al de l’en­tre­prise peut être sauvegardé.

Si nous dis­po­sions des mêmes out­ils financiers que les Anglo-Sax­ons, ce type d’opéra­tion pour­rait être plus fréquent, et les can­di­dats pour s’y engager plus nombreux.

c) la pro­tec­tion de la péren­nité. Le renou­velle­ment de généra­tions et le règle­ment des suc­ces­sions imposent des réformes urgentes : l’ob­sta­cle fis­cal met qua­si­ment les plus grandes dans les griffes des groupes étrangers (74 absorp­tions en cinq ans). Une action de sen­si­bil­i­sa­tion sur la fis­cal­ité des trans­mis­sions est d’ailleurs déployée par l’As­so­ci­a­tion des moyennes entre­pris­es pat­ri­mo­ni­ales (ASMEP). Cette action ne doit pas être perçue comme une reven­di­ca­tion caté­gorielle. Octave Gélin­ier a démon­tré magis­trale­ment que l’in­térêt général français est en jeu.

Con­cer­nant les affaires de taille plus petite, dont la cap­i­tal­i­sa­tion ne dépasse pas quelques mil­lions de francs, les mesures pris­es restent encore lim­itées. En par­ti­c­uli­er des facil­ités finan­cières devraient leur être don­nées pour faire accéder à la table des action­naires les cadres qui en ont le désir et l’étoffe. Ces derniers sont en effet les parte­naires les plus facile­ment inté­grales à la famille. Il y a là, une tran­si­tion pos­si­ble entre deux généra­tions d’entrepreneurs.

3 — En résumé : un combat sur plusieurs axes, qui peut être gagné

Le nou­v­el envi­ron­nement économique réclame pri­or­i­taire­ment de la réac­tiv­ité, pour suiv­re au mieux l’évo­lu­tion rapi­de de la demande et de la con­cur­rence. L’en­tre­prise pat­ri­mo­ni­ale n’est pas la plus mal placée, mais il reste quelques pro­grès majeurs à accomplir :

  • Organ­is­er une forte capac­ité d’an­tic­i­pa­tion et d’in­no­va­tion, car les con­cur­rents ont l’oeil ouvert. Dans ce domaine, les entre­pris­es famil­iales doivent encore struc­tur­er leur vigilance.
  • Réori­en­ter l’é­pargne vers l’en­tre­prise pat­ri­mo­ni­ale : tant que l’ar­gent sera rare et la pro­priété sus­pec­tée, il sera dif­fi­cile de con­forter ces affaires.
  • Ramen­er les dirigeants-pro­prié­taires sur la trans­mis­sion de leur pat­ri­moine, tout en les pré­parant à des ouver­tures indispensables.
  • Inten­si­fi­er les efforts d’adap­ta­tion du man­age­ment dans les domaines de l’in­no­va­tion pro­duits-marchés et de la coopéra­tion internationale.

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