Bruno Angles

Bruno Angles (84) : « J’ai une vision humaniste de l’entreprise »

Dossier : TrajectoiresMagazine N°775 Mai 2022
Par Bruno ANGLES (84)
Par Alix VERDET
Par Pierre-René SÉGUIN (X73)

Bruno Angles (84), ancien prési­dent de l’AX (2015–2019), vient d’être nom­mé directeur général d’AG2R La Mon­di­ale, un des prin­ci­paux groupes d’assurances français. De ses débuts comme ingénieur des Ponts et Chaussées dans le secteur pub­lic à son expéri­ence dans le privé, on peut percevoir, comme trame de fond de son par­cours, une manière per­son­nelle de met­tre en œuvre un goût pour l’engagement poli­tique qui l’amène aujourd’hui à présider un groupe aux fortes prob­lé­ma­tiques sociétales.

Qu’est-ce qui vous a amené vers l’X ?

Bruno Angles : Je dois avouer que la poli­tique m’intéresse depuis tou­jours et que, à l’origine, j’étais ten­té par l’ÉNA. Comme j’avais un bon niveau en math­é­ma­tiques et en physique, ma mère, qui n’aimait pas l’idée que je me lance en poli­tique, m’a sug­géré de m’orienter plutôt vers l’X ! Ce que j’ai fait, avec succès.

Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre séjour à l’X ? 

Bruno Angles : J’évoquerai trois sou­venirs mémorables. Tout d’abord, le fait d’avoir organ­isé en tant que tré­sori­er le Point Gam­ma en 1986, moment cul­mi­nant de la vie étu­di­ante de l’X. Puis mon rôle de cap­i­taine de l’équipe de rug­by, sport dont je suis un grand adepte notam­ment pour toutes les valeurs qu’il promeut, dont l’esprit d’équipe. Et, enfin, la sat­is­fac­tion d’avoir inté­gré le corps des Ponts et Chaussées ; c’est, encore aujourd’hui, une grande fierté pour moi.

Le fait d’être X a‑t-il joué un rôle déterminant dans votre carrière ? 

Bruno Angles : Je répondrai oui et non.
Cela a indu­bitable­ment joué en ma faveur au début de ma car­rière dans le secteur pub­lic, en par­ti­c­uli­er le fait d’être à la fois poly­tech­ni­cien et ingénieur des Ponts et Chaussées. Je n’aurais pas obtenu mes trois pre­miers postes sans cela : chef du ser­vice des grands travaux de la Direc­tion départe­men­tale de l’équipement d’Ille-et-Vilaine, puis con­seiller tech­nique au cab­i­net de Bernard Bosson, min­istre de l’Équipement, des Trans­ports et du Tourisme, et, lorsque je suis devenu, à 29 ans, directeur général de la Société du Tun­nel du Mont-Blanc. Ensuite je me suis tourné vers une sec­onde car­rière au sein d’entreprises privées non français­es, McK­in­sey, Mac­quar­ie et Cred­it Suisse, pour lesquelles l’X n’a pas été décisif puisque l’École est peu con­nue à l’étranger et que ces entre­pris­es recru­tent et promeu­vent sur le fonde­ment du mérite et de la performance.

Quels ont été les points forts de vos années de présidence à l’AX ?

Bruno Angles : Il m’est dif­fi­cile de choisir, mais je vais me pli­er à l’exercice et j’en abor­derai cinq.

En pre­mier lieu, les travaux engagés au 2e semes­tre 2015 con­cer­nant la stratégie de l’X, lancés par Jean-Yves Le Dri­an et son directeur de cab­i­net à la suite du rap­port de Bernard Attali, rap­port qui a d’ailleurs motivé ma can­di­da­ture à la prési­dence de l’AX. J’ai organ­isé une task force de 25 per­son­nes, com­posée pour moitié de mem­bres seniors du con­seil d’administration de l’AX et pour moitié de grands patrons, par­mi lesquels Xavier Huil­lard (73) et Antoine Frérot (77). Cet exer­ci­ce nous a per­mis de con­sul­ter de grands noms, tels que Valéry Gis­card d’Estaing (44) ou encore Bernard Arnault (69), et a par la suite pesé sur les déci­sions du gouvernement.

Ensuite la pré­pa­ra­tion de la vis­ite à l’École du Prési­dent de la République en octo­bre 2017, pour laque­lle j’ai eu l’occasion de tra­vailler sur son dis­cours con­cer­nant la créa­tion de l’Institut Poly­tech­nique de Paris sur le plateau de Saclay. Puis la réno­va­tion en pro­fondeur des out­ils IT et web de l’AX, un grand chantier. Et encore l’animation pen­dant qua­tre ans des petits-déje­uners de l’X avec de grandes per­son­nal­ités, des ren­con­tres inou­bli­ables. Sans oubli­er l’organisation en juin 2019 au château de Ver­sailles du Bal de l’X pour fêter les 225 ans de l’École polytechnique.

Vous avez un parcours atypique, puisque vous avez exercé dans des secteurs très variés ; pouvez-vous nous décrire les grandes étapes de votre carrière ? 

Bruno Angles : Tout d’abord, il faut savoir que, avant de me lancer dans le privé, j’ai sérieuse­ment envis­agé de m’engager en poli­tique. Pour moi, cet engage­ment ne pou­vait être que plein et total ; or la vie poli­tique élec­tive est incom­pat­i­ble avec la vie de famille que je souhaitais. J’ai donc choisi d’y renon­cer. Ma philoso­phie con­siste à vivre plusieurs vies en une seule. Ma car­rière pro­fes­sion­nelle en est l’illustration. De mes débuts dans le BTP jusqu’à mon arrivée au sein d’AG2R La Mon­di­ale l’année dernière, je n’ai eu de cesse de décou­vrir de nou­veaux secteurs comme l’équipement, le con­seil, l’investissement, la banque, pour me lancer de nou­veaux challenges.

“Ma philosophie consiste à vivre plusieurs vies en une seule.”

Par­mi les prin­ci­pales étapes de ma car­rière, j’en cit­erai trois qui m’ont par­ti­c­ulière­ment mar­qué. Pre­mière­ment, en qual­ité de directeur asso­cié de McK­in­sey, j’ai accom­pa­g­né les deux ten­ta­tives de fusion d’Alcan et de Pechiney entre New York, Paris, Lon­dres, Zurich et Brux­elles, fusion qui a finale­ment abouti en 2003. Ensuite mes neuf années au sein du groupe Mac­quar­ie, insti­tu­tion finan­cière qui offre des ser­vices de finance­ment, de con­seil financier et d’investissement, dont j’ai été prési­dent France de 2007 à 2016. 

Fin 2014, début 2015, j’étais le représen­tant unique des sept sociétés con­ces­sion­naires d’autoroutes pour négoci­er avec le gou­verne­ment. Enfin, juste avant de rejoin­dre AG2R La Mon­di­ale en mai 2021, j’étais prési­dent France et Bel­gique de Cred­it Suisse depuis 2016. J’ai eu le sen­ti­ment d’avoir accom­pli ma mis­sion, notam­ment en ren­dant son activ­ité de banque privée prof­itable et parce que 2020 avait été une excel­lente année pour tous les métiers con­fon­dus de Cred­it Suisse en France (+ 37 % vs 2019, dont + 50 % pour la banque d’affaires).

Le 2 mai 2022, vous prenez la fonction de directeur général d’AG2R La Mondiale, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre groupe et les raisons pour lesquelles vous l’avez rejoint en mai 2021 en qualité de directeur général délégué ? 

Bruno Angles : AG2R La Mon­di­ale est un groupe dynamique, spé­cial­iste de l’assurance de pro­tec­tion sociale et pat­ri­mo­ni­ale, qui accom­pa­gne ses assurés tout au long de la vie pour pro­téger leur retraite, leur san­té, leurs proches et leur pat­ri­moine. En juin 2021, le groupe est égale­ment devenu action­naire majori­taire d’Aegide-Domitys, leader des rési­dences ser­vices seniors. Cette diver­si­fi­ca­tion com­plète les activ­ités assur­antielles, dans une logique d’accompagnement de l’ensemble du par­cours de vie de nos assurés. Nous leur offrons ain­si un con­tin­u­um de solu­tions d’assurance, de ser­vices et de ser­vices à la per­son­ne. AG2R La Mon­di­ale compte 1 000 admin­is­tra­teurs, près de 15 000 col­lab­o­ra­teurs et 15 mil­lions d’assurés, et nos sujets sont au cœur de l’actualité de notre pays ; autant vous dire que l’on ne s’y ennuie jamais !

Pour en revenir aux raisons qui m’ont incité à rejoin­dre le groupe, je com­mencerais ain­si : à 56 ans, après cinq années passées chez Cred­it Suisse, j’étais prêt à relever un nou­veau défi. Je con­nais­sais déjà AG2R La Mon­di­ale en tant que client de La Mon­di­ale Parte­naire et de La Mon­di­ale Europart­ner depuis de nom­breuses années. J’ai tou­jours pen­sé que c’est un beau groupe, très var­ié dans ses métiers et sa diver­sité d’enjeux, de parte­naires, de clients et de par­ties prenantes. Cette grande diver­sité peut sem­bler com­plexe aux yeux de cer­tains, je con­sid­ère au con­traire que c’est une vraie richesse et une for­mi­da­ble source de stim­u­la­tion. Lorsque j’ai été approché par une chas­seuse de têtes dans le cadre de la pré­pa­ra­tion de la suc­ces­sion d’André Renaudin (76), j’ai vu l’opportunité de pour­suiv­re un pro­jet col­lec­tif ambitieux et pas­sion­nant. L’homme de défis que je suis a été conquis !

Quel directeur général entendez-vous être et quelles seront vos priorités ? 

Bruno Angles : J’ai une vision human­iste de l’entreprise. Le respect des per­son­nes, à tous les niveaux de l’organisation, est pour moi absol­u­ment essen­tiel, tout comme le tra­vail en équipe. Tous les man­agers doivent savoir écouter et décider. De la même façon, je serai un directeur général à l’écoute des attentes de nos clients, de nos parte­naires et de nos col­lab­o­ra­teurs, alliant la bien­veil­lance et l’exigence qui car­ac­térisent l’esprit d’AG2R La Mondiale.

Dans les prochains mois, nous finalis­erons la pré­pa­ra­tion de notre plan d’entreprise 2023–2025. Dans ce cadre, nous définirons de façon col­lab­o­ra­tive notre ambi­tion col­lec­tive pour les années à venir. Elle plac­era le client au cœur de notre démarche et devra alli­er crois­sance et rentabil­ité. Et, pour attein­dre ce dou­ble objec­tif, nous devrons faire preuve d’agilité et d’excellence opérationnelle.

Le futur plan d’entreprise sera guidé par trois exi­gences col­lec­tives qui sont essen­tielles pour préserv­er notre indépen­dance, assur­er notre péren­nité et pour­suiv­re notre développement.

La pre­mière exi­gence est la maîtrise des équili­bres financiers et des coûts avec le déploiement d’un véri­ta­ble pilotage intégré.

Vient ensuite un change­ment de bra­quet en matière de sys­tèmes d’information et de dig­i­tal. Le groupe est le fruit de beau­coup de rap­proche­ments, il doit inve­stir régulière­ment pour pass­er à une nou­velle généra­tion d’outils. Nous allons accélér­er sig­ni­fica­tive­ment cette transformation.

Enfin plus que jamais nous devons attir­er et retenir les meilleurs tal­ents. Nos col­lab­o­ra­teurs con­stituent notre plus grande force et nos meilleurs atouts. AG2R La Mon­di­ale est un groupe attrac­t­if à tous les niveaux. Nous devons per­fec­tion­ner la détec­tion des meilleurs tal­ents dans nos équipes ain­si que le recrute­ment de nou­veaux. Nous devons égale­ment accroître notre capac­ité à les motiv­er et à accom­pa­g­n­er leur évo­lu­tion et leur car­rière au sein du groupe.

Quels sont les grands sujets et enjeux stratégiques du moment en matière de protection sociale ? 

Bruno Angles : En matière de pro­tec­tion sociale, les sujets et les enjeux stratégiques ne man­quent pas, puisque nous nous adap­tons en per­ma­nence aux nou­velles règle­men­ta­tions, nous accom­pa­gnons les évo­lu­tions socié­tales et nous sommes au cœur des préoc­cu­pa­tions majeures des Français, qu’elles soient liées notam­ment à leur retraite, à leur san­té, à leur épargne ou encore au bien vieillir.

Par­mi les enjeux qui nous occu­pent par­ti­c­ulière­ment en ce moment et pour les prochains mois, j’en évo­querai trois qui sont majeurs tant pour les entre­pris­es que pour nos conci­toyens. Tout d’abord, la réforme des retraites. L’un des points de vig­i­lance con­cerne l’impact mécon­nu du report de l’âge de départ à la retraite, qui a un effet direct sur la prévoy­ance, en pro­longeant d’autant la durée de verse­ment des indem­nités aux per­son­nes en sit­u­a­tion d’invalidité. Cet impact est con­sid­érable. Pour vous don­ner un ordre d’idées, lorsque l’âge de départ à la retraite est passé de 60 à 62 ans le 1er juil­let 2011 avec la réforme Woerth, cela a représen­té 350 mil­lions d’euros sup­plé­men­taires pour AG2R La Mondiale.

En matière de san­té, nous nous posons tous la ques­tion suiv­ante : lequel des qua­tre scé­nar­ios du Haut Con­seil pour l’avenir de l’assurance mal­adie (Hcaam) sera choisi ? Celui de la Grande Sécu sem­ble avoir été écarté. Enfin, la ques­tion de la prise en charge de la dépen­dance est pri­mor­diale. Nous devons en effet nous pré­par­er à faire face au choc démo­graphique lié à la généra­tion du papy-boom, qui sera con­fron­tée au risque de dépen­dance dès 2025, que ce soit en ter­mes de finance­ment, de for­ma­tion du per­son­nel, etc. Nous serons donc très atten­tifs aux cent pre­miers jours du nou­veau gou­verne­ment, ain­si qu’aux pro­jets de loi de finances (PLF) et de finance­ment de la Sécu­rité sociale (PLFSS) pour 2023. 

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