Reconnaître des valeurs au vivant

Dossier : La biodiversitéMagazine N°616 Juin/Juillet 2006
Par Anne-Marie DUCROUX

Trop long­temps, les pro­grès tech­niques ou médi­caux ont fabri­qué la croyance que tout humain pou­vait s’abs­traire de ce que lui pro­cure le vivant et même de sa dis­pa­ri­tion. Grâce aux inno­va­tions tech­niques, des des­truc­tions pou­vaient même être éco­no­mi­que­ment qua­li­fiées de « créatrices ».

Trop long­temps, l’é­tude du vivant a paru cou­pée du plus grand nombre : affaire de bio­lo­gistes. De même sa pro­tec­tion a paru affaire de natu­ra­listes ou éco­lo­gistes, sou­vent per­çus comme mar­gi­naux, au mieux minoritaires.

Trop long­temps, l’eau, l’air, les forêts, les pay­sages, le cli­mat, les espèces ont figu­ré dans notre ima­gi­naire comme autant de don­nées sans valeur spé­ci­fique affec­tée, comme « don­né » par la vie à la vie. Avec des impacts consi­dé­rables de l’homme sur les biens com­muns et les espaces, de plus en plus connus et per­cep­tibles, il est deve­nu avé­ré que les qua­li­tés et les quan­ti­tés de biens com­muns dépendent et dépen­dront des choix que les hommes effec­tuent, consciem­ment ou non.

Or si, dans un pre­mier temps, la dis­pa­ri­tion du vivant et la dis­pa­ri­tion de la per­cep­tion de la valeur du vivant sont pro­ba­ble­ment cor­ré­lées, dans un deuxième temps, para­doxa­le­ment, la per­cep­tion de sa dis­pa­ri­tion pour­rait per­mettre de faire réap­pa­raître, dans la vie com­mune, ses valeurs.

La mer

Qu’est-ce qui dans ce vivant infi­ni­ment divers ne touche plus les âmes, les esprits ? L’i­gno­rance de ses qua­li­tés de vivant, l’i­gno­rance des ser­vices qu’il nous rend. Or gènes, espèces et éco­sys­tèmes consti­tuent un réseau de rela­tions fines et com­plexes dont la vie humaine dépend. Le vivant four­nit un ensemble de biens : res­sources de la phar­ma­co­pée, bois, eau… mais aus­si des ser­vices éco­lo­giques indis­pen­sables à la vie quo­ti­dienne, fil­trage de l’air, des sols, fer­ti­li­té des sols, épu­ra­tion des eaux, pol­li­ni­sa­tion sans laquelle, par exemple, les condi­tions ne sont plus réunies pour dis­po­ser de fruits et légumes, etc. De plus le vivant four­nit des moments d’a­pai­se­ment, de loi­sirs, etc., et témoigne de valeurs cultu­relles et spi­ri­tuelles atta­chées aux ren­contres, à sa beau­té et ses mystères.

Désor­mais un double sujet d’in­quié­tudes et d’in­ter­ro­ga­tions s’offre à l’Hu­ma­ni­té avec, d’une part, le rythme actuel, tota­le­ment incon­nu, d’ex­tinc­tion des espèces ain­si que la dégra­da­tion des ser­vices éco­lo­giques1, et, d’autre part, avec la cer­ti­tude qu’une espèce qui s’é­teint ou un éco­sys­tème qui dis­pa­raît, ce n’est pas seule­ment un coût socié­tal ou éco­no­mique à inté­grer, mais c’est une fonc­tion qui dis­pa­raît dont nous ne savons à ce jour ni mesu­rer les consé­quences, ni la valeur. Et si cer­taines pertes peuvent, peut-être, être com­pen­sées, d’autres sont pro­ba­ble­ment irré­pa­rables. Ce sont les enjeux du xxie siècle.

C’est ain­si, pour ne pas atteindre l’ir­ré­ver­sible, que le Conseil natio­nal du Déve­lop­pe­ment durable a indi­qué com­bien il s’a­git pour la socié­té dans son ensemble désor­mais de » chan­ger de cap, de réfé­rences et de com­por­te­ments « 2, sou­li­gnant ain­si qu’il ne s’a­git pas de conce­voir des amé­na­ge­ments à la marge pour conti­nuer comme avant, mais de com­prendre et entre­prendre réso­lu­ment, dès main­te­nant, une réelle mutation.

LE CONSEIL NATIONAL DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le CNDD est une ins­tance consul­ta­tive de 90 membres et de 400 acteurs asso­ciés issus des com­po­santes les plus variées de la socié­té civile et de col­lec­ti­vi­tés ter­ri­to­riales. Pla­cé auprès du Pre­mier ministre, il joue un rôle de trait d’union entre eux et avec le gou­ver­ne­ment. Il for­mule des pro­po­si­tions en amont de l’élaboration des poli­tiques publiques de Déve­lop­pe­ment durable. Il est asso­cié éga­le­ment à leur sui­vi et leur éva­lua­tion. Il peut rendre des avis sur des pro­jets de loi, règle­ments, programmes…
Le CNDD a déjà répon­du, depuis son ins­tal­la­tion en 2003, à neuf ministres du gou­ver­ne­ment. Toutes ses pro­duc­tions sont consul­tables sur
www.developpement-durable.gouv.fr ou
www.premier-ministre.gouv.fr

L’at­ten­tion au vivant ne peut plus en effet se délé­guer à telles ou telles asso­cia­tions, à l’É­tat, aux col­lec­ti­vi­tés, bref à des tiers. Son état concerne tout le monde et dépend de tous. Il convient de chan­ger de regard à son égard et cher­cher un ensemble de solu­tions qui pour­raient le per­mettre : depuis la recherche et la péda­go­gie, l’en­sei­gne­ment, l’exemple de ceux qui ont com­pris, l’ap­pren­tis­sage de l’ob­ser­va­tion, de l’é­mer­veille­ment, de nou­veaux ques­tion­ne­ments, à la recon­nais­sance de valeurs au vivant, jus­qu’à un meilleur usage de la démo­cra­tie autour de ses enjeux.

Mettre à jour, de différentes manières, les valeurs du vivant

Les humains ne pour­ront conti­nuer indé­fi­ni­ment à occul­ter les valeurs du vivant sous pré­texte que ce qu’il four­nit est ou était abon­dant et gra­tuit et qu’ain­si il n’au­rait pas de valeurs ou alors qu’il ne serait pas néces­saire de s’in­ter­ro­ger sur elles. Son alté­ra­tion, sa des­truc­tion ou sa pol­lu­tion révèlent de plus en plus au contraire ses valeurs comme le néga­tif étrange et inquié­tant d’une image posi­tive en voie de disparition.

Notre vie actuelle dépend des qua­li­tés du vivant. Les vies futures dépendent de sa diver­si­té qui, elle, déter­mine sa capa­ci­té d’a­dap­ta­tion aux chan­ge­ments à venir. Il convient dès lors de recher­cher col­lec­ti­ve­ment un nou­veau mode de déve­lop­pe­ment, plus durable, où la nature et la qua­li­té des usages, de biens de consom­ma­tion ou de biens et ser­vices issus du vivant, comptent au moins autant, sinon plus, que leur seule quantité.

Il s’a­git bien de rendre lisibles les valeurs du vivant pour la vie com­mune. Pour mieux les prendre en compte, il faut notam­ment avan­cer par le chan­ge­ment de réfé­rences don­nées à cha­cun par la vie publique natio­nale et inter­na­tio­nale, expri­mées par les lois, la fis­ca­li­té, la juris­pru­dence, les cri­tères des mar­chés, des sub­ven­tions, des prêts, les comp­ta­bi­li­tés publiques et pri­vées qui fixent les valeurs enre­gis­trées pour la vie col­lec­tive et le type d’in­for­ma­tions dis­po­nibles… Diplo­ma­tie, droit, éco­no­mie, poli­tique, pour ne citer que ces domaines, de manière recon­nue ou non, sont sol­li­ci­tés pour pré­ci­ser les valeurs du vivant.

Valeurs des processus environnementaux qui n’en ont pas ?

La diplo­ma­tie a com­men­cé à qua­li­fier des élé­ments essen­tiels à la vie de » biens com­muns » retra­çant ain­si pour la pre­mière fois une ligne per­met­tant de retrou­ver autant notre inter­dé­pen­dance à leur égard que notre responsabilité.

Les pro­duc­tions du CNDD depuis jan­vier 2003,
consul­tables sur le site du CNDD

•  Pre­mière contri­bu­tion en amont de la Stra­té­gie natio­nale de Déve­lop­pe­ment durable (SNDD), avril 2003
•  Réac­tions à la SNDD, “ Paroles d’acteurs ”, automne 2003 + ver­sion anglaise
•  Avis n° 1 autour du rôle de la recherche, “Quelles pas­se­relles entre sciences et socié­té?”, sep­tembre 2003
•  Avis n° 2 “ Vers une empreinte de Déve­lop­pe­ment durable ”, avis sur 45 indi­ca­teurs, décembre 2003 + ver­sion anglaise
•  Contri­bu­tion pour les orien­ta­tions de la Stra­té­gie natio­nale de bio­di­ver­si­té, “Au nom du vivant ”, avec l’UICN, décembre 2003 + ver­sion anglaise
•  Avis n° 3 autour du rôle des pré­fets pour le Déve­lop­pe­ment durable, mars 2004
•  Contri­bu­tion au débat public rela­tif à la Charte de l’environnement, avril 2004
•  Recueil de fiches “ Ini­tia­tives d’acteurs ”, à l’occasion du Som­met de la Fran­co­pho­nie “ Un espace soli­daire pour le Déve­lop­pe­ment durable ”, novembre 2004
•  Charte de par­ti­ci­pa­tion aux tra­vaux du CNDD, jan­vier 2005
•  Dos­sier d’information du CNDD à l’issue de la pre­mière ses­sion, mars 2005
•  Contri­bu­tion en amont du pro­jet de loi d’orientation agri­cole, mars 2005
•  Avis n° 4 rela­tif au pro­jet de charte d’écoresponsabilité des agents du ser­vice public, mars 2005
•  Avis n° 5 rela­tif au pro­jet de loi d’orientation agri­cole, avril 2005
•  Avis n° 6 “ Échan­ger avec les Fran­çais ”, rela­tif aux infor­ma­tions essen­tielles à four­nir aux Fran­çais sur la poli­tique de Déve­lop­pe­ment durable du gou­ver­ne­ment – février 2006
•  Avis n° 7 “ Regards croi­sés ”, rela­tif à la lec­ture par la socié­té civile et les col­lec­ti­vi­tés des Pro­jets d’action stra­té­gique de l’État en région, (PASER) éta­blis par les pré­fets de région – mars 2006
•  Avis n° 8 rela­tif au deuxième rap­port (2005) de sui­vi de la mise en oeuvre de la Stra­té­gie natio­nale du Déve­lop­pe­ment durable (SNDD) – mars 2006
•  Avis n° 9 rela­tif à la révi­sion de la Stra­té­gie euro­péenne de Déve­lop­pe­ment durable – com­mu­ni­ca­tion de la Com­mis­sion euro­péenne 13 décembre 2005 – mars 2006 – ver­sion fran­çaise et anglaise

Les textes, comme la Charte de l’en­vi­ron­ne­ment consti­tu­tion­nelle depuis 2005, indiquent que l’en­vi­ron­ne­ment est le patri­moine com­mun des êtres humains. La jus­tice a été conduite, lors de dif­fé­rentes catas­trophes, à fixer une valeur au vivant lors de la recherche de res­pon­sa­bi­li­tés et d’in­dem­ni­sa­tions3 pour la dégra­da­tion de res­sources naturelles.

Le droit confère aus­si une valeur au vivant par la déten­tion d’un titre de pro­prié­té. Ce qui met à jour, inver­se­ment, cette qua­li­té de res nul­lius » n’ap­par­te­nant à per­sonne « , de la faune sau­vage par exemple, dont la des­truc­tion n’est prise en charge par per­sonne tant qu’elle n’est pas trans­for­mée en res pro­pria » appar­tient à quel­qu’un « , par exemple à la Nation.

Après une catas­trophe pétro­lière, les pertes (sel, coquillages, pois­sons) ou manques à gagner de telles ou telles pro­fes­sions sont chif­frables, mais on ne sait pas très bien éva­luer, encore moins res­tau­rer, la valeur du vivant non com­mer­cial comme des oiseaux mazou­tés par mil­liers. Qui com­pense leur perte, qui l’in­dem­nise ? Par glis­se­ments suc­ces­sifs, c’est un constat réa­liste, ce qui n’entre pas dans un mar­ché, quel qu’il soit, n’a fina­le­ment pas de valeur représentée.

L’é­co­no­mie fonde ses valeurs sur la rare­té et sur l’ap­par­te­nance à un méca­nisme d’é­changes rému­né­rés. Mais la quan­ti­té des échanges y prime le plus sou­vent sur la nature des échanges et leurs qua­li­tés. L’es­sen­tiel et l’ac­ces­soire y sont à éga­li­té. La valeur du vivant n’y est pas, peu ou mal représentée.

Pire encore, la des­truc­tion de patri­moines natu­rels dès lors qu’elle génère des acti­vi­tés et des flux moné­taires conduit à la comp­ta­bi­li­ser comme une richesse natio­nale entrant dans la mesure du pro­duit inté­rieur brut. Nos sys­tèmes de comp­ta­bi­li­té, en effet, enre­gistrent des des­truc­tions humaines et envi­ron­ne­men­tales coû­tant des mil­liards à la col­lec­ti­vi­té comme des apports de richesses dans la mesure où elles génèrent des acti­vi­tés éco­no­miques expri­mées en mon­naie (par exemple : le débrous­saillage, l’é­la­gage, les répa­ra­tions, lors de la tem­pête de 1999 en France, ou par exemple les répa­ra­tions auto­mo­biles pour les acci­dents de la route).

Ain­si des ins­tru­ments de mesure, qui comp­ta­bi­lisent posi­ti­ve­ment les des­truc­tions évo­quées, guident quo­ti­dien­ne­ment des mil­liers de déci­sions. Car le sys­tème comp­table a été conçu pour enre­gis­trer l’am­pleur des tran­sac­tions éco­no­miques dans un objec­tif de recons­truc­tion après-guerre et non la capa­ci­té d’un sys­tème éco­no­mique, ou d’une Nation, pour les enjeux du siècle, à main­te­nir les dota­tions en res­sources natu­relles, à même de ne pas com­pro­mettre la vie actuelle et celle des géné­ra­tions futures, même si la recherche d’un déve­lop­pe­ment durable a favo­ri­sé la recherche rela­tive à la comp­ta­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale, avec des uni­tés de mesure phy­sique et des comptes moné­taires qui ont été ins­crits dans l’Agen­da 21, ou pro­gramme d’ac­tion pour le xxie siècle, du Som­met de Rio, en 1992.

Nos sys­tèmes de comp­ta­bi­li­té actuels com­mencent par des comptes » satel­lites » et des comptes de patri­moines à ten­ter de mieux iden­ti­fier des comptes liés à la pro­tec­tion sociale ou à l’en­vi­ron­ne­ment, iden­ti­fier les fac­teurs de des­truc­tion, afin de ces­ser de les comp­ter posi­ti­ve­ment. Mais ces comptes n’at­teignent pas le » logi­ciel » du sys­tème mis en place, comme leur nom de » satel­lite » en témoigne. Ain­si ce qu’ils expriment n’entre pas dans le cœur des stra­té­gies et des poli­tiques et reste plu­tôt périphérique.

La réponse usuelle, face aux urgences, pour pré­ser­ver le vivant fut d’a­bord la pré­ser­va­tion et la pro­tec­tion. Face à la nou­velle échelle pla­né­taire des enjeux, la seule pré­ser­va­tion ne pour­ra suf­fire, et la recon­nais­sance d’une valeur au vivant conduit éga­le­ment à réflé­chir aux dis­po­si­tifs qui per­met­traient de mieux orga­ni­ser la ges­tion du vivant c’est-à-dire la rela­tion consciente, per­çue, orga­ni­sée que nous avons avec lui, dans toutes nos activités.

Cette étude de la valeur que cer­tains réfutent est déjà en réa­li­té ins­crite dans les échanges. Les enjeux sont per­cep­tibles autour notam­ment des bre­vets du vivant. Dif­fé­rentes méthodes d’é­va­lua­tion moné­taire du patri­moine natu­rel, indi­rectes ou directes, ont été appro­chées depuis vingt-cinq ans.

L’é­va­lua­tion indi­recte prend en compte moné­tai­re­ment les effets des impacts phy­siques d’une modi­fi­ca­tion de la qua­li­té de l’en­vi­ron­ne­ment comme, par exemple, un déboi­se­ment, un assè­che­ment de zones humides…

Les méthodes d’é­va­lua­tion directe prennent en compte dif­fé­rents élé­ments indi­quant le prix des com­por­te­ments d’adhé­sion ou au contraire d’é­vi­te­ment des citoyens ou acteurs pour des biens, ser­vices ou sites envi­ron­ne­men­taux : prix que des uti­li­sa­teurs sont dis­po­sés à payer par leurs coûts de dépla­ce­ment pour béné­fi­cier d’une res­source ou d’un site envi­ron­ne­men­tal, mesure de l’im­pact d’un pay­sage sur la valeur d’un bien immo­bi­lier, dépenses de pro­tec­tion des indi­vi­dus face à une dégra­da­tion de l’en­vi­ron­ne­ment (démé­na­ge­ment, dis­po­si­tifs anti­bruit, iso­la­tions, fil­trage de l’eau, achats d’eau en bou­teille, etc.).

Valeurs non-marchandes du vivant

Faut-il ne pas faire entrer dans l’é­co­no­mie ou dans des sys­tèmes de com­pen­sa­tion le vivant dont la valeur trans­cende effec­ti­ve­ment les échanges économiques ?

Toutes les méthodes de recherche des valeurs du vivant com­portent des dif­fi­cul­tés tech­niques ou éthiques. Mais refu­ser, par prin­cipe, de ten­ter d’é­va­luer la valeur des biens d’en­vi­ron­ne­ment consiste fina­le­ment à la consi­dé­rer comme nulle et par consé­quent à accep­ter qu’elle soit mino­rée, ou non gérée, ou pas prise en compte dans les bilans, les études, les bilans pré­vi­sion­nels, les nui­sances, les pol­lu­tions, l’é­va­lua­tion des dom­mages causés…

On voit qu’en étu­diant des sys­tèmes de com­pen­sa­tion, d’é­changes, et en fixant une valeur au car­bone, de nou­veaux acteurs, comme les entre­prises dont la capa­ci­té d’ac­tion est par­fois supé­rieure aux États, sont entrés dans la réflexion et dans l’ac­tion, avec des méca­nismes qu’ils com­prennent, sur un objet qui leur était tota­le­ment étranger.

De nou­veaux sec­teurs d’ac­ti­vi­té et de nou­veaux acteurs comme les col­lec­ti­vi­tés locales y entre­ront à terme, démul­ti­pliant une capa­ci­té d’a­gir mieux partagée.

Une ques­tion à débattre devrait être de savoir si faire entrer le vivant dans des méca­nismes d’es­ti­ma­tion de valeurs et de com­pen­sa­tions abou­ti­rait à une meilleure recon­nais­sance qu’ac­tuel­le­ment et donc à une meilleure prise en compte ou au contraire le condui­rait plus encore qu’au­jourd’­hui à sa perte ?

Hors du champ de l’é­co­no­mie, la per­cep­tion de la pré­cio­si­té, de la fini­tude et de la vul­né­ra­bi­li­té désigne sou­vent ce qui a de la valeur. En effet, est-ce que ce qui compte pour nous est ce qui se compte ou plus lar­ge­ment ce qui s’ap­pré­cie ? Mais en ne misant que sur une appré­cia­tion sub­jec­tive et indi­vi­duelle de la valeur du vivant, les constats d’au­jourd’­hui le montrent, nous avons, pour une part, échoué. Il nous faut dès lors chan­ger le ques­tion­ne­ment et l’é­tat d’es­prit pour espé­rer chan­ger de réponses et de solutions.

L’apport de la démocratie

Il s’a­git moins au xxie siècle pour l’Homme d’ex­plo­rer de nou­veaux espaces géo­gra­phiques que pour lui désor­mais d’ex­plo­rer son temps et son ave­nir, la nature de ses pro­grès, les maux qu’il a géné­rés avec les biens, et d’exa­mi­ner sa propre capa­ci­té de des­truc­tion, et la double ques­tion des fins : le sens, la fina­li­té de notre déve­lop­pe­ment actuel et les limites de nos acti­vi­tés et de celles de la pla­nète. De plus, le droit des géné­ra­tions futures est déter­mi­né par nos valeurs d’au­jourd’­hui et ain­si se pose déjà à nous une ques­tion morale, phi­lo­so­phique et juri­dique de responsabilité.

Élé­ments biographiques
Le CNDD est pré­si­dé par Anne-Marie DUCROUX. Issue de la socié­té civile, elle a été nom­mée par le Pre­mier ministre en novembre 2002 pour cette mis­sion de média­tion de la parole des acteurs, au sein de débats contro­ver­sés et très évo­lu­tifs. Son par­cours pro­fes­sion­nel l’a conduite vers le jour­na­lisme, la com­mu­ni­ca­tion et l’édition.
Elle a notam­ment diri­gé Les nou­veaux uto­pistes du Déve­lop­pe­ment durable pour les Édi­tions Autre­ment, choi­sis­sant déjà, dans l’ouvrage, de don­ner la parole à 40 témoins ou acteurs du Déve­lop­pe­ment durable.
Elle a été éga­le­ment membre du Comi­té consul­ta­tif du débat éner­gie, du Conseil d’orientation des tra­vaux pra­tiques de la charte de l’environnement, membre de la Com­mis­sion natio­nale d’orientation du débat du pro­jet de loi d’orientation agri­cole, membre du Comi­té stra­té­gique d’un pro­gramme de recherche de l’Agence natio­nale de la recherche (ANR).
Elle est éga­le­ment membre du Haut Conseil à la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale et du Conseil natio­nal de sécu­ri­té civile.

En posant pour hypo­thèses que l’é­co­no­mie ne serait pas pos­sible par exemple sur une pla­nète dont l’air serait deve­nu irres­pi­rable, l’eau imbu­vable, les sols sté­riles, les res­sources trop rares… et si l’é­co­no­mie se place au ser­vice de fina­li­tés morales et poli­tiques, alors il n’est pas d’é­co­no­mie sans un pas­sage par les valeurs, à pré­ci­ser dans le débat démocratique.

Notre enjeu col­lec­tif aujourd’­hui est de pas­ser de sys­tèmes pure­ment sta­tis­tiques et infor­ma­tifs sur le vivant, à leur uti­li­sa­tion et à la valo­ri­sa­tion des résul­tats au cœur des pro­ces­sus de la déci­sion poli­tique inter­na­tio­nale, natio­nale et territoriale.

La mise en place d’une stra­té­gie natio­nale pour la bio­di­ver­si­té revêt une impor­tance capi­tale pour la France car, d’une part, elle se doit d’être exem­plaire pour la pré­ser­va­tion d’une bio­di­ver­si­té unique au monde dont elle a spé­ci­fi­que­ment la res­pon­sa­bi­li­té et, d’autre part, pour la recon­nais­sance par tous de la valeur socié­tale incluse dans le vivant.

De la com­pré­hen­sion de cette valeur dépen­dra le pas­sage d’une démarche minis­té­rielle à une poli­tique inter­mi­nis­té­rielle, et donc l’in­té­gra­tion de la bio­di­ver­si­té dans toutes les poli­tiques du gouvernement.

De ce signal dépen­dra la mobi­li­sa­tion de tous les acteurs et citoyens pour la pro­tec­tion des espèces et des milieux mena­cés jus­qu’à la nature dite » ordi­naire « , si fami­lière que l’on n’y prête plus attention.

C’est ce qui a conduit le Conseil natio­nal du Déve­lop­pe­ment durable inter­ro­gé, à recom­man­der au gou­ver­ne­ment que le tout pre­mier enjeu d’une stra­té­gie natio­nale de bio­di­ver­si­té devait être d’ou­vrir des réflexions et des débats pour une meilleure recon­nais­sance des valeurs du vivant.

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1. Cf. Mil­le­nium Eco­sys­tem Assess­ment paru en 2005 : seuls 4 des 24 ser­vices éco­lo­giques exa­mi­nés dans le cadre de cette éva­lua­tion ont été déve­lop­pés : l’a­gri­cul­ture, l’é­le­vage, l’a­qua­cul­ture et, au cours des der­nières décen­nies, la séques­tra­tion du car­bone. Par contraste, 15 autres ser­vices ont connu une dégra­da­tion, notam­ment les res­sources halieu­tiques, la pro­duc­tion de bois, l’ap­pro­vi­sion­ne­ment en eau, le trai­te­ment et la détoxi­ca­tion des eaux usées, l’é­pu­ra­tion des eaux, la pro­tec­tion contre les dan­gers natu­rels, la régu­la­tion de la qua­li­té de l’air, du cli­mat régio­nal et local, de l’é­ro­sion, et un grand nombre d’a­van­tages cultu­rels (spi­ri­tuels, esthé­tiques, récréa­tifs et autres).
2. www.developpement-durable.gouv.fr – Pre­mière contri­bu­tion – avril 2003.
3. La com­pa­gnie Exxon a été conduite à payer une indem­ni­té de 1 mil­liard de dol­lars en rai­son des dom­mages cau­sés au patri­moine natu­rel, par exemple.

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