Armée de “nains” ou armée de “géants” ?

Dossier : Entreprise et ManagementMagazine N°588 Octobre 2003
Par Jean-Louis RICHARD (73)

Tom avait enten­du par­ler de ce col­is adressé par le grand patron à chaque nou­veau directeur. Il n’avait jamais pu en savoir plus. Les ini­tiés gar­daient le secret. L’en­voi prove­nait du bureau de Ron, son Prési­dent. C’é­tait main­tenant son tour. L’emballage céda. Une “Matri­ochka” de bois col­oré le dévis­ageait. Elle avait l’al­lure d’un jeune cadre, sim­ple et souri­ant : le mod­èle réduit du respon­s­able de Swen Corp. Il l’ou­vrit. Une sec­onde poupée gigogne apparut, puis une troisième et encore deux autres. Tom songeait à une mau­vaise blague de son équipe lorsqu’une let­tre glis­sa de la plus petite poupée. La sig­na­ture de Ron.

“Tom, te voilà directeur de Swen Corp. Tu crois qu’après tant d’an­nées d’ef­forts tu as fait la plus grande part du chemin. Je t’as­sure que ce qu’il te reste à par­courir est bien plus dif­fi­cile. Je sais que tu y arriveras et voici ce que j’ai à te dire : si tu formes des col­lab­o­ra­teurs plus petits que toi, Swen Corp devien­dra une armée de nains et dis­paraî­tra. Si tu con­tin­ues l’œu­vre de tes aînés et si tu développes des col­lab­o­ra­teurs de plus en plus grands, nous res­terons l’ar­mée de géants que nos clients récom­pensent depuis un demi-siè­cle. Que ces poupées te le rap­pel­lent à chaque instant, longue vie à Swen Corp !”

Cette his­toire vraie — Swen Corp est un nom d’emprunt — illus­tre le secret de réus­site le mieux gardé du monde des affaires. Depuis vingt-cinq ans, j’ai eu la chance de tra­vailler avec des dizaines de dirigeants. Je pen­sais au début que les résul­tats d’une entre­prise prove­naient de sa posi­tion stratégique, de ses pro­duits, de son organ­i­sa­tion, de ses tech­nolo­gies ou de ses parte­nar­i­ats. J’ai dû m’in­clin­er devant les faits : le prin­ci­pal out­il de tra­vail des cadres de direc­tion est tout sim­ple­ment leur per­son­nal­ité. Qu’il s’agisse de créer ou de tir­er par­ti des straté­gies, pro­duits, organ­i­sa­tions et autres fac­teurs de suc­cès, le com­porte­ment de cha­cun et la sol­i­dar­ité des équipes font toute la différence.

Armée de “nains” ou armée de “géants” ?

Quelques entre­pris­es évo­quent l’ar­mée de géants. Leurs dirigeants dévelop­pent des col­lab­o­ra­teurs tou­jours plus forts et respon­s­ables, qui for­ment à leur tour des équipes de haut vol, et ain­si de suite. Pour ces entre­pris­es, il n’ex­iste pas de con­jonc­ture con­traire. Leur crois­sance est régulière, leurs prof­its se jouent des stan­dards de leur secteur et leurs con­cur­rents les envient. Dans des métiers sin­istrés, ce sont les seules qui sur­vivent. Sur des marchés en expan­sion, ce sont les pre­mières à prof­iter de la manne. Chaque généra­tion lègue à la suiv­ante un héritage plus riche.

Le cadre à dévelop­per... Le dirigeant sans limites…
► excelle dans un domaine et défend ses points de vue ► écoute avec mod­estie et s’appuie sur ses réseaux
► se sent au som­met de ses capac­ités et craint la mon­tée en puis­sance de ses collaborateurs ► tra­vaille sur lui pour pro­gress­er et développe à son tour des “ géants ”
► a sou­vent l’impression de jouer un rôle ► est la même per­son­ne en toutes circonstances
► dépend des juge­ments portés sur lui et s’efforce de plaire ► pour­suit sa mis­sion avec opiniâtreté et indépendance
► est ten­du et anx­ieux de réussir ► est calme et confiant
► manoeu­vre selon les cir­con­stances pour arriv­er à ses fins ► tra­vaille en équipe pour attein­dre le but de l’entreprise
► dis­sèque et analyse les rap­ports humains ► nour­rit des liens humains rich­es et profonds
► sait com­ment tir­er par­ti de tous ceux qui peu­vent être utiles ► respecte cha­cun pour la per­son­ne qu’il est
► s’appuie sur ce qu’il sait ► cherche ce qu’il ne sait pas
► se fie aux rap­ports et états de gestion ► dévoile des faits que per­son­ne n’avait vus avant lui
► croit que cha­cun a un niveau qu’il ne peut dépasser ► sent que cha­cun gagne à repouss­er ses limites
► se félicite de ses suc­cès et blâme les autres de ses échecs ► félicite les autres de ses suc­cès et tra­vaille sur ses échecs
► est tou­jours pris et le plus sou­vent en réu­nions formelles ► reste disponible pour cha­cun, sou­vent en réu­nions informelles
► améliore l’existant par actions incrémentales ► trans­forme rad­i­cale­ment et en profondeur
► défend ses intérêts et les avan­tages attachés à sa fonction ► vise l’intérêt col­lec­tif et l’équité à tous les niveaux
► atteint ses objec­tifs et réclame plus de moyens pour faire mieux ► imag­ine l’impossible puis invente les moyens d’y parvenir

D’autres entre­pris­es font penser à une armée de nains. Elles peu­vent acheter les meilleures tech­nolo­gies, pren­dre le con­trôle des meilleurs con­cur­rents, recruter les meilleurs cadres, rien n’y fait. Le poten­tiel de leurs cadres, et donc de leurs futurs dirigeants, reste lim­ité. Dans des con­di­tions nor­males de marché, elles con­som­ment plus de valeur qu’elles n’en pro­duisent. Seules des con­di­tions très favor­ables leur per­me­t­tent de réus­sir. Chaque généra­tion accuse la précé­dente avant de répéter les mêmes erreurs.

Dans les groupes que j’ai observés, une large part de cet effet “géant ou nain” provient de l’é­cart entre les qual­ités néces­saires au cadre pour accéder au comité de direc­tion et celles qui sont atten­dues de lui pour dévelop­per et faire réus­sir son unité. L’en­cadré ci-con­tre illus­tre ces dif­férences : à gauche les cadres à dévelop­per, à droite les dirigeants sans lim­ites. Jim Collins décrit ce phénomène, qu’il bap­tise Lev­el 5 Lead­er­ship, pour expli­quer l’é­cart entre les bonnes entre­pris­es et les très puissantes.

Michel, parfait manager

Michel avait 41 ans et venait d’ac­céder à la direc­tion d’une unité de son groupe. Bons diplômes, tête bien faite, beau­coup d’én­ergie. Un homme de son tal­ent pou­vait juger n’avoir plus rien à appren­dre. Je lui demandai pourquoi il souhaitait se faire coach­er.

Sa réponse fut directe : “Notre groupe doit aujour­d’hui affron­ter un tour­nant dif­fi­cile. Mon nou­veau patron n’a que six ans de plus que moi. Il paraît plus fort et plus bril­lant, mais aus­si plus mod­este et plus opiniâtre que tous mes patrons précé­dents. Je veux trou­ver moi aus­si cette con­fi­ance pro­fonde en moi et mes équipes qui nous per­me­t­tra de réus­sir l’im­pos­si­ble. Face à lui, je décou­vre que j’ai encore un immense chemin à par­courir. Il m’a con­seil­lé de choisir un coach pour tra­vailler sur moi.”

Quelques mois plus tard, Michel était pro­mu et pro­po­sait à ses col­lab­o­ra­teurs de choisir un coach à leur tour. Un an plus tard, l’e­sprit d’équipe et la richesse des rela­tions à haut niveau dans ce groupe n’avaient plus rien de com­mun avec le passé.

Comment réussir des exploits ?

Il arrive qu’une entre­prise soit con­damnée à réus­sir des exploits pour sur­vivre : redress­er en peu de temps son exploita­tion, se renou­vel­er ou chang­er bru­tale­ment de dimen­sion. J’ai tou­jours ren­con­tré, à l’o­rig­ine de ces exploits, une équipe de dirigeants mod­estes et sere­ins, pour­suiv­ant leur mis­sion avec autonomie et opiniâtreté, et très liés entre eux.

Le coach­ing de crois­sance libère les ambi­tions, ren­force les engage­ments et les liens, et aide cha­cun à pro­gress­er avec l’en­tre­prise en se sachant recon­nu et soutenu. Les change­ments pro­fonds sont ren­dus pos­si­bles. Quand quelques cadres se parta­gent la direc­tion d’une unité, c’est la somme de leurs liens humains, en ter­mes de con­fi­ance et de sol­i­dar­ité sur leurs objec­tifs com­muns, qui fait la dif­férence. Les “géants” qui ont tra­vail­lé sur eux pour attein­dre leur équili­bre pro­fes­sion­nel sont à l’é­coute de cha­cun et savent établir des liens rich­es avec leurs pairs et leurs col­lab­o­ra­teurs. Rien n’ar­rête leur progression.

Cadre — coach : une relation fondatrice

Le coach de crois­sance est en rap­port réguli­er avec son client. Il aide à pré­par­er des réu­nions, à men­er des entre­tiens avec d’autres respon­s­ables, à ani­mer des ate­liers de tra­vail, à accom­pa­g­n­er un pro­jet ou à pren­dre une déci­sion déli­cate. Il con­duit son client à tir­er prof­it de chaque nou­velle expéri­ence pour grandir et s’en­richir. Le coach ne juge pas. Il écoute avec une inten­sité par­ti­c­ulière. Il explore en faisant écho à ce qu’il entend. Il perçoit les émo­tions. Son regard per­met de met­tre en lumière des aspects jusqu’alors ignorés des actes de son client et fait sur­gir des oppor­tu­nités inattendues.

Le coach pro­cure au cadre dirigeant la force d’un lien fon­da­teur. Le regard qu’il porte sur son client lui per­met de repouss­er ses lim­ites. C’est dans cette intim­ité pro­fes­sion­nelle et humaine que nais­sent les pra­tiques et les nou­veaux com­porte­ments souhaités.

Le profil du coach, garantie du résultat

Ancien dirigeant, c’est un homme-ressource qui a appris à agir en pro­fondeur pour accélér­er les muta­tions. Il puise dans son expéri­ence pour faire émerg­er les chemins d’ap­pren­tis­sage et les nou­veaux points de vue, sans occu­per la posi­tion d’ex­pert. Son empathie lui per­met de rejoin­dre son client et de l’ac­com­pa­g­n­er dans ce qu’il vit. Il s’ap­puie lui-même sur un tra­vail per­son­nel et un appren­tis­sage de plusieurs années.

Il est tenu à une éthique per­son­nelle et à un strict devoir de con­fi­den­tial­ité pro­fes­sion­nelle et se fait super­vis­er pour main­tenir sa neu­tral­ité et s’améliorer.

Dans l’ex­er­ci­ce de cette pro­fes­sion aux pra­tiques peu cod­i­fiées, il ne s’en­ferme dans aucune école mais étudie en per­ma­nence. Il respecte une déon­tolo­gie rigoureuse : il s’in­ter­dit par exem­ple de coach­er indi­vidu­elle­ment deux cadres tra­vail­lant ensem­ble ou con­cur­rents entre eux. C’est pourquoi de tels coachs inter­vi­en­nent tou­jours en équipe, pra­ti­quant entre eux ce qu’ils appor­tent à leurs clients.

Quels résultats attendre de ce coaching de croissance ?

Après neuf à douze mois des change­ments appa­rais­sent, comme :

  • le com­porte­ment plus sere­in du cadre, sa capac­ité d’é­coute, son ouver­ture aux faits, sa qual­ité de déci­sion, son calme et sa sincère détermination,
  • son équili­bre per­son­nel, sa créa­tiv­ité, sa capac­ité de dis­cerne­ment, son estime de soi, sa sat­is­fac­tion pro­fes­sion­nelle et son désir de construire,
  • le niveau d’am­bi­tion et la clarté des objec­tifs, le ren­force­ment des valeurs et de l’i­den­tité col­lec­tive de l’entreprise,
  • l’in­ten­sité de la com­mu­ni­ca­tion et des liens entre le cadre et ses col­lab­o­ra­teurs, l’au­tonomie, le niveau de con­fi­ance et d’im­pli­ca­tion au sein de ses équipes, le désir d’in­nover et l’én­ergie de con­stru­ire ensemble,
  • et, de proche en proche, les engage­ments, les com­porte­ments indi­vidu­els, la capac­ité de déci­sion et la per­for­mance d’équipe.


Ces résul­tats don­nent envie d’aller plus loin. Lorsque plusieurs respon­s­ables tra­vail­lent à leur tour sur eux, les valeurs de l’en­tre­prise s’af­fir­ment et les effets sur l’or­gan­i­sa­tion se cumu­lent. Le coach­ing devient une dynamique d’en­traîne­ment et un stan­dard de tra­vail en équipe. La crois­sance interne s’ac­célère. L’en­tre­prise change et se développe sur ses marchés qu’elle con­tribue à enrichir. Plus féconde, elle n’a par exem­ple plus for­cé­ment à recruter des nou­velles têtes ou à racheter des con­cur­rents pour brûler leurs ressources.

Comment passer à l’acte ?

Le coach­ing de crois­sance des cadres dirigeants est pro­posé suiv­ant des for­mules d’abon­nement sur six à douze mois. Le client dis­pose d’un accès illim­ité à son coach, en tête-à-tête, au télé­phone et par mail. En pra­tique, les séances de tra­vail durent une à deux heures. Elles sont sou­vent espacées de deux à trois semaines, par­fois moins.

Quelques réseaux mon­di­aux ont établi des stan­dards de qual­ité rigoureux en con­cer­ta­tion avec leurs grands clients. Il est com­mode de s’y référ­er pour établir un con­trat de crois­sance fix­ant les engage­ments réciproques.

Bon voy­age si le cœur vous en dit !

Pour appro­fondir, se reporter aux travaux de Jim Collins sur le “Lev­el 5 Lead­er­ship” ain­si qu’à deux ouvrages :

  • Eliz­a­beth Cof­fey & col­leagues, 10 Things That Keep CEOs Awake, 2003, McGraw-Hill, London,
  • Mar­cus Buck­ing­ham & Curt Coff­man, Man­ag­er con­tre Vents et Marées, 2001, Vil­lage Mon­di­al, Paris.

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