Après l’Euro, la Défense… problème central et vaste programme

Dossier : L'EuropeMagazine N°586 Juin/Juillet 2003Par François BRESSON (56)

Le rap­proche­ment économique des nations européennes a été couron­né par la créa­tion de l’eu­ro. Cet événe­ment his­torique est l’aboutisse­ment d’un demi-siè­cle d’ef­forts, et la man­i­fes­ta­tion écla­tante du suc­cès d’une entre­prise qui n’a pas son équiv­a­lent dans l’his­toire : le rap­proche­ment pro­gres­sif de vieilles nations aux per­son­nal­ités très diverses.

En même temps, bien des aspects de l’ac­tu­al­ité mon­trent toute la fragilité économique et poli­tique de cette Europe encore divisée.

Dans les années et les décen­nies qui vien­nent, ce sont la poli­tique étrangère et la défense, intime­ment liées, qui seront néces­saire­ment au cen­tre de la con­struc­tion européenne. Mal­gré les pro­grès récents, incon­testa­bles, la tâche est immense car l’essen­tiel reste à faire. Mais il est pos­si­ble de trac­er dès aujour­d’hui quelques pistes et de planter quelques jalons sur la route du possible.

La politique étrangère et la défense au centre de la construction européenne

Par rap­port à d’autres moments de son his­toire, et en par­ti­c­uli­er au XXe siè­cle, l’Eu­rope sem­ble peu men­acée de l’ex­térieur, et rel­a­tive­ment paci­fiée à l’in­térieur. Elle pour­rait être ten­tée de faire l’im­passe sur les prob­lèmes de défense. Or, ceux-ci vont s’im­pos­er sans ménage­ments dans le débat insti­tu­tion­nel, diplo­ma­tique et poli­tique, on peut en être certain.

D’abord, c’est un aboutisse­ment his­torique­ment naturel. L’Eu­rope est dev­enue un géant économique, à la fois par l’am­pleur de son marché intérieur, par ses capac­ités d’in­vestisse­ment, et, main­tenant, par l’im­por­tance de “sa” mon­naie. Elle est encore un nain poli­tique et mil­i­taire. Une telle dis­tor­sion n’est pas saine et tend tou­jours à se réduire, comme le mon­tre l’ex­em­ple du Japon que sa puis­sance économique amène à “trich­er” de mille façons avec la lim­i­ta­tion con­sti­tu­tion­nelle de son bud­get mil­i­taire à 1 % du PIB qui lui a été imposée en 1945. Il y a une cohérence naturelle entre la puis­sance économique qui engen­dre des intérêts (et donc des vul­néra­bil­ités) dis­per­sés dans le monde, et la puis­sance poli­tique et mil­i­taire qui per­met de les pro­mou­voir et de les pro­téger ; en sens inverse, c’est bien la puis­sance économique et finan­cière qui per­met de con­stru­ire les capac­ités mil­i­taires et d’ac­tion internationale.

Ensuite, par­mi les Quinze ou par­mi les can­di­dats à l’élar­gisse­ment, il est clair que deux con­cep­tions de l’Eu­rope sont en présence, dont aucune n’a encore totale­ment gag­né la par­tie. Entre l’Europe-puis­sance à la française, acteur majeur de la vie inter­na­tionale au niveau mon­di­al, et l’Europe-zone de libre-échange (peut-on dire à la bri­tan­nique ?), le critère essen­tiel de dif­féren­ci­a­tion est le rôle que l’on fait jouer à la poli­tique étrangère, à la défense et au domaine mil­i­taire. C’est dire que toutes les prochaines étapes (con­tenu de la Con­sti­tu­tion européenne, con­di­tions et lim­ites de l’élar­gisse­ment) seront pro­fondé­ment mar­quées par la façon dont seront traitées les ques­tions de défense.

Enfin, de même que sur le plan économique, l’Eu­rope a fait un grand pas lorsqu’elle s’est affir­mée d’une seule voix dans les négo­ci­a­tions de l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale du com­merce (OMC) par­fois même face aux États-Unis, de même l’Eu­rope poli­tique n’ex­is­tera que dans la mesure où les Européens décideront de ne plus déter­min­er leurs posi­tions stratégiques exclu­sive­ment au sein de l’Al­liance atlan­tique sous la houlette des États-Unis. Et seuls les pro­grès européens dans tous les domaines de la défense per­me­t­tront cette autonomie de déci­sion et d’action.

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Ajou­tons une remar­que. À notre époque plus encore que durant la guerre froide, les ques­tions mil­i­taires, les prob­lèmes de défense et de sécu­rité, et le vaste domaine des rela­tions inter­na­tionales sont étroite­ment liés : il ne saurait y avoir de fron­tières étanch­es entre ces préoc­cu­pa­tions dans un monde com­plexe et mou­vant, face à des risques qui s’en­tre­croisent et des men­aces poten­tielles qui interagissent.

Des progrès récents et substantiels

Après l’échec de la CED en 1954, une très longue péri­ode de stag­na­tion est mar­quée par une prépondérance absolue de l’OTAN comme lieu de dis­cus­sion des ques­tions de défense, et l’en­dormisse­ment cor­rélatif de l’U­nion de l’Eu­rope occi­den­tale (UEO) née du traité de Brux­elles, antérieur à celui de Washington.

Les choses recom­men­cent à bouger après la chute du Mur.

Le traité de l’U­nion européenne (TUE) de Maas­tricht (1992) “affirme l’i­den­tité européenne sur la scène inter­na­tionale” et institue une struc­ture à trois piliers, dont le deux­ième est la Poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune (PESC). Il est mod­i­fié par le traité d’Am­s­ter­dam en 1997, qui men­tionne comme mis­sions de l’UE les “mis­sions de Peters­berg1″, prévoit la nom­i­na­tion d’un haut représen­tant pour la PESC, assisté d’un out­il d’analyse et de prévi­sion, et donne une com­pé­tence accrue au Con­seil européen en matière de sécu­rité et de défense. Pro­gres­sive­ment est affir­mé le rap­proche­ment de l’UEO et de l’UE.

Une nette accéléra­tion du proces­sus fait suite à la déc­la­ra­tion fran­co-bri­tan­nique de Saint-Malo (4 décem­bre 1998) : la PESC doit s’ap­puy­er sur des capac­ités opéra­tionnelles crédi­bles. Le Con­seil européen de Cologne en 1999 pré­cise : “L’U­nion doit dis­pos­er d’une capac­ité d’ac­tion autonome soutenue par des forces mil­i­taires crédi­bles, avoir les moyens de décider d’y recourir et être prête à le faire, sans préju­dice des actions entre­pris­es par l’OTAN.” Celui d’Helsin­ki en fin 1999 a vrai­ment com­mencé à abor­der le concret :

  • adop­tion comme “objec­tif glob­al” de l’UE de l’ac­qui­si­tion de la capac­ité de pro­jeter en moins de soix­ante jours l’équiv­a­lent d’un corps d’ar­mée (50 000 à 60 000 hommes) et de le main­tenir au moins un an, accom­pa­g­née des capac­ités en ter­mes de com­man­de­ment, de con­trôle, de ren­seigne­ment, de logis­tique, d’ap­puis aérien et naval ;
  • créa­tion des organes poli­tiques et mil­i­taires permanents :
    — le Comité poli­tique et de sécu­rité (COPS) qui traite de la PESC et se trou­ve, en temps de crise, sous l’au­torité du Con­seil, chargé du con­trôle poli­tique et de la direc­tion stratégique de l’opération ;
    — le Comité mil­i­taire, com­posé des chefs d’é­tat-major des armées, représen­tés par leur délégué militaire ;
    — l’É­tat-major, chargé de l’alerte, de l’analyse et de la plan­i­fi­ca­tion stratégique, à l’ex­clu­sion de tout rôle opérationnel.


Le tout a trou­vé sa con­créti­sa­tion dans la con­férence sur les capac­ités organ­isée durant la prési­dence française du sec­ond semes­tre 2000 et dans le traité de Nice (2000), qui a en out­re décidé le trans­fert à l’UE des organ­ismes de ges­tion de crise de l’UEO2. Si bien qu’en fin 2001 le Con­seil européen de Laeken déclarait “l’opéra­tionnal­ité de la PESC” : “Grâce à la pour­suite du développe­ment de la Poli­tique européenne de sécu­rité et de défense (PESD, par­tie de la PESC), au ren­force­ment de ses capac­ités civiles et mil­i­taires et à la créa­tion en son sein des struc­tures appro­priées, l’U­nion est désor­mais capa­ble de con­duire des opéra­tions de ges­tion de crise”

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Durant cette même péri­ode, les indus­tries d’arme­ment opéraient en Europe de très impor­tantes restruc­tura­tions, en par­ti­c­uli­er dans les secteurs aéro­nau­tique, spa­tial et élec­tron­ique3. Deux traités ont en out­re accom­pa­g­né cette évo­lu­tion : celui de l’Or­gan­isme con­joint de coopéra­tion en arme­ment (OCCAR, 1996) pour amélior­er l’ef­fi­cac­ité des pro­grammes en coopéra­tion (dont le pre­mier sera l’avion de trans­port mil­i­taire A400M), et la Let­ter of Intent (Lo I, 2000) pour har­monis­er les régle­men­ta­tions nationales et favoris­er l’ex­is­tence d’un vrai marché transna­tion­al de l’arme­ment. Cet effort ne con­cerne, au départ, que les pays les plus intéressés, c’est-à-dire ceux qui dis­posent d’une indus­trie d’arme­ment : out­re la France, l’Alle­magne, l’Es­pagne, l’I­tal­ie, le Roy­aume-Uni et la Suède. Il est des­tiné à s’é­ten­dre à tout pays volontaire.

Pour mémoire, car les vraies dif­fi­cultés n’ont jamais été à ce niveau, les mesures de coopéra­tion pure­ment mil­i­taires sont nom­breuses, depuis les unités ou états-majors multi­na­tionaux (brigade fran­co-alle­mande, Euro­corps, Euro­for, Euro­mar­for, etc.), les exer­ci­ces inter­ar­mées et inter­na­tionaux, les mul­ti­ples échanges d’of­ficiers4 et d’unités.

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Sur le ter­rain, les réal­i­sa­tions suiv­ent aus­si une pente croissante :

  • l’É­tat-major de l’Eu­ro­corps a assuré la relève de l’OTAN comme noy­au d’É­tat-major de la KFOR au Koso­vo en avril 2000 ;
  • l’UE con­duit la mis­sion de police en Bosnie, à la suite de l’ONU, depuis jan­vi­er 2003 ;
  • l’UE doit, à par­tir du mois d’avril, assur­er la relève en Macé­doine de l’opéra­tion de l’OTAN ;
  • il pour­rait en être de même pour la Bosnie (2004), opéra­tion beau­coup plus importante.

Un long chemin à parcourir

Il serait cat­a­strophique que l’opin­ion ignore ou sous-estime ces pro­grès, qui parais­saient encore hors de portée il y a dix ans. Inverse­ment, il faut bien avoir con­science que seule a été faite une toute petite par­tie de chemin et que les dif­fi­cultés sont nombreuses.

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Trois impass­es majeures ont pour le moment été faites.

Toutes les mesures insti­tu­tion­nelles ou mil­i­taires ne con­cer­nent jusqu’à présent que la ges­tion de crise et la lutte con­tre le ter­ror­isme. Une vraie poli­tique de défense com­mune n’est encore qu’un souhait, et la “défense col­lec­tive” au sens plein du terme est tou­jours explicite­ment traitée dans le cadre de l’Al­liance atlantique.

Les rap­ports avec l’OTAN sont lais­sés dans un cer­tain flou artis­tique. En par­ti­c­uli­er, les Européens n’ont tou­jours pas affir­mé dans les faits que leur désir d’au­tonomie allait jusqu’à pou­voir agir sans les moyens de l’OTAN ; on dit le plus sou­vent “avec ou sans les moyens de l’OTAN” ; en out­re, le terme même “moyens de l’OTAN” est ambigu, puisque à pro­pre­ment par­ler ces moyens sont très peu nom­breux (essen­tielle­ment les avions AWACS), et que le terme désigne donc des moyens améri­cains affec­tés à l’OTAN.

À défaut d’une poli­tique étrangère com­mune, qui ne peut être qu’un but loin­tain, la déf­i­ni­tion de straté­gies (par­tielles) com­munes, pour­tant prévue au traité d’Am­s­ter­dam, n’a guère avancé, ce qui laisse donc l’UE sans per­spec­tive d’ac­tion vrai­ment cohérente, là même où elle en aurait les moyens.

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À vrai dire, ces impass­es sont la con­séquence de dif­fi­cultés plus pro­fondes qui seront longues à surmonter

La pre­mière tient à la nature même de la con­struc­tion européenne. Les dif­férents pays, leurs gou­verne­ments, leurs par­lements, leurs médias et leurs opin­ions publiques ont des per­cep­tions tout à fait dif­férentes, mar­quées par l’his­toire et la géo­gra­phie, de leur place et de leur avenir dans le monde. Ces diver­gences por­tent sur l’analyse des risques et des enjeux, mais aus­si sur le rôle que doit ou non tenir l’Eu­rope dans le monde de demain. Les Européens sont loin de s’ac­corder sur leurs ambitions.

Les diver­gences con­cer­nent aus­si leurs rela­tions avec les États-Unis, et leurs rela­tions avec leurs voisins européens. Le cas anglais est bien con­nu “l’At­lan­tique est-il vrai­ment plus large que la Manche ?” mais il est vrai aus­si que l’Alle­magne, jusqu’à la présente crise, n’en­vis­ageait pas de pou­voir con­trari­er les États-Unis, et que plusieurs “petits pays” s’ac­com­mod­ent du “grand frère” d’outre-Océan, mais red­outent d’avoir à faire à un ou des “petits grand frères” en Europe même ! Il est sig­ni­fi­catif que, dans l’ar­ti­cle 17 du traité de Nice qui pré­cise le con­tenu de la PESC, l’OTAN soit cité trois fois.

La timid­ité de l’UE est égale­ment induite par ses capac­ités finan­cières. Mal­gré les efforts soutenus par les Anglais, le total des bud­gets d’arme­ment des Quinze fait à peine la moitié du bud­get améri­cain, et celui-ci a en out­re l’a­van­tage d’être piloté par une autorité poli­tique unique, face à une indus­trie nationale unique. La France vient de décider dans la dernière loi de pro­gram­ma­tion mil­i­taire de redress­er la barre ; encore faut-il qu’elle main­ti­enne et accentue cet effort dans la durée, et qu’elle soit suiv­ie par l’ensem­ble des Européens.
Toutes ces dif­fi­cultés risquent d’être encore accrues par l’élar­gisse­ment, qui con­cerne pour l’essen­tiel des pays en dif­fi­cultés économiques, et qui, comme la Pologne, ne voient pas leur sécu­rité dans le cadre de l’UE mais dans celui de l’OTAN et de la garantie américaine.

Par où commencer ? Quelques jalons pour l’avenir proche

Il est mal­gré tout pos­si­ble d’a­vancer, à con­di­tion d’être réal­iste (tout n’est pas pos­si­ble aujour­d’hui), mais con­cret et volon­tariste : c’est tou­jours ain­si que l’Eu­rope a avancé dans le passé, et il est sûr qu’il fau­dra beau­coup de temps pour par­venir à traiter les vrais prob­lèmes de défense dans toute leur ampleur.

Logo des "EuroDéfense"

Les “ EuroDéfense ” for­ment un réseau d’associations nationales qui sont réu­nies par la pour­suite du même objec­tif, la pro­mo­tion d’un “ esprit européen de défense ”, et par la recon­nais­sance d’un même prési­dent fon­da­teur, le Français Pierre Schwed. À ce jour, elles exis­tent dans 10 pays (par ordre de créa­tion : France, Alle­magne, Ital­ie, Espagne, Pays- Bas, Bel­gique, Roy­aume-Uni, Por­tu­gal, Autriche, Lux­em­bourg) et ont voca­tion à s’élargir à l’ensemble de l’UE.

Depuis 1995 un con­grès annuel les rassem­ble qui a eu lieu suc­ces­sive­ment à Paris, Pots­dam, Madrid, Flo­rence, La Haye, Paris, Lon­dres, Lis­bonne, et aura lieu en 2003 à Bonn.

Leur tra­vail en com­mun se traduit par des com­mu­ni­ca­tions publiques sous divers­es formes, qui visent à rap­procher les per­cep­tions nationales des prob­lèmes et à sug­gér­er les mesures à pren­dre pour les pro­grès de l’Europe de la Défense.

“ EuroDéfense-France ”, quant à elle, regroupe des per­son­nal­ités dont beau­coup exer­cent ou ont exer­cé des respon­s­abil­ités impor­tantes touchant à la défense, dans le domaine mil­i­taire ou dans le domaine civ­il, pub­lic ou privé.

Out­re le con­grès inter­na­tion­al, plusieurs man­i­fes­ta­tions sont pro­posées chaque année aux adhérents, qui reçoivent par ailleurs un bul­letin d’information.

B.P. 44, 00445 Armées ; télé­phone-télé­copie 01.44.42.42.15 ; eurodefense-France@wanadoo.fr

Quelques propo­si­tions peu­vent illus­tr­er les prin­ci­paux remèdes à met­tre en œuvre. Elles sont en grande par­tie tirées de la con­tri­bu­tion que les asso­ci­a­tions “EuroDéfense” (cf. encadré) ont adressée à la Convention.

Ce sont en tout cas les résul­tats obtenus par la Con­ven­tion qui fixe­ront pour l’avenir si, dans quelle mesure, et à quelle échéance, les objec­tifs évo­qués ci-dessous pour­ront être atteints.

1. Doter l’Union d’un concept stratégique

Si on souhaite que la Poli­tique étrangère et de sécu­rité com­mune (PESC) n’en reste pas aux “principes et ori­en­ta­tions générales” (TUE, arti­cle 13.1), il faut par­venir à une analyse com­mune des intérêts, des enjeux, des risques et des men­aces, ain­si qu’à une stratégie. La mise en chantier d’un Livre blanc de l’U­nion européenne per­me­t­trait d’a­vancer dans cette réflex­ion, tout en en infor­mant les citoyens.

Un bon début serait de don­ner un vrai con­tenu aux “straté­gies com­munes” prévues à Ams­ter­dam5. Dans le même esprit, la prési­dence actuelle­ment tour­nante du COPS devrait être con­fiée au haut représentant.

2. Rendre possible la constitution d’une “avant-garde” de certains États

Les avancées les plus impor­tantes de l’Eu­rope ont sou­vent été engagées par des dis­po­si­tions per­me­t­tant à cer­tains États de pro­gress­er dans la coopéra­tion sans que tous s’as­so­cient dès le début à leur démarche ; c’est le cas des accords de Schen­gen, ou même de l’euro.

Pour le moment, ces “coopéra­tions ren­for­cées” sont exclues dans le domaine de la défense. Les autoris­er sous une forme ou sous une autre per­me­t­trait de con­tin­uer à avancer, sans se laiss­er engluer dans un sys­tème à 15 ou 26.

3. Dépasser les seules “missions de Petersberg” et commencer la marche vers une défense commune

Si la con­di­tion précé­dente est réal­isée, cer­tains pays au moins pour­raient dépass­er le niveau actuel de coopération.
La défense col­lec­tive pour­rait, pour eux, être inté­grée au dis­posi­tif de l’UE, en reprenant les oblig­a­tions du traité de l’UEO : ils iraient alors vers une défense com­mune au sens plein du terme, impli­quant une totale sol­i­dar­ité poli­tique et militaire.

4. Créer une politique harmonisée de conception, production et acquisition d’armements deviendrait elle aussi possible

Elle impli­querait sans doute une cer­taine con­ver­gence des bud­gets d’arme­ment en ter­mes de pour­cent­age du PIB, mais aus­si la créa­tion d’une véri­ta­ble Agence européenne de l’arme­ment, et un effort con­certé dans le domaine de la recherche6 (mise en place d’un bud­get européen à cette fin, gou­verné par une struc­ture européenne ad hoc).

5. Créer un État-major opérationnel complétant la chaîne de commandement purement européenne et évitant de devoir utiliser un état-major OTAN

Il est pos­si­ble de le créer de toutes pièces, ou de prévoir l’in­tereu­ropéani­sa­tion à la demande d’un état-major national.

En conclusion

Au moment où sont rédigées ces lignes, la crise iraki­enne est encore en pleine évo­lu­tion. À cette occa­sion, de nom­breuses frac­tures sont apparues ou se sont appro­fondies entre Européens, ain­si qu’en­tre cer­tains Européens et les États-Unis.

Il est encore trop tôt pour en éval­uer avec cer­ti­tude les con­séquences quant à la con­struc­tion européenne.

Les plus pes­simistes diront que ces oppo­si­tions ne sont pas près d’être oubliées, que la con­struc­tion européenne va s’en trou­ver ralen­tie, y com­pris l’élar­gisse­ment, voire que l’e­spoir d’une Europe-puis­sance s’est défini­tive­ment envolé.

Les opti­mistes rap­pelleront que ce n’est pas la pre­mière fois que de sévères débats opposent les Européens les uns aux autres et que l’Eu­rope a tou­jours pro­gressé à tra­vers des crises. Et ils con­stateront au con­traire que cer­tains ver­rous his­toriques ont sauté (pour la pre­mière fois, l’Alle­magne a dit non aux États-Unis) et que les opin­ions publiques sont plus unanimes que les gou­verne­ments. Il y a là deux élé­ments encour­ageants, même s’il faut bien recon­naître que les raisons n’en sont pas tou­jours sat­is­faisantes (paci­fisme de principe, choix de pure poli­tique intérieure, etc.).

Le prin­ci­pal objec­tif des Européens doit être de tir­er le meilleur par­ti de ces événe­ments en por­tant des juge­ments équilibrés :

  • recon­naître à la fois leurs diver­gences diplo­ma­tiques et poli­tiques, et la con­ver­gence de leurs intérêts et de leurs aspi­ra­tions à une cer­taine autonomie dans un monde multipolaire ;
  • réaf­firmer sans cesse que si la con­struc­tion européenne peut con­duire à cer­taines con­cur­rences avec les États-Unis, elle ne se fait pas con­tre eux. Sur le long terme his­torique, il y a place pour un parte­nar­i­at égal­i­taire de part et d’autre de la “mare nos­trum” du troisième mil­lé­naire que con­stitue l’Atlantique.


Le dernier mot de cette per­spec­tive pour­rait être emprun­té à la Let­tre aux jeunes Européens rédigée l’été dernier par un sémi­naire de 70 étu­di­ants et jeunes pro­fes­sion­nels de 9 pays7 : “L’Eu­rope doit repren­dre son des­tin en main, car nous, Européens, devons pro­mou­voir notre pro­pre modèle.”

Sur ce chemin, les pro­grès accom­plis dans le domaine de la Défense seront désor­mais la plus exacte mesure du degré d’a­vance­ment de la con­struc­tion européenne tout entière.

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1 - Mis­sions human­i­taires, d’é­vac­u­a­tion, de main­tien de la paix, et des forces de com­bat pour la ges­tion des crises y com­pris le rétab­lisse­ment de la paix.
2 - Y com­pris l’In­sti­tut d’é­tudes de sécu­rité, et le cen­tre satel­li­taire de Torrejon.
3 - Ce qu’il est con­venu d’ap­pel­er “arme­ment ter­restre” échap­pant large­ment à ces mouvements.
4 - Sait-on, par exem­ple, qu’il arrive dans des groupes de tra­vail de l’OTAN que la France soit représen­tée par un offici­er alle­mand en poste dans notre État-major des Armées, ou inversement ?
5 - Instru­ment impor­tant, une “stratégie com­mune” est un ensem­ble d’ob­jec­tifs, durée et moyens à fournir par les pays.
6 - Recherch­es de base et Études technologiques.
7 - Organ­isé par les EuroDéfense et l’as­so­ci­a­tion nationale des audi­teurs jeunes de l’I­HEDN, ce sémi­naire a fait l’ob­jet d’un compte ren­du dans le numéro de jan­vi­er 2003 de la revue Défense Nationale, qui pub­lie égale­ment le texte de la Lettre.

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