Anton Bruckner : Symphonies nos 4, 6, 8

Anton Bruckner : Symphonies nos 4, 6, 8

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°783 Mars 2023
Par Marc DARMON (83)

Voici de remar­quables inter­pré­ta­tions des Sym­phonies nos 4, 6, 8 d’An­ton Bruck­n­er. Sergiu Celi­bidache a été incon­testable­ment un des plus grands chefs d’orchestre du XXe siè­cle. Sa notoriété, moin­dre que d’autres géants (Kara­jan, Solti, Kleiber, Furtwän­gler…), vient de l’absence totale d’enregistrements offi­ciels, Celi­bidache ayant hor­reur du disque. Les témoignages qu’il nous reste sont exclu­sive­ment des enreg­istrements de con­cert, par con­séquent con­nus seule­ment des spé­cial­istes et absents des cat­a­logues des grandes maisons de disques.

Son dédain pour l’enregistrement vient très naturel-lement de sa con­cep­tion de la musique et du son : une lec­ture « hor­i­zon­tale » de la musique qui fait ressor­tir l’architecture de l’œuvre, mais avant tout une atten­tion portée « ver­ti­cale­ment » au son instan­ta­né lui-même, qui demandait des équili­bres très sophis­tiqués des pupitres et un temps de répéti­tion impor­tant pour s’adapter aux dif­férentes acous­tiques. Et naturelle­ment des tem­pos qui per­me­t­tent au son de s’épanouir comme il le souhaitait, donc dépen­dant de l’acoustique de la salle.

Cette descrip­tion très sim­pli­fiée, de ce qui était en fait une vision qua­si mys­tique du rôle de l’interprète, per­met de com­pren­dre pourquoi la pos­si­bil­ité de repro­duc­tion illim­itée d’un événe­ment unique, et encore plus celle d’enregistrement avec une dégra­da­tion inévitable du son entre le con­cert orig­i­nal et le disque, sont des notions aux antipodes de la vision musi­cale de Celi­bidache. Ses inter­views mon­trent com­ment il assim­i­lait ratio­nal­ité – des études poussées de math­é­ma­tiques, de physique, d’acoustique et d’harmonie – et subjectivité.

Mais la vision de Celi­bidache ne serait qu’anecdote, si elle ne s’accompagnait pas d’une sub­lime capac­ité d’interprétation musicale.

Le com­pos­i­teur pour lequel Celi­bidache est recon­nu comme incon­tourn­able est Anton Bruck­n­er. Ce com­pos­i­teur autrichien laisse à sa mort unique­ment une dizaine de sym­phonies – seules neuf sont offi­ciel-lement numérotées, comme chez Beethoven, Schu­bert, Dvořák, Mahler –, un Te Deum et trois Mess­es. Ses sym­phonies, toutes sur la même struc­ture héritée de Beethoven, dévelop­pent une orches­tra­tion wag­néri­enne assez impressionnante.

Des œuvres mon­u­men­tales, claire­ment adap­tées au « sys­tème » Celi­bidache. Tous les enreg­istrements publics de Celi­bidache des sym­phonies de Bruck­n­er sont mar­qués par des tem­pos très amples et une ten­sion très forte. Les tem­pos extrême­ment larges de Celi­bidache don­nent à enten­dre une foule de détails qui échap­pent à l’oreille dans d’autres ver­sions plus clas­siques (Jochum, Böhm, Kara­jan). Il y a une musi­cal­ité, une pro­fondeur d’expression et une puis­sance pure et sim­ple dans cette per­for­mance qui est vrai­ment stupé­fi­ante et nous sommes sub­mergés par une spir­i­tu­al­ité qui éclaire et ennoblit. Il s’agit d’une véri­ta­ble intel­li­gence musi­cale, signe du génie.

En par­ti­c­uli­er, Celi­bidache et son dernier orchestre, le Phil­har­monique de Munich, sont en feu dans ces enreg­istrements de Bruck­n­er. Et, si les tem­pos sont lents (par exem­ple 82 min­utes pour la Qua­trième Sym­phonie, con­tre 68 min­utes pour la ver­sion de référence de Karl Böhm à Vienne), les sym­phonies ray­on­nent avec une inten­sité éclatante.

Nous avons ici le mae­stro roumain en forme, même s’il se déplace dif­fi­cile­ment et dirige assis. Il était au moment des enreg­istrements en poste à Munich depuis env­i­ron qua­tre ans et il avait déjà mod­elé l’orchestre à son goût – il les félicite d’ailleurs dis­crète­ment à la fin de la Qua­trième Sym­phonie. Nous sommes con­fron­tés à des ver­sions pro­fondes, dans le style mys­tique et tran­scen­dant auquel nous a habitués le mae­stro. Sa lenteur car­ac­téris­tique sem­ble tou­jours naturelle, car Celi­bidache est unique dans l’utilisation du temps. Ses équili­bres dans l’exposition hor­i­zon­tale et ver­ti­cale de la musique, étab­lis­sant une logique expres­sive unique entre la régu­la­tion dynamique du son et le tem­po util­isé, sem­blent magiques.

Vous l’avez com­pris, des inter­pré­ta­tions médi­ta­tives, majestueuses, infinies, qui ne lâchent pas le spec­ta­teur, et une ten­sion qui ne tombe jamais sous la direc­tion mirac­uleuse de Celibidache.

L’orchestre est superbe, avec notam­ment un cor solo fan­tas­tique. Des DVD fantastiques.


Orchestre Phil­har­monique de Munich, Sergiu Celibidache

3 DVD Sony, 1 DVD Arthaus


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