Coffret DVD Anton Bruckner

Anton Bruckner : les 9 symphonies

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°763 Mars 2021
Par Marc DARMON (83)

Orchestre Phil­har­monique de Berlin, direc­tion Sir Simon Rat­tle, Sei­ji Oza­wa, Chris­t­ian Thiele­mann, Mariss Jan­sons, Zubin Mehta, Her­bert Blom­st­edt, Bernard Haitink, Paa­vo Järvi

Cof­fret Berlin­er Phil­har­moniker Recordings

Un mag­nifique cof­fret, pour le débu­tant, pour l’amateur éclairé et pour le spé­cial­iste. Toutes les sym­phonies de Bruck­n­er (com­posées de 1865 à 1896) par le plus bel orchestre du monde, avec les chefs d’orchestre qui ont fait sa gloire dans les vingt dernières années. En disque com­pact et en Blu-ray vidéo haute déf­i­ni­tion, et avec un texte de présen­ta­tion des œuvres et des artistes qui fait hon­neur à l’édition musi­cale. Notons aus­si une inter­view filmée pas­sion­nante des chefs d’orchestre, notam-ment de Rat­tle par­lant du final recon­sti­tué de la dernière sym­phonie, ou de Paa­vo Järvi et Chris­t­ian Thiele­mann racon­tant com­ment ils se sont nour­ris au Bruck­n­er d’Herbert von Karajan.

L’œuvre de Bruck­n­er est somme toute très réduit : onze sym­phonies achevées, une demi-douzaine de mess­es, un Te Deum, un quin­tette. En revanche il a de nom­breuses fois retra­vail­lé et révisé ses sym­phonies, et le choix de la ver­sion à inter­préter est un réguli­er casse-tête pour les édi­teurs et les interprètes.

La ver­sion de la Troisième Sym­phonie que nous voyons ici est pas­sion­nante car il s’agit de la ver­sion orig­i­nale de 1873 de cette œuvre dédiée (et dédi­cacée) à Wag­n­er. La ver­sion que l’on joue habituelle­ment, révi­sion de 1877, est la pre­mière qui ait été éditée et créée. Une créa­tion qui a été en 1877 un échec total (le jeune Mahler était dans la salle, à Vienne), les spec­ta­teurs par­tant en nom­bre au cours du pre­mier mou­ve­ment. Les con­nais­seurs ont beau­coup lu et enten­du que la ver­sion orig­i­nale de 1873 inté­grait de nom­breuses cita­tions de Wag­n­er, élim­inées lors des révi­sions suc­ces­sives. Quel plaisir de pou­voir enfin décou­vrir cette ver­sion orig­i­nale. Et quelle sur­prise ! En effet ce que l’on entend (et voit) est effec­tive­ment très dif­férent de l’œuvre habituelle­ment jouée. Le pre­mier mou­ve­ment est par exem­ple bien plus long, avec des phras­es très mod­i­fiées. Les sec­ond et dernier mou­ve­ments sont égale­ment assez dif­férents de ce que l’on entend d’ordinaire. La direc­tion très lis­i­ble d’un Her­bert Blom­st­edt, doyen des chefs d’orchestre à l’heure où sont écrites ces lignes, dirigeant assis, con­tribue à faire de cette sym­phonie une expéri­ence mémorable. La Six­ième Sym­phonie, dirigée par un Mariss Jan­sons sere­in deux ans avant son décès, est aus­si la ver­sion orig­i­nale (de 1881), mais peu dif­férente des ver­sions de musi­co­logues Haass et Nowak de cinquante ans postérieures que l’on joue habituellement.

L’autre grande orig­i­nal­ité de ce cof­fret est la ver­sion com­plète de la neu­vième et dernière sym­phonie, sur laque­lle tra­vail­lait Bruck­n­er en mourant. Beethoven, Schu­bert, Dvořák n’ont édité que neuf sym­phonies. C’est le cas égale­ment de Bruck­n­er. On sait d’ailleurs que c’est par peur de cette « malé­dic­tion » que Mahler a décidé de faire suiv­re sa Huitième Sym­phonie par une fausse sym­phonie, le fameux Chant de la Terre, pen­sant déjouer le des­tin (en vain, car Mahler mour­ra après sa Neu­vième Sym­phonie, lais­sant une Dix­ième Sym­phonie très inachevée). On ne joue tra­di­tion­nelle­ment que les trois pre­miers mou­ve­ments de la Neu­vième de Bruck­n­er, le dernier mou­ve­ment étant usuelle­ment con­sid­éré comme non inter­prétable. Mais sir Simon Rat­tle, directeur du Phil­har­monique de Berlin à l’époque de l’enregistrement, explique qu’il a man­qué moins de deux mois à Bruck­n­er pour achev­er sa sym­phonie, et que 600 sur 630 mesures que l’on joue sont d’une façon ou d’une autre de Bruck­n­er. Ce final recon­sti­tué jusqu’en 2010 est rarement joué et inter­prété, il est pour­tant indis-pens­able pour ressen­tir l’impression d’arche, de cathé­drale, que con­stitue cette Neu­vième Sym­phonie, les thèmes du pre­mier mou­ve­ment revenant dans le final, comme pour la Sep­tième de Mahler dix ans plus tard.

Naturelle­ment, le spé­cial­iste peut regret­ter que cet objet musi­cologique excep­tion­nel inté­grant les ver­sions orig­i­nales des Sym­phonies nos 3 et 6 et la ver­sion com­plétée de la Sym­phonie n° 9 ne com­prenne pas égale­ment les deux Sym­phonies de jeunesse, numérotées 0 et 00. Mais ces sym­phonies pour­tant très bruck­néri­ennes ne sont jamais don­nées en concert.

Tout le cof­fret est mag­nifique naturel-lement, citons aus­si une pais­i­ble Qua­trième Sym­phonie, « roman­tique », dirigée en 2014 par un Bernard Haitink de 85 ans, la direc­tion majestueuse et autori­taire de Chris­t­ian Thiele­mann dans la célèbre Sep­tième Sym­phonie et une Huitième archi-roman­tique par Zubin Mehta.

Mag­nifique.

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