Rusalka

Anton Dvořák : Rusalka

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°773 Mars 2022
Par Marc DARMON (83)

Il est rare de voir deux pro­duc­tions du même opéra aus­si opposées l’une de l’autre. L’opéra Rusal­ka (1901) com­posé par Dvořák qua­tre ans avant sa mort, inspiré de La Petite Sirène d’Andersen (1837) mais avec bien plus de développe­ments, per­met cette lec­ture à deux niveaux dif­férents, comme Bruno Bet­tel­heim l’a mon­tré pour tout con­te de fées.

Au Met de New York en 2017, la pro­duc­tion d’Otto Schenk qui date de 1987 est comme d’habitude élé­gante et belle, avec des décors et des cos­tumes par­faite­ment adap­tés au con­te de fées ; les ondines nagent dans l’étang, dans des cos­tumes que Walt Dis­ney n’aurait pas répudiés. Beaux décors et cos­tumes, totale­ment pre­mier degré, lim­ite kitsch. Et une présen­ta­tion pour les spec­ta­teurs faite comme sou­vent par une diva mai­son, ce soir-là la grande mez­zo Susan Gra­ham. L’ondine Rusal­ka, jeune et naïve, souhaite décou­vrir le monde des humains en accep­tant comme sort de per­dre sa voix. Très orig­i­nal con­cept pour un opéra de ren­dre muette son héroïne et diva pen­dant un acte et demi. Pour­tant l’œuvre est mag­nifique, avec des mélodies et des leit­mo­tivs envoû­tants. Et musi­cale­ment la ver­sion du Met est mag­nifique, le chef Yan­nick Nézet-Séguin, chef du Met depuis main­tenant trois ans, fait frémir son orchestre de ses rythmes aqua­tiques. Mais surtout la star de la soirée est Renée Flem­ing. La sopra­no améri­caine est à la fois pili­er du Met depuis trente ans et la spé­cial­iste du rôle qu’elle a enreg­istré plusieurs fois et incar­né à Paris égale­ment. Elle est mag­nifique dans ces airs, notam­ment sa célèbre romance à la lune, un tube qui l’accompagne partout. Le ténor Piotr Beczała est superbe égale­ment dans le rôle du prince sans émo­tion. La sopra­no Emi­ly Magee, en tant que princesse étrangère, fait des appari­tions vocale­ment impressionnantes.

À Munich, quel con­traste ! L’ambiance change du tout au tout, dans un univers de sexe et de vio­lence. Le met­teur en scène autrichien Mar­tin Kušej en a fait ici une lec­ture par­faite­ment cohérente mais aus­si très dérangeante. Nous sommes en plein thriller psy­chologique et le met­teur en scène a par­ti­c­ulière­ment tra­vail­lé la direc­tion d’acteurs ; le résul­tat est vrai­ment remar­quable. Au sec­ond degré, les ondines sont de pau­vres filles enfer­mées dans le sous-sol humide d’un souteneur mafieux. La sor­cière jeteuse de sort est l’épouse du prox­énète et notre héroïne Rusal­ka souhaite décou­vrir le monde extérieur, mais décou­vre la dureté du monde mod­erne et revient dans son univers ini­tial avec ses sœurs. La mise en scène, les décors, les cos­tumes sont nat­u­ral­istes et font même crain­dre au début une cer­taine laideur dont les pro­duc­tions alle­man­des, et mal­heureuse­ment trop sou­vent parisi­ennes, sont cou­tu­mières, crainte heureuse­ment vite dis­sipée. Cette pro­duc­tion, mod­erne et dérangeante, par­faite­ment réussie, béné­fi­cie de l’abattage de la superbe Kris­tine Opo­lais, qui est for­mi­da­ble­ment expres­sive et qui réus­sit une prouesse de présence sur scène, y com­pris pen­dant l’heure et demie où elle est muette. Le ténor alle­mand Klaus Flo­ri­an Vogt est lui aus­si remar­quable, prince veule et ardent à la fois.

Pour décou­vrir Rusal­ka « clas­sique », priv­ilégiez le Met. Mais pour les amoureux de l’opéra, et de cet opéra, ayez les deux.


Un DVD ou Blu-ray Dec­ca, Renée Flem­ing, Emi­ly Magee, Piotr Beczała, Met­ro­pol­i­tan Opera, Yan­nick Nézet-Séguin

Un DVD ou Blu-ray C Major, Kris­tine Opo­lais, Klaus Flo­ri­an Vogt, Opéra de Bavière

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