André Gougenheim (1920N)

André Gougenheim (1920N), un ingénieur hydrographe juif pendant l’occupation

Dossier : Le Grand Magnan 2017Magazine N°727 Septembre 2017
Par Olivier HERZ (X79)


André Gou­gen­heim (1920N)

À sa dis­pa­ri­tion en mars 1975, il a lais­sé un impor­tant volume d’archives (per­son­nelles, scien­ti­fiques et poly­tech­ni­ciennes), res­tées intou­chées jusqu’au décès de son épouse en sep­tembre 2013. 

J’ai pu scan­ner et conser­ver envi­ron deux mille docu­ments, avant de faire don de ces archives au nom de la famille (École poly­tech­nique, Aca­dé­mie de marine, Musée d’art et d’histoire du judaïsme). 

La vie et l’œuvre de mon grand-père ayant été rap­pe­lées, entre autres, par Hen­ri Lacombe (1933) dans La Jaune et la Rouge n° 303, le pré­sent article du dos­sier « les X dans la guerre » a pour objet de don­ner quelques éclai­rages sur une période moins connue de sa vie, celle de la Seconde Guerre mondiale. 

UN INGÉNIEUR DE LA MARINE, OFFICIER DOUBLÉ D’UN BRILLANT SAVANT

Né à Paris en 1902 dans une modeste famille juive ori­gi­naire d’Alsace, André Gou­gen­heim est admis à l’École poly­tech­nique en 1920 en 12, en sor­tie d’hypotaupe. À sa sor­tie de l’X en 1922, il opte pour le corps des ingé­nieurs hydro­graphes. En 1923–1924, il est sur la Jeanne d’Arc en com­pa­gnie d’Honoré d’Estienne d’Orves (1921), dont le jour­nal de cam­pagne a d’ailleurs été publié récem­ment (http://bit.ly/HdEdO).

André Gou­gen­heim se marie en 1931 et est bien­tôt père de Jacques-Hen­ri (52) et de Marie-Jeanne (Mme Ber­trand Herz, X 51). 

Il par­ti­cipe à plu­sieurs mis­sions hydro­gra­phiques sur les côtes de France et d’outremer (Dji­bou­ti, Indo­chine, Tuni­sie, Afrique occi­den­tale fran­çaise, Bas-Congo), ain­si qu’à des opé­ra­tions inter­na­tio­nales de révi­sion des lon­gi­tudes mon­diales (Alger, San Diego). 

“ Il deviendra un spécialiste des marées mondialement connu ”

Il en tire des articles scien­ti­fiques mais il exerce aus­si son acti­vi­té en navi­ga­tion (cor­rec­tion d’inclinaison dans les son­dages au plomb-pois­son), en astro­no­mie géo­dé­sique (emploi de l’astrolabe à prisme, obser­va­tion des hau­teurs égales, obser­va­tions de pas­sage) et en géo­dé­sie (emploi des coor­don­nées Lam­bert et azi­mu­tales, repré­sen­ta­tion plane). 

Il assure en outre le cours d’astronomie du Ser­vice hydro­gra­phique de la Marine de 1932 à 1939. Après la guerre, il devien­dra un spé­cia­liste des marées mon­dia­le­ment connu et joue­ra un rôle majeur dans le Comi­té natio­nal fran­çais de géo­dé­sie et de géo­phy­sique qu’il pré­si­de­ra pen­dant quatre ans. 

En 1939 viennent la guerre, puis la débâcle et l’occupation. Au début de 1940, André Gou­gen­heim est nom­mé au port de Tou­lon, où il dirige le Ser­vice de contrôle des appa­reils d’acoustique sous-marine. 

SOUS LE COUP DES LOIS RACIALES DE VICHY

Le 22 octobre 1940, un cour­rier du Ser­vice cen­tral hydro­gra­phique relo­ca­li­sé à Vichy lui demande de faire savoir si la loi du 3 octobre 1940 concer­nant le sta­tut des Juifs lui est per­son­nel­le­ment appli­cable. André Gou­gen­heim répond par l’affirmative le 25 octobre 1940. 

“ L’arrêté du 21 décembre 1940 le met à la retraite d’office ”

Quelques jours après la nais­sance de son troi­sième enfant, Mar­tine (Mme Jean-Fran­çois Lévy, X 59), l’arrêté du 21 décembre 1940 le met à la retraite d’office. Sa pen­sion mili­taire de la Marine lui sera ver­sée, à Tou­lon puis en Dor­dogne, jusqu’à sa réin­té­gra­tion à la fin 1944. 

Le signa­taire du cour­rier du 22 octobre, Hen­ri Cathe­nod (1905), lui avait adres­sé une lettre manus­crite l’avant-veille : « Mon cher Gou­gen­heim, vous avez cer­tai­ne­ment vu dans les jour­naux les tristes mesures qui sont sus­cep­tibles d’entamer votre brillante car­rière d’hydrographe. J’ai déjà étu­dié la ques­tion pour trou­ver les moyens de vous main­te­nir en situa­tion, le moyen le plus nor­mal est de vous décla­rer comme de juste indis­pen­sable à l’hydrographie… »

Care d'identité Gougenheim avec tampon juif

MIS EN RETRAITE PAR LA MARINE, MAIS DÉCLARÉ INDISPENSABLE

Le chef du Ser­vice cen­tral hydro­gra­phique André-Marie Cour­tier (1896) et Hen­ri Cathe­nod obtiennent du secré­taire d’État à la Marine l’autorisation de signer un contrat de tra­vail de trois ans renou­ve­lable, qui entre en vigueur le 1er février 1941. Dans ce cadre, André Gou­gen­heim est notam­ment char­gé d’un cours sur le maté­riel d’acoustique sous-marine à l’usage des offi­ciers élèves de l’École des trans­mis­sions des forces de haute mer. 

Le 31 juillet 1941, la pré­fec­ture du Var enre­gistre la « décla­ra­tion d’appartenance à la reli­gion israé­lite » des cinq membres de la famille Gou­gen­heim et le tam­pon « juif » est appo­sé sur leurs cartes d’identité. Le 11 novembre 1942, l’armée alle­mande enva­hit la zone dite « libre ». Le 27 novembre 1942, André Gou­gen­heim assiste, des hau­teurs du Mou­rillon, au sabor­dage de la flotte puis il se réfu­gie avec sa famille en Dor­dogne, d’abord à Sar­lat puis à Domme. 

Le 24 décembre, Hen­ri Cathe­nod, deve­nu chef du Ser­vice cen­tral hydro­gra­phique, lui écrit offi­ciel­le­ment « étant don­né les cir­cons­tances et la situa­tion nou­velle de la Marine fran­çaise votre contrat […] est rési­lié de plein droit ». Peu après, il lui confie la rédac­tion d’un cours de géo­dé­sie pour la for­ma­tion des ingé­nieurs hydro­graphes, œuvre qui fera date. 

Jusqu’à la Libé­ra­tion en 1944, la Marine lui confie­ra divers tra­vaux scien­ti­fiques, notam­ment des tra­duc­tions, et à cet effet le rému­né­re­ra et le décla­re­ra aux assu­rances sociales. 

l’arrêté du 21 décembre 1940 sur le statut des juifs au sein de la Marine

jugé indispensable à l’hydrographie, André Gougenheim signe un contrat de trois ans.

 
Ci-contre : l’arrêté du 21 décembre 1940.

Ci-des­sus : jugé indis­pen­sable à l’hydrographie, André Gou­gen­heim signe, le 30 jan­vier 1941, un contrat de trois ans renouvelable.

LE « LIEUTENANT-COLONEL FRANÇOIS »

En paral­lèle, André Gou­gen­heim est actif dans les maquis de la Dor­dogne, sous la cou­ver­ture de « lieu­te­nant-colo­nel Fran­çois ». Mau­rice Lou­pias, dit « Ber­ge­ret », chef de la Résis­tance en Dor­dogne-Sud, atteste qu’« il eut à exer­cer le com­man­de­ment dans des condi­tions par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles, fai­sant preuve en toutes cir­cons­tances d’un sang-froid sans défaillance et de rares qua­li­tés de chef. M. Gou­gen­heim est un résis­tant par­ti­cu­liè­re­ment méritant ». 

RÉINTÉGRÉ ET DÉCORÉ

La Dor­dogne est libé­rée par les FFI le 22 août 1944. Le 30 sep­tembre 1944, un ordre des FFI pro­meut André Gou­gen­heim au grade d’ingénieur hydro­graphe en chef de 1re classe, ce que confirme sa réin­té­gra­tion par le ministre de la Marine le 30 octobre 1944. 

L’auteur remer­cie Jacques-Hen­ri Gou­gen­heim (52) pour sa relec­ture atten­tive et ses apports. 

La famille Gou­gen­heim regagne Paris en jan­vier 1945 et s’installera dans l’appartement du repré­sen­tant de Vichy au Cana­da, réqui­si­tion­né par la République. 

Par décret du 9 mai 1946, André Gou­gen­heim est pro­mu offi­cier de la Légion d’honneur : « Rayé des cadres en 1940 par le Gou­ver­ne­ment de fait, a ren­du de pré­cieux ser­vices dans la Résistance. » 

POST-SCRIPTUM DE L’AUTEUR

Cet article se veut la description courte et factuelle du parcours d’un ingénieur de la Marine, officier doublé d’un brillant savant, dans une période troublée et complexe sur laquelle il faut s’abstenir de tout manichéisme. La Marine avait mis André Gougenheim à la retraite d’office mais en même temps lui versait une pension et avait tenu à continuer à s’attacher ses services.
La famille Gougenheim a gardé son nom, était visible et sa résidence était connue de la Marine. Même si la Dordogne fut une terre de résistance (http://memoires-resistances.dordogne.fr/), la famille Gougenheim vivait sous la menace nazie (http://judaisme.sdv.fr/histoire/shh/dordogne/).

Laissez-passer FFI

Ordre n°1853 des FFI

Brassard FFI

André Gou­gen­heim est actif dans les maquis de la Dor­dogne, sous la cou­ver­ture de « lieu­te­nant-colo­nel François ».

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