Pierre Pène

Le destin singulier de Pierre Pène (20S), Compagnon de la Libération

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°765 Mai 2021
Par Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

Un de nos 33 glo­rieux Com­pa­gnons de la Libé­ra­tion (dont 12 hono­rés à titre post­hume), Pierre Vic­tor Pène a eu un des­tin éton­nant, que son fils Oli­vier Pène retrace dans un livre de plus de 600 pages rem­pli d’anecdotes, fruit de plu­sieurs années de recherches, qui vient de paraître chez Vérone Édi­tions. L’occasion de reve­nir sur un par­cours poly­tech­ni­cien hors normes.

Pierre est né en 1898 à Paris d’un père employé des che­mins de fer, ori­gi­naire de Cier-de-Rivière (Haute-Garonne) et d’une mère nor­mande, pro­fes­seur de pia­no. Il est reçu à l’X en 1917, mais n’y entre que dans la pro­mo 20 Spé­ciale, après avoir fait une guerre brillante dans l’artillerie et avoir per­du son frère Hen­ri, mort pour la France en 1918.

Ingénieur des Ponts

Sor­ti de l’X dans les Ponts et Chaus­sées, Pierre effec­tue en 1924–1925 un stage d’hydrologie à Gre­noble où il ren­contre sa future épouse Fran­çoise Lévy-Neu­mand, orphe­line de guerre, appa­ren­tée à la phi­lo­sophe Simone Weil. Elle se conver­ti­ra au catho­li­cisme pour ne pas déplaire à ses futurs beaux-parents et lui don­ne­ra deux filles, Flo­rence et Annette, et deux gar­çons, Hen­ri-Didier et Oli­vier, l’auteur de cette bio­gra­phie. Ses mémoires post­humes ont été publiées en 2013 sous le titre Fran­çoise Pène, La vie d’une femme résis­tante (cf. La Jaune et la Rouge d’août-septembre 2015, p. 89).

Pierre est ensuite affec­té à Mada­gas­car, puis devient ingé­nieur en chef des tra­vaux publics d’Éthiopie (1930−33), direc­te­ment rat­ta­ché au Négus Hai­lé Sélas­sié. Il passe ensuite trois ans à Paris comme secré­taire de la pre­mière sec­tion du Conseil géné­ral des ponts et chaus­sées, avant d’être nom­mé ingé­nieur en chef d’arrondissement à Sois­sons jusqu’en 1941. Lors de la « drôle de guerre », il est affec­té comme capi­taine au 3e régi­ment d’artillerie colo­niale, puis au ser­vice des Routes de la VIIe armée, diri­gée par le géné­ral Giraud, envoyée en Bel­gique pour ten­ter de s’opposer à l’avance alle­mande avant de se replier pré­ci­pi­tam­ment vers le sud de la France, au lieu de res­ter pro­té­ger Sedan.

Résistant

Comme pour beau­coup de Fran­çais, la débâcle de 1940 est un choc ter­rible pour Pierre. Avec André Boul­loche (34) et Jean Ber­tin (19S), qui seront tous deux nom­més Com­pa­gnons de la Libé­ra­tion, il rejoint l’OCM (Orga­ni­sa­tion civile et mili­taire de la Résis­tance) et son réseau de ren­sei­gne­ments Cen­tu­rie, puis l’Armée secrète, dans les Ardennes et l’Aisne, qui font par­tie de la zone dite inter­dite, avec divers pseu­do­nymes (Taille, Péri­co, Por­tet, Poin­tis). Il se cache début 1944 à Paris après l’arrestation de son chef Roland Far­jon (Dufor) et devient, avec le grade de colo­nel, ins­pec­teur régio­nal des FFI (Forces fran­çaises de l’intérieur, nou­veau nom de l’Armée secrète) en rem­pla­ce­ment de Roger Coquoin qui vient d’être arrê­té et tué (une plaque à la mémoire de Roger Coquoin et de Pierre Pène a été inau­gu­rée en juin 2019 devant le n° 4, rue des Frères-Périer, à Paris).

Son délé­gué mili­taire régio­nal est André Boul­loche, qui est arrê­té en jan­vier 1944 et est rem­pla­cé par André Ron­de­nay (33), qui sera arrê­té en juillet 1944 et fusillé, et sera nom­mé Com­pa­gnon de la Libé­ra­tion à titre post­hume. De nom­breux autres membres de son réseau sont arrê­tés début 1944, dont son chef le colo­nel Tou­ny, fusillé peu après. Pierre est arrê­té le 4 avril 1944, por­teur de 800 000 francs en billets neufs et de papiers com­pro­met­tants. Tor­tu­ré par la Ges­ta­po rue des Saus­saies, il est envoyé à Fresnes puis à Saint-Quen­tin et à Sen­lis, dont il réus­sit à s’évader avec Roland Far­jon le 10 juin 1944, moyen­nant un poi­gnet cas­sé. Par mesure de rétor­sion, le même jour, sa femme Fran­çoise est arrê­tée avec toute sa famille et incar­cé­rée à Fresnes pen­dant six semaines.

Commissaire de la République

Retour­né clan­des­ti­ne­ment à Paris, Pierre reprend contact avec l’OCM et est nom­mé le 28 juin 1944, sur pro­po­si­tion d’Émile Laf­fon et Michel Debré, com­mis­saire de la Répu­blique pour la Picar­die et les Ardennes, et rejoint avec peine Saint-Quen­tin avec un ordre de mis­sion signé du géné­ral de Gaulle. Fixés par une ordon­nance du 10 jan­vier 1944, en vue de contrer les pro­jets d’une admi­nis­tra­tion amé­ri­caine (AMGOT), les pou­voirs de ces 18 com­mis­saires, sortes de super-pré­fets, étaient énormes, mais ils se sont atté­nués pro­gres­si­ve­ment jusqu’à leur sup­pres­sion en mars 1946 après la démis­sion du géné­ral de Gaulle.

Gouverneur du pays de Bade

Sur l’insistance de De Gaulle et avec l’appui de Chur­chill, une petite zone d’occupation avait été attri­buée à la France dans le sud-ouest de l’Allemagne. Diri­gée par le géné­ral Kœnig assis­té d’Émile Laf­fon, puis par André Fran­çois-Pon­cet, elle était divi­sée en quatre régions, dont le pays de Bade dont Pierre est nom­mé gou­ver­neur à l’été 1946, avec ses bureaux à Fri­bourg-en-Breis­gau et son domi­cile à Umkirch, dans le châ­teau de Hohen­zol­lern ayant appar­te­nu à Sté­pha­nie de Beau­har­nais. J’aurai le plai­sir d’y pas­ser les étés 1948 et 1949, et d’y faire ain­si la connais­sance de Pierre Pène, qui se fai­sait appe­ler « Excel­lence », et de toute sa famille, dont l’auteur de la bio­gra­phie, alors blon­di­net de 5–6 ans ! Pierre res­te­ra à ce poste jusqu’à l’été 1952, bien que l’occupation se soit ter­mi­née en sep­tembre 1949, avec la pro­cla­ma­tion de la RFA.

Le château d’Umkirch, résidence de Pierre Pène

Une reconversion décevante

De retour à Paris, Pierre espère trou­ver un poste impor­tant, à la Haute Auto­ri­té de la CECA, pré­sident d’EDF ou gou­ver­neur géné­ral de Mada­gas­car. Il sera déçu car tous ces postes lui échappent mal­gré ses émi­nents états de ser­vice. Il sera membre de la délé­ga­tion fran­çaise à l’AG de l’ONU (1952), super­ex­pert au minis­tère de la Recons­truc­tion (1953), membre du cabi­net de Cha­ban-Del­mas aux tra­vaux publics dans l’éphémère cabi­net Men­dès France (1954), conseiller du gou­ver­ne­ment moné­gasque pour les tra­vaux publics (1955−1960), ins­pec­teur géné­ral des Ponts et Chaus­sées (1960−1965), puis membre du Comi­té d’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. 

Vic­time d’un infarc­tus puis d’un can­cer, il s’éteint en 1972, lais­sant der­rière lui son épouse, morte en 1997, et une pos­té­ri­té de 33 per­sonnes encore vivantes en 2020. 

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