Alphonse Grange (25) 1906–2001

Dossier : ExpressionsMagazine N°570 Décembre 2001Par : Max VIGNES (27)

Alphonse Grange nous a quit­tés le 5 mai dernier. C’é­tait un très grand mon­sieur, d’une intel­li­gence supérieure et d’une dis­cré­tion sans égale. C’é­tait par excel­lence un catal­y­seur de tal­ents, un rassem­bleur d’hommes.

Il est né à Annecy le 1er août 1906.
Il intè­gre en 1923 le lycée Jan­son de Sail­ly. Il y est si bril­lant qu’il a droit au ” Tableau d’hon­neur de la Saint- Charlemagne “.

Il fut reçu à l’X dès qu’il s’y présen­ta en 1925, et dans les tout pre­miers. Mais il tom­ba malade à la fin de la pre­mière année et fut mis en con­gé pour un an. Il revient accom­plir sa deux­ième année avec la pro­mo­tion 1926. Il sor­tit de l’é­cole 3e sur 232 élèves. L’A­cadémie des sci­ences lui décer­na le prix Riv­ot. Il opta pour les Ponts et Chaussées. Il accom­plit alors son année de ser­vice mil­i­taire comme sous-lieu­tenant du génie à Hus­sein Bey en Algérie, où il réalise une superbe route de montagne.

En 1929, il entra à l’É­cole nationale des ponts et chaussées.

En 1931, il en sort ” major ” avec une moyenne telle qu’elle lui vaut des félic­i­ta­tions excep­tion­nelles du directeur de l’É­cole et du min­istre des Travaux publics. Il est alors affec­té au port de Bor­deaux. Il y restera jusqu’en 1950. Survint la guerre, il reste ” affec­té spé­cial ” au port de Bordeaux.

De 1942 à 1944, il est ” sol­dat sans uni­forme des Forces français­es com­bat­tantes “, agent du réseau Jade ami­cal. Le ser­vice des ren­seigne­ments des ” Allied Forces Head­quar­ters ” a témoigné : ” A ren­du les plus grands ser­vices pour les ren­seigne­ments très impor­tants et très pré­cis qu’il a four­nis d’une façon con­tin­ue tant sur les mou­ve­ments de car­gos et des sous-marins que sur les fortifications. ”

Le respon­s­able alle­mand du port était depuis 1941 le Hafen­com­man­dant Küh­ne­mann, un homme cour­tois et affa­ble. Le lun­di 21 août 1944, une let­tre en forme d’ul­ti­ma­tum est envoyée à l’ami­ral com­man­dant la Kriegs­ma­rine de l’ouest de la France.

C’est alors que Grange a par­ticipé avec suc­cès à trois vis­ites suc­ces­sives au com­man­dant du port en vue d’éviter la destruc­tion des quais. Le 22 août, un block­haus avait explosé et des tirs avaient été échangés entre FFI et forces alle­man­des. Le 23, nou­veaux tirs. Le 24, dix-huit car­gos sont sabor­dés dans le chenal. Une dernière démarche est entre­prise auprès du com­man­dant alle­mand que l’on con­va­inc de 1’inutilité de détru­ire les quais. Ce dernier, vis­i­ble­ment ému, con­sent à ne pas don­ner suite aux ordres réitérés qu’il avait reçus et dont il vient d’obtenir l’an­nu­la­tion. Le repli des sol­dats alle­mands s’achève le dimanche 27 août, sans incident.

Le 25 jan­vi­er 1945, Grange est pro­mu cheva­lier de la Légion d’hon­neur. En 1947, il est nom­mé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, directeur du port autonome de Bor­deaux. En 1948, il reçoit la ” Médaille de la Com­mé­mora­tion française de la guerre 1939–1945 ” et il est pro­mu ” cheva­lier de l’or­dre du Mérite maritime “.

Le 3 mai 1950, Grange est mis en disponi­bil­ité, engagé par la Com­pag­nie Uni­verselle du Canal Mar­itime de Suez, pour devenir l’ingénieur en chef du Ser­vice des travaux, en rési­dence à His­ma­lin, en Égypte, avec le souhait qu’il soit encore en fonc­tion en 1968 pour négoci­er un éventuel renou­velle­ment de la concession.

De 1952 à 1956, il dirige l’en­tre­tien, l’ex­ploita­tion et les travaux neufs intéres­sant le canal, les routes, le matériel flot­tant, les ate­liers et mag­a­sins de Port-Fouad, les car­rières de l’Ata­ka, les bâti­ments (bureaux et loge­ments), les usines des eaux et les cen­trales électriques.

Il dirige l’exé­cu­tion du VII­Ie pro­gramme des travaux d’amélio­ra­tion du canal, qui per­me­t­tent le pas­sage des pétroliers de 40 000 tonnes. Grange a pré­paré le IXe pro­gramme des travaux des­tinés à per­me­t­tre le pas­sage nor­mal en con­voi de pétroliers de 60 000 tonnes, pro­gramme qui sera exé­cuté, après la nation­al­i­sa­tion de 1956, par l’or­gan­isme égyp­tien suc­cesseur de la Com­pag­nie, qui tint à en féliciter Grange.

Cette même année, Grange revint en mis­sion à Port-Saïd, lors de l’ex­pédi­tion mil­i­taire de Suez, inter­rompue, comme l’on sait, en plein élan, ce qui fait qu’il ne peut pas faire grand- chose.

J. Georges Picot, directeur général de la Com­pag­nie, lui pro­pose de devenir son adjoint dans la nou­velle société en quoi se trans­for­mait la Com­pag­nie du Canal. Mais Grange s’ex­cuse. La perte du canal avait été pour lui un tel déchire­ment qu’il man­quait de courage pour rester tra­vailler rue d’Astorg.

À la tête de la Société Sogei, en 1957, il exerce la fonc­tion d’ingénieur con­seil. Il effectue alors de nom­breuses mis­sions à l’é­tranger (USA, Angleterre, Amérique du Sud, Moyen-Ori­ent, Afrique, Espagne…).

Il par­ticipe à de nom­breuses opéra­tions d’ingénierie, notamment :

  • divers­es cen­trales thermiques,
  • réseaux d’in­ter­con­nec­tions au Sahara,
  • réseau du trans­port de gaz de hauts fourneaux,
  • divers­es instal­la­tions pour le CEA et le CNES,
  • études prélim­i­naires du tun­nel sous la Manche,
  • divers amé­nage­ments hydroélec­triques à la Réu­nion, sur le Zam­bèze (bar­rage de Kari­ba), en Argen­tine, en Uruguay, en Colom­bie, au Pérou,
  • con­trôles tech­niques des travaux financés par le Fed, notam­ment ceux du chemin de fer transcamerounais.


Il n’avait passé que six ans en Égypte. Et pour­tant, ” Ces années avaient été pour moi très rich­es, exal­tantes et heureuses. Je n’au­rais pas voulu y retourn­er ” à la sauvette “, par dig­nité d’abord mais aus­si par cour­toisie envers les respon­s­ables actuels du Canal. ” Il y fut invité et reçu très cour­toise­ment en 1981 par la nou­velle direc­tion égyptienne.

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