Roger Coquand (25) 1906–2001

Dossier : ExpressionsMagazine N°574 Avril 2002Par : Claude ABRAHAM (51)

Avec la mort de Roger Coquand, c’est une par­tie de l’his­toire du Corps des Ponts, et de l’his­toire de la route en France, qui dis­paraît. Tous ceux qui ont eu le priv­ilège de l’ap­procher, comme pro­fesseur, comme directeur des routes et de la cir­cu­la­tion routière, comme prési­dent de sec­tion, puis vice-prési­dent du Con­seil des Ponts, comme vice-prési­dent de la SNCF, ont été durable­ment mar­qués par cet homme excep­tion­nel. Il a su, avant d’autres, mieux que d’autres, pressen­tir, accom­pa­g­n­er, provo­quer les évo­lu­tions, voire les révo­lu­tions qui ont mar­qué le domaine routi­er et autorouti­er à la fin des années 50 et au début des années 60.

Il avait, en par­ti­c­uli­er, pressen­ti l’ex­plo­sion de la cir­cu­la­tion routière qui allait accom­pa­g­n­er les ” trente glo­rieuses ” et il en avait, avant d’autres, mesuré les con­séquences, et fait ce qu’il fal­lait pour obtenir les moyens per­me­t­tant d’y faire face. En dépit des décep­tions qui ont suivi la créa­tion du Fonds spé­cial d’in­vestisse­ments routi­er, il avait com­pris que sa créa­tion si elle n’é­tait pas, en fait, un engage­ment incon­di­tion­nel d’af­fecter à la route des crédits pro­por­tion­nels aux tax­es pétrolières, n’en représen­tait pas moins un engage­ment de la classe poli­tique de lancer de grands travaux routiers et autoroutiers pour accom­pa­g­n­er, et même précéder la recon­struc­tion du pays après les années dra­ma­tiques de la guerre, et il n’avait cessé de se bat­tre pour que l’en­tre­tien des routes nationales, leur développe­ment en rase cam­pagne mais égale­ment, au même rythme, leur développe­ment en zone urbaine per­me­t­tent de faire face à l’ex­plo­sion du nom­bre de déplacements.

Pour la rase cam­pagne, il avait lancé les cam­pagnes de revête­ments en enrobés, les ren­force­ments coor­don­nés et les mis­es hors gel. Pour les autoroutes, il avait été l’av­o­cat du péage : ” plutôt des autoroutes à péage que pas d’au­toroutes ” ; il avait soutenu la créa­tion des sociétés d’é­conomie mixte, fait adopter un pre­mier pro­gramme, ambitieux pour l’époque, de 2 000 km d’au­toroutes, et doté simul­tané­ment le ser­vice spé­cial des autoroutes des moyens humains et matériels per­me­t­tant de faire face au change­ment du rythme des constructions.

L’en­vi­ron­nement n’é­tait pour­tant pas très favor­able : il citait volon­tiers, sous le nom ” d’en­chante­ment du Ven­dre­di saint “, la déci­sion d’un célèbre min­istre des Finances qui, après avoir par­cou­ru pen­dant le week-end de Pâques, entre Vienne et Valence, une RN 7 qua­si déserte, avait don­né l’or­dre de reven­dre les ter­rains acquis pour con­stru­ire l’au­toroute… qui accueille aujour­d’hui plus de soix­ante mille véhicules par jour.

Ce tech­ni­cien de la route, qui respec­tait pro­fondé­ment les déci­sions poli­tiques, tout en se don­nant les moyens de les influ­encer, ou en tout cas de leur faire pren­dre en compte les con­traintes tech­niques, avec un mélange de cour­toisie respectueuse et de tran­quille obsti­na­tion, avait un humour aigu et cor­rosif, admirable­ment illus­tré par cette fameuse ” autoroute cir­cu­laire du général Durant “, dont l’ob­jet était de met­tre à mal quelques idées reçues sur le sché­ma autorouti­er et sur l’usage du péage.

Ce grand ingénieur était avant tout un homme d’ou­ver­ture : c’est la com­mis­sion qu’il a présidée qui a, après de longs mois d’é­tudes, don­né un avis favor­able à la con­struc­tion du TGV entre Paris et Lyon.

Son esprit d’ou­ver­ture s’é­tait éten­du à la sphère inter­na­tionale : dans le cadre de l’As­so­ci­a­tion inter­na­tionale per­ma­nente des con­grès de la route, (AIPCR), dont il avait été prési­dent de 1969 à 1976, il avait été à la fois un ardent défenseur de la pen­sée tech­nique et la langue tech­nique français­es, tout en œuvrant pour ouvrir la prési­dence de l’as­so­ci­a­tion à l’in­ter­na­tion­al, après une suc­ces­sion inin­ter­rompue de prési­dents français depuis 1908, ce qui a per­mis de don­ner une dimen­sion réelle­ment mon­di­ale à cet organisme.

Sa com­pé­tence, sa curiosité d’e­sprit, son humour, son éton­nante mémoire, mais égale­ment sa force de car­ac­tère, sa déter­mi­na­tion et sa mod­estie s’ac­com­pa­g­naient d’une extra­or­di­naire bien­veil­lance à l’é­gard de ses col­lab­o­ra­teurs aux­quels il déléguait large­ment, qu’il guidait, encour­ageait, écoutait sou­vent, con­va­in­cu qu’il était de ce que de la con­fronta­tion des idées, et surtout des idées neuves, pou­vait tou­jours jail­lir une lumière accrue.

Nom­breux sont ses amis, ses dis­ci­ples, ses parte­naires, ses anciens col­lab­o­ra­teurs, qui con­serveront à sa mémoire leurs sou­venirs recon­nais­sants, admi­rat­ifs, respectueux, mais aus­si et peut-être surtout, affectueux.

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