Agrisud, un modèle de développement en zone tropicale humide.

Dossier : L'Afrique centraleMagazine N°565 Mai 2001Par : Jacques BARATIER, président fondateur d’Agrisud

Origine d’Agrisud

En 1985, après trente-huit ans de car­rière de dirigeant d’en­tre­prise, je pre­nais ma retraite.

Au moment de quit­ter la vie économique, trois grandes préoc­cu­pa­tions occu­paient mon esprit :

  • le pro­duit des activ­ités indus­trielles et com­mer­ciales se partageait de plus en plus inégalitairement ;
  • l’ag­gra­va­tion inco­ercible de la pau­vreté ne pou­vait que met­tre en dan­ger l’avenir de notre planète : 2 mil­liards de rich­es, 4 mil­liards de pauvres !
  • l’in­suff­i­sance de créa­tion de nou­veaux marchés solv­ables rendrait un jour dif­fi­cile l’al­i­men­ta­tion de la croissance.

C’est alors que le prési­dent Michel Pec­queur (52), à l’époque prési­dent de ELF, me con­fia une mis­sion d’é­tude en Afrique sub­sa­hari­enne : il voulait savoir com­ment répon­dre mieux aux deman­des d’aide économique des chefs d’É­tat des pays où son groupe opérait.

Les entre­tiens que j’ai eus avec le prési­dent Sas­sou N’Gues­so m’a­menèrent à cen­tr­er mon étude sur le Congo-Brazzaville.

Mes premiers constats

Quinze années de pra­tique de l’aide au développe­ment n’ont fait que con­firmer mes pre­miers constats.

Les struc­tures économiques de ces pays com­por­tent une strate tout à fait insuff­isante d’en­tre­pris­es moyennes et petites, faute de marchés solv­ables porteurs.

85 % des pop­u­la­tions qui les peu­plent vivent dans un état plus ou moins grave de précarité.

Elles por­tent pour­tant en elles des dynamiques humaines sur lesquelles il est pos­si­ble de bâtir un développement.

Enfin leur pré­car­ité même représente un immense marché poten­tiel de besoins essen­tiels, à com­mencer par les besoins alimentaires.

Le vieil entre­pre­neur que j’é­tais alors a pen­sé qu’il devait être pos­si­ble, à par­tir des ressources naturelles de ces pays et des ressources humaines de leurs pop­u­la­tions, de créer, pour le plus grand nom­bre, des activ­ités rémunéra­tri­ces pour répon­dre aux besoins de cet immense marché, créer des revenus addi­tion­nels et amorcer ain­si le développe­ment de nou­veaux marchés solvables.

Le prési­dent du Con­go a aus­sitôt accep­té de prélever sur ses ressources pétrolières une somme per­me­t­tant de créer un cen­tre expéri­men­tal pour véri­fi­er le bien-fondé de cette affirmation.

La phase expérimentale

Ce cen­tre expéri­men­tal fut créé en 1987 à Kom­bé, à 17 kilo­mètres au sud de Brazzaville.

Il s’agis­sait d’in­ven­ter des mod­èles repro­ductibles de petites exploita­tions agri­coles et de petites entre­pris­es para-agri­coles, capa­bles de faire gag­n­er à leurs pro­prié­taires deux ou trois fois, au moins, le salaire d’un fonc­tion­naire de base.

Un vil­lage vivri­er expérimental

Un vil­lage vivri­er expéri­men­tal a été créé à une cinquan­taine de kilo­mètres de Braz­zav­ille, sur la route du Nord.

Il com­porte 4 hameaux de 4 petites fermes.

Cha­cune de ces fer­mes pos­sède 4 hectares de cul­ture et 2 hectares de réserve forestière plan­tée en arbres à crois­sance rapi­de pour être ven­dus en bois de feu.

Les fer­mes sont con­stru­ites en matéri­aux locaux : briques de terre com­pressées et plateaux de bois.

Les cul­tures se font en couloir entre des haies dont l’é­mondage réguli­er per­met d’en­richir le sol en engrais organique. Les paysans sèment à tra­vers le pail­lage ain­si réalisé.

Les prin­ci­pales cul­tures sont le man­ioc, l’arachide, le soja, le maïs, l’ananas.

Les exploitants gèrent en com­mun un ate­lier de trans­for­ma­tion où ils pro­duisent du foufou, de la chick­wangue, de la pâte d’arachide… et ajoutent ain­si une valeur ajoutée à leur produit.

Les résul­tats dépen­dent essen­tielle­ment de la qual­ité du tra­vail de l’ex­ploitant ; pour un investisse­ment de 6 à 7 mil­lions de francs CFA cer­tains dépassent le niveau de revenu net de 500 000 francs CFA par mois.

Mais le but de cette expéri­ence était surtout de tester les sys­tèmes de cul­tures et les par­cours tech­niques qui nous per­me­t­tent aujour­d’hui d’aider les paysans exis­tant dans l’ar­rière-pays à rentabilis­er leurs exploita­tions familiales.

Qua­tre ans après, le cen­tre com­por­tait une trentaine de petites exploita­tions et de petites entre­pris­es ayant large­ment atteint cet objectif.

Ce cen­tre nous per­mit, en même temps, de définir les ser­vices d’ap­pui indis­pens­ables à la créa­tion, à la mul­ti­pli­ca­tion et à la péren­ni­sa­tion de ces petites exploita­tions et entreprises :

  • ser­vice d’é­tude et de diagnostic,
  • ser­vice de for­ma­tion adaptée,
  • ser­vice d’in­té­gra­tion de ces entre­pris­es dans leurs fil­ières respectives,
  • ser­vice de suivi et d’ac­com­pa­g­ne­ment des entre­pris­es créées ou réhabilitées.

La phase pilote

Deux ren­con­tres impor­tantes nous per­mirent alors de pass­er du stade expéri­men­tal au développe­ment : celle de J. Poly, ex-prési­dent de l’In­ra, alors prési­dent du Cirad, et celle de J. Pel­leti­er, le min­istre de la Coopéra­tion à cette époque.

Ce dernier nous finança deux expéri­ences pilotes : les pre­miers groupe­ments de maraîchage et d’él­e­vage de Braz­zav­ille et ceux de Dolisie, nous per­me­t­tant ain­si de lancer nos pre­miers pro­grammes pilotes de développe­ment péri­ur­bain. Les résul­tats de ces pilotes dépas­sant ceux de notre cen­tre expéri­men­tal, et les nom­breuses vis­ites de nos réal­i­sa­tions nous amenèrent rapi­de­ment à un dou­ble mou­ve­ment d’ex­ten­sion de nos activités.

La phase développement et l’extension internationale

Sol­lic­ités par plusieurs respon­s­ables poli­tiques d’Afrique et d’Asie, nous nous sommes implan­tés dans trois autres pays : le Gabon, le Cam­bodge, l’Angola.

Le prési­dent Sas­sou N’Gues­so, dès son retour au pou­voir, nous a chargés de met­tre en œuvre un véri­ta­ble pro­gramme de développe­ment nation­al dont la carte de la page suiv­ante donne les grandes lignes.

Ce pro­gramme a été financé par la Coopéra­tion française et l’U­nion européenne.

Pour men­er à bien cette exten­sion rapi­de d’ac­tiv­ité, nous avons créé :

  • en France,une asso­ci­a­tion loi de 1901 dénom­mée Agrisud Inter­na­tion­al chargée de rechercher les finance­ments néces­saires auprès des grandes instances inter­na­tionales de l’Aide, de recruter et de for­mer les ressources humaines exigées par les pro­grammes financés, de met­tre en œuvre et d’as­sur­er le con­trôle de ges­tion de l’ensem­ble des opérations
  • et dans chaque pays, une struc­ture locale com­posée essen­tielle­ment de cadres nationaux dont notam­ment, Agri­con­go au Con­go et l’I­gad au Gabon, où les gou­ver­nants ont décidé de par­ticiper à leur financement.


Le réseau Agrisud com­porte aujour­d’hui près de 250 cadres et tech­ni­ciens dont 10 expa­triés seule­ment. À fin 2000, nous aurons créé 5 460 TPE (très petites entre­pris­es) et près de 20 000 emplois directs et indirects.

Carte du Congo : Implantations de cultures maraîchère par Agrisud

Une vocation internationale

Nous pen­sons avoir trou­vé une des voies qui per­me­t­tent enfin de lut­ter effi­cace­ment con­tre la pau­vreté par l’économique.

Résul­tats prévus à fin 2000
Entre­pris­es créées ou réhabilitées Taux de survie à 4 ans Emplois créés Entre­pris­es accompagnées
Con­go 1 500 88 % 9 130
Gabon 510 80 % 2 490 710
Cam­bodge 3 300 95 % 7 860 3 500
Ango­la * 150 -; 250 250
19 730 7 210
* L’a​ctivité Ango­la a été créée en 1999. Phase pilote.

C’est ce qui a amené le min­istre des Affaires étrangères et celui de la Coopéra­tion à faire de notre démarche la base d’un dis­posi­tif français de lutte con­tre la pau­vreté par l’économique.

En fin 2001, avec l’aide de la Coopéra­tion française, de l’AFD et de l’U­nion européenne, nous serons implan­tés dans 10 pays et rejoin­drons le niveau d’opéra­tion des grands organ­ismes humanitaires.

Pour cela, bien sûr, nous devons restruc­tur­er finan­cière­ment notre struc­ture opéra­trice en la dotant de fonds pro­pres et d’un courant annuel de souscriptions.

Des exploita­tions d’él­e­vage porcin

Elles ont été amé­nagées au cœur des groupe­ments maraîch­ers : ces derniers ont un besoin impératif d’en­grais organique et l’él­e­vage pour se rentabilis­er doit val­oris­er son fumier.

Il s’ag­it de petits éle­vages en stab­u­la­tion qui com­por­tent lors de leur créa­tion 12 à 13 porcs.

Les éta­bles sont con­stru­ites en matéri­aux locaux selon des procédés et des mod­èles mis au point par Agrisud. Si le coût uni­taire est plus élevé, 4 à 5 mil­lions de francs CFA, la vente de la viande et du fumi­er rentabilise assez large­ment l’in­vestisse­ment fait.

Un exem­ple de réus­site peut être cité qui mon­tre ce que l’e­sprit d’en­tre­prise peut tir­er de ces mod­èles : à Libre­ville un éleveur, par­ti d’une ving­taine de porcs, a, aujour­d’hui, deux éta­bles total­isant plus de 250 porcs, pro­duit lui-même son ali­ment de bétail, a créé une char­cu­terie et un restaurant !

Le prin­ci­pal résul­tat de notre démarche étant de ren­dre pos­si­ble l’amorçage de nou­veaux marchés solv­ables, il est nor­mal que nous nous adres­sions aux 250 000 entre­pris­es français­es, qui par une mod­este par­tic­i­pa­tion peu­vent don­ner à ce pro­jet toute l’am­pleur souhaitable.

J’ap­porte, per­son­nelle­ment, mon pat­ri­moine à la nou­velle struc­ture Agrisud et j’ai reçu l’as­sur­ance du con­cours de quelques grandes entreprises.

Je pense que la cam­pagne que je me pro­pose d’en­tre­pren­dre dans chaque région de France fera le reste.

Je suis très con­scient de la goutte d’eau que représen­tent ces 20 000 emplois dans l’océan de pau­vreté qui recou­vre le monde, mais je sais aus­si que seuls ceux qui sont assez fous pour croire qu’ils peu­vent chang­er le monde parvi­en­nent à le faire évoluer. 

Un groupe­ment maraîcher

Un maraîchère d'Agrisud au CongoIl se com­pose générale­ment de 30 petites exploita­tions de 1 000 m2 cha­cune. Après une ou deux années de cul­ture de ces par­celles et notam­ment de leur enrichisse­ment en matière organique, leur ren­de­ment atteint aisé­ment 5 tonnes de légumes par an. Elles sont toutes équipées d’une borne à eau et d’un petit abri pour pro­téger les semis. Leur coût d’aménagement est d’environ 1 mil­lion de francs CFA*.

Elles rap­por­tent en moyenne entre 125 000 et 150000 francs CFA net par mois ; les bons maraîch­ers dépassent aisé­ment 200 000 francs CFA.

Chaque groupe­ment élit son prési­dent et gère en com­mun le fonc­tion­nement du sys­tème d’irrigation : motopompe, citerne et réseau de tuyaux d’arrosage.

Plusieurs groupe­ments finan­cent sur leurs revenus les pre­miers élé­ments de base d’une pro­tec­tion sociale com­mune : con­struc­tion d’un petit dis­pen­saire, aide à l’achat de médicaments…

Les maraîch­ers s’adressent, en général, pour leur besoin de crédit de cam­pagne : semence, achat de fumi­er et d’engrais, à un organ­isme de micro­crédit ; cer­tains de ces organ­ismes ont instal­lé au car­refour de deux ou trois groupe­ments un bureau con­stru­it en matéri­aux locaux.

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* 1 franc français = 100 francs CFA.

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