Tour Hertzienne en Afrique

Le numérique, des chances à saisir

Dossier : L'AfriqueMagazine N°716 Juin/Juillet 2016
Par Alain DUCASS (73)

Tous les pays d’Afrique ont pris conscience des atouts du numé­rique pour leur déve­lop­pe­ment. Trois piliers sont deve­lop­pés : la connec­ti­vi­té aux réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, la trans­for­ma­tion de l’État (des e‑gouvernements), et le déve­lop­pe­ment de com­pé­tences natio­nales (for­mer la popu­la­tion et favo­ri­ser la créa­tion d’une indus­trie natio­nale du numérique). 

Les pré­re­quis au déve­lop­pe­ment d’une éco­no­mie numé­rique sont en géné­ral regrou­pés en trois grands piliers : la connec­ti­vi­té aux réseaux de télé­com­mu­ni­ca­tions, la trans­for­ma­tion de l’État et de la socié­té, et le déve­lop­pe­ment de com­pé­tences nationales. 

REPÈRES

Dans de nombreux domaines, l’Afrique présente un double visage dramatiquement en retard et, au contraire, porteur d’espoir. Ainsi, si la croissance du PIB, aux environs de 5 %, est encourageante, elle ne suffit pas pour absorber les besoins d’une population en croissance : 1,15 milliard d’habitants en 2015, 4 milliards prévus en 2100.
La répartition des richesses n’est pas non plus suffisante pour que la population puisse subsister partout dignement, et pour que les jeunes trouvent un emploi.
Le domaine du numérique n’échappe pas à cette vision contrastée, avec des retards importants, mis en évidence par le Networked Readiness Index mais aussi des chances à saisir.

LA CONNECTIVITÉ AUX RÉSEAUX DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

Des pro­grès spec­ta­cu­laires ont été accom­plis dans ce domaine, notam­ment avec l’apport de la Banque mon­diale, pour rac­cor­der les capi­tales afri­caines du bord de mer aux câbles sous-marins de télécommunications. 

D’autre part, les opé­ra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tions ont géné­ra­le­ment déployé leurs réseaux optiques et hert­ziens à l’intérieur des terres, en offrant des ser­vices de télé­pho­nie mobile et l’accès aux don­nées à l’intérieur des pays. 

L’administration n’est pas en reste : elle s’efforce presque par­tout de construire un intra­net gou­ver­ne­men­tal, per­met­tant de relier les écoles et les centres admi­nis­tra­tifs de la capi­tale et de l’intérieur des terres. 

Le tra­vail est en chan­tier, si bien que l’on peut actuel­le­ment consi­dé­rer que la frac­ture numé­rique liée à la connec­ti­vi­té ne se situe plus tel­le­ment entre l’Europe et l’Afrique, mais plu­tôt entre les capi­tales afri­caines et l’intérieur des terres. 


Les opé­ra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tions ont géné­ra­le­ment déployé leurs réseaux optiques et hert­ziens à l’intérieur des terres offrant l’accès aux don­nées à l’intérieur des pays. © ALAIN DUCASS

Montage d'un réseau numérique en Afrique
Favo­ri­ser la créa­tion d’une indus­trie natio­nale du numé­rique pour déve­lop­per la connec­ti­vi­té. © ALAIN DUCASS

LA TRANSFORMATION DE L’ÉTAT ET DE LA SOCIÉTÉ

C’est le deuxième pilier de la stra­té­gie numé­rique des pays émergents. 

Le gou­ver­ne­ment montre alors l’exemple de la trans­for­ma­tion numé­rique du pays, en déve­lop­pant plus ou moins en pro­fon­deur ce que l’on appelle « e‑gouvernement » par des infra­struc­tures adé­quates, comme le cloud du Bur­ki­na Faso, tout en contri­buant à sen­si­bi­li­ser, équi­per et for­mer les fonc­tion­naires et la société. 

Une enquête bis­an­nuelle des Nations unies per­met de com­pa­rer les pays entre eux et de mesu­rer les pro­grès qu’ils ont accom­plis, la der­nière en date ayant eu lieu au prin­temps 2016. 

LE DÉVELOPPEMENT DE COMPÉTENCES NATIONALES

Il s’agit de faire en sorte que la connec­ti­vi­té per­mette réel­le­ment de lut­ter contre la pau­vre­té1 en se trans­for­mant effec­ti­ve­ment en emplois et en richesses pour le pays. 

Cela implique non seule­ment de sen­si­bi­li­ser et de for­mer la popu­la­tion, mais aus­si de favo­ri­ser la créa­tion d’une indus­trie natio­nale du numé­rique, grâce à des poli­tiques inci­ta­tives, des incu­ba­teurs, comme le CTIC de Dakar ou Sabo­tech de Cona­kry, une poli­tique fis­cale favo­rable au sec­teur TIC, des zones franches comme celle de Bas­sam en Côted’Ivoire, le déve­lop­pe­ment du com­merce élec­tro­nique2, etc.

Un des maillons faibles fré­quem­ment cité est l’accès des entre­prises au finan­ce­ment3, auquel le numé­rique peut éga­le­ment contribuer. 

Enfants africains avec une tablette
L’administration s’efforce presque par­tout de construire un intra­net gou­ver­ne­men­tal, per­met­tant de relier les écoles et les centres admi­nis­tra­tifs de la capi­tale et de l’intérieur des terres.
© KARELNOPPE / SHUTTERSTOCK.COM

LE NUMÉRIQUE CONTRE LA CORRUPTION

Les vertus du numérique sont irremplaçables pour sécuriser les recettes de l’État et lutter contre la corruption.
En effet, on rencontre assez fréquemment des situations où le numérique est rejeté car la télédéclaration et le télépaiement permettraient une transparence et une traçabilité qui n’arrangeraient pas certains acteurs en place, qui profitent d’un système d’impôts à trois niveaux : l’impôt nominal, fixé par la loi de finances et le code des impôts, que presque personne ne paye ; l’impôt effectivement versé, souvent inférieur, à la suite d’une négociation entre le fonctionnaire chargé du recouvrement et le contribuable ; et enfin l’impôt effectivement perçu par l’État qui correspond à ce que le fonctionnaire déclare avoir perçu, et qui peut être significativement différent de l’impôt payé.
Il n’est pas facile de sortir de telles situations, car il faudrait diminuer l’impôt théorique, dont le taux est insupportable pour les contribuables et relever les salaires des fonctionnaires, en leur donnant une part des suppléments de recettes perçus par l’État ainsi qu’une confiance dans l’avenir et dans les institutions.

CROWDFUNDING

Il demeure cepen­dant un equi­ty gap, c’est-à-dire une carence de pro­duits finan­ciers pour cou­vrir les besoins en finan­ce­ment des PME pour des mon­tants uni­taires de l’ordre de 10 000 €, trop grands pour le micro­cré­dit et trop petits pour des fonds d’investissement.

Là encore, le numé­rique contri­bue à pal­lier ce manque, grâce à l’émergence de socié­tés de finan­ce­ments par­ti­ci­pa­tifs ou crowd­fun­ding, qui per­mettent aux inves­tis­seurs, et notam­ment à la dia­spo­ra afri­caine, d’investir dans des start-ups africaines. 

Outre les socié­tés géné­ra­listes bien connues5, cer­taines entre­prises de finan­ce­ment sont spé­cia­li­sées sur l’Afrique, comme l’indiquaient RFI et les inter­ve­nants du forum Anzi­sha6 : Afrik­wi­ty, CoFun­dy dédiée à l’Afrique du Nord, Its About My Afri­ca, Lela­pa­Fund, Smala&Co, entre­prise de la dia­spo­ra tuni­sienne, Jump Start Afri­ca, entre­prise cali­for­nienne dis­po­sant d’une par­tie de site en français. 

DÉPASSER UN FILTRE NÉGATIF

Africaine et sa tablette
Les Fran­çais ignorent sou­vent que beau­coup des Afri­cains que nous croi­sons en France sont issus de l’intelligentsia afri­caine, et qu’il y a par­mi eux des per­son­na­li­tés talen­tueuses, de grande culture et inven­tives. © RICCARDO NIELS MAYER / FOTOLIA.COM

J’aimerais par­ta­ger une prise de conscience à pro­pos des Afri­cains que nous croi­sons en France. Leurs habi­tudes cultu­relles et leur pau­vre­té7 leur valent un cer­tain mépris de la socié­té, pour­tant les Fran­çais ignorent sou­vent que beau­coup d’entre eux sont issus de l’intelligentsia afri­caine, et qu’il y a par­mi eux des per­son­na­li­tés talen­tueuses, de grande culture et inventives. 

Il nous faut donc dépas­ser l’espèce de filtre néga­tif, dénué de curio­si­té et d’attrait, avec lequel nous regar­dons sou­vent nos conci­toyens afri­cains, de toutes lati­tudes, pour savoir s’intéresser aux tré­sors d’intelligence, de créa­ti­vi­té et de volon­té de réus­sir qu’ils recèlent du fait même de leur situa­tion, sans comp­ter l’ouverture qu’ils repré­sentent sur les Afriques, du Nord et du Sud, de l’Ouest et de l’Est, qui ren­ferment des tré­sors de diver­si­té et d’opportunité.

De quoi chan­ger notre regard. 

RELIER LE NORD AU SUD

Je suis per­sua­dé que les entre­prises du Nord qui noue­ront des par­te­na­riats avec des entre­prises du Sud auront plus de chances que les autres de réussir. 

C’est sur cette convic­tion que j’ai conçu l’Alliance fran­co-tuni­sienne pour le numé­rique, grande sœur de l’Alliance fran­co-ivoi­rienne pour le numé­rique, et que j’ai choi­si pour mon entre­prise de réin­ves­tir 10 % à 20 % de mon chiffre d’affaires en Afrique, sur des pro­jets éthiques. 

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1. Rap­pe­lons que les Objec­tifs du mil­lé­naire pour le déve­lop­pe­ment ont récem­ment lais­sé place aux Objec­tifs du déve­lop­pe­ment durable.
2. Étude sur le com­merce élec­tro­nique en Afrique, avril 2016.
3. 70 % des PME afri­caines ren­con­tre­raient des dif­fi­cul­tés à trou­ver du finan­ce­ment à long terme.
4. Des chiffres par pays sont en géné­ral publiés dans les rap­ports d’activité des régu­la­teurs des télécommunications.
5. On peut notam­ment pen­ser à Kiss­kiss­bank­bank, Baby­loan, par­mi plu­sieurs cen­taines de sites réfé­ren­cés par the Soho Loft.
6. Col­loque orga­ni­sé deux ans de suite dans les locaux de l’X, par le Binet et le groupe X‑Afrique.
7. Cette pau­vre­té est en par­tie choi­sie car la plu­part des Afri­cains envoient chaque mois une par­tie de leurs reve­nus à leurs familles res­tées au pays. 

FINANCE NUMÉRIQUE

Le numérique contribue à pallier le faible taux de bancarisation des Africains, grâce aux paiements par téléphone mobile, apparus au Kenya avec MPESA et qui se diffusent rapidement en Afrique 4, et plus récemment, grâce à des offres de crédit en ligne ou de microcrédit via des sociétés de microfinance.
Autre vertu du numérique, faciliter les transferts d’argent provenant des quelque 30 millions d’Africains vivant à l’étranger, dont les envois de fonds vers l’Afrique ont atteint 67 milliards de dollars en 2014, en hausse de plus de 250 % dans les dix dernières années.
À ce propos, citons Afrimarket, l’initiative originale de François Sevaistre (2009).

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