Actuaires et contrôleurs : un siècle de coexistence

Dossier : Les assurancesMagazine N°560 Décembre 2000
Par Pierre PETAUTON (57)

En pre­mier lieu appa­raît l’ac­tu­aire : c’est un spé­cial­iste de l’é­val­u­a­tion des risques dans les organ­ismes qui font méti­er de les pren­dre en charge, c’est-à-dire les organ­ismes d’as­sur­ance, les organ­ismes soci­aux et les ban­ques. On peut aus­si le qual­i­fi­er d’ingénieur des finances. Ils sont encore à la fois sta­tis­ti­ciens, financiers et mathématiciens. 

Nous ne par­lerons pas ici des actu­aires de la banque, dont l’im­por­tance récente est liée à la créa­tion de nou­veaux instru­ments financiers et aux développe­ments des mod­èles sto­chas­tiques en finance. Au début du XXe siè­cle on ne trou­vait d’ailleurs d’ac­tu­aire que dans les com­pag­nies d’as­sur­ance sur la vie. 

Les com­mis­saires con­trôleurs des assur­ances sont des fonc­tion­naires aujour­d’hui recrutés pour la plu­part à la sor­tie de l’É­cole poly­tech­nique, et chargés d’ex­ercer une sur­veil­lance per­ma­nente sur les entre­pris­es d’as­sur­ance et de réas­sur­ance, en vue de prévenir le risque d’in­solv­abil­ité de ces organismes. 

Notre chronique débutera par la préhis­toire du mou­ve­ment actu­ar­iel et l’in­stal­la­tion prim­i­tive des parte­naires dans les dernières années du XIXe siè­cle. Elle se pour­suiv­ra par la phase de développe­ment des con­trôles jusqu’à la fin des années soix­ante, avec un point cul­mi­nant de dirigisme éta­tique dans l’im­mé­di­at après-guerre. Elle se ter­min­era dans une péri­ode con­tem­po­raine mar­quée en France par la libéral­i­sa­tion de l’é­conomie et par l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion des échanges et des mou­ve­ments financiers. 

La préhistoire de l’actuariat et du contrôle

La fonc­tion et le terme actu­ary sont apparus en 1774 dans la société Equi­table à Lon­dres sur les con­seils sci­en­tifiques du doc­teur Price. En France lorsque s’établit en 1787 la pre­mière Com­pag­nie Royale d’as­sur­ance sur la vie, elle souligne dans son prospec­tus de lance­ment que : 

” La Com­pag­nie, suiv­ant le con­seil du doc­teur Price, a attaché à son admin­is­tra­tion un math­é­mati­cien pro­fond, habile et sûr dans ses calculs. ” 

Ce ” math­é­mati­cien “, le pre­mier actu­aire, était un Genevois nom­mé Duvillard. 

Dès cette créa­tion l’É­tat man­i­feste son intérêt pour l’as­sur­ance, puisque Clav­ière, un des derniers min­istres des Finances de Louis XVI et pre­mier min­istre des Finances du gou­verne­ment révo­lu­tion­naire, avait par­ticipé à la créa­tion de deux com­pag­nies ” Royales “, celle qui vient d’être men­tion­née et une Com­pag­nie d’as­sur­ance con­tre les incendies. Les deux entre­pris­es étaient soumis­es à un con­trôle exer­cé par la Ville de Paris ; elles devaient plac­er leurs fonds en ” effets roy­aux “. Cette ébauche de régle­men­ta­tion avait comme moti­va­tion, moins l’in­térêt pub­lic, que le souci de financer la dette de l’État. 

La Révo­lu­tion allait inter­dire l’ac­tiv­ité com­mer­ciale d’as­sur­ance. Mirabeau por­ta con­tre la Com­pag­nie Royale l’ac­cu­sa­tion d’a­gio­tage et il fut aidé en cela par Duvil­lard, qui con­nais­sait évidem­ment le sujet. 

Pour­tant l’Assem­blée nationale, dans le Comité de Men­dic­ité, man­i­fes­ta en 1790 une volon­té de créer des insti­tu­tions sociales en deman­dant au même Duvil­lard le plan d’une asso­ci­a­tion de Prévoyance. 

À cette occa­sion notre pre­mier actu­aire établit le pre­mier pro­jet de cab­i­net de con­sul­tant spé­cial­isé en ” arith­mé­tique poli­tique “, des­tiné à offrir des ser­vices aux munic­i­pal­ités et sociétés qui voudraient fonder un étab­lisse­ment de prévoyance. 

Au début du XIXe siè­cle, et notam­ment à par­tir de la Restau­ra­tion, l’as­sur­ance prend un nou­v­el essor. De nom­breuses mutuelles sont créées pour cou­vrir les risques d’in­cendie et de grêle. Fonc­tion­nant en répar­ti­tion avec des coti­sa­tions vari­ables elles ne ressen­tent pas le besoin d’é­tudes sta­tis­tiques et comme leur champ de com­pé­tence est géo­graphique­ment lim­ité l’É­tat ne juge pas néces­saire de les con­trôler. En revanche la créa­tion des sociétés anonymes sera soumise à autori­sa­tion préal­able dans la mesure où leurs opéra­tions ont un car­ac­tère commercial. 

Un sort par­ti­c­uli­er était réservé aux sociétés d’as­sur­ance sur la vie et aux ton­tines. Ces dernières insti­tu­tions, apparues sous le règne de Louis XV, fai­saient appel à l’é­pargne publique et leur ges­tion malen­con­treuse provo­qua des scan­dales. Aus­si, dès 1809, ces étab­lisse­ments seront soumis à autori­sa­tion préal­able et à contrôle. 

Les sociétés d’as­sur­ance sur la vie, inter­dites par la Con­ven­tion, ne purent réap­pa­raître qu’en 1819 ; elles eurent con­stam­ment recours à des ” math­é­mati­ciens ” et l’É­tat com­mença à les soumet­tre à un début de surveillance. 

Dans le même temps, en Angleterre les actu­ar­ies parv­in­rent à un statut offi­ciel. En 1819 les sociétés de sec­ours mutuels bri­tan­niques devaient employ­er des tables approu­vées par des actu­aires pro­fes­sion­nels. Vers 1850 les sociétés d’as­sur­ance sur la vie devaient être pourvues d’un tel spé­cial­iste. La créa­tion de l’In­sti­tute of Actu­ar­ies à Lon­dres est de 1848. 

Le terme fran­cisé n’ap­pa­raît que vers 1870. C’est en 1871 qu’est fondée une asso­ci­a­tion dénom­mée ” le Cer­cle des Actu­aires français “, mais qui dis­parut en 1880. 

L’établissement définitif de l’Institut des actuaires français et des contrôles de l’État

À la dif­férence de ce qui s’é­tait passé en Angleterre, où l’ap­pari­tion des actu­aires était liée à des néces­sités com­mer­ciales dans le respect de la libre entre­prise, leur util­ité fon­da­men­tale n’est apparue en France qu’à la faveur de l’or­gan­i­sa­tion des pre­mières pro­tec­tions sociales sous l’égide de l’É­tat. L’in­flu­ence prépondérante que nous avons alors con­nue est celle de l’in­stau­ra­tion des assur­ances sociales, établies en Alle­magne par Bis­mar­ck. Ain­si notre régle­men­ta­tion a plus un car­ac­tère ger­manique que britannique. 

Deux textes de lois, con­cer­nant les sociétés de sec­ours mutuels et les acci­dents du tra­vail, ont déclenché la créa­tion presque simul­tanée de l’In­sti­tut des actu­aires français (IAF) et du corps des com­mis­saires contrôleurs. 

Le pre­mier sujet de préoc­cu­pa­tion des pou­voirs publics en ce début de IIIe République est celui des retraites promis­es par des sociétés phil­an­thropiques sans principes tech­niques et sans con­trôle. Pré­cisé­ment, en 1889, le min­istre de l’In­térieur fit exam­in­er la sit­u­a­tion des sociétés de sec­ours mutuels par une com­mis­sion spé­ciale qui fit appel à cinq ” ingénieurs des finances “, qui con­sti­tuèrent le pre­mier noy­au des fon­da­teurs de l’I­AF en 1890. 

On ne sera pas sur­pris de savoir que 9 poly­tech­ni­ciens, 2 exam­i­na­teurs et un répéti­teur de l’É­cole poly­tech­nique fig­u­raient par­mi les 30 créa­teurs. Hen­ri Poin­caré fut quelque temps après nom­mé mem­bre d’hon­neur de l’I­AF. En 1891 est admis par voie d’ex­a­m­en dans la nou­velle asso­ci­a­tion Louis Weber, le pre­mier ” actu­aire ” de l’Of­fice du Tra­vail. Il devien­dra plus tard chef adjoint du ser­vice du con­trôle des assur­ances privées et enfin prési­dent de l’IAF. 

La con­cep­tion des com­mis­saires con­trôleurs date de la loi du 8 avril 1898 sur l’in­dem­ni­sa­tion des acci­dents du tra­vail. Ce texte soumet au con­trôle de l’É­tat les sociétés d’as­sur­ance qui pren­nent en charge les risques cor­re­spon­dants. L’acte de nais­sance du corps de con­trôle est un décret du 28 févri­er 1899. Le recrute­ment de ces pre­miers fonc­tion­naires spé­cial­isés par voie d’ex­a­m­en exigea une for­ma­tion à la sci­ence actuarielle. 

Le con­trôle fut éten­du aux sociétés d’as­sur­ance sur la vie (loi du 17 mars 1905), puis aux entre­pris­es de cap­i­tal­i­sa­tion (1907), aux sociétés d’é­pargne (1913), aux opéra­tions de nup­tial­ité-natal­ité (1921), et à celles con­sis­tant en l’ac­qui­si­tion d’im­meubles à charge de rentes viagères (1922). La néces­sité des con­nais­sances actu­ar­ielles pour les nou­veaux con­trôleurs, dis­tincts de ceux qui con­trôlaient les acci­dents du tra­vail, se ren­força et bon nom­bre d’en­tre eux furent admis à l’I­AF. Les textes de con­trôle repo­saient d’ailleurs sur des travaux menés en com­mun avec les assureurs : tables de mor­tal­ité et tar­ifs minima. 

En 1930 est créé à Lyon un Insti­tut de sci­ence finan­cière et d’as­sur­ance qui décer­na un titre d’ac­tu­aire, con­cur­rem­ment à l’I­AF. Il présen­tait l’a­van­tage d’un organ­isme de for­ma­tion, alors que l’in­sti­tu­tion précé­dente était plutôt une société savante.

En 1935 les sociétés qui pra­tiquent l’as­sur­ance auto­mo­bile furent soumis­es au con­trôle, qui à cette occa­sion devint unique pour l’ensem­ble des branch­es. La sur­veil­lance de l’É­tat a pu s’ex­ercer grâce à la con­sti­tu­tion préal­able (1929) d’un Bureau de Sta­tis­tique auquel une ving­taine de sociétés avait adhéré. Comme pour l’as­sur­ance sur la vie en 1905 l’élab­o­ra­tion de règles de con­trôle reposa sur des bases sta­tis­tiques admis­es par tous. 

La généralisation du contrôle, l’apogée des pouvoirs de l’État et le relatif déclin des sociétés d’actuaires

En 1938 la régle­men­ta­tion de con­trôle allait être unifiée. Le décret-loi du 14 juin et le décret du 30 décem­bre allaient con­stituer pour longtemps l’os­sa­t­ure du dis­posi­tif de sur­veil­lance de l’ensem­ble des entre­pris­es d’as­sur­ance directes, c’est-à-dire à l’ex­clu­sion de la réassurance. 

La lég­is­la­tion alle­mande avait déjà influ­encé le texte français de 1905 ; la grande loi alle­mande du 6 juin 1931, don­nant à un office de con­trôle unique un pou­voir de véri­fi­ca­tion sur l’ensem­ble des sociétés d’as­sur­ance, a été une des sources d’in­spi­ra­tion des rédac­teurs des textes français. 

Un autre mod­èle sera celui qui est apparu très tôt en Suisse (depuis 1885), et qui avait été amendé ensuite par une loi fédérale de 1919. 

Un com­mis­saire con­trôleur, Jean Fourastié, fut avec son col­lègue Maxime Malin­s­ki (X 1926) un des grands arti­sans de la réforme de 1938. Il rap­por­ta de la Con­fédéra­tion helvé­tique l’idée du trans­fert de porte­feuille pour préserv­er en dernier recours l’in­térêt des assurés. 

Dans la con­ti­nu­ité de cette réforme d’en­ver­gure deux textes sont à sig­naler : celui qui insti­tu­ait la réserve de cap­i­tal­i­sa­tion, mécan­isme orig­i­nal des­tiné à par­er aux risques de déval­ori­sa­tion des porte­feuilles oblig­ataires en cas de hausse des taux, et le plan compt­able des sociétés d’as­sur­ance dû pour l’essen­tiel à Jean Fourastié. 

Les actu­aires ont alors joué peu de rôle. Ils sem­blaient en général se con­tenter d’ap­pli­quer des dis­po­si­tions régle­men­taires anci­ennes sans pro­pos­er de change­ments : on util­i­sait encore les tables de mor­tal­ité AF (assurés français) et RF (ren­tiers français) établies à la fin du XIXe siècle. 

Après la péri­ode de guerre où l’on rat­tacha la Direc­tion des assur­ances, dont dépendait le con­trôle, au min­istère des Finances, les pre­mières années de la Libéra­tion furent mar­quées par la créa­tion de la Sécu­rité sociale et par l’in­sti­tu­tion du con­trôle des prix. 

On peut observ­er que les actu­aires sem­blent s’être peu impliqués dans la mise en place des nou­veaux sys­tèmes de pro­tec­tion sociale. 

Même si, en théorie, les règles de fonc­tion­nement des entre­pris­es d’as­sur­ance restaient les mêmes qu’en 1938, dans les faits la pro­tec­tion tutélaire de l’É­tat sur un large secteur nation­al­isé et le con­trôle des prix ont entretenu un grand con­ser­vatisme sur un marché qui s’or­gan­isa grâce à des ententes tarifaires. 

De même la presque total­ité des forces de con­trôle est restée con­sacrée aux sociétés d’as­sur­ance, à l’ex­cep­tion de quelques indi­vidus, dont Fran­cis Net­ter (X 1926), actu­aire con­trôleur du min­istère du Travail. 

Les ordon­nances de 1945 ambi­tion­naient de don­ner à l’É­tat les moyens du gou­verne­ment de l’économie. 

Jean Fourastié qui fut appelé par Jean Mon­net pour con­stituer le Com­mis­sari­at au Plan par­tic­i­pait à cette nou­velle tâche. 

Toute­fois il fai­sait la dis­tinc­tion entre le con­trôle économique néces­saire en péri­ode de recon­struc­tion et le con­trôle des assur­ances qu’il avait bien connu. 

Ain­si écrivait-il : 

” Le con­trôle financier tend essen­tielle­ment à véri­fi­er la solv­abil­ité des entre­pris­es et la légal­ité des opéra­tions ; (…) ; il a donc encore sa place dans le régime cap­i­tal­iste et libéral, et c’est effec­tive­ment dans un tel cli­mat poli­tique qu’il a été insti­tué et qu’il s’est dévelop­pé dans la plu­part des nations. ”

Le con­trôle des prix et les nation­al­i­sa­tions ont été lourds de con­séquences pour l’évo­lu­tion de l’actuariat. 

Sans con­cur­rence intérieure ou extérieure les entre­pris­es ne cher­chaient pas l’in­no­va­tion et on se dés­in­téres­sait quelque peu des actu­aires. Leur recrute­ment à l’I­AF deve­nait de plus en plus parci­monieux, les pro­mo­tions annuelles n’é­tant plus que de un ou deux individus. 

L’an­née 1967 est à cet égard la plus désas­treuse puisque aucun can­di­dat ne fut admis. 

L’ouverture des marchés, la libéralisation de l’économie et le renouveau actuariel

La con­struc­tion européenne n’a véri­ta­ble­ment com­mencé dans l’as­sur­ance qu’en 1973 qui vit la pre­mière direc­tive instau­r­er la lib­erté d’étab­lisse­ment pour les entre­pris­es non-vie de la Com­mu­nauté. En 1979 les entre­pris­es d’as­sur­ance vie passèrent au même régime. 

Après un régime tran­si­toire de libre presta­tion de ser­vices instau­ré en 1988 et 1990, les troisièmes direc­tives ont posé en 1992 le principe de l’a­gré­ment unique au sein de l’U­nion européenne et le con­trôle par le pays du siège. 

Du fait des évo­lu­tions européennes les pra­tiques de con­trôle sont appelées à s’u­ni­formiser. En par­ti­c­uli­er le sys­tème bri­tan­nique de délé­ga­tion de con­trôle à des actu­aires privés a déjà sus­cité des imi­ta­tions et le lob­by des actu­aires s’est instal­lé à Bruxelles. 

La coex­is­tence des actu­aires et des con­trôleurs a été mar­quée par la com­préhen­sion mutuelle des devoirs de cha­cun et elle s’est sou­vent accom­pa­g­née de coopération. 

Les actu­aires français avaient après 1968 stop­pé leur déclin démo­graphique en créant un organ­isme de for­ma­tion con­tin­ue, le Cen­tre d’é­tudes actu­ar­ielles. Ain­si en 1972 ce n’est pas moins de 23 actu­aires qui rejoignent l’IAF. 

Les effec­tifs de con­trôleurs, en dépit des change­ments européens, sont restés au niveau d’une quar­an­taine jusqu’en 1998. Néan­moins le con­trôle a con­nu un boule­verse­ment con­sid­érable en 1990. Jusqu’en 1989 les com­mis­saires con­trôleurs ne fai­saient que ren­dre compte de leurs con­stata­tions au min­istre des Finances qui, seul, pou­vait pre­scrire les redresse­ments suggérés. 

Les con­trôles a pri­ori des con­trats et des tar­ifs avaient com­mencé à être sup­primés à par­tir de 1986. Une loi du 31 décem­bre 1989 a créé une insti­tu­tion nou­velle indépen­dante de l’ad­min­is­tra­tion, la Com­mis­sion de con­trôle des assur­ances. Elle a des pou­voirs de redresse­ment et de sanc­tions et elle utilise pour ses inves­ti­ga­tions le ser­vice du con­trôle des assur­ances, qui a dû à cette occa­sion gér­er une infra­struc­ture admin­is­tra­tive néces­saire à ses besoins (ges­tion des récla­ma­tions du pub­lic, moyens infor­ma­tiques, coopéra­tion internationale). 

Les déna­tion­al­i­sa­tions ont aus­si per­mis de clar­i­fi­er le rôle de l’É­tat, puisqu’il se borne désor­mais à fix­er les règles du jeu, sans inter­venir dans la ges­tion des affaires. 

En 1999, suite à l’ap­pari­tion de grandes dif­fi­cultés dans le secteur de l’as­sur­ance vie, le min­istre de l’É­conomie et des Finances a décidé que l’ef­fec­tif des com­mis­saires con­trôleurs devait être porté à 70 en dix ans. 

Conclusions et perspectives

La chose n’est pas sur­prenante dès lors que la for­ma­tion des uns et des autres est sem­blable. On pour­rait même dire que les deux appel­la­tions sont syn­onymes : un actu­aire est soucieux de la solv­abil­ité de l’en­tre­prise qui l’emploie et doit aus­si par­ticiper au con­trôle interne ; un con­trôleur doit avoir une for­ma­tion actu­ar­ielle et se préoc­cu­per de la prospérité de la société qu’il contrôle. 

La mon­di­al­i­sa­tion des fac­teurs de risque et des liaisons finan­cières con­stitue pour l’avenir une nou­velle rai­son de com­plex­ité des métiers de con­trôleurs et d’ac­tu­aires. On ne pour­ra y faire face que par une coopéra­tion accrue entre les deux pro­fes­sions. Une voie non expéri­men­tée en France est la délé­ga­tion de pou­voir de con­trôle aux actu­aires, bien naturelle­ment sous la sur­veil­lance générale de l’É­tat. Un autre défi qui devrait néces­siter une com­plète coopéra­tion est celui des équili­bres financiers de notre pro­tec­tion sociale. Or je con­state, en la déplo­rant, l’ab­sence presque absolue des poly­tech­ni­ciens dans les organ­ismes de sécu­rité sociale, de retraite et de prévoy­ance, alors qu’ils peu­plent en abon­dance les états-majors des sociétés d’assurance. 

Un sujet de fric­tion entre les fonc­tion­naires et les respon­s­ables des sociétés aurait pu être celui des con­trôles a pri­ori. Les com­mis­saires con­trôleurs n’ont presque pas été impliqués dans ces pra­tiques et l’évo­lu­tion libérale européenne inter­dit désor­mais le retour au dirigisme économique. 

À cet égard la sit­u­a­tion de la fin du XIXe siè­cle était plus sat­is­faisante, puisque les actu­aires français s’im­pli­quaient dans la con­struc­tion des dis­posi­tifs de pro­tec­tion sociale. Voici en quels ter­mes Léon Marie, actu­aire et poly­tech­ni­cien (pro­mo­tion 1873), s’ex­pri­mait en jan­vi­er 1899, à pro­pos d’une loi sur les sociétés de sec­ours mutuels à laque­lle il avait travaillé : 

” Cette loi peut être en effet con­sid­érée à bon droit comme une vic­toire de la logique et du bon sens sur l’ig­no­rance et sur la rou­tine. Mal­gré la résis­tance dés­espérée des amis du chaos, elle est venue sanc­tion­ner la néces­sité du con­trôle sci­en­tifique sur les opéra­tions de la mutu­al­ité. Elle con­sacre la plu­part des principes inélucta­bles pour lesquels nous avons tou­jours résol­u­ment com­bat­tu : péréqua­tion néces­saire des ressources et des charges, fédéra­tion des petites sociétés pour les opéra­tions à long terme, usage du livret indi­vidu­el de retraite, créa­tion de caiss­es autonomes, etc. 

Sans doute, l’in­ter­ven­tion du lég­is­la­teur est encore timide et impar­faite. La loi nou­velle présente des fis­sures par lesquelles se glis­seront ceux qui croient faire preuve de phil­an­thropie et d’ha­bileté en procla­mant que deux et deux font cinq. ” 

Si l’on ne pra­ti­quait pas aujour­d’hui la langue de bois, les mêmes choses pour­raient sans doute être redites.

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