Pour une utilisation préventive du régime “ catastrophes naturelles ”

Dossier : Les assurancesMagazine N°560 Décembre 2000
Par Daniel TARDY (53)

L’ampleur de ces dégâts tient large­ment au fait que notre pays n’a engagé que très tar­di­ve­ment une véri­ta­ble poli­tique, dans le domaine de la ges­tion des eaux de sur­face et dans celui de la préven­tion des risques majeurs d’inondations.

Une prise de con­science, devant les con­séquences de l’ex­ten­sion de l’ur­ban­i­sa­tion dans les zones exposées à des risques naturels, est née au début des années 1980.

Mais, c’est seule­ment au milieu des années qua­tre-vingt-dix que des avancées impor­tantes ont été réal­isées avec la mise en place d’une poli­tique de préven­tion con­tre les inon­da­tions et les risques naturels.

Le dispositif législatif a connu des évolutions significatives au cours des vingt dernières années

Rap­pelons qu’en France les événe­ments naturels étaient exclus des con­trats d’as­sur­ance jusqu’en 1982.

La loi du 13 juil­let 1982 a insti­tué un régime spé­ci­fique d’in­dem­ni­sa­tion des vic­times des cat­a­stro­phes naturelles, qui est sub­or­don­né à deux con­di­tions préalables :

  • l’é­tat de cat­a­stro­phe naturelle doit avoir été con­staté par un arrêté ministériel,
  • les biens sin­istrés doivent être cou­verts par un con­trat d’as­sur­ance ” dom­mages aux biens “.


Cette loi per­met de définir des plans d’oc­cu­pa­tion des sols évi­tant les con­struc­tions dans les espaces exposés.

La loi du 22 juil­let 1987, mod­i­fiée par la loi Barnier du 2 févri­er 1995 rel­a­tive au ren­force­ment de la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­nement, a mis en place des plans de préven­tion des risques naturels (PPR). L’élab­o­ra­tion des PPR, instru­its sous la respon­s­abil­ité de la Direc­tion de la préven­tion des risques et des pol­lu­tions du min­istère de l’En­vi­ron­nement, per­met de régle­menter l’ur­ban­isme, la con­struc­tion et la ges­tion des ter­rains dans les zones exposées. Depuis 1995, l’É­tat est désor­mais en mesure d’ex­pro­prier des lieux exposés à des risques naturels.

Depuis 1994, l’État a renforcé la politique de prévention des risques naturels

La mise en place de plans de préven­tion à la charge du min­istère de l’En­vi­ron­nement est essen­tielle mais elle ne con­cerne encore qu’une com­mune sur cinq au regard des risques d’inondations.

Actuelle­ment, on dénom­bre 17 700 com­munes exposées à des risques naturels divers. Par­mi celles-ci, 11 600 d’en­tre elles sont men­acées par des risques d’inondations.

Or, au 1er août 1999, seules 2 120 com­munes étaient dotées d’un plan de préven­tion des risques naturels prévis­i­bles. Plus de 2 000 autres com­munes font l’ob­jet de PPR en cours d’élaboration.

L’ob­jec­tif est que, d’i­ci 2010, les 10 000 com­munes les plus exposées du ter­ri­toire nation­al soient cou­vertes par un PPR.

Ce pro­gramme con­naît une mon­tée en puis­sance : 20 mil­lions de francs ont été investis en 1993, 75 mil­lions de francs en 1999. La loi de Finances rec­ti­fica­tive pour 1999 a per­mis pour la pre­mière fois de financer des PPR par le fonds de préven­tion des risques naturels majeurs insti­tué par la loi du 2 févri­er 1995, des­tiné à financer les expro­pri­a­tions défini­tives des biens exposés aux risques naturels prévisibles.

En 2000, les moyens con­sacrés à la réal­i­sa­tion de cet objec­tif ont été portés à plus de 100 mil­lions de francs. Pour les autres com­munes, pour lesquelles les risques pour les per­son­nes et les biens sont peu impor­tants, la prise en compte des risques se fait essen­tielle­ment via les plans d’oc­cu­pa­tion des sols.

Selon Philippe Vesseron, directeur de la Direc­tion de la préven­tion des risques et des pol­lu­tions du min­istère en charge de l’En­vi­ron­nement, l’ob­jec­tif réaf­fir­mé est que 5 000 com­munes soient cou­vertes par un PPR en 2005.

Si une nette accéléra­tion du rythme d’étab­lisse­ment des plans relat­ifs aux inon­da­tions est observée, le retard ne laisse toute­fois pas espér­er une cou­ver­ture sat­is­faisante du ter­ri­toire avant vingt ans.

  • En com­plé­ment, des atlas de zones inond­ables sont élaborés à l’échelle des bassins ver­sants des cours d’eau.
    Depuis 1994, l’É­tat a con­sacré plus de 40 MF à la car­togra­phie des prin­ci­pales zones inond­ables, qui est pra­tique­ment achevée dans un tiers des régions.
  • Un plan de restau­ra­tion des cours d’eau a été engagé pour un coût glob­al de 10 mil­liards de francs sur dix ans.
    Le min­istère chargé de l’En­vi­ron­nement inter­vient en faveur de la restau­ra­tion des cours d’eau et des zones naturelles d’ex­pan­sion des crues et la pro­tec­tion des lieux habités con­tre les crues.
  • Les procé­dures de sur­veil­lance et d’alerte.
    En 1999, l’É­tat a con­sacré 39 mil­lions de francs pour mod­erniser les réseaux d’an­nonce de crues.

Outre la prévention, le dispositif français est doté d’un système de couverture des risques naturels géré par les compagnies d’assurance relativement efficace…

Ce sys­tème s’ar­tic­ule autour de deux mécan­ismes de réassurance :

  • Les com­pag­nies d’as­sur­ance cèdent à la Caisse cen­trale de réas­sur­ance (CCR) une cer­taine pro­por­tion de primes encais­sées au titre de la cou­ver­ture des cat­a­stro­phes naturelles, la CCR s’en­gageant en con­trepar­tie à pren­dre en charge la même pro­por­tion de sin­istres. En 1998, 46 % de ces primes ver­sées par les assurés ont été recédées à la CCR. En août 1999, la coti­sa­tion des assurés au titre des cat­a­stro­phes naturelles est passée de 9 % à 12 %, pour faire face à la mul­ti­pli­ca­tion des cat­a­stro­phes d’am­pleur limitée.
  • La CCR inter­vient seule­ment dans le cas d’un sin­istre majeur. Cet excé­dent de primes sur les sin­istres per­met d’al­i­menter, dans les comptes de la CCR, un fonds de réserve qui sert à la cou­ver­ture des risques de très grande ampleur.

Le dis­posi­tif français dis­pose d’une Caisse cen­trale de réas­sur­ance qui inter­vient avec la garantie de l’État.

Un nou­veau sché­ma de réas­sur­ance a été mis en place en 1997, pour laiss­er aux assureurs une part plus impor­tante des risques.

Ain­si, le dis­posi­tif français, à par­tir d’une éval­u­a­tion des dégâts, offre une indem­ni­sa­tion rapide.

L’ef­fi­cac­ité de ce mod­èle inspire les pays voisins.

L’É­tat inter­vient au Dane­mark, en Espagne, en Norvège, aux Pays-Bas et en Suisse, qui ont élar­gi leur sys­tème d’as­sur­ance aux dom­mages causés par les cat­a­stro­phes naturelles. En Norvège et en Suisse, les dom­mages causés par les événe­ments naturels et qui ne sont pas sus­cep­ti­bles d’être cou­verts par l’as­sur­ance sont indem­nisés par un fonds de sec­ours. Actuelle­ment, la Bel­gique et l’I­tal­ie éla­borent un nou­veau sys­tème, inspiré du mod­èle français.

Toutefois, une certaine dérive du régime d’assurance des catastrophes naturelles est manifeste

” L’abonnement ” de certaines communes à un risque en général

Au cours de la péri­ode 1982–1999, 82 % des 36 000 com­munes français­es ont béné­fi­cié d’un arrêté cat­a­stro­phes naturelles. Depuis la mise en place du régime d’as­sur­ance, cer­taines com­munes ont été déclarées en état de cat­a­stro­phes naturelles plus de cinq fois, cer­taines quinze fois et plus.

La Caisse cen­trale de réas­sur­ance estime que 23 381 com­munes ont total­isé 50 554 arrêtés au regard du risque des inondations.

Les frais de gestion des contrats d’assurance sont élevés, de l’ordre de 25 %

Les frais de ges­tion français sont rel­a­tive­ment élevés mais restent com­pa­ra­bles à ceux que l’on observe dans les autres pays européens. Ils sont inférieurs en Suisse ou en Espagne mais l’in­dem­ni­sa­tion dans ces pays demande plus d’un an et demi.

Le dispositif actuel entraîne un effet de déresponsabilisation des citoyens et des élus

L’é­tat de cat­a­stro­phe naturelle est décrété trop sys­té­ma­tique­ment, ce qui a pour effet de dére­spon­s­abilis­er les col­lec­tiv­ités locales. Dans son dernier rap­port annuel, la Cour des comptes souligne cet état de fait.En effet, en per­me­t­tant l’in­dem­ni­sa­tion automa­tique des sin­istrés et en offrant aux assureurs la garantie de l’É­tat, ce dis­posi­tif provoque le manque d’im­pli­ca­tion des acteurs. Per­son­ne n’est respon­s­able de l’inexé­cu­tion des ouvrages nécessaires.

Les lacunes résultent des pratiques assurantielles

Si le régime français sert de mod­èle à l’é­tranger, il ne résout pas le prob­lème des biens sin­istrés qui, par nature, ne peu­vent être assurés, comme les voies et les réseaux.

Des propositions pour privilégier une gestion des risques plutôt qu’une gestion des catastrophes

Citons les inon­da­tions de l’Aude et des départe­ments voisins qui sont sur­v­enues les 12 et 13 novem­bre 1999 qui ont fait 34 vic­times et prob­a­ble­ment 5 mil­liards de francs de dommages.

Un con­stat : le coût des travaux préven­tifs est net­te­ment inférieur au mon­tant con­sacré par la société à l’indemnisation

À l’is­sue de cette cat­a­stro­phe, le Pre­mier min­istre a déclaré qu’il fal­lait réalis­er les travaux indis­pens­ables pour pro­téger les zones urban­isées et entretenir les ouvrages de défense con­tre les inon­da­tions. Dans le cadre du con­trat de plan, il a indiqué que l’É­tat abon­derait l’ef­fort prévu en faveur des ouvrages hydrauliques des­tinés à prévenir les inon­da­tions en Languedoc-Roussillon.

Ces inon­da­tions mon­trent bien que seule une meilleure préven­tion des risques, assor­tie d’un pro­gramme de travaux adap­tés, per­me­t­tra de réduire la fac­ture lais­sée par ces événe­ments exceptionnels.

Imag­i­nons une crue de la Seine iden­tique à celle de 1910. Elle emporterait le sys­tème actuel d’as­sur­ance con­tre les risques naturels majeurs.

L’événe­ment causerait 55 mil­liards de francs de dégâts. L’in­sti­tu­tion inter­dé­parte­men­tale des bar­rages-réser­voirs de la Seine estime que les 4 bar­rages réser­voirs situés en amont de Paris seraient inca­pables d’ab­sorber le vol­ume des flots qui se sont écoulés en 1910. Pour prévenir les con­séquences d’un tel débit, la con­struc­tion des ouvrages néces­saires et leur main­te­nance pen­dant un siè­cle néces­sit­eraient 13 mil­liards de francs.

La crue de la Seine, au Pont-Neuf.
La crue de la Seine, au Pont-Neuf. © FNTP

Face à ce con­stat, qua­tre grandes ori­en­ta­tions se dessinent :

  • Réalis­er un recense­ment des ouvrages de pro­tec­tion con­tre les inondations
    Un pro­gramme de recense­ment a été lancé par le min­istère de l’Amé­nage­ment du Ter­ri­toire et de l’En­vi­ron­nement en mai 1999. Nous atten­dons les résul­tats qui per­me­t­tront de définir les besoins de mod­erni­sa­tion des ouvrages et de met­tre en place un pro­gramme de travaux de pro­tec­tion des lieux sensibles.
     
  • Engager un grand pro­gramme de petits travaux pour prévenir les cat­a­stro­phes naturelles
    Aujour­d’hui, la réal­i­sa­tion de retenues à voca­tion d’éc­re­tage des crues, l’en­tre­tien des digues, la pro­tec­tion des réseaux routiers… restent insuff­isants. Le lance­ment d’un pro­gramme de travaux d’en­tre­tien, de réha­bil­i­ta­tion des équipements exis­tants et de pro­tec­tion des ouvrages est indis­pens­able pour prévenir les phénomènes de cat­a­stro­phes naturelles et atténuer leurs impacts. C’est seule­ment au prix d’un vaste pro­gramme de travaux que nous pour­rons préserv­er des vies humaines.
     
  • Établir un lien entre l’in­dem­ni­sa­tion et la prévention
    Si le régime d’in­dem­ni­sa­tion des cat­a­stro­phes naturelles a mon­tré son effi­cac­ité après plus de quinze ans d’ex­is­tence, des pro­grès restent à accom­plir pour mieux définir et répar­tir les indem­nités ver­sées par zone géo­graphique et par péril.
    Le député d’In­dre-et-Loire, Yves Dauge, qui a con­duit une mis­sion sur les poli­tiques publiques de préven­tion des inon­da­tions en France, pro­pose une plus grande rigueur dans l’in­dem­ni­sa­tion des dégâts. Nous con­fir­mons tout l’in­térêt de lier le taux d’in­dem­ni­sa­tion à la réal­i­sa­tion de travaux préventifs.
    Le risque zéro n’ex­is­tant pas, Yves Dauge estime indis­pens­able de dévelop­per une cul­ture du risque. Nous devons, en effet, définir le niveau de risque accept­able par nos sociétés et donc le degré de pro­tec­tion indispensable.
     
  • Affecter une par­tie des primes d’as­sur­ances au finance­ment des travaux de prévention
    Les cinq mil­liards annuels de primes d’as­sur­ances col­lec­tées au titre des ” cat­a­stro­phes naturelles ” con­tribuent à la cou­ver­ture des frais généraux des com­pag­nies d’as­sur­ance et génèrent des pro­duits financiers util­isés lors des indem­ni­sa­tions. Une par­tie de ces primes s’a­joutant à d’autres sources de finance­ment (les agences de l’eau pour lut­ter con­tre les inon­da­tions) pour­rait con­tribuer au finance­ment des travaux néces­saires, pour réduire les risques encou­rus. Un taux d’in­dem­ni­sa­tion des con­séquences des cat­a­stro­phes naturelles, amputé de quelques pour cent en l’ab­sence de mesures de préven­tion, per­me­t­trait de récupér­er la con­tri­bu­tion amont des com­pag­nies d’as­sur­ance et de faire pro­gress­er les efforts de préven­tion. Dans tout sys­tème d’as­sur­ances, en effet, l’ab­sence de tick­et mod­éra­teur ou de bonus-malus favorise les com­porte­ments non responsables.
     

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En con­clu­sion, l’amélio­ra­tion des mécan­ismes d’in­dem­ni­sa­tion des vic­times devra se dou­bler de pro­grès dans la préven­tion, assor­tie d’un pro­gramme de travaux d’en­ver­gure. Les deux mesures vont de pair pour met­tre en place une poli­tique de préven­tion des cat­a­stro­phes naturelles pérenne et effi­cace. La mise en place d’une poli­tique cohérente et à long terme pour ren­forcer la sécu­rité des biens et des per­son­nes néces­sit­era, bien enten­du, la par­tic­i­pa­tion de tous les acteurs concernés.

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