Les mathématiques aujourd'hui

Quelle place pour les mathématiques en France aujourd’hui ?

Dossier : MathématiquesMagazine N°782 Février 2023
Par Stéphane JAFFARD (X81)

Les mathé­ma­tiques et l’École poly­tech­nique, c’est d’abord un long mariage d’amour : les fon­da­teurs de l’École étaient conscients de l’importance de cette dis­ci­pline dans la for­ma­tion des futurs offi­ciers des armes tech­niques, comme l’artillerie, et ils ont vou­lu la doter de cours d’analyse rigou­reux incluant les avan­cées les plus récentes. Pour ne citer qu’un exemple, c’est avec ce sou­ci de don­ner des bases solides à son cours que Cau­chy intro­dui­sit la défi­ni­tion d’une fonc­tion conti­nue, ce qui se fit non sans quelques réti­cences de la part des élèves ! Au XIXe siècle, les cours d’analyse de l’École poly­tech­nique, ensei­gnés par les plus grands mathé­ma­ti­ciens de l’époque, font réfé­rence dans l’Europe entière. Encore tout récem­ment, l’École a résis­té avec suc­cès aux ten­ta­tives de bais­ser le niveau d’exigence en mathé­ma­tiques deman­dé aux élèves, consciente du fait qu’un haut niveau dans cette dis­ci­pline sera indis­pen­sable aux ingé­nieurs de demain.

« L’École a résisté avec succès aux tentatives de baisser le niveau d’exigence en mathématiques demandé aux élèves. »

Nul ne sera donc éton­né si, par­mi les nom­breux patrons qui sont inter­ve­nus au prin­temps der­nier dans les médias pour défendre les mathé­ma­tiques, une grande pro­por­tion d’entre eux étaient poly­tech­ni­ciens. De quoi s’alarmaient-ils ? Tout d’abord de la dis­pa­ri­tion des mathé­ma­tiques dans cer­taines filières du lycée, alors que, dans la socié­té de haute tech­no­lo­gie où nous vivons, des citoyens éclai­rés ont tous besoin de bases mini­males en sciences, et tout par­ti­cu­liè­re­ment en mathé­ma­tiques. Mais aus­si de l’appauvris­sement de l’enseignement de cette dis­ci­pline à tous les niveaux, avec des consé­quences dra­ma­tiques pour notre éco­no­mie. Éblouies par les der­niers feux d’une recherche d’excellence, comme la médaille Fields d’Hugo Dumi­nil-Copin l’été der­nier, les auto­ri­tés poli­tiques se sont refu­sé à voir un effon­dre­ment déjà bien engagé.

Dans La Jaune et la Rouge en ligne de sep­tembre 2022, Emma­nuel Royer et moi annon­cions la tenue des assises des mathé­ma­tiques, du 14 au 16 novembre der­nier ; le but de ce col­loque à l’Unesco était de faire le point sur les nou­veaux besoins de mathé­ma­tiques dans les autres sciences, l’économie et la socié­té ; il a connu un grand suc­cès – la salle de quatre cents places était pleine et nous avons refu­sé du monde ! Les expo­sés sont acces­sibles sur le site du col­loque : https://www.assises-des-mathematiques.fr.
On note­ra les inter­ven­tions poli­tiques du pre­mier jour : Antoine Petit, PDG du CNRS, a sou­li­gné avec force la situa­tion pré­oc­cu­pante de la recherche mathé­ma­tique en France aujourd’hui ; Syl­vie Retailleau, ministre de l’Enseignement supé­rieur et de la Recherche, a assu­ré la dis­ci­pline de son sou­tien ; et Pap Ndiaye, ministre de l’Éducation natio­nale, a annon­cé une série de mesures spé­ci­fiques pour accroître la place des mathé­ma­tiques au col­lège et au lycée.

« Éblouies par les derniers feux d’une recherche d’excellence, les autorités politiques se sont refusé à voir un effondrement déjà bien engagé. »

Dans la conti­nui­té de ce col­loque, le pré­sent dos­sier fait un point sur la place des mathé­ma­tiques en France aujourd’hui. Je remer­cie Emma­nuel Royer (X94) avec qui ce dos­sier a été monté.

C’est l’INSMI (Ins­ti­tut natio­nal des sciences mathé­ma­tiques et de leurs inter­ac­tions) du CNRS qui effec­tue­ra le por­tage des pro­po­si­tions issues des sept groupes de tra­vail que j’ai eu le grand plai­sir de pilo­ter au pre­mier semestre 2022 en vue des assises ; j’émets le vœu que leurs pro­po­si­tions ne soient pas édul­co­rées, mais que les déci­deurs poli­tiques prennent plei­ne­ment conscience de la situa­tion cri­tique dans laquelle se trouvent les mathé­ma­tiques en France aujourd’hui. 


En illus­tra­tion : 4 poly­èdres de Kepler-Poin­sot : grand dodé­ca­èdre. CC 4.0 BY-NC-SA. Source : Col­lec­tions de l’Ins­ti­tut Hen­ri-Poin­ca­ré, Paris.

Commentaire

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Michel The­ve­not X62répondre
8 février 2023 à 19 h 27 min

Il n’est pas dou­teux que les mathé­ma­tiques soient une dis­ci­pline fon­da­men­tale et ce par­ti­cu­liè­re­ment de nos jours. Mais tous n’ont pas des intel­li­gences qui se com­plaisent dans l’abs­trac­tion pure. Dans ces condi­tions ne convien­drait-il pas que les mathé­ma­tiques soient en per­ma­nence ensei­gnées en étroite cor­ré­la­tion, y com­pris sur le plan his­to­rique, avec le déve­lop­pe­ment des sciences de la nature, c’est-à-dire avec une pro­gres­sion liée à celle de ces der­nières et que cesse le petit jeu consis­tant à dis­so­cier l’abs­trac­tion du réel au lieu de mon­trer la néces­si­té du pro­grès des mathé­ma­tiques pour l’é­vo­lu­tion de notre com­pré­hen­sion du monde auquel au demeu­rant nous appartenons.

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