Rizière au Viêt Nam

Vivre expatrié au Viêt Nam

Dossier : ExpressionsMagazine N°678 Octobre 2012
Par Pierre De LACROIX De LAVALETTE (62)

J’ai dû m’installer à Hanoï pour y super­vi­ser plu­sieurs pro­jets de construc­tion d’aciéries dès 2007. 

Le bud­get est ser­ré, il faut se loger dans des appar­te­ments à loyer modé­ré, faire son mar­ché sur place, et se débrouiller avec les trans­ports locaux pour se déplacer. 

Le Viêt Nam a beau avoir été sous influence fran­çaise pen­dant près de cent ans, l’usage du fran­çais a presque com­plè­te­ment disparu. 

Faire le marché sur le trottoir

La pre­mière épreuve est de faire les courses ali­men­taires. À Hanoï, pas de super­mar­ché de type euro­péen. Il y a une supé­rette dans le coin, où l’on peut trou­ver sur­tout du beurre et quelques pro­duits lai­tiers, des bois­sons et des pro­duits d’épicerie.

Tra­di­tion­nel­le­ment, le mar­ché se tient sur les trot­toirs, qui ne sont pas réser­vés aux pié­tons, mais plu­tôt consi­dé­rés comme des annexes des com­merces qui bordent la rue. On y assemble des meubles, soude des grilles, grave des pierres tom­bales, et sur­tout on y vend de la nour­ri­ture et sert des repas. 

Aucun prix n’est affi­ché, il faut tout marchander 

Aucun prix n’est affi­ché. Il faut tout mar­chan­der, et dès qu’un étran­ger s’approche, les prix sont mul­ti­pliés par deux ou trois. Nous avons repé­ré quelques com­mer­çantes sym­pa­thiques et hon­nêtes qui nous servent de bons pro­duits avec le sourire. 

L’ananas est éplu­ché devant le client, les yeux ôtés avec un cou­teau très fin en taillant des encoches héli­coï­dales. Le spec­tacle en vaut la peine. L’ananas est ven­du à point et cueilli la veille. 

Les pois­sons et crus­ta­cés sont ven­dus vivants, parce qu’aucun Asia­tique n’achèterait de cadavres. 

Se déplacer par le rail

Je dois chaque semaine me rendre à Lào Cai pour mes affaires. Lào Cai est une ville fron­tière avec la Chine, à deux cent quatre-vingts kilo­mètres au nord-ouest de Hanoï. Il faut comp­ter huit heures de voyage entre les deux villes, par la route ou par le train. 

Déjeu­ner dans la rue
Les res­tau­rants de rue sont un spec­tacle dont on ne se lasse pas. Les tables ont la hau­teur d’une table de che­vet et les clients sont assis sur de tout petits tabou­rets d’une tren­taine de cen­ti­mètres de hau­teur. La cui­sine est faite sur de petits bra­se­ros, sur les­quels sont pla­cées les mar­mites ou les poêles à frire. Par­fois, un bar­be­cue est pré­pa­ré. La cui­sine sent tou­jours très bon. Lorsque le temps est mena­çant, des bâches en plas­tique sont déployées au-des­sus des tables, et fixées entre les troncs d’arbres les plus proches et les murs des maisons. 

Les grandes infra­struc­tures ter­restres, construites à l’époque colo­niale, n’ont pas été moder­ni­sées. La voie fer­rée entre Hanoï et Lào Cai fait par­tie de ce qui était le Che­min de fer du Yun­nan, construit à l’initiative de Paul Dou­mer entre 1898 et 1905 pour relier Haï­phong à Kun­ming en Chine. Un cer­tain nombre d’ouvrages d’art ont fait la répu­ta­tion de cette ligne et ont valu à la Socié­té de construc­tion des Bati­gnolles de rem­por­ter d’autres mar­chés de construc­tion de voies fer­rées dans diverses par­ties du globe. 

Le pont Dou­mer, qui fran­chit le fleuve Rouge avec une pas­se­relle métal­lique de près de deux kilo­mètres de long, a été en son temps le plus long pont métal­lique du monde. 

Dormir si l’on peut

Lào Cai est sur­tout une étape pour aller visi­ter la sta­tion cli­ma­tique de Sapa, créée par les Fran­çais pour soi­gner les mili­taires loin des tem­pé­ra­tures cani­cu­laires des plaines, et aujourd’hui très pri­sée des randonneurs. 

Un parc natio­nal autour du mont Fan­si­pan, point culmi­nant du Viêt Nam à plus de trois mille mètres d’altitude, et des vil­lages d’ethnies hmong et thaï font par­tie des cir­cuits pro­po­sés à de très nom­breux touristes. 

Ain­si, plu­sieurs trains font ce tra­jet chaque nuit. Le confort des voi­tures varie de wagons à ban­quettes de bois à des cou­chettes souples cli­ma­ti­sées. Pour ceux qui séjournent à l’hôtel Vic­to­ria de Sapa, des voi­tures-lits et un wagon-res­tau­rant à décor de bois sculp­té sont prévus. 

Dor­mir dans le train dépend de ses voi­sins de com­par­ti­ment. Lorsqu’on a la chance de le par­ta­ger avec des tou­ristes, après les congra­tu­la­tions d’usage tout le monde se couche et éteint les lumières. Mais lorsque ce sont des Viet­na­miens, c’est beau­coup plus dif­fi­cile. En effet, les Viet­na­miens sont com­plè­te­ment esclaves de leurs télé­phones por­tables, et ils passent leur temps en conver­sa­tions inter­mi­nables, sans sou­ci de leurs voisins. 

Gare au compteur

L’arrivée au matin en gare de Hanoï réserve une autre sur­prise : les taxis. Comme la majo­ri­té des usa­gers des trains de nuit venant de Lào Cai sont des tou­ristes, les chauf­feurs de taxis essaient de les accro­cher dès la sor­tie du wagon. Ils riva­lisent de ruses pour les atti­rer dans leur voi­ture, dont très sou­vent le comp­teur kilo­mé­trique a été trafiqué. 

La gare, construite au début des années 1900, coupe la ville en deux. À l’époque, l’essentiel de l’agglomération, dont la vieille ville et la ville fran­çaise, se trou­vait à l’est de la voie fer­rée, et à l’ouest il y avait sur­tout des rizières. Les exten­sions se sont faites vers le sud et vers l’est. Aujourd’hui, la gare est un véri­table mur de sépa­ra­tion fran­chis­sable en deux points seule­ment, qui créent d’importants embou­teillages aux heures d’affluence.

L’autoroute accessible au bétail

Prendre la route au Viêt Nam est aus­si une aven­ture. Je dois me rendre régu­liè­re­ment à Thái Nguyên, ville située à une soixan­taine de kilo­mètres au nord de Hanoï. Deux bonnes heures sont néces­saires pour effec­tuer ce tra­jet. Au départ de Hanoï, on prend la route de l’aéroport, qui est une auto­route. Mais la notion d’autoroute est ici par­ti­cu­lière. En effet, l’autoroute est acces­sible à tous les types de trans­port, y com­pris le bétail. 

Ensuite, on prend la route nor­male, qui date de l’époque fran­çaise et reste dans son état d’origine. La route sert à tout. Au moment de la récolte du riz, les pay­sans étendent des bâches sur le bitume chauf­fé par le soleil et y mettent le riz à sécher. Tout le monde se prête à ce jeu, et les véhi­cules se déportent pour évi­ter de rou­ler sur le riz. La route est très fré­quen­tée : beau­coup de camions, et sur­tout d’autobus reliant les villes du nord du pays à Hanoï et Haïphong. 

Les conduc­teurs sont de vrais kami­kazes : la main blo­quée sur l’avertisseur, ils tentent de dépas­ser tout autre véhicule. 

Marcher sans reculer

Retour en ville, avec ses rues grouillantes de pié­tons et de scoo­ters où les voi­tures doivent se fau­fi­ler en évi­tant les divers obs­tacles. Aucun Occi­den­tal ne peut ima­gi­ner ce qu’un scoo­ter peut trans­por­ter ici. On y voit des familles entières avec les deux parents et les enfants s’agrippant à eux. On y voit aus­si des meubles entiers. On y voit encore des vases en céra­mique de deux mètres de haut, ou des cochons vivants ligo­tés pour être vendus. 

Pour un Occi­den­tal, tra­ver­ser les rues est un cauchemar 

Pour un Occi­den­tal, tra­ver­ser les rues est un cau­che­mar. En effet, le res­pect des feux et des sens inter­dits est rela­tif, et ce n’est pas parce qu’un feu est rouge que les scoo­ters, les bus et les voi­tures s’arrêtent, encore moins pour lais­ser pas­ser les pié­tons, même sur un pas­sage clouté. 

Il faut donc se résoudre à tra­ver­ser en mar­chant de façon très déter­mi­née, regar­dant droit devant soi et sur­tout d’une allure constante. Il ne faut sur­tout pas s’arrêter et encore moins recu­ler, car chaque conduc­teur anti­cipe la pro­gres­sion du pié­ton et se débrouille pour l’éviter.

Des questions sans réponse

Il a fal­lu s’habituer à la façon locale de com­mu­ni­quer. L’Occidental est habi­tuel­le­ment très direct. L’Asiatique est beau­coup plus nuan­cé. Jamais il ne dira « non » ou n’avouera qu’il ne sait pas répondre à une ques­tion. Par exemple, si l’on demande son che­min à un pas­sant dans la rue, il don­ne­ra de toute façon une direction. 

De même, votre inter­lo­cu­teur vous écou­te­ra avec beau­coup d’attention et sa figure affi­che­ra un large sou­rire. Cela signi­fie qu’il a enten­du une série de sons, mais qu’il n’a rien compris. 

C’est ain­si que, même dans le monde pro­fes­sion­nel, il faut s’assurer qu’on a été bien com­pris, en posant la même ques­tion de façons dif­fé­rentes et en com­pa­rant les réponses. 


© ISTOCK PHOTO

Les travaux des champs

Les longs tra­jets laissent le temps d’admirer les champs et le tra­vail des pay­sans. Dès le mois de mars, le repi­quage du riz est un spec­tacle dont on ne se lasse pas. Des corps coif­fés du cha­peau conique tra­di­tion­nel, de l’eau jusqu’à mi-mol­lets, cour­bés sur des éten­dues d’eau dans les­quelles les touffes de riz vert tendre sont replan­tées, ali­gnées au cordeau. 

L’eau est pom­pée dans les rizières depuis les canaux d’irrigation au moyen d’une outre en cuir tenue par deux cordes que deux femmes manoeuvrent afin de la rem­plir et de la ren­ver­ser sur le sol du champ, jusqu’à ce que la tota­li­té de la rizière soit noyée.La moto­pompe est encore très rare. 

La mois­son se fait à la fau­cille, les gerbes sont bat­tues à la main sur le bord du champ, et les grains éten­dus sur une bâche et mis à sécher sur le bord de la route. Le labou­rage est fait avec une char­rue tirée par un buffle. Il n’y a pra­ti­que­ment pas de trac­teur, la taille des rizières étant trop petite pour per­mettre une quel­conque mécanisation. 

Ce spec­tacle cham­pêtre est très beau, sur­tout au prin­temps, mais il ne doit pas faire oublier que ce tra­vail est très dur pour un prix de misère. 

2 Commentaires

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Ano­nymerépondre
15 octobre 2012 à 6 h 05 min

Bon­jour Pierre depuis
Bon­jour Pierre depuis Sin­ga­pour, bonne chance pour la suite de ton expatriation

Jeanrépondre
17 octobre 2012 à 16 h 17 min

Viet-Nam
Pierre, ton article est très bien écrit et pas­sion­nant ; tu as un vrai talent de repor­ter ; mer­ci et féli­ci­ta­tions. Jean

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