L’Europe et l’emploi après Amsterdam (deuxième partie)

Dossier : ExpressionsMagazine N°532 Février 1998Par Pierre MAILLET (43)

L’or­ga­ni­sa­tion des mar­chés du tra­vail est for­te­ment diver­si­fiée selon les pays : elle y reflète le legs d’une assez longue his­toire et les lignes de force de la culture natio­nale ; ceci se mani­feste dans les cultures d’en­tre­prise, dans le fonc­tion­ne­ment des rela­tions entre les par­te­naires sociaux (et dans l’or­ga­ni­sa­tion même de ceux-ci), dans le dia­logue entre ceux-ci et l’É­tat, dans la mise en œuvre de l’É­tat-pro­vi­dence, la liste pour­rait être allon­gée1. Il en résulte que c’est essen­tiel­le­ment par des déci­sions de carac­tère natio­nal adap­tées aux carac­té­ris­tiques de la popu­la­tion et, grâce à cela, accep­tables par celle-ci, qu’on peut che­mi­ner un peu loin sur la pre­mière piste. Nous sommes là dans un cas type d’ap­pli­ca­tion de la sub­si­dia­ri­té telle qu’elle est requise par l’ar­ticle 3 B du trai­té de Maas­tricht. Mais il faut véri­fier, au niveau com­mu­nau­taire, que ces déci­sions natio­nales ne viennent pas per­tur­ber et faus­ser le jeu du grand mar­ché, on va y revenir.

Il en va autre­ment pour la seconde piste. Du fait notam­ment de l’a­chè­ve­ment du mar­ché inté­rieur, les éco­no­mies des divers pays membres sont deve­nues de plus en plus inter­dé­pen­dantes et sen­sibles cha­cune aux poli­tiques éco­no­miques menées par les par­te­naires. En même temps, des mesures prises dans un pays, par exemple pour sti­mu­ler l’ac­ti­vi­té éco­no­mique, peuvent, pour un pays ouvert, perdre une par­tie de leur effi­ca­ci­té interne escomp­tée. Ce n’est alors que par une stra­té­gie concer­tée et coopé­ra­tive qu’on peut obte­nir les résul­tats espé­rés des poli­tiques éco­no­miques. Celle-ci doit être défi­nie de façon com­mu­nau­taire, même si, du fait des dis­pa­ri­tés de struc­ture et de situa­tions conjonc­tu­relles, le choix des ins­tru­ments et leur ampleur même doivent sou­vent dif­fé­rer d’un pays à l’autre.

Enfin, pour la troi­sième piste, la réponse est inévi­ta­ble­ment plus nuan­cée. L’ob­jec­tif de la construc­tion euro­péenne est fon­da­men­ta­le­ment poli­tique : don­ner au conti­nent les moyens de défi­nir et de réa­li­ser le style de socié­té répon­dant le mieux à ses valeurs fon­da­men­tales, lui per­mettre de jouer un rôle de pre­mier plan dans les affaires mon­diales, au ser­vice de la paix et du déve­lop­pe­ment de la pla­nète. Dans cette vision, les adap­ta­tions socié­tales devraient être l’œuvre, non seule­ment simul­ta­née, mais conjointe des États membres et des ins­ti­tu­tions com­mu­nau­taires : réflé­chir en com­mun sur les évo­lu­tions sou­hai­tables, lan­cer en com­mun des pro­jets qui ne peuvent être menés à bien qu’à plu­sieurs (on en trouve de nom­breux exemples dans le domaine de l’en­vi­ron­ne­ment) ou font jouer des syner­gies (on peut pen­ser à cer­taines orien­ta­tions de la recherche), mais à l’in­verse lais­ser à chaque pays, en fonc­tion de ses spé­ci­fi­ci­tés éco­no­miques, socio­lo­giques et cultu­relles, le soin de s’en­ga­ger plus ou moins vite dans cer­taines direc­tions (par exemple sur la réduc­tion du temps de tra­vail ou la répar­ti­tion des reve­nus). On se trouve ici dans un cas type où la sub­si­dia­ri­té se tra­duit par la conco­mi­tance de res­pon­sa­bi­li­tés aux divers niveaux déci­sion­nels, dont il faut assu­rer la cohérence.

On va d’a­bord pré­ci­ser le rôle pos­sible de l’Eu­rope, puis appré­cier la por­tée des avan­cées réa­li­sées en 1997 et pré­vues pour 1998.

I – QUEL RÔLE POSSIBLE POUR L’EUROPE ?

Le rôle pos­sible de l’Eu­rope peut être pré­ci­sé sous quatre aspects prin­ci­paux : l’au­to­no­mie sur­veillée d’or­ga­ni­sa­tion des mar­chés natio­naux du tra­vail, la com­plé­men­ta­ri­té des poli­tiques de struc­ture, la coor­di­na­tion des poli­tiques macroé­co­no­miques, la stra­té­gie exté­rieure de l’Union.

1 – Une autonomie d’organisation des marchés nationaux du travail ample, mais surveillée

Il a tou­jours été admis, tant par le trai­té de Rome lui-même que par la pra­tique com­mu­nau­taire, qu’il s’a­gis­sait là d’un mar­ché ayant une cer­taine sin­gu­la­ri­té parce que l’élé­ment concer­né, le tra­vail, a une pro­fonde spé­ci­fi­ci­té et béné­fi­cie de ce fait d’une poli­tique propre, la poli­tique sociale. L’ar­ticle 118, qui fait par­tie du titre VIII, Poli­tique sociale, dit que « la Com­mis­sion a pour mis­sion de pro­mou­voir une col­la­bo­ra­tion étroite entre les États membres dans le domaine social ». L’ar­ticle 117 parle « du rap­pro­che­ment des dis­po­si­tions légis­la­tives, régle­men­taires et admi­nis­tra­tives », l’ar­ticle 118 B dit que « la Com­mis­sion s’ef­force de déve­lop­per le dia­logue entre par­te­naires sociaux au niveau euro­péen, pou­vant débou­cher, si ces der­niers l’es­timent sou­hai­table, sur des rela­tions conven­tion­nelles ». Tous ces textes laissent une assez large auto­no­mie aux actions natio­nales. (Il en va de même pour l’ar­ticle 100, concer­nant l’har­mo­ni­sa­tion des légis­la­tions ou réglementations.)

De même, dans la pra­tique, on a tou­jours admis que chaque État avait le droit d’in­ter­ve­nir dans la déter­mi­na­tion des salaires, que ce soit par la fixa­tion d’un salaire mini­mum et de règles pour la crois­sance de celui-ci ou, en sens inverse, par la sug­ges­tion de pla­fonds de hausse à ne pas dépas­ser lors des négo­cia­tions entre par­te­naires sociaux et fixés par réfé­rence à la hausse pos­sible de la pro­duc­ti­vi­té, de façon à assu­rer la com­pa­ti­bi­li­té avec l’ob­jec­tif macroé­co­no­mique de sta­bi­li­té du niveau géné­ral des prix. Le mar­ché du tra­vail est trop le reflet d’un cer­tain type de socié­té pour qu’on ne doive pas lais­ser à chaque État membre une très large auto­no­mie pour son organisation.

Tou­te­fois, il faut veiller à ce que l’or­ga­ni­sa­tion des mar­chés du tra­vail ne soit pas en contra­dic­tion avec l’ob­jec­tif du mar­ché unique ; il faut donc sur­veiller au niveau com­mu­nau­taire les déci­sions prises dans chaque pays qui sont sus­cep­tibles d’in­fluen­cer le mar­ché du tra­vail. Si celles-ci découlent d’une volon­té de modi­fier le fonc­tion­ne­ment de la socié­té, elles peuvent a prio­ri être consi­dé­rées comme légi­times : ce sera le cas de ce qui touche l’É­tat-pro­vi­dence ; si par contre elles sont l’ex­pres­sion d’une volon­té de modi­fier les condi­tions de concur­rence avec les par­te­naires, elles sont a prio­ri à sur­veiller (par ana­lo­gie avec le prin­cipe de l’ar­ticle 92 de la sur­veillance des aides d’É­tat) : ce pour­rait par exemple être le cas d’une modi­fi­ca­tion de condi­tions ayant une influence sur la loca­li­sa­tion des entre­prises (sti­mu­la­tion à des délo­ca­li­sa­tions com­pé­ti­tives). Mais, comme pour l’ar­ticle 92 rela­tif aux aides de l’É­tat, sur­veillance ne veut pas dire interdiction.

En résu­mé, la règle doit être : auto­no­mie de prin­cipe des États dans l’or­ga­ni­sa­tion de leur mar­ché du tra­vail, mais auto­no­mie sur­veillée ; il n’y a guère de place pour de strictes déci­sions à appli­quer uni­for­mé­ment dans tous les pays et plus l’U­nion s’é­lar­git, plus gran­dit l’as­pi­ra­tion au res­pect de la diver­si­té pour un ensemble de règles qui touchent pro­fon­dé­ment l’in­di­vi­du sur des points aus­si sen­sibles que les condi­tions d’embauche et de licen­cie­ment ou les moda­li­tés de négo­cia­tion des rému­né­ra­tions sala­riales. Tou­te­fois la Com­mu­nau­té peut jouer un rôle de tout pre­mier plan dans l’in­for­ma­tion et la sti­mu­la­tion d’i­ni­tia­tives et peut ain­si pro­po­ser aux Quinze d’a­dop­ter des réso­lu­tions menant dans les divers pays à des actions d’es­prit com­pa­rable, mais dont les moda­li­tés peuvent être diver­si­fiées pour tenir compte des habi­tudes et des cultures nationales.

La forte diver­si­té des mar­chés natio­naux du tra­vail est ain­si una­ni­me­ment recon­nue, la néces­si­té, vou­lue par les popu­la­tions, de la res­pec­ter, est lar­ge­ment accep­tée d’où à plu­sieurs reprises l’af­fir­ma­tion par le Conseil que la lutte contre le chô­mage relève prio­ri­tai­re­ment des res­pon­sa­bi­li­tés natio­nales2.

2 – Marché intérieur et complémentarité organisée des politiques de structure

Si l’in­fluence sur le volume glo­bal de l’emploi en Europe de l’a­chè­ve­ment du mar­ché inté­rieur prête à contro­verse (les esti­ma­tions de la Com­mis­sion dans le rap­port Cec­chi­ni ayant géné­ra­le­ment paru exces­sives), par contre son impact pos­sible sur un bon emploi (au sens d’un emploi effi­cace) paraît cer­tain, par une sti­mu­la­tion à une bonne orien­ta­tion des pro­duc­tions sous l’angle des loca­li­sa­tions et d’un ren­for­ce­ment des spé­cia­li­sa­tions dans les domaines où l’Eu­rope a des avan­tages com­pa­ra­tifs (notam­ment les tech­niques avan­cées) ; par contre, dans la mesure où, ren­for­çant la concur­rence, il pousse aux inves­tis­se­ments de pro­duc­ti­vi­té plus encore qu’à ceux de capa­ci­té, son impact à court terme n’est pas évi­dem­ment favo­rable ; tou­te­fois, à moyen terme, le solde à escomp­ter est cer­tai­ne­ment posi­tif. D’où l’u­ti­li­té de conti­nuer à se consa­crer acti­ve­ment à son achè­ve­ment, pour que les adap­ta­tions des éco­no­mies natio­nales se fassent dans un sens qui pré­pare cor­rec­te­ment le futur ; cela implique notam­ment la pour­suite du rap­pro­che­ment des fis­ca­li­tés (et tout par­ti­cu­liè­re­ment la fis­ca­li­té sur les reve­nus des capi­taux) ain­si que la mise en œuvre de la poli­tique de concur­rence au ser­vice d’une véri­table stra­té­gie de déve­lop­pe­ment à moyen ou long terme d’une Union tou­jours plus for­te­ment immer­gée dans le contexte mondial.

De plus, dans tous les pays, de nom­breuses actions ponc­tuelles en faveur de l’emploi visent à agir par le biais d’une modi­fi­ca­tion des struc­tures de pro­duc­tion, sous les aspects aus­si bien sec­to­riels que techniques.

De son côté, la Com­mu­nau­té met en œuvre (ou a voca­tion à mettre en œuvre) plu­sieurs poli­tiques qui ont une influence (directe et vou­lue ou plus indi­recte) sur les struc­tures de pro­duc­tion de l’é­co­no­mie euro­péenne. Men­tion­nons notam­ment les poli­tiques rela­tives à l’in­dus­trie, à l’éner­gie, à la recherche et au déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, à la concur­rence (art. 85 à 94), à la cohé­sion éco­no­mique et sociale (fonds struc­tu­rels), à l’en­vi­ron­ne­ment, ain­si que les réseaux tran­seu­ro­péens, la poli­tique de trans­port, la poli­tique agri­cole, enfin la poli­tique com­mer­ciale commune.

Dans de mul­tiples domaines (à l’ex­cep­tion en prin­cipe de la poli­tique com­mer­ciale exté­rieure), la sub­si­dia­ri­té ne se tra­duit donc pas par du tout ou rien, mais donne lieu à la coexis­tence d’ac­tions natio­nales et d’ac­tions com­mu­nau­taires : cela vaut en fait pour les prin­ci­pales poli­tiques à impact struc­tu­rel. Certes, l’im­por­tance rela­tive du natio­nal et du com­mu­nau­taire peut dif­fé­rer d’un domaine à l’autre, et éga­le­ment d’un pays à l’autre, en fonc­tion des réa­li­tés et des concep­tions éco­no­miques, mais entre les diverses poli­tiques natio­nales et entre celles-ci et les poli­tiques com­mu­nau­taires, il faut veiller à évi­ter les incom­pa­ti­bi­li­tés et à assu­rer les syner­gies3.

Le sou­ci d’é­vi­ter les incom­pa­ti­bi­li­tés appa­raît en deux endroits prin­ci­paux du trai­té : à l’ar­ticle 92 (com­pa­ti­bi­li­té des sub­ven­tions à base de res­sources d’É­tat avec le bon fonc­tion­ne­ment du mar­ché) et à l’ar­ticle 100, qui concerne les régle­men­ta­tions édic­tées de façon auto­nome par les États membres. L’ex­ploi­ta­tion de syner­gies peut être visée par la recherche d’une double cohé­rence, d’une part au sein de chaque domaine entre les poli­tiques natio­nale et com­mu­nau­taire, d’autre part entre les poli­tiques menées dans les divers domaines. Ces deux aspects sont évo­qués dans le trai­té : ain­si, par exemple, pour le pre­mier (art. 130 H) « La Com­mu­nau­té et les États membres coor­donnent leur action en matière de recherche et de déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique, afin d’as­su­rer la cohé­rence réci­proque des poli­tiques natio­nales et de la poli­tique com­mu­nau­taire » ; pour le second (art. 130 R) « Les exi­gences en matière de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment doivent être inté­grées dans la défi­ni­tion et la mise en œuvre des autres poli­tiques de la Communauté ».

Mais ces sti­pu­la­tions res­tent géné­rales et aucun méca­nisme n’est pré­vu pour orga­ni­ser cette cohérence.

Cela tient à ce que, si le sou­ci d’une suf­fi­sante cohé­rence entre les actions à impact struc­tu­rel se mani­feste depuis le début du fonc­tion­ne­ment de la CECA (Char­bon-acier), c’est-à-dire depuis 1951, il se heurte à des diver­gences de vues. Tout d’a­bord, il y a l’op­po­si­tion entre ceux qui regardent avec une extrême méfiance toute inter­ven­tion publique à carac­tère struc­tu­rel4 et ceux qui sont plus inter­ven­tion­nistes5. Il y a ensuite la dif­fi­cul­té de défi­nir, dans une Europe lar­ge­ment ouverte sur l’ex­té­rieur, une stra­té­gie struc­tu­relle en l’ab­sence d’une poli­tique étran­gère. Enfin se mani­feste une forte réti­cence à un finan­ce­ment com­mu­nau­taire de la part des pays contri­bu­teurs nets au bud­get de l’U­nion : cela explique la modi­ci­té du pro­gramme euro­péen de recherche (quelques pour cents de l’ef­fort glo­bal du conti­nent) et sur­tout l’in­ca­pa­ci­té où s’est trou­vée la Com­mu­nau­té (le Conseil des Ministres) de mettre en œuvre le pro­gramme de grands tra­vaux concer­nant les réseaux euro­péens, dont le prin­cipe avait cepen­dant été accep­té à plu­sieurs reprises par le Conseil euro­péen (qui n’est pas l’ins­ti­tu­tion déci­sion­nelle en la matière).

De plus dans le trai­té de Maas­tricht, cepen­dant rédi­gé à une période de fort chô­mage, nulle part n’ap­pa­rais­sait expli­ci­te­ment l’ob­jec­tif de plus d’emploi et d’un meilleur emploi. On a donc depuis quelques années ample­ment débat­tu l’i­dée d’a­jou­ter dans la pra­tique une consi­dé­ra­tion sup­plé­men­taire rela­tive à l’emploi. Ceci parais­sait d’au­tant plus urgent que la per­sis­tance du chô­mage (même s’il y a des fluc­tua­tions annuelles) pour­rait conduire la plu­part des gou­ver­ne­ments à inter­ve­nir de plus en plus, accrois­sant le risque d’in­co­hé­rences, d’in­com­pa­ti­bi­li­tés, de contra­dic­tions avec l’es­prit de l’é­co­no­mie de mar­ché, base du trai­té. Dans le même temps, les inter­ven­tions de la Com­mis­sion, comme gar­dienne du trai­té, sur la base du titre V, cha­pitre pre­mier (les règles de concur­rence), seront de moins en moins accep­tées par les popu­la­tions si elles ne sont pas clai­re­ment expli­quées et jus­ti­fiées par les res­pon­sables, en mon­trant qu’elles sont bien conformes à l’ob­jec­tif prio­ri­taire pour ces der­nières, l’a­mé­lio­ra­tion de l’emploi.

3 – Une coordination poussée des politiques macroéconomiques

La poli­tique macroé­co­no­mique uti­lise deux ins­tru­ments essen­tiels, la poli­tique moné­taire (sous ses aspects interne et externe) et la poli­tique bud­gé­taire (volume, struc­ture, ampleur du défi­cit des bud­gets publics). Aus­si bien pour un bon fonc­tion­ne­ment du mar­ché inté­rieur que du fait des inter­dé­pen­dances crois­santes entre les éco­no­mies des pays membres, il est de moins en moins pos­sible de lais­ser chaque État euro­péen défi­nir à sa guise sa poli­tique macroéconomique.

Le mar­ché unique, dont la rai­son d’être prin­ci­pale est de favo­ri­ser la spé­cia­li­sa­tion la plus effi­cace des divers pays ou régions et l’ex­ploi­ta­tion com­plète des éco­no­mies de dimen­sion, ne joue plei­ne­ment ce rôle que si les opé­ra­teurs dis­posent d’in­for­ma­tions com­pa­rables et d’é­gale qua­li­té sur les condi­tions de pro­duc­tion et sur la demande des diverses régions de l’Eu­rope ; à côté d’un gros effort d’har­mo­ni­sa­tion sta­tis­tique, cela sup­pose une très forte sta­bi­li­té des taux de change, d’où la marche actuelle vers une mon­naie unique, l’eu­ro, et une poli­tique moné­taire unique, venant donc rem­pla­cer des poli­tiques moné­taires plus ou moins coordonnées.

Mais l’in­ten­si­fi­ca­tion des inter­dé­pen­dances entre éco­no­mies natio­nales exige qu’on aille plus loin, pour deux rai­sons. Tout d’a­bord, on a tou­jours recon­nu que plus les rela­tions com­mer­ciales sont intenses, plus l’ef­fet natio­nal d’une stra­té­gie bud­gé­taire natio­nale dépend de ce que font les voi­sins, et réci­pro­que­ment, plus cha­cun est influen­cé par ce que font les autres : pre­mier argu­ment pour orga­ni­ser au mini­mum une confron­ta­tion des pro­jets, mieux une coordination.

D’autre part, les pays qui vont par­ti­ci­per à l’u­nion moné­taire seront pri­vés de l’ins­tru­ment moné­taire pour régu­ler leur éco­no­mie. Les ajus­te­ments macro-éco­no­miques face à des chocs, exté­rieurs ou inté­rieurs, ne pour­ront se faire que, soit par une modu­la­tion des bud­gets, soit par un impact sur le volume de l’emploi ; en cette période de chô­mage, les pays cher­che­ront sou­vent à uti­li­ser l’ins­tru­ment bud­gé­taire, d’où une rai­son sup­plé­men­taire pour en assu­rer la cohé­rence par une cer­taine coordination.

Conscient de ces pers­pec­tives, le trai­té de Maas­tricht, pro­lon­geant d’ailleurs le trai­té de Rome, a pré­vu que (article 103.1) « Les États membres consi­dèrent leurs poli­tiques éco­no­miques comme une ques­tion d’in­té­rêt com­mun et les coor­donnent au sein du Conseil », la pro­cé­dure pré­vue com­pre­nant, sur base d’une recom­man­da­tion de la Com­mis­sion, l’a­dop­tion par le Conseil euro­péen des grandes orien­ta­tions des poli­tiques éco­no­miques des États membres et de la Com­mu­nau­té, puis des inter­ven­tions plus détaillées du Conseil.

Mais ceci ne concerne que la poli­tique éco­no­mique, soi­gneu­se­ment dis­tin­guée de la poli­tique moné­taire. Reste alors à assu­rer la syner­gie des deux. Pour cela deux sché­mas alter­na­tifs pro­fon­dé­ment dif­fé­rents S1 et S2 sont envi­sa­geables. En négli­geant les nuances, on peut les résu­mer ainsi :

Les deux sché­mas dif­fèrent, on le voit, sur trois points :

  • la hié­rar­chie des objec­tifs, dans la mesure (dis­cu­tée) où ils sont substituables,
  • la nature des déci­deurs fon­da­men­taux : soit une auto­ri­té moné­taire indé­pen­dante et une auto­ri­té poli­tique (déci­dant le bud­get) enfer­mée dans cer­taines contraintes, soit une dua­li­té d’au­to­ri­tés, dont les rela­tions doivent être soi­gneu­se­ment défi­nies à l’a­vance si on veut évi­ter des conflits,
  • une fixa­tion à l’a­vance de règles quan­ti­ta­tives, ou au contraire le recours à des choix ad hoc for­te­ment ins­pi­rés par les réa­li­tés, éco­no­miques, mais aus­si poli­tiques, du moment6.


Par réfé­rence aux deux sché­mas décrits ci-des­sus, la lettre du trai­té de Maas­tricht se situe entre les deux, mais plus près du pre­mier S1, notam­ment du fait que les sti­pu­la­tions rela­tives à la poli­tique moné­taire sont beau­coup plus pré­cises – et contrai­gnantes – que celles rela­tives à la poli­tique éco­no­mique. Mais il est à peu près una­ni­me­ment recon­nu depuis au moins deux ans que l’or­ga­ni­sa­tion de la com­pa­ti­bi­li­té des divers volets de la poli­tique macroé­co­no­mique doit être amé­lio­rée. C’est là que les diver­gences se sont pro­gres­si­ve­ment révélées.

Cer­tains pro­ta­go­nistes se sont cou­lés dans le pre­mier sché­ma ; insis­tant sur la prio­ri­té de la sta­bi­li­té des prix et se méfiant à cet égard du laxisme des pou­voirs poli­tiques (et de sa tra­duc­tion en termes de défi­cit bud­gé­taire), ils ont pro­po­sé – puis exi­gé – qu’on se mette d’ac­cord à l’a­vance sur un cadre contrai­gnant pour les poli­tiques bud­gé­taires futures.

Les autres, plus sen­sibles à l’i­dée que l’é­co­no­mie n’est pas une fin en soi, mais doit être mise au ser­vice d’un bon fonc­tion­ne­ment de la socié­té, et très pré­oc­cu­pés par le pro­blème du chô­mage, sou­haitent que ce soit au terme d’une ana­lyse poli­tique que soit en défi­ni­tive défi­ni le type d’é­vo­lu­tion éco­no­mique qu’on sou­haite pour la socié­té, en l’oc­cur­rence pour l’U­nion européenne.

Les ten­ta­tives de rap­pro­che­ment des points de vue, menées dans diverses enceintes (poli­tiques ou aca­dé­miques) depuis deux ans, buttent en fait sur un point : si à peu près tout le monde recon­naît qu’il est rai­son­nable, pour la défi­ni­tion de la poli­tique éco­no­mique, de se doter d’un cer­tain nombre de garde-fous défi­nis à l’a­vance et qu’il fau­dra res­pec­ter, le désac­cord de fond porte sur l’am­pleur de la marge de jeu que laissent ces contraintes : les uns la veulent très limi­tée, alors que les autres estiment que, dans un monde aus­si mou­vant que le nôtre, il faut être en mesure de s’a­dap­ter, et notam­ment de ne pas lais­ser les adap­ta­tions se faire de façon exces­sive par la varia­tion d’une variable socia­le­ment aus­si déci­sive que l’emploi.

Les uns se méfient de l’or­gueil qu’il y a à vou­loir pra­ti­quer une poli­tique pré­ten­du­ment adap­tée aux besoins de chaque moment, les autres de l’or­gueil qu’il y a à pré­tendre connaître et fixer à l’a­vance la marge de jeu qui sera suf­fi­sante. Tous se méfient d’un com­por­te­ment trop pro­mé­théen, mais pas de la même façon.

En ce qui concerne plus par­ti­cu­liè­re­ment l’emploi, il y a ain­si un manque d’ac­cord moins sur le carac­tère impor­tant de cet objec­tif (recon­nu par tous) que sur les meilleurs moyens de l’at­teindre ; un des points les plus déli­cats porte sur le rôle de la poli­tique bud­gé­taire (et, en consé­quence, sur le néces­saire degré de coor­di­na­tion des poli­tiques bud­gé­taires natio­nales) et sur l’ar­ti­cu­la­tion entre les poli­tiques moné­taires (demain la poli­tique moné­taire com­mune) et bud­gé­taires ; en par­ti­cu­lier, doit-il y avoir pré­émi­nence de l’une d’entre elles (la moné­taire), menée au ser­vice de l’ob­jec­tif prio­ri­taire de sta­bi­li­té des prix et entraî­nant des obli­ga­tions impo­sées aux poli­tiques bud­gé­taires ou les met-on a prio­ri sur un pied d’é­ga­li­té et recherche-t-on de façon coor­don­née leurs meilleurs conte­nus (l’i­dée du poli­cy mix opti­mal) en fonc­tion des réa­li­tés éco­no­miques du moment ?

4 – Une véritable stratégie extérieure de l’Union

C’est par ses deux volets éco­no­miques, le com­mer­cial et le moné­ta­ro-finan­cier, que la stra­té­gie exté­rieure de l’U­nion peut influen­cer l’emploi dans celle-ci.

L’or­ga­ni­sa­tion du com­merce inter­na­tio­nal est confiée à un orga­nisme (d’a­bord le GATT, puis main­te­nant l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce) qui a un man­dat pré­cis et limi­té : libé­ra­li­ser au maxi­mum les échanges inter­na­tio­naux. Ce man­dat consti­tue pour lui – et c’est nor­mal – son objec­tif unique, mais il ne peut en aller de même pour l’U­nion, qui doit équi­li­brer les objec­tifs d’ef­fi­ca­ci­té éco­no­mique au sens strict et d’autres objec­tifs, dont ceux d’emploi. La concep­tion com­mu­nau­taire de la PCC (poli­tique com­mer­ciale com­mune) devrait donc se défi­nir comme un élé­ment, par­mi d’autres, dans une vision d’en­semble de l’é­vo­lu­tion à moyen terme de l’Union.

Les atti­tudes sur ce point ne sont pas iden­tiques entre experts et entre pays. Cer­tains consi­dèrent que l’ob­jec­tif d’ou­ver­ture est prio­ri­taire : seule celle-ci per­met la spé­cia­li­sa­tion opti­male des acti­vi­tés, conçue comme celle qui, pour un cer­tain volume de fac­teurs de pro­duc­tion, pro­cure le volume maxi­mal de pro­duc­tion de biens et ser­vices ; toute limi­ta­tion des échanges (toute mesure pro­tec­tion­niste) est ain­si géné­ra­trice d’une perte. D’autres ne nient pas la per­ti­nence de cette vision, mais seule­ment dans un monde idéal, où les condi­tions de concur­rence ne sont aucu­ne­ment faus­sées par des inter­ven­tions publiques faci­li­tées par le poids inégal des diverses nations, et, tout en étant favo­rables en ten­dance à l’ou­ver­ture, ils insistent for­te­ment sur l’exi­gence de l’é­ga­li­té du res­pect des règles par tous les par­te­naires. D’autres enfin, très pré­oc­cu­pés du court terme, ne sont pas hos­tiles au main­tien, plus ou moins tem­po­raire, d’un cer­tain protectionnisme.

Cette diver­si­té de points de vue, pro­vo­quée à la fois par des dif­fé­rences d’a­na­lyse théo­rique et par la diver­si­té des situa­tions éco­no­miques entre pays, ne faci­lite évi­dem­ment pas l’a­dop­tion d’une posi­tion com­mune lors des négo­cia­tions exté­rieures de la Com­mu­nau­té et affai­blit le pou­voir de négo­cia­tion de celle-ci, il ne faut pas se le cacher.

À cette dif­fi­cul­té s’en ajoute une autre : l’or­ga­ni­sa­tion des rela­tions com­mer­ciales (et finan­cières) exté­rieures ne peut être indé­pen­dante de la poli­tique étran­gère et l’Eu­rope en est encore à des bal­bu­tie­ments pour la défi­ni­tion de sa « poli­tique étran­gère et de sécu­ri­té com­mune » (la PESC).

Il ne faut se faire aucune illu­sion, ces ten­sions internes à l’U­nion, qui croissent avec chaque élar­gis­se­ment, ne sont pas près de dis­pa­raître. On pour­rait tou­te­fois espé­rer les atté­nuer si on s’im­po­sait, lors de l’a­dop­tion de posi­tions vis-à-vis de l’ex­té­rieur, d’en exa­mi­ner, plus atten­ti­ve­ment que ce n’est actuel­le­ment le cas, les effets concrets pro­bables sur le fonc­tion­ne­ment interne de l’é­co­no­mie euro­péenne, et tout par­ti­cu­liè­re­ment sous trois aspects :

  • la restruc­tu­ra­tion de l’ap­pa­reil pro­duc­tif et ses consé­quences sur l’é­qui­libre des paie­ments exté­rieurs et le taux de change,
  • les effets, heu­reux ou néfastes, sur le pro­ces­sus menant à la cohé­sion économique,
  • les effets, à court terme et à moyen terme, sur l’emploi.


Il faut enfin insis­ter sur l’im­por­tance, pour les opé­ra­teurs éco­no­miques, de dis­po­ser d’une vue pré­cise, et stable sur un terme assez long, de l’or­ga­ni­sa­tion mon­diale des rela­tions inter­na­tio­nales. Cela implique que l’Eu­rope s’abs­tienne de cher­cher, par des « coups ponc­tuels », à obte­nir un gain tem­po­raire par une modi­fi­ca­tion des règles ; cela implique éga­le­ment qu’elle sou­tienne plei­ne­ment la mise en place et le fonc­tion­ne­ment de l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale du com­merce et qu’elle cherche par là à s’en faire un allié. Enfin le pro­blème des rela­tions éco­no­miques inter­na­tio­nales entre grands ensembles se pose par­ti­cu­liè­re­ment pour le par­te­naire atlan­tique, avec lequel il faut éta­blir un équi­libre de par­te­na­riat7.

Sur le ter­rain moné­taire, depuis 1971, le monde vit avec un « non-sys­tème moné­taire inter­na­tio­nal », créant une constante source d’in­cer­ti­tude sur les niveaux des changes. À cela s’est ajou­tée, au cours du même quart de siècle, la com­plète libé­ra­li­sa­tion des mou­ve­ments de capi­taux sur l’en­semble de la pla­nète. Il s’en­suit que les taux de change sont de moins en moins repré­sen­ta­tifs de l’é­vo­lu­tion des fon­da­men­taux éco­no­miques et de plus en plus la consé­quence du jeu à court terme d’un nombre limi­té d’o­pé­ra­teurs finan­ciers inter­na­tio­naux, seconde source d’in­cer­ti­tude. Deux atti­tudes alors sont pos­sibles, selon la confiance accor­dée aux marchés.

Selon l’une, les mar­chés ont fon­da­men­ta­le­ment rai­son, puisque les opé­ra­teurs affirment qu’en appré­ciant la ges­tion éco­no­mique et finan­cière d’un pays, ils se pré­oc­cupent que celle-ci soit menée d’une façon saine et pru­dente, in a sound and pru­dent fashion (l’ex­pres­sion revient sou­vent dans la lit­té­ra­ture et les dis­cours). C’est aux gou­ver­ne­ments à adap­ter leur com­por­te­ment de façon à ce que l’é­vo­lu­tion éco­no­mique paraisse saine ; les mar­chés feront alors confiance aux mon­naies en ques­tion, et les taux de change seront stables ; l’a­li­gne­ment sur l’o­pi­nion des mar­chés devient une règle d’or.

Selon l’autre atti­tude, les choses sont moins simples. C’est sur l’in­ter­pré­ta­tion des adjec­tifs saine et pru­dente que réside le débat : ces acteurs des mar­chés (finan­ciers) concen­tre­raient leur atten­tion sur des équi­libres finan­ciers (les soldes des bud­gets publics, la balance des paie­ments) et fort peu sur des phé­no­mènes réels comme le niveau de vie et sur­tout le chô­mage (sauf si celui-ci fait craindre une explo­sion poli­tique), alors que ceux-ci sont prio­ri­taires pour les popu­la­tions. Certes les pre­miers sont loin d’être négli­geables, ils peuvent favo­ri­ser les objec­tifs de crois­sance et d’emploi, mais ils ne doivent pas être regar­dés iso­lé­ment des seconds, au ser­vice des­quels ils doivent être mis. Autant il paraît béné­fique pour le bon fonc­tion­ne­ment de l’é­co­no­mie que les prix des mar­chan­dises et ser­vices se déter­minent libre­ment par l’offre des pro­duc­teurs et la demande des uti­li­sa­teurs (entre­prises et ménages) de ces biens, autant il paraît inco­hé­rent qu’une variable aus­si fon­da­men­tale pour la régu­la­tion, à court et à moyen terme, du fonc­tion­ne­ment et de l’é­vo­lu­tion de l’é­co­no­mie soit déter­mi­née essen­tiel­le­ment par le com­por­te­ment d’ac­teurs moti­vés par des pré­oc­cu­pa­tions de gains finan­ciers de court terme.

Il faut alors réagir et cor­ri­ger le méca­nisme. Com­ment ? Deux pistes sont évoquées :

  • selon l’une, on doit essayer de réduire l’am­pleur de ces capi­taux flot­tants, de façon à redon­ner aux Banques cen­trales la pos­si­bi­li­té d’in­ter­ve­nir effi­ca­ce­ment sur le mar­ché des changes, mal­gré le volume limi­té de leurs moyens d’ac­tion. C’est ain­si que le prix Nobel James Tobin a pro­po­sé de pré­le­ver une légère taxe sur tous les mou­ve­ments de capi­taux, ce qui aurait pour effet de faire dis­pa­raître de nom­breux mou­ve­ments vou­lant pro­fi­ter d’un très léger dif­fé­ren­tiel de rému­né­ra­tion entre places financières,
     
  • selon l’autre, et dans la ligne des pra­tiques anté­rieures, on cher­che­rait à ren­for­cer les méca­nismes publics de contrôle. On trouve une bonne expres­sion de cette idée sous la plume d’un secré­taire amé­ri­cain au Tré­sor » le défi prin­ci­pal auquel le monde est confron­té est de déve­lop­per des méca­nismes mul­ti­la­té­raux pour trai­ter les pro­blèmes qui sur­gissent de la forte crois­sance de la rapi­di­té et de la dimen­sion des mar­chés finan­ciers inter­na­tio­naux et pour mini­mi­ser le risque sys­té­mique sur ces mar­chés. Nos ins­ti­tu­tions doivent être ren­dues aus­si modernes que le mar­ché « 8.


Quelle que soit la piste rete­nue, aucun pro­grès ne peut être obte­nu par des actions natio­nales indi­vi­duelles ; par contre, lors­qu’elle aura créé l’u­nion moné­taire et pro­gres­sé vers l’u­nion poli­tique, l’U­nion euro­péenne pour­rait peser d’un poids suf­fi­sant pour modi­fier l’é­tat actuel des choses. Certes, rien ne garan­tit que l’Eu­rope réus­si­ra à convaincre les par­te­naires mon­diaux qu’il faut faire quelque chose ; du moins pour­ra-t-elle le tenter.

II – LES AVANCÉES RÉALISÉES AU COURS DE 1997 OU PRÉVUES POUR 1998 : AMSTERDAM, LUXEMBOURG, EURO

Tous les sujets qui viennent d’être évo­qués ont été ample­ment débat­tus au cours des der­nières années, aus­si bien aux niveaux natio­naux que dans des enceintes euro­péennes (notam­ment le Conseil Eco­fin), aus­si bien dans les milieux aca­dé­miques que dans les sphères poli­tiques et ces débats ont mis en lumière la diver­si­té des posi­tions natio­nales dont on a esquis­sé ci-des­sus les aspects essen­tiels. Tou­te­fois, cer­tains pas en avant – dont on va appré­cier l’am­pleur – ont été faits récem­ment, par le trai­té d’Am­ster­dam, adop­té en juin et offi­ciel­le­ment signé le 2 octobre 1997, puis lors du Conseil euro­péen de novembre 1997, exclu­si­ve­ment consa­cré au thème de l’emploi. Enfin les déci­sions concer­nant l’eu­ro, qui seront prises le 1er mai 1998, sont aus­si sus­cep­tibles d’a­voir un impact appré­ciable sur l’emploi.

1 – Les réponses d’Amsterdam : modiques, mais pas négligeables

Sur ce qui devait ini­tia­le­ment consti­tuer le conte­nu prin­ci­pal du trai­té, à savoir la réforme des ins­ti­tu­tions à adop­ter pour l’U­nion en vue des pro­chains élar­gis­se­ments, la mon­tagne a accou­ché d’une sou­ris : on a ren­voyé après les négo­cia­tions d’adhé­sion ce qui devait – fort logi­que­ment – être déci­dé avant. Cela affecte l’emploi de deux façons :

  • indi­rec­te­ment en reflé­tant une ambiance de désac­cord et de méfiance latente entre par­te­naires qui empêche mal­en­con­treu­se­ment la créa­tion dans l’es­prit des popu­la­tions d’une vision claire et dyna­mique sur l’a­ve­nir de l’Eu­rope et donc vient saper la confiance des déci­deurs ; il est grave que les négo­cia­teurs n’en aient pas eu conscience (ou n’en aient pas tiré les conséquences),
     
  • direc­te­ment, en n’aug­men­tant guère le champ rele­vant de déci­sions à la majo­ri­té, donc en lais­sant un pays maître de blo­quer toute déci­sion, y com­pris, comme on va le voir, celles devant mener à une meilleure coor­di­na­tion des politiques.


Sur l’emploi pro­pre­ment dit, nous dis­po­sons d’une réso­lu­tion et de quelques articles pou­vant avoir un effet impor­tant. Quatre élé­ments peuvent ain­si être consi­dé­rés comme des pos­si­bi­li­tés d’avancées :

  • l’exi­gence d’une meilleure prise en consi­dé­ra­tion de l’ob­jec­tif d’emploi ; si on pose en prin­cipe que « la res­pon­sa­bi­li­té de la lutte contre le chô­mage incombe avant tout aux États membres », le texte recon­naît le besoin d’a­mé­lio­rer l’ef­fi­ca­ci­té de la coor­di­na­tion et d’en élar­gir le conte­nu et on affirme que « l’U­nion euro­péenne devrait com­plé­ter les mesures natio­nales en exa­mi­nant sys­té­ma­ti­que­ment toutes les poli­tiques com­mu­nau­taires per­ti­nentes qui existent, en vue d’as­su­rer qu’elles soient axées sur la créa­tion d’emplois et sur la crois­sance éco­no­mique« 9 ;
     
  • une amorce de pro­grès ins­ti­tu­tion­nel ; le texte donne man­dat au Conseil Eco­fin « d’in­di­quer com­ment amé­lio­rer les pro­ces­sus de coor­di­na­tion éco­no­mique dans la troi­sième phase de l’UEM ». On est certes loin de la créa­tion d’un « gou­ver­ne­ment éco­no­mique » de nature poli­tique équi­li­brant le pou­voir moné­taire de la Banque cen­trale euro­péenne, mais si se met en place un véri­table forum d’a­na­lyse en com­mun des poli­tiques éco­no­miques natio­nales et de défi­ni­tion d’une stra­té­gie concer­tée en matière bud­gé­taire, ce peut être un sérieux pro­grès ; certes, c’é­tait déjà pré­vu dans Maas­tricht, mais insuf­fi­sam­ment pra­ti­qué ; on peut pro­gres­ser, si on le veut ;
     
  • une amorce de mise en œuvre de l’ar­ticle 109 du trai­té, en invi­tant « le Conseil et la Com­mis­sion, en coopé­ra­tion avec l’Ins­ti­tut moné­taire euro­péen, à for­mu­ler des orien­ta­tions géné­rales de la poli­tique de change à l’é­gard d’une ou de plu­sieurs mon­naies non communautaires » ;
     
  • une orga­ni­sa­tion moné­taire favo­rable au mar­ché inté­rieur ; entre l’eu­ro, mon­naie d’un cer­tain nombre de pays (les » ins ») et les mon­naies des pays ne par­ti­ci­pant pas tout de suite à la troi­sième phase de l’U­nion moné­taire (les » outs »), la réso­lu­tion confirme la mise en place d’un sys­tème moné­taire (SME bis) qui garan­tit contre des déva­lua­tions agres­sives et assure donc la sta­bi­li­té des changes suf­fi­sante au bon fonc­tion­ne­ment du mar­ché inté­rieur ; levant un élé­ment d’in­cer­ti­tude, cette déci­sion est un atout en faveur de l’emploi.


Par contre, l’a­dop­tion, annon­cée à Dublin en décembre 1996, confir­mée à Amster­dam, du pacte de sta­bi­li­té, nous semble mal­adroite10 ; le sou­ci de pous­ser à une dis­ci­pline des États en matière bud­gé­taire est très bon, le laxisme en la matière ne pou­vant que per­tur­ber le fonc­tion­ne­ment de l’é­co­no­mie ; mais les règles fixées ne devraient pas deve­nir un car­can. C’est une erreur que de vou­loir s’im­po­ser à l’a­vance des règles très rigides pour le futur11.

Alors, Amster­dam : verre à moi­tié plein ou à moi­tié vide ?

L’ab­sence ou l’in­suf­fi­sance de pro­grès sur des points fon­da­men­taux résulte certes d’une pré­pa­ra­tion mal­adroite, il fau­dra veiller à faire mieux la pro­chaine fois (qui est déjà annon­cée). Mais sur­tout elle reflète l’ab­sence de consen­sus entre les pays membres sur l’Eu­rope qu’ils veulent faire : à Amster­dam, ils vou­laient un accord, mais ne savaient pas sur quoi, d’où des négo­cia­tions sans crise spec­ta­cu­laire, mais sans résultat.

Il faut main­te­nant conti­nuer à vivre ensemble, et donc tirer d’Am­ster­dam tout ce qu’on peut ; trois élé­ments nous semblent positifs.

Le som­met d’Am­ster­dam a été res­sen­ti comme expri­mant une volon­té de pro­gres­ser sur la voie de l’U­nion moné­taire, en res­pec­tant le calen­drier (avec notam­ment la sélec­tion milieu 98 des pre­miers par­ti­ci­pants et la fixa­tion, pour le 1er jan­vier 1999, des valeurs en euro des diverses mon­naies actuelles) et en confir­mant la créa­tion d’un SME bis. La voie est donc déblayée pour la mise en place de l’eu­ro, un élé­ment d’in­cer­ti­tude pour l’Eu­rope est éli­mi­né (ou atté­nué), ce qui ne peut qu’être favo­rable à l’embauche par les entre­prises ; il faut espé­rer que cer­tains hommes poli­tiques, dans plu­sieurs pays, s’abs­tien­dront de conti­nuer, pour des rai­sons de poli­tique inté­rieure, voire même de car­rière per­son­nelle, à entre­te­nir un cli­mat de doute.

Si le rééqui­li­brage entre poli­tique moné­taire et poli­tique éco­no­mique n’a pas encore été plei­ne­ment assu­ré, du moins le trai­té esquisse-t-il des pistes pour le ren­for­cer ; il faut uti­li­ser à fond les pos­si­bi­li­tés qui sont ouvertes ; des consignes ont été don­nées au Conseil Eco­fin, à lui de les gérer dans une optique constructive.

Enfin, – et c’est à mes yeux l’es­sen­tiel – l’ex­pé­rience ayant confir­mé que le nombre crois­sant de membres rend de plus en plus dif­fi­cile la marche en avant (en bou­tade, plus on est de fous, moins on rit), il est donc pro­met­teur que, à l’ins­ti­ga­tion fran­co-alle­mande, on ait intro­duit dans le trai­té l’i­dée des coopé­ra­tions ren­for­cées, c’est-à-dire la pos­si­bi­li­té pour un nombre de pays infé­rieur au nombre des membres de l’U­nion, d’al­ler plus vite et plus loin que l’en­semble, pour­vu que les autres puissent, le jour où ils le vou­dront, s’as­so­cier à l’o­pé­ra­tion. Certes, le fran­chis­se­ment de ce por­tillon est sou­mis à de sub­stan­tielles limi­ta­tions (dont plu­sieurs sont fort rai­son­nables pour évi­ter un écla­te­ment de l’U­nion), il y a là néan­moins une pos­si­bi­li­té nou­velle de pro­gres­sion à laquelle il va fal­loir très sérieu­se­ment réflé­chir, dans un esprit posi­tif et construc­tif12.

En poli­tique, notam­ment lorsque de nom­breux pays sont impli­qués, le verre n’est jamais plein (sauf aux repas d’ap­pa­rat) ; aux acteurs dégus­ta­teurs à valo­ri­ser au mieux le conte­nu. Clai­re­ment, Amster­dam n’est pas un plein suc­cès ; c’est à nous à ne pas le lais­ser deve­nir un échec.

2 – Les petits pas de Luxembourg

Dans le trai­té, une porte était ouverte en vue d’une meilleure coor­di­na­tion et d’une orien­ta­tion plus favo­rable à l’emploi des diverses poli­tiques défi­nies ou menées au niveau com­mu­nau­taire. Aus­si, pra­ti­quant la tac­tique des effets d’an­nonce, le Conseil euro­péen d’Am­ster­dam a‑t-il pré­vu que se tien­drait avant la fin 1997 une réunion excep­tion­nelle du som­met euro­péen, consa­crée exclu­si­ve­ment au sujet de l’emploi. Qu’est-il sor­ti de ce som­met des 20–21 novembre ? La réunion a été res­sen­tie comme posi­tive (on a par­lé d’un nou­veau départ dans la construc­tion euro­péenne), du fait qu’elle mani­fes­tait un consen­sus pour enfin abor­der expli­ci­te­ment au plus haut niveau poli­tique de l’U­nion le thème de l’emploi et pour adop­ter una­ni­me­ment cer­taines conclu­sions concrètes. C’est sur la por­tée de celles-ci qu’il faut s’interroger.

Cer­taines conclu­sions concernent des mesures ponc­tuelles : offrir à tout jeune avant qu’il n’at­teigne six mois de chô­mage un nou­veau départ sous forme de for­ma­tion, d’aide à la recon­ver­sion ou de mesure propre à favo­ri­ser son inser­tion pro­fes­sion­nelle et aider les chô­meurs adultes avant qu’ils n’at­teignent douze mois de chô­mage, grâce à un accom­pa­gne­ment indi­vi­duel d’o­rien­ta­tion pro­fes­sion­nelle. Ce genre de mesures n’est pas véri­ta­ble­ment nou­veau, ce qui l’est, c’est le chif­fre­ment du nombre de per­sonnes qui devront être concer­nées au cours d’une cer­taine durée, c’est sur­tout la sur­veillance com­mu­nau­taire du res­pect par chaque État membre des enga­ge­ments ain­si pris, qui peut sti­mu­ler les actions natio­nales par un effet d’é­mu­la­tion, et grâce à la confron­ta­tion des pro­cé­dures et des résultats.

En défi­ni­tive, ce som­met sur l’emploi va ren­for­cer le pro­ces­sus de consul­ta­tions et confron­ta­tions des poli­tiques éco­no­miques en les ren­dant plus sys­té­ma­ti­que­ment atten­tives à l’emploi, ce n’est pas négli­geable. Il va sti­mu­ler aus­si le déve­lop­pe­ment de confron­ta­tions d’un foi­son­ne­ment d’i­ni­tia­tives locales, dont on pour­ra tirer de mul­tiples ensei­gne­ments, tout en res­pec­tant la res­pon­sa­bi­li­té pre­mière des États dans la lutte contre le chô­mage ; tout cela n’est pas non plus négligeable.

Cer­tains par­ti­ci­pants au som­met et divers com­men­ta­teurs ont esti­mé que l’o­ri­gi­na­li­té du méca­nisme mis en place se trou­ve­rait dans l’a­na­lo­gie ain­si créée entre les objec­tifs chif­frés pour l’u­nion moné­taire (les cri­tères de Maas­tricht) et les cibles quan­ti­ta­tives pré­vues pour l’am­pleur des actions pré­cé­dentes ; on est même allé jus­qu’à par­ler de la créa­tion d’une symé­trie entre l’u­nion moné­taire et la poli­tique sociale com­men­çant à com­bler ain­si le dés­équi­libre entre l’Eu­rope moné­taire et l’Eu­rope des tra­vailleurs. C’est là qu’il faut évi­ter les for­mu­la­tions trop sédui­santes, mais sources de confu­sion et géné­ra­trices d’es­poirs mal fon­dés. La dif­fé­rence est en effet pro­fonde. Cer­tains cri­tères de Maas­tricht concernent des résul­tats (le taux d’in­fla­tion), d’autres des élé­ments sur les­quels les gou­ver­ne­ments ont une forte pos­si­bi­li­té d’ac­tion (le défi­cit bud­gé­taire), le tout au ser­vice d’un objec­tif pré­cis, la sta­bi­li­té des prix, certes com­plexe, mais dont l’ex­pé­rience de la der­nière décen­nie a mon­tré qu’on savait l’atteindre.

À Luxem­bourg, l’ob­jec­tif visé était très clair, c’est la réduc­tion du chô­mage. Mais on s’est (à juste titre) soi­gneu­se­ment abs­te­nu de s’en­ga­ger sur un chiffre glo­bal de résul­tat (on a tout au plus esquis­sé des ordres de gran­deur, pour une période mal défi­nie) et ce n’est que sur une pano­plie limi­tée d’ac­tions ins­tru­men­tales qu’on a pris des enga­ge­ments chif­frés, sans d’ailleurs annon­cer – et sans savoir – quel sera l’ef­fet sur le chô­mage ; cette pru­dence était tout à fait rai­son­nable, mais la por­tée des déci­sions doit alors être rame­née à ses véri­tables proportions.

Au total, si ce som­met se tra­duit réel­le­ment comme le sti­mu­lant d’une atten­tion beau­coup plus forte accor­dée par les ins­ti­tu­tions com­mu­nau­taires au thème de l’emploi dans toutes les déci­sions qu’elles sont ame­nées à prendre, Amster­dam et Luxem­bourg pour­ront appa­raître comme mar­quant une inflexion dans le trai­te­ment par l’Eu­rope de son pro­blème clé.

L’échéance décisive du 1er mai 1998

La confiance en l’a­ve­nir est un élé­ment pri­mor­dial pour les déci­sions des entre­prises concer­nant tant leur volume glo­bal d’in­ves­tis­se­ment que leur choix d’af­fec­ter prio­ri­tai­re­ment celui-ci soit à la recherche de la réduc­tion des coûts par le recours à des tech­niques de plus en plus capi­ta­lis­tiques (et donc moins uti­li­sa­trices de tra­vail), soit au contraire à l’ex­ten­sion des capa­ci­tés de pro­duc­tion, avec embauche de main-d’œuvre. Tout ce qui réduit l’in­cer­ti­tude sur le futur est a prio­ri favo­rable à l’emploi. À cet égard, la pro­chaine grande étape de la construc­tion euro­péenne peut se révé­ler déci­sive, qui va consis­ter à défi­nir les par­ti­ci­pants à la 3e phase de la mise en place de l’U­nion moné­taire et, en prin­cipe, à pré­ci­ser diverses carac­té­ris­tiques de l’eu­ro (notam­ment les taux de conver­sion défi­ni­tifs des mon­naies natio­nales entre elles et la stra­té­gie de change vis-à-vis du dollar).

Actuel­le­ment, les acteurs éco­no­miques s’in­ter­rogent sur le nombre et les noms des pays qui feront par­tie du pre­mier groupe d’É­tats membres par­ti­ci­pant plei­ne­ment à l’U­nion moné­taire ; cette infor­ma­tion peut influen­cer leur stra­té­gie com­mer­ciale et les choix de loca­li­sa­tion de leurs futures uni­tés de pro­duc­tion. Ils s’in­ter­rogent aus­si sur les taux de conver­sion qui seront rete­nus entre mon­naies natio­nales, qui influen­ce­ront les « avan­tages com­pa­ra­tifs » des diverses éco­no­mies nationales.

La pre­mière déci­sion, sur les ins et les outs, aura lieu le 1er mai 1998 ; elle va orien­ter tout l’a­ve­nir de l’U­nion. Sur la seconde, un Conseil Eco­fin infor­mel a pré­vu qu’elle aurait lieu à la même date, c’est très impor­tant ; mais les entre­prises de pro­duc­tion et les mar­chés des changes ne seront tran­quilli­sés que si ces taux de conver­sion paraissent cré­dibles et que s’ils sont convain­cus que les res­pon­sables publics – Banques cen­trales et gou­ver­ne­ments – feront, en pleine coor­di­na­tion, ce qu’il faut pour que ces taux soient main­te­nus jus­qu’à la date où, aux termes du trai­té, ils devien­dront irré­vo­cables, c’est-à-dire le 1er jan­vier 1999 ; en d’autres termes, il faut qu’on croie à la plau­si­bi­li­té d’ac­tions visant à évi­ter la vola­ti­li­té des changes pen­dant la période inté­ri­maire de huit mois sépa­rant le 1er mai 98 du 1er jan­vier 99. L’an­nonce, le 1er mai, des inten­tions à cet égard joue­ra un rôle essentiel.

Ain­si donc, sui­vant la façon dont se pré­pa­re­ra et se dérou­le­ra la réunion du Conseil du 1er mai, sui­vant que ses résul­tats don­ne­ront l’im­pres­sion d’un com­pro­mis plus ou moins boi­teux obte­nu à l’ar­ra­ché ou au contraire d’un pro­fond accord sur les déci­sions prises, l’im­pact psy­cho­lo­gique sur l’en­semble des opé­ra­teurs éco­no­miques pour­ra être fort dif­fé­rent et l’im­pact sur l’emploi éga­le­ment. Les res­pon­sa­bi­li­tés sont lourdes.

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1. On trouve régu­liè­re­ment une pré­sen­ta­tion des mesures prises dans les divers pays de l’U­nion euro­péenne dans 4 publi­ca­tions de la DG V (Affaires sociales) de la Com­mis­sion euro­péenne à Bruxelles.
2. Déjà impor­tante pour l’or­ga­ni­sa­tion géné­rale du mar­ché du tra­vail, la prise en compte des diver­si­tés natio­nales – ou régio­nales – s’im­pose encore plus pour toutes les ini­tia­tives ponc­tuelles visant à amé­lio­rer les pers­pec­tives d’embauche.
On peut éga­le­ment signa­ler que l’a­bon­dante lit­té­ra­ture tour­nant autour du thème de la fin du tra­vail est assez spé­ci­fi­que­ment fran­çaise : dans l’é­di­tion fran­çaise Le Livre de Jere­my Rif­kin, que les Fran­çais lisent sous ce seul titre, avait en plus dans l’é­di­tion amé­ri­caine un sous-titre beau­coup plus riche : The decline of the glo­bal labor force and the dawn of the post-mar­ket era.
3. Cf. Le Mani­feste des 17 (pro­fes­seurs titu­laires de chaires Jean Mon­net) : La cohé­rence des poli­tiques éco­no­miques dans une Europe dif­fé­ren­ciée : une exi­gence pour les nou­velles ins­ti­tu­tions, Revue du Mar­ché Com­mun et de l’U­nion euro­péenne, n° 399, juin 1997.
4. C’est la posi­tion offi­cielle alle­mande, for­te­ment nuan­cée dans les faits, car le rap­port des sub­ven­tions publiques au PIB est dans ce pays ana­logue à ce qu’il est en France.
5. Avec, au niveau des dis­cours, le qua­li­fi­ca­tif de « col­ber­tisme » attri­bué à la France.
6. Des options ana­logues se pré­sentent depuis long­temps pour chaque pays, avec une assez forte varié­té de réponses ; ce fut notam­ment le cas, pen­dant une longue période, pour le degré d’in­dé­pen­dance de la Banque cen­trale. On ne sau­rait trop insis­ter sur le fait que le choix ne peut pas être décon­nec­té des struc­tures éco­no­miques, mais aus­si des réa­li­tés socio-poli­tiques. Ain­si, l’in­dé­pen­dance de la Bun­des­bank et la prio­ri­té mise déli­bé­ré­ment (et exi­gée par la loi) sur la sta­bi­li­té des prix ont fonc­tion­né sans pro­blèmes tant que la popu­la­tion alle­mande avait conser­vé, du fait des deux expé­riences his­to­riques de 1923 et 1946–47, une très pro­fonde aller­gie à l’in­fla­tion. La même atti­tude ne s’ob­ser­vait pas dans de nom­breux autres pays.
7. Il ne sera sérieux d’en­vi­sa­ger de créer une véri­table zone de libre-échange Atlan­tique que quand l’Eu­rope aura suf­fi­sam­ment ren­for­cé ses ins­ti­tu­tions propres et déve­lop­pé son union poli­tique, de façon à pou­voir par­ler d’é­gal à égal avec ce partenaire.
8. Robert E. Rubin, Speech at the Centre for Stra­te­gic and Inter­na­tio­nal Stu­dies, Washing­ton DC, June, 1995.
9. Le trai­té de Maas­tricht avait sti­pu­lé que « les exi­gences en matière de pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment doivent être inté­grées dans la défi­ni­tion et la mise en œuvre des autres poli­tiques de la Com­mu­nau­té ». On se décide enfin à accor­der une impor­tance ana­logue à l’ob­jec­tif de l’emploi…
10. Le pacte de sta­bi­li­té, adop­té sous la pres­sion de l’Al­le­magne, impose le res­pect en per­ma­nence du pla­fond de 3 % pour le défi­cit des finances publiques et des sanc­tions pour un pays qui le dépas­se­rait, sauf s’il est en situa­tion de récession.
11. Nous ne répé­te­rons pas en détail ce que nous avons écrit dès jan­vier 1997.
Cf. Pierre Maillet, Le pacte de sta­bi­li­té et de crois­sance : por­tée et limites du com­pro­mis de Dublin, Revue du Mar­ché Com­mun et de l’Union euro­péenne, n° 404, jan­vier 1997.
L’évolution éco­no­mique et poli­tique des socié­tés gagne à se faire à l’intérieur d’un cadre, c’est le rôle des consti­tu­tions ; mais celles-ci ne sont durables que si elles res­tent suf­fi­sam­ment géné­rales et ouvrent les portes aux ajus­te­ments ren­dus néces­saires par les trans­for­ma­tions des réa­li­tés socio-éco­no­miques, des psy­cho­lo­gies, des dési­rs des popu­la­tions ; le pacte de sta­bi­li­té risque d’empêcher les poli­tiques néces­saires à la réa­li­sa­tion des ajus­te­ments néces­saires, il ne peut alors que créer des ten­sions insup­por­tables, qui le feront inévi­ta­ble­ment voler en éclats ; ce n’est jamais habile de créer des règles et des lois qu’on risque fort de ne pou­voir respecter.
12. Donc en s’abstenant d’insister sur le recul qu’une telle pos­si­bi­li­té mani­feste par rap­port à l’ambition d’une inté­gra­tion rapide à tous : c’est du second best, c’est mieux que du first worst : le mieux est sou­vent l’ennemi du bien.

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