Vivre à bord d’une frégate anti-sous-marine

Dossier : Formation humaine et militaire à l’XMagazine N°708 Octobre 2015
Par Camille GUÉVENOUX (13)

J’ai opté pour la spé­cia­li­té « com­mis­sa­riat », car le rôle d’administrateur du per­son­nel, du maté­riel et des finances du com­mis­saire embar­qué me parais­sait com­plet et for­ma­teur ; le volet rela­tions publiques et com­mu­ni­ca­tion dont il est en charge à bord me plai­sait éga­le­ment puisqu’il s’agissait d’un domaine que je vou­lais découvrir.

J’ai rejoint le Jean-de- Vienne début novembre 2013, en même temps que deux autres X.

Après une courte période à quai, nous sommes par­tis en mis­sion Bois Bel­leau, en tant qu’escorteur du porte-avions Charles-de-Gaulle déployé en océan Indien et dans le golfe Ara­bo-Per­sique ; nous sommes reve­nus à Tou­lon en février 2014.

J’ai ain­si eu la chance de vivre la tota­li­té du déploie­ment avec l’équipage du Jean-de-Vienne.

REPÈRES

Camille Guévenoux a d’abord suivi un mois de formation à l’École du commissariat des armées (ECA), qui se trouve sur la base aérienne de Salon-de- Provence, avec cinq autres X.
À l’issue de cette formation, elle a pu choisir de partir en affectation sur la frégate anti-sous-marine (FASM) Jean-de- Vienne, bâtiment dont le format, la mission au sein de la Marine et le programme de déploiement avec le groupe aéronaval (GAN) lui ont plu.

Un rôle complet et formateur

Ce déploie­ment de trois mois avait pour objec­tif majeur de déve­lop­per l’interopérabilité fran­co-amé­ri­caine, c’est-à-dire la capa­ci­té de deux forces étran­gères à agir ensemble et à obte­nir conjoin­te­ment un haut niveau de capa­ci­té opérationnelle.

Le GAN fran­çais a en effet rejoint son homo­logue amé­ri­cain consti­tué autour du porte-avions Harry‑S.-Truman et a été pla­cé sous contrôle opé­ra­tion­nel amé­ri­cain pen­dant cinq semaines. Il s’agissait donc de voir com­ment le porte-avions fran­çais pou­vait s’intégrer au dis­po­si­tif amé­ri­cain et d’apprendre à rendre la coopé­ra­tion la plus effi­cace possible.

La table à carte en pas­se­relle. © CAMILLE GUÉVENOUX

Le lieu choi­si pour le point d’orgue de la mis­sion était le golfe Ara­bo-Per­sique. Faire évo­luer deux GAN devant les côtes de l’Iran a par­ti­ci­pé à la mis­sion de dis­sua­sion et d’intimidation de la Marine et a éga­le­ment per­mis de faire du ren­sei­gne­ment grâce notam­ment aux nom­breux moyens aériens déployés.

Trois mois en mer

La durée de ce déploie­ment cor­res­pon­dait à une mis­sion rela­ti­ve­ment courte pour le porte-avions (six ou huit mois habi­tuel­le­ment), mais clas­sique pour les fré­gates, sur les­quelles les marins ont bien moins d’espace que sur le Charles-de- Gaulle.

Au-delà des condi­tions de vie de l’équipage pen­dant une mis­sion, il ne faut jamais perdre de vue que trois mois de mer pour un marin, c’est sur­tout trois mois d’absence pour les familles.

De plus, la date du départ impli­quait de pas­ser les fêtes de fin d’année en mer. À bord, tout a été fait pour célé­brer ces fêtes, mais on est tou­jours rat­tra­pé par le rythme du quart (j’ai pris le quart de 23 heures à 2 heures, en tant qu’adjoint de quart, le 24 et le 31 décembre).

Heu­reu­se­ment, les com­mu­ni­ca­tions du bateau vers la métro­pole se sont consi­dé­ra­ble­ment amé­lio­rées : le télé­phone et Inter­net per­mettent de prendre des nou­velles rela­ti­ve­ment faci­le­ment. L’absence devait être autre­ment plus dure autre­fois, quand aucun moyen de com­mu­ni­ca­tion ne per­met­tait de main­te­nir le lien.

J’ai réa­li­sé com­bien la Marine fai­sait d’efforts pour faci­li­ter au maxi­mum l’échange de nou­velles avec les familles et adou­cir le plus pos­sible la sépa­ra­tion pen­dant le déploiement.

Assister le commissaire

À bord, ma fonc­tion prin­ci­pale était celle d’adjoint du com­mis­saire. Je l’assistais dans son rôle d’administrateur du bateau : ges­tion des vivres, du maté­riel et du bud­get, pré­pa­ra­tion des escales et des approvisionnements.

“ J’ai eu la chance de vivre la totalité du déploiement avec l’équipage ”

Il m’a aus­si confié une des tâches qui lui incombent à bord : la com­mu­ni­ca­tion et les rela­tions publiques. Je rédi­geais donc la gazette, jour­nal envoyé par Inter­net aux familles toutes les deux ou trois semaines pour leur per­mettre de mettre des mots et des images sur ce que fait leur proche lorsqu’il part en déploiement.

J’écrivais aus­si les articles des­ti­nés à être publiés sur le site de la Marine natio­nale, j’envoyais donc régu­liè­re­ment des articles et des pho­tos à l’officier com­mu­ni­ca­tion du Charles-de-Gaulle, qui cen­tra­li­sait et gérait toute la com­mu­ni­ca­tion du GAN.

“ Les amitiés à bord se lient très vite ”

J’ai vite remar­qué que la fonc­tion d’adjoint du com­mis­saire, bien que très inté­res­sante, ne m’occupait pas à plein temps. De plus, je me suis ren­du compte que celui qui ne prend pas de quarts sur le bateau ne vit pas au même rythme que les autres.

Voyant les offi­ciers si fati­gués cou­rir après le temps, j’ai vou­lu moi aus­si faire du quart et expé­ri­men­ter ce rythme par moi-même.

Adjoint de quart

Pour expé­ri­men­ter le rythme de quart, j’ai deman­dé à être adjoint de quart en pas­se­relle, seule pièce entiè­re­ment vitrée du bateau d’où l’officier chef du quart dirige le bateau.

Trois stagiaires polytechniciens à bord de la frégate Jean-de-Vienne
Les trois X 2013 embar­qués à bord du Jean-de-Vienne (de gauche à droite : Tho­mas Miquel, Camille Gué­ve­noux et Bal­tha­zar Donon) © CAMILLE GUÉVENOUX

Les tâches qui incombent à l’adjoint de quart sont variées : bien sûr, assis­ter l’officier chef du quart dans la navi­ga­tion, mais aus­si assu­rer la cir­cu­la­tion des infor­ma­tions dans le bateau, pré­pa­rer le bateau à dif­fé­rentes mis­sions (on déroule alors des plan­chettes qui listent toutes les actions à faire lorsque l’hélicoptère décolle, que l’on met une embar­ca­tion à l’eau, que l’on fait un exer­cice de tir, etc.), rem­plir les jour­naux de bord et de navi­ga­tion, veiller la radio, rece­voir, déco­der et envoyer des mes­sages tac­tiques, faire des points météo, etc.

Ce rôle m’a per­mis d’apprendre à prio­ri­ser mes actions, à gérer des situa­tions avec un haut niveau de ten­sion et à résis­ter à la fatigue pour main­te­nir une veille attentive.

Lorsque le bateau était dans un haut niveau d’alerte, j’étais aus­si chef de la cel­lule info-crise avec une équipe de quatre marins. Nous trai­tions ensuite les infor­ma­tions col­lec­tées. J’ai ain­si pu tra­vailler avec la cel­lule ren­sei­gne­ment du bateau.

J’ai décou­vert avec inté­rêt la quan­ti­té impres­sion­nante d’informations que la Marine col­lecte à tra­vers le monde et la façon dont elle les traite, les étu­die puis les archive.

Le reste de mon temps était consa­cré à des cours des fran­çais et d’anglais que nous dis­pen­sions aux marins pen­dant leur temps libre.

MIDSHIPS

En tant que midships, les trois X étaient chargés de veiller à ce qu’il y ait une bonne ambiance au carré officier (lieu de vie et de détente à bord), d’organiser des apéritifs, des soirées ou de régaler les officiers de crêpes et de gâteaux en tout genre.
Le maintien d’une forte convivialité, surtout lorsque l’on passe les fêtes de fin d’année loin de sa famille, est essentiel, et la mission du midship n’est pas à prendre à la légère.

Découvertes

J’ai eu la chance de décou­vrir une zone du monde que je ne connais­sais pas. À Dji­bou­ti, j’ai décou­vert l’Afrique noire avec son charme et ses contrastes. Aux Émi­rats arabes unis, c’est le luxe et le gigan­tisme qui vous saisissent.

Je vou­lais décou­vrir l’univers de la Marine sans bien savoir à quoi m’attendre d’un point de vue humain. J’ai heu­reu­se­ment décou­vert que la soli­tude de cha­cun, géné­rée par l’éloignement géo­gra­phique, est par­tiel­le­ment com­blée par la richesse des rap­ports humains et que les ami­tiés se lient à très grande vitesse à bord.

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