Le VALDOCCO : Aider des jeunes en grande difficulté

Dossier : Formation humaine et militaire à l’XMagazine N°708 Octobre 2015
Par Mathilde BOISSIER (13)

Tout au long de ma sco­la­ri­té, j’ai vu la mixi­té sociale dimi­nuer à l’école. En classe de qua­trième, une de mes cama­rades a quit­té le col­lège, enceinte, tan­dis qu’une autre se lais­sait embar­quer dans un gang.

Je me suis alors deman­dé quelle ado­les­cente j’aurais été si mes parents n’avaient pu me four­nir la sécu­ri­té affec­tive et finan­cière dont j’ai béné­fi­cié durant mon enfance.

“ Assaillie en permanence par des préjugés sur les cités, je voulais voir par moi-même ”

J’ai donc déci­dé de pro­fi­ter de ces six mois de stage FHM pour me confron­ter à la réa­li­té de beau­coup de jeunes. J’avais besoin de savoir si j’étais capable de les aider, quelles seraient mes réac­tions. Je vou­lais être désta­bi­li­sée par leurs visions de la vie.

Enfin, assaillie en per­ma­nence par des pré­ju­gés sur les cités et les grandes théo­ries de cha­cun sur les meilleurs choix édu­ca­tifs, je vou­lais voir par moi-même.

REPÈRES

Le Valdocco est une association créée en 1995 par Jean-Marie Petitclerc (71) et présente dans cinq villes. Ses actions visent à prévenir la délinquance, l’échec scolaire et les ruptures familiales. La pédagogie mise en œuvre s’inspire de celle préconisée par Don Bosco (1815- 1888).
Ce qui caractérise le projet associatif, c’est l’approche globale de l’enfant, de l’adolescent. Il s’agit de le rejoindre à la fois dans la cité (grâce aux animations de rue), à l’école (grâce au service de soutien scolaire et aux actions de prévention du décrochage scolaire comme d’aide au raccrochage) et dans sa famille (grâce aux actions de soutien à la parentalité).

Comprendre et aider

J’ai effec­tué mon stage au sein de l’association Le Val­doc­co, à Tas­sin-la-Demi- Lune. J’y suis res­tée de début octobre jusqu’à fin mars. Les équipes, sur place, avaient besoin de notre aide, si bien que nous avons d’emblée pris part aux dif­fé­rentes activités.

“ J’avais peur de me faire marcher dessus, de ne pas être respectée ou de faire des erreurs ”

Mon emploi du temps était divi­sé en deux par­ties. Jusqu’au début de l’après-midi, je tra­vaillais au centre d’accueil de jour Lau­ren­fance (CAJL), qui accueille des jeunes entre 12 et 18 ans n’allant plus à l’école et en obli­ga­tion scolaire.

Pla­cés là par déci­sion judi­ciaire, ils viennent en jour­née et repartent le soir ou après le déjeu­ner. L’objectif de cet accueil est de les aider à gar­der des habi­tudes qui seront celles d’une vie pro­fes­sion­nelle, de leur don­ner quelques cours et de leur per­mettre de reprendre confiance en l’adulte en leur offrant un accueil et une oreille attentive.

Développer des activités et du soutien scolaire

Ma seconde mis­sion était au ser­vice de la pré­ven­tion. Il s’agit de pas­ser dans les quar­tiers pour jouer avec les enfants ou leur pro­po­ser dif­fé­rentes acti­vi­tés, et de s’occuper du sou­tien scolaire.

Le Centre d’accueil de jour Lau­ren­fance (CAJL) accueille des jeunes entre 12 et 18 ans.

Un des objec­tifs de ce ser­vice est aus­si l’aide à la paren­ta­li­té, mais les sta­giaires X ne s’occupent pas de ce sujet (ce qui est com­pré­hen­sible, car don­ner des conseils sur la paren­ta­li­té à dix-neuf ans m’aurait paru très étrange).

Ain­si, les mer­cre­dis étaient réser­vés aux enfants et j’étais aus­si au sou­tien sco­laire lycéen le jeu­di. Je me suis plus par­ti­cu­liè­re­ment occu­pée de l’orientation d’une jeune fille, en l’emmenant voir un conseiller d’orientation, en l’aidant à cher­cher de la docu­men­ta­tion sur les métiers qui l’intéressaient et en dis­cu­tant avec elle.

Baptême du feu

Je me sou­viens bien de ma pre­mière jour­née au CAJL. Je ne connais­sais pas les jeunes et je n’étais pas encore très fami­lière avec le mode de fonc­tion­ne­ment du centre. J’avais peur de me faire mar­cher des­sus, de ne pas être res­pec­tée ou de faire des erreurs.

TENIR LE COUP

Je me suis lancée dans ce stage avec une certaine appréhension. Je savais que j’allais être bousculée et que j’allais devoir prendre sur moi pour ne pas le montrer et ne pas m’effondrer. Je voulais, lors de ce stage, remettre en cause certaines de mes convictions.
Je n’ai pas été déçue. Durant ces six mois, j’ai énormément appris sur la façon d’aborder une relation, sur la gestion d’un conflit, sur le combat des préjugés, sur ma manière de réagir et de m’adapter aux situations. Ce stage a été une découverte fantastique des autres, de moi-même et des différentes relations tissées au milieu.

Je dis­cu­tais avec les édu­ca­teurs lorsque la pre­mière jeune fille est arri­vée. Nous sommes allés la saluer et, comme il est de cou­tume chaque matin, nous devions nous ser­rer la main.

Il n’y a pas eu de pro­blème pour les deux autres édu­ca­teurs mais, pour ma part, la jeune fille m’a regar­dée un moment sans tendre la main. Nous savions toutes les deux que si elle refu­sait, ce serait com­pli­qué pour elle car elle aurait à s’expliquer mais ce serait aus­si com­pli­qué pour moi de tra­vailler ensuite avec elle. J’ai été extrê­me­ment sou­la­gée lorsqu’elle a fina­le­ment accep­té de me dire bonjour.

J’avais com­men­cé ce stage avec beau­coup de rete­nue. Mais, peu à peu, j’ai appris à me lais­ser sur­prendre et à ren­con­trer les autres. Les jeunes, tout d’abord, m’ont dérou­tée. J’ai pris conscience en les ren­con­trant des pré­ju­gés que j’avais sur eux et sur la vie dans les quar­tiers dif­fi­ciles en général.

J’ai aus­si pris conscience qu’il est très facile de pen­ser aux dif­fi­cul­tés qu’ils peuvent par­fois tra­ver­ser sans pour autant les com­prendre ou les appré­hen­der réellement.

Des réactions inattendues

GÂTEAU D’ANNIVERSAIRE

Un jour, nous fêtions l’anniversaire d’un jeune au CAJL. Autour d’un gâteau, le moment était festif et, même s’il ne voulait pas le montrer, le jeune était plutôt content. Cependant, après avoir chanté, il nous a dit que certes c’était son anniversaire mais que « bon, une fois qu’on a treize ans, on peut aller en prison pour mineurs ».
Cette réflexion m’a laissée profondément perplexe et pensive. Pour mes douze ans, je crois que j’étais ravie d’avoir un gâteau et de fêter ça. Comment se faisait-il que ce garçon en arrive à exprimer cela si jeune ? Qu’avait-il donc pu vivre en douze ans pour avoir perdu si vite sa naïveté ?
Je pense que c’est à partir de là que j’ai réalisé que j’étais loin de m’imaginer à quel point je ne savais rien sur ces jeunes. J’ai alors compris que, pour rencontrer, il faut d’abord écouter en faisant taire ses préjugés.

Il y a dif­fé­rents types de rela­tions, et j’ai pu consta­ter pen­dant mon stage qu’elles ne sont pas tou­jours celles que l’on sou­haite ou que l’on attend.

Il y avait au CAJL une jeune fille qui ne m’aimait pas et ne com­pre­nait pas que, à mon âge, je puisse être « du côté des adultes ». Un matin de février, j’ai dû assu­rer un cours de maths. Tout allait bien puisque les quatre jeunes pré­sents ce matin-là au CAJL avaient accep­té de venir en cours, y com­pris cette jeune fille.

J’ai alors dis­tri­bué les feuilles d’exercices (per­son­na­li­sées selon le niveau de cha­cun). Je venais à peine de me retour­ner après lui avoir don­né sa feuille que j’ai enten­du un bruit de papier déchi­ré. Elle venait d’en faire conscien­cieu­se­ment des confet­tis qu’elle m’a jetés des­sus. En réponse à mon air pro­fon­dé­ment pern­plexe, elle m’a dit que, puisque j’aimais la neige, je devais être contente parce que, voi­là, il neigeait.

“ Montrer aux jeunes qu’ils étaient capables d’avancer ”

Cet évé­ne­ment m’a beau­coup per­tur­bée. Je me suis énor­mé­ment inter­ro­gée pour com­prendre sa réac­tion. J’en ai dis­cu­té ensuite avec le psy­cho­logue de la struc­ture. Il m’a expli­qué que je n’y pou­vais pro­ba­ble­ment pas grand-chose, je ne pou­vais sim­ple­ment pas déci­der des réac­tions des autres à mon égard.

J’ai com­pris que je ne pou­vais pas tout maî­tri­ser et qu’une rela­tion dans le conflit reste une forme de rela­tion. Nous étions toutes deux conscientes de la pré­sence de l’autre. Je sais qu’elle a beau­coup réflé­chi à ce conflit. Elle avait été sur­prise de ma réaction.

Loin de m’énerver, j’avais sim­ple­ment eu l’air triste. Ain­si, ce conflit a per­mis pour cha­cune de faire avan­cer les choses. Vers la fin du stage, elle était beau­coup moins pro­vo­ca­trice avec moi.

Voir les relations autrement

J’ai appris durant ce stage à mieux appré­hen­der la rela­tion. En y réflé­chis­sant et en pre­nant du recul, je com­pre­nais mieux les évé­ne­ments et cela me per­met­tait d’adapter mes réac­tions et de gagner en confiance en moi.

Ces ana­lyses se fai­saient aus­si en réunion lorsque nous dis­cu­tions de chaque jeune, et j’ai trou­vé ce côté rela­tion­nel extrê­me­ment intéressant.

Des jeunes plutôt pessimistes

J’ai aus­si décou­vert durant ce stage d’autres visions du monde et de la socié­té. En dis­cu­tant avec les jeunes, j’ai pu me rendre compte qu’ils n’étaient abso­lu­ment pas sereins en ce qui concer­nait leur ave­nir et étaient même plu­tôt pessimistes.

Un des jeunes à qui je devais faire écrire une lettre de moti­va­tion pour un stage m’a dit que ça ne ser­vait à rien puisque, plus tard, il ferait « comme les grands ». Mal­gré la dis­cus­sion qui a sui­vi, il n’arrivait pas à voir où pou­vait être sa place dans la socié­té. Pour lui, l’avenir était bouché.

Jean-Marie Petitclerc (71) a créé Le Valdocco en 1995.
Jean-Marie Petit­clerc (71) a créé l’association Le Val­doc­co en 1995.

SURTOUT EUX

Un jeune m’a demandé, à la fin de mon stage, si ces six mois m’avaient apporté quelque chose. J’ai répondu que oui. Il a alors insisté en me demandant : « Mais même nous, les jeunes ? » Je lui ai dit que c’était probablement eux qui m’avaient apporté le plus. Il a alors eu l’air surpris et sceptique. J’espère que le côté sceptique s’estompera par la suite et qu’il prendra confiance en lui.

Des équipes motivées et combatives

J’ai aus­si décou­vert la vision des édu­ca­teurs. J’ai été émer­veillée par leur opti­misme et leur com­ba­ti­vi­té. Ils essayaient sans relâche de redon­ner confiance aux jeunes. Ils fai­saient confiance aux jeunes.

Lorsqu’on sent que quelqu’un nous fait confiance, on gagne en confiance en nous et on est alors beau­coup plus apte à faire confiance aux autres. En se fon­dant sur la péda­go­gie salé­sienne, il s’agissait de mon­trer aux jeunes qu’ils étaient capables d’avancer.

Mal­gré les dif­fi­cul­tés, le tra­vail pre­nant, je n’ai jamais vu d’autres membres de l’équipe bais­ser les bras. J’ai pu voir durant ce stage des gens enga­gés et croyant en ce qu’ils fai­saient. Mal­gré un tra­vail épui­sant, ils gar­daient leur moti­va­tion et leur énergie.

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