La vie en lycée, redistribuer les savoirs

Dossier : Formation humaine et militaire à l’XMagazine N°708 Octobre 2015
Par Antoine BERTHIER (13)

Après un bref pas­sage par le camp mil­i­taire de La Cour­tine, j’ai réal­isé mon stage de for­ma­tion humaine et mil­i­taire dans le civ­il, au sein du lycée de La Bor­de- Basse, à Cas­tres (Tarn). Celui-ci s’est déroulé de début octo­bre 2013 à la fin du mois de mars 2014.

REPÈRES

Accueillant plus de 1 800 élèves de toutes origines socioprofessionnelles, le lycée de La Borde-Basse est le plus grand établissement scolaire de Castres. Il est situé au nord-ouest de la ville, sur un véritable campus bordé par un lac.
Deux élèves polytechniciens ont été affectés à ce stage et ont été logés sur place, dans un appartement mis à disposition par l’administration, dans les bâtiments habituellement réservés au personnel.

Six mois dans un lycée de province

Mon activ­ité prin­ci­pale durant ce stage con­sis­tait à fournir des séances de sou­tien sco­laire à des élèves de lycée, de class­es pré­para­toires et de BTS. Nos efforts se con­cen­traient sur les dis­ci­plines sci­en­tifiques : math­é­ma­tiques, physique, chimie et sci­ences de l’ingénieur.

En pra­tique, ces séances se déroulaient dans une salle de classe dédiée, avec un effec­tif vari­ant d’un seul à une quin­zaine d’élèves. Nous avons, dès la pre­mière semaine, été lais­sés en autonomie, tant sur la forme que le fond de ces séances.

Les horaires, défi­nis au préal­able, se répar­tis­saient tout au long de la journée : lycéens le matin ou l’après-midi et étu­di­ants en class­es pré­para­toires le soir, à l’internat, jusqu’à vingt-deux heures.

Un choix motivé

Pourquoi avoir choisi ce stage ? J’ai passé mes deux années de class­es pré­para­toires au lycée Gay-Lus­sac de Limo­ges, que l’on peut qual­i­fi­er de « petite pré­pa », non étoilée, au regard de beau­coup d’établissements parisiens pres­tigieux. Lors du choix des stages, à La Cour­tine, j’ai souligné cet aspect dans ma let­tre de motivation.

“ Rendre, en quelque sorte, une partie de ce que mon lycée m’avait apporté ”

Il s’agissait là de ren­dre, en quelque sorte, une par­tie de ce que mon lycée m’avait apporté. C’est donc tout naturelle­ment que j’ai souhaité aider d’autres élèves venant de class­es pré­para­toires de moin­dre renom­mée. J’ai alors été affec­té au lycée de La Bor­de-Basse, à Castres.

Le con­tenu du stage ne s’est certes pas lim­ité aux class­es pré­para­toires, mais cela a indu­bitable­ment été un avan­tage. J’ai ain­si pu vivre des sit­u­a­tions extrême­ment var­iées tout au long de mes activ­ités. Une séance avec une dizaine d’élèves de sec­onde n’est évidem­ment pas com­pa­ra­ble avec une heure de sou­tien péd­a­gogique pour quelques étu­di­ants de BTS.

La matu­rité et la moti­va­tion des élèves par­ticipent alors active­ment au suc­cès de la séance.

Pédagogie et communication

Au-delà des sim­ples aspects sci­en­tifiques, ce stage m’a per­mis de met­tre en œuvre des com­pé­tences nou­velles et divers­es : péd­a­gogie et com­mu­ni­ca­tion avec des élèves en dif­fi­culté, autorité avec cer­taines class­es de sec­onde, autonomie dans tous les cas. Ma prox­im­ité d’âge avec les élèves m’a autorisé des rela­tions ami­cales en dehors des séances, mais tou­jours sérieuses et studieuses durant les heures de soutien.

Par ailleurs, j’ai pu, dans une cer­taine mesure, faire l’expérience du méti­er d’enseignant. Notre stage présen­tait en fait de nom­breuses simil­i­tudes avec la mis­sion d’un pro­fesseur : atten­tion con­stante aux élèves, pré­pa­ra­tion de séances en amont, col­lab­o­ra­tion entre collègues.

J’ai égale­ment appris les codes et usages de la salle des professeurs.

Faire profiter les plus jeunes de son expérience

Mes inter­ven­tions en class­es pré­para­toires illus­trent, quant à elles, la diver­sité des mis­sions du stage. Il s’agissait avant tout d’aider les élèves pré­parant des con­cours à don­ner le meilleur d’eux-mêmes, et à ne pas s’autocensurer.

DÉPASSER LE PROGRAMME

J’étais beaucoup plus libre que les professeurs quant au contenu, et n’étais pas soumis au respect scrupuleux des programmes et des exigences horaires imposé aux enseignants. Par exemple, reprendre des fondements de mathématiques non acquis au collège reste souvent irréalisable pour un enseignant en poste, soumis au programme et confronté à une hétérogénéité croissante entre élèves. Pourtant, de telles lacunes sont souvent à l’origine d’une perte de confiance, et constituent le ferment de l’échec scolaire.

Moins d’un an aupar­a­vant, j’étais moi-même dans leur sit­u­a­tion, et j’ai ain­si pu leur trans­met­tre cer­taines méth­odes de tra­vail effi­caces et per­ti­nentes face à des con­cours exigeants.

Je pas­sais là, en quelques mois, du statut d’élève à celui d’enseignant. Une sit­u­a­tion par­fois désta­bil­isante, avec le vou­voiement en prime. En marge des con­tenus et du savoir trans­mis, le mes­sage était cer­taine­ment de faire preuve d’audace, et d’oser l’excellence depuis Castres.

Les deux heures sup­plé­men­taires quo­ti­di­ennes de tra­vail encadré en soirée ont été d’une grande effi­cac­ité pour les élèves. J’ai mis en place une « démarche qual­ité » en fin de stage, dans le but de mesur­er l’efficacité des séances, en pro­posant un sondage aux élèves. Ceux-ci étaient appelés à éval­uer le déroulé du sou­tien, par­tic­i­pant ain­si à son opti­mi­sa­tion pour les années suivantes.

Il ne faut pas sous-estimer la sat­is­fac­tion per­son­nelle de voir les élèves pro­gress­er régulière­ment durant la péri­ode, puis réus­sir aux concours.

Une expérience concrète de la pédagogie

Don­ner une chance aux élèves de « petites » prépas.

À titre indi­vidu­el, ce stage a con­sti­tué une expéri­ence pro­fes­sion­nelle et humaine par­ti­c­ulière­ment enrichissante. La diver­sité des rela­tions nouées avec le corps enseignant m’a don­né une vision nou­velle de ce que pou­vait être la ges­tion d’un étab­lisse­ment de ce type, sa com­plex­ité, l’exigence de la tâche, et la rigueur pour la réaliser.

Cette expéri­ence, facile­ment val­oris­able, fig­ur­era en bonne place sur mon CV, même si je n’envisage pas de m’orienter vers une car­rière dans l’enseignement. La capac­ité de trans­met­tre et la péd­a­gogie sont des qual­ités qui demeurent trans­pos­ables au monde de l’entreprise.

Le choix de l’École poly­tech­nique d’affecter cer­tains de ses élèves en stage de sou­tien d’enseignement dépasse la sim­ple col­lab­o­ra­tion péd­a­gogique pour définir un vrai con­cept, celui de la redis­tri­b­u­tion des savoirs.

“ Oser l’excellence depuis Castres ”

À l’heure où les classe­ments inter­na­tionaux comme PISA pointent les faib­less­es du sys­tème d’enseignement français, l’initiative de l’X peut appa­raître comme une réponse inédite et effi­cace dans la lutte con­tre l’échec sco­laire. Ce stage de sou­tien péd­a­gogique place le poly­tech­ni­cien au plus près de l’élève, et c’est bien cette prox­im­ité d’âge qui agit comme un catal­y­seur dans la rela­tion enseignant-enseigné.

La majorité des élèves ayant suivi les séances de sou­tien affir­ment qu’elles ont été par­ti­c­ulière­ment effi­caces et facil­itées par la com­mu­ni­ca­tion avec un tuteur du même âge ou presque. Le fait que l’élève et le sta­giaire parta­gent des préoc­cu­pa­tions com­munes facilite grande­ment le trans­fert de connaissances.

Une voie pour d’autres écoles

UNE RÉUSSITE

Un des élèves de Castres qui était en MPSI à l’époque de mon stage a intégré cette année l’École polytechnique (promo 2015).
Il avait bénéficié pendant ses deux années de l’intervention de stagiaires polytechniciens.

Nous évolu­ons désor­mais dans une économie qui priv­ilégie la con­nais­sance. L’initiative de redis­tri­b­u­tion des savoirs mise en place par l’École poly­tech­nique par­ticipe active­ment à la lutte con­tre l’échec sco­laire et au rééquili­brage pédagogique.

Il faut souhaiter qu’elle soit éten­due à d’autres écoles et général­isée sous un for­mat à définir. Pourquoi pas celui d’un ser­vice nation­al civique obligatoire ?

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