Une polytechnicienne chez les gendarmes

Dossier : Formation humaine et militaire à l’XMagazine N°708 Octobre 2015
Par Louise BIQUARD (13)

Après deux mois passés à l’école des officiers de la Gen­darmerie nationale, j’ai tout naturelle­ment choisi une des­ti­na­tion où je savais que la gen­darmerie était bien occupée : Coulom­miers, en Seine-et-Marne (77).

Mon stage s’est déroulé en plusieurs phas­es. Je dépendais directe­ment du com­man­dant de com­pag­nie, qui m’a fait une place dans son bureau, si bien que j’étais lit­térale­ment au cen­tre de toute l’activité de la compagnie.

REPÈRES

La compagnie de gendarmerie de Coulommiers est confrontée à deux sortes de problèmes. Dans la partie ouest, plutôt aisée, il y a des cambriolages récurrents, du fait de quelques bandes très bien organisées. À l’est, la pauvreté et la détresse sociale de cette partie du département causent d’autres problèmes, notamment de violences et de vols.

Au cœur des opérations

“ J’ai été plus d’une fois placée dans des situations assez délicates ”

J’ai égale­ment effec­tué plusieurs détache­ments dans dif­férentes unités de la com­pag­nie, notam­ment au sein de la brigade de recherche et du pelo­ton de sur­veil­lance et d’intervention, ce qui m’a per­mis d’être au plus près des gen­darmes, de dis­cuter avec eux, et surtout, de tra­vailler avec eux et de par­ticiper à leurs opérations.

J’ai ain­si par­ticipé, surtout au début, à de nom­breuses patrouilles et inter­pel­la­tions, ce qui m’a placée plus d’une fois dans des sit­u­a­tions assez délicates.

Interpellations agitées

J’ai sou­vent par­ticipé à l’organisation d’interpellations. La brigade de recherche mène des enquêtes de long terme et, lorsqu’elles aboutis­sent, elles se con­clu­ent par une opéra­tion d’interpellation des suspects.

SPRECHEN SIE DEUTSCH ?

Lors d’une patrouille, nous avons été appelés par la directrice d’une école primaire car un homme en sous-vêtements regardait l’intérieur de l’école à travers la grille. Une fois sur place, nous avons réalisé que l’homme ne parlait que l’allemand, et j’étais la seule personne de la patrouille à parler cette langue.
J’ai par conséquent dû aller aborder cet homme, qui était bien plus impressionnant que moi, et exiger en allemand qu’il se rhabille, puis lui passer les menottes et l’emmener. Même si j’avais rejoint la gendarmerie et la compagnie de Coulommiers dans le but de participer à l’action, il faut bien reconnaître que, sur le moment, je n’en menais pas large.

Une inter­pel­la­tion menée dans un milieu rur­al, peu dense, est en général assez facile à organ­is­er et ne présente pas trop de dan­gers, sauf exception.

En revanche, lorsque le sus­pect réside dans une cité sen­si­ble, l’opération est de tout autre enver­gure et, le plus sou­vent, il faut avoir recours à des pelo­tons d’intervention spé­cial­isés de la gendarmerie.

C’est là que tout l’aspect stratégique de la pré­pa­ra­tion de l’opération est intéres­sant : com­ment gar­er les véhicules, pour qu’ils ne soient pas trop loin, mais inac­ces­si­bles si des pro­jec­tiles divers sont lancés des fenêtres, et en mesure de redé­mar­rer immédiatement.

Et surtout, avoir des ren­seigne­ments suff­isam­ment fiables et détail­lés pour éviter tout imprévu et pou­voir dimen­sion­ner cor­recte­ment l’équipage. Il ne s’agissait pas d’arriver à des­ti­na­tion et de se ren­dre compte que la per­son­ne pos­sé­dait des chiens d’attaque, ou était en réal­ité un cham­pi­on d’arts martiaux.

Un moment délicat

Un jour où ce tra­vail n’avait pas été fait tout à fait aus­si à fond qu’il l’aurait dû, nous nous sommes ren­du compte qu’en plus de la per­son­ne à inter­peller était présente une femme, elle aus­si recher­chée dans le cadre de la même affaire, mais dont nous n’avions pas anticipé la présence. Comme j’étais la seule gen­darme fémi­nine présente, je me suis retrou­vée seule avec elle dans une pièce, avec pour mis­sion de la fouiller avant le place­ment en garde à vue.

J’ai donc dû impos­er mon autorité. Sans grand suc­cès, mal­heureuse­ment, puisque j’ai dû bat­tre en retraite après qu’une chaise eut été lancée au tra­vers de la pièce, et laiss­er inter­venir les gen­darmes, les vrais.

Apprendre sur soi-même

La ques­tion que l’on m’a le plus sou­vent posée à pro­pos de ce stage est de savoir ce que j’en ai retiré. Mis à part six mois de dépayse­ment total, un cer­tain nom­bre d’anecdotes et une volte-face dans ma vision des forces de l’ordre, j’ai beau­coup appris sur moi-même.

Je vois déjà les sourires de ceux qui se dis­ent que j’ai bien appris ma leçon, mais c’est pour­tant la réalité.

En gen­darmerie, j’ai appris, en vrac, à rester calme en toutes cir­con­stances, à gér­er mon som­meil, à empêch­er une rela­tion de tra­vail de devenir trop famil­ière, com­ment man­ag­er une équipe en étant une femme, que j’étais capa­ble de faire bonne fig­ure dans des moments émo­tion­nelle­ment dif­fi­ciles, et j’en passe.

Dans l’est de Coulom­miers, la pau­vreté et la détresse sociale causent des prob­lèmes de vio­lences et de vols © VILLE DE COULOMMIERS

PRENDRE CONFIANCE EN SOI

L’un des moments les plus marquants de mon stage a été ma première découverte de cadavre, particulièrement horrible puisque la personne était morte depuis trois semaines lorsque quelqu’un l’a trouvée. Sans entrer dans les détails sordides, je me rends compte a posteriori que le choc a été rude. Pendant plusieurs jours, j’avais le sentiment d’avoir encore sur moi cette odeur affreuse, et j’en ai fait quelques cauchemars.
Et puis finalement, j’ai fini par mettre tout cela derrière moi, et les découvertes suivantes, bien que tout aussi dérangeantes dans les faits, m’ont beaucoup moins marquée. Ce moment difficile, entre autres, m’a donné confiance en moi, non pas intellectuellement, mais émotionnellement.

Déracinement et rupture

Un autre effet de ce séjour en gen­darmerie est le déracin­e­ment absolu com­mun à la plu­part des stages poly­tech­ni­ciens, qui a été, en ce qui me con­cerne, un immense bienfait.

Après deux ans de class­es pré­para­toires, en com­pag­nie de per­son­nes ayant reçu, pour la plu­part, la même édu­ca­tion que moi, être con­fron­tée à une pop­u­la­tion en grande pré­car­ité et notam­ment à une jeunesse en détresse, au niveau sco­laire et même de l’éducation basique, a été un choc béné­fique. Et pour­tant, Coulom­miers ne se trou­ve qu’à soix­ante kilo­mètres de Paris.

“ J’ai appris à rester calme en toutes circonstances ”

Quand les con­di­tions sont bonnes, le stage mil­i­taire ou civ­il de la pre­mière année du cur­sus poly­tech­ni­cien peut être un temps d’enrichissement per­son­nel intense et une expéri­ence humaine authen­tique. Sur les stages en gen­darmerie en général je dirai ceci : il est extrême­ment instruc­tif et enrichissant de mieux con­naître cette insti­tu­tion dont on a sou­vent une image faussée.

En effet, l’activité prin­ci­pale des gen­darmes est loin d’être la dis­tri­b­u­tion d’amendes sur le bord de la route.

Et il ne faut pas oubli­er non plus que ces quelques mois con­stituent une rup­ture bien­v­enue après deux ou trois années de tra­vail très intense, où l’on ne se laisse pas le loisir de réfléchir vrai­ment à son avenir, de peur de se ren­dre compte que telle matière n’y fig­ur­era pas et de ris­quer de per­dre en motivation.

En ce qui me con­cerne, la ten­sion nerveuse des con­cours m’avait lais­sée épuisée, et faire quelque chose de totale­ment dif­férent durant quelques mois m’a per­mis de retrou­ver ma moti­va­tion et de revenir à l’École avec un vrai recul sur ce que je veux faire ensuite.

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