En immersion au sein du régiment du service militaire adapté en Polynésie

Dossier : Formation humaine et militaire à l’XMagazine N°708 Octobre 2015
Par jean-Baptiste SEBY (13)

De mi-décembre 2013 à avril 2014, j’ai connu en Poly­né­sie fran­çaise une expé­rience pro­ba­ble­ment unique. Mais reve­nons en arrière. Après un mois de classe à La Cour­tine, je décide de par­tir à Saint-Cyr- Coët­qui­dan pour goû­ter plus lar­ge­ment les spé­ci­fi­ci­tés de l’armée de Terre. Autant dire que je n’ai pas été déçu du voyage.

REPÈRES

Le SMA – Service militaire adapté – a été créé en 1960 à la suite de troubles sociaux aux Antilles. Il avait pour but d’encadrer et de former la jeunesse défavorisée guyanaise et antillaise. Le régiment du Service militaire adapté de Polynésie française a été fondé en 1989.

Dans “ La bataille ou la tempête1 ”, bretonne

J’y ai trou­vé pen­dant deux mois et demi ce que j’étais venu cher­cher, et bien plus encore : rus­ti­ci­té, adap­ta­bi­li­té, adré­na­line. Entre par­cours d’obstacles ou par­cours « Guyane », tir au Famas et au pis­to­let auto­ma­tique, sans comp­ter la semaine d’aguerrissement au fort de Pen­thièvre, tous les ingré­dients étaient réunis pour « deve­nir soi-même ».

“ Tous les ingrédients étaient réunis pour devenir soi-même ”

Certes, ce serait faire de la langue de bois que de dire que tout était drôle et agréable, les condi­tions cli­ma­tiques ajou­tant sou­vent un han­di­cap. Mais les dif­fi­cul­tés ont sans nul doute été une source d’enseignement riche humainement.

J’en retiens d’une part l’esprit de cohé­sion et d’abnégation, notam­ment au sein de la sec­tion. D’autre part, ce sont ces diverses acti­vi­tés qui ont fait pour moi de « Coët » une vraie expé­rience à vivre.

MAEVA I TAHITI2

Un style de vie et un rêve d’aventures.

À la fin de cette for­ma­tion, choix cor­né­lien s’il en est, j’ai dû choi­sir le régi­ment où j’allais ser­vir. Mon choix s’est por­té sur le RSMA de Poly­né­sie fran­çaise. Trois rai­sons moti­vaient cette déci­sion : l’expérience de com­man­de­ment pro­po­sée dans le stage, le carac­tère social de la mis­sion du régi­ment, la décou­verte d’une nou­velle culture.

Je vous emmène donc à 16 000 kilo­mètres de Paris. Pour mieux com­prendre ce que j’ai pu faire en Poly­né­sie, il me semble indis­pen­sable de reve­nir sur ce qu’est le RSMA.

Il s’agit en effet d’une enti­té très par­ti­cu­lière au sein des armées. Comme tous les autres régi­ments du SMA, il a pour but de don­ner une for­ma­tion civique et pro­fes­sion­nelle aux jeunes des ter­ri­toires d’outre-mer en proie à des dif­fi­cul­tés sco­laires ou sociales.

Les jeunes recru­tés sont sou­vent sans diplôme et par­fois confron­tés à des situa­tions fami­liales com­plexes. Par ailleurs, la consom­ma­tion de la drogue locale – le « paca » – est un véri­table fléau par­mi les jeunes des quar­tiers défa­vo­ri­sés et ne fait qu’amplifier les pro­blèmes déjà présents.

En plus de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle d’une durée de dix mois envi­ron, les jeunes se voient offrir la pos­si­bi­li­té de pas­ser le per­mis de conduire, ain­si que des cours de remise à niveau sco­laire. L’objectif du régi­ment in fine est de les insé­rer sur le mar­ché du travail.

Aspirant SEBY, au rapport

Au cours de ma période au sein du RSMA, j’ai occu­pé à deux reprises – jan­vier puis mars – le poste d’officier adjoint auprès du com­man­dant d’unité. Concrè­te­ment, j’ai rem­pli des mis­sions pour sou­te­nir le capi­taine com­man­dant la com­pa­gnie de for­ma­tion professionnelle.

RÊVE D’AVENTURES

D’un point de vue militaire, le SMA est affilié aux troupes de Marine, et avec le recul, je suis fier d’avoir servi au sein de cette famille. Les troupes de Marine sont bien plus qu’une arme, c’est « un état d’esprit, un style de vie et un rêve d’aventures » diront les anciens comme les nouveaux. Les traditions y sont riches et fortes.

En pre­mier lieu, j’ai mis en place, à la demande de l’état-major, une conven­tion de par­te­na­riat entre les uni­tés de la Marine basées au port de Papeete et le RSMA-Pf.

Cet accord per­met aux jeunes mar­souins3 de la filière sou­deur, nou­vel­le­ment créée, d’effectuer une par­tie de leur for­ma­tion dans les ate­liers de la Marine. Expé­rience fort inté­res­sante puisqu’elle m’a per­mis d’avoir des liens avec une autre com­po­sante de l’armée fran­çaise, mais aus­si avec les lycées pro­fes­sion­nels des environs.

Ensuite, tou­jours au titre de ces mis­sions de sou­tien, j’ai mis en place une lettre de com­mu­ni­ca­tion dif­fu­sée au sein du régi­ment. Ce tra­vail a faci­li­té mon immer­sion par­mi les cadres mili­taires ain­si que par­mi les jeunes sta­giaires polynésiens.

Focus sur les missions de recrutement

Lors de ma période de stage, l’opportunité m’a été offerte à deux reprises d’effectuer des mis­sions de recru­te­ment au pro­fit du RSMA.

“ L’objectif du régiment est d’insérer les jeunes sur le marché du travail ”

Dans les faits, cela signi­fie par­tir dans l’une des nom­breuses îles de Poly­né­sie, y pas­ser entre deux et quatre jours pour pros­pec­ter, infor­mer les jeunes pré­sents qui n’ont sou­vent pas de pers­pec­tives d’avenir puisque peu d’emplois sont offerts sur leur île natale.

Je suis donc par­ti une pre­mière fois sur l’île de Kaue­hi dans l’archipel des Tua­mo­tu, puis une seconde fois sur l’île de Ruru­tu dans les Aus­trales – l’état-major du régi­ment et deux com­pa­gnies sont basés à Tahi­ti, dans l’archipel de la Société.

N’ayons pas peur des mots, ces deux courts séjours étaient tout sim­ple­ment « bluf­fants ». Les gens y sont incroya­ble­ment accueillants et cha­leu­reux, les visites sur l’île étant très rares.

Au cours de ces mis­sions, j’ai pu faire aus­si des acti­vi­tés avec les locaux après la jour­née de tra­vail. À Kaue­hi, j’ai été invi­té à une pêche sous-marine au fusil. Les mau­vaises langues diront que j’ai fait « échec mis­sion » en termes de pois­sons attra­pés, mais le repas du soir auquel j’ai été convié a tout de même été mémo­rable, car mes « gen­tils orga­ni­sa­teurs » locaux n’avaient pas leur pareil à la gâchette.

“ VOYAGE AU BOUT DU MONDE ”

Le RSMA-Pf a cette par­ti­cu­la­ri­té que ses com­pa­gnies sont dis­per­sées sur les dif­fé­rents archi­pels de Poly­né­sie, un espace aus­si vaste que l’Europe.

L'ile de Kauehi, dans l’archipel des Tuamotu.
Kaue­hi, dans l’archipel des Tuamotu.

L’objectif du SMA est d’être pré­sent au sein des archi­pels afin d’offrir à tous les jeunes Poly­né­siens la pos­si­bi­li­té d’accéder à la for­ma­tion du RSMA-Pf.

J’ai été envoyé au sein de la com­pa­gnie pré­sente sur l’île de Tubuai, dans l’archipel des Aus­trales, pour étu­dier la pos­si­bi­li­té d’introduire un module d’apiculture dans la filière agriculture.

Paral­lè­le­ment, j’ai par­ti­ci­pé à des cours de sou­tien sco­laire auprès des sta­giaires. Comme lors des mis­sions de recru­te­ment, une impres­sion d’isolement vis-à-vis de la fré­né­sie du monde moderne se fait sen­tir. Toute la vie de l’île est ryth­mée par l’activité de la com­pa­gnie du régi­ment et des ravitaillements.

Mais, contrai­re­ment au recru­te­ment, ma pré­sence a duré un mois. Autant dire que j’y ai goû­té à une autre manière de vivre. Au bout d’un mois donc, j’avais l’impression de tour­ner un peu en rond lors de mon temps libre, au sens propre comme au figu­ré, car l’île n’a que deux routes : une cir­cu­laire et une transversale.

Mais le dépay­se­ment et l’accueil de la popu­la­tion ain­si que les acti­vi­tés de la com­pa­gnie ont don­né une saveur très agréable à cette période.

Armée, sport et cohésion

DÉPAYSEMENT

La vie sur certaines îles est plutôt surprenante. On y trouve très peu de voitures par exemple, une seule route pour toute l’île, un « centre-ville » qui se résume à une rue alignant le médecin – le taote – la poste, le policier municipal – le mutoi –, l’infirmière, l’église, l’épicerie et un guichet de banque. Enfin, le ravitaillement de l’île se fait par bateau depuis Tahiti tous les quinze jours ou trois semaines, voire plus suivant les conditions climatiques.
Robinson Crusoé pourrait y élire domicile.

Enfin, je ne peux ter­mi­ner sans évo­quer les diverses acti­vi­tés spor­tives aux­quelles j’ai pu prendre part au sein du régi­ment. Féru d’athlétisme et de course à pied, j’ai par­ti­ci­pé au semi-mara­thon de Moo­rea – île sœur de Tahi­ti située à 17 kilo­mètres – aux côtés de plu­sieurs cadres mili­taires et sta­giaires du RSMA.

Satis­fac­tion ren­for­cée par ma vic­toire sur cette course avec un pas­sage à la télé­vi­sion locale.

Par­ti­ci­pa­tion éga­le­ment à plu­sieurs entraî­ne­ments de cyclisme sur les routes de Tahi­ti, et à des séances de Va’a, la pirogue poly­né­sienne tra­di­tion­nelle, pra­tique spor­tive dans laquelle les jeunes sta­giaires excellent.

À chaque fois, cohé­sion, esprit de com­pé­ti­tion et bonne humeur ont été de la par­tie. Un excellent moyen de prendre part acti­ve­ment à la vie régimentaire.

Un an après

Un an après la fin de cette expé­rience de pre­mière année à l’École poly­tech­nique, je retiens de ma période à Saint-Cyr la capa­ci­té que l’on peut avoir à sur­mon­ter la dif­fi­cul­té, notam­ment grâce à la force du groupe.

“ Il faut avoir le cœur d’un matelot et celui d’un soldat ”

De ma période tahi­tienne et plus géné­ra­le­ment poly­né­sienne, l’immersion au sein de l’institution mili­taire par l’intermédiaire de mon sta­tut d’officier du RSMA-Pf a plei­ne­ment mis en exergue la res­pon­sa­bi­li­té qui incombe à l’élève poly­tech­ni­cien que je suis, aujourd’hui et à l’avenir.

Enfin, la décou­verte de l’altérité et d’une nou­velle culture donne à ma for­ma­tion mili­taire et humaine une dimen­sion à mes yeux unique. Décou­verte conju­guée à des ren­contres riches en ami­tiés qui per­durent aujourd’hui et dont je me réjouis largement.

Pour venir au RSMA-Pf, il faut avoir “ le cœur d’un mate­lot et celui d’un sol­dat4 ”. Car suivre les traces de Bou­gain­ville et Gau­guin pour un Voyage au bout du monde5 peut rele­ver de l’aventure ou encore du périple au long cours.

Mais soyez sûr que vous ne pour­rez conte­nir une cer­taine peine au moment de quit­ter la Poly­né­sie et les gens qui en sont l’âme.

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1. Extrait du refrain de l’hymne de l’infanterie de Marine.
2. “ Bien­ve­nue à Tahi­ti ” en tahitien.
3. Nom don­né aux jeunes du RSMA, tra­di­tion des troupes de Marine oblige.
4. Extrait du refrain de l’hymne de l’infanterie de Marine.
5. Titre d’un film de Jacques-Yves Cous­teau, qui fut offi­cier de la Marine puis explo­ra­teur océanographe.

Carte de la polynésie française
Les com­pa­gnies du RSMA-Pf sont dis­per­sées sur les dif­fé­rents archi­pels de Poly­né­sie, espace aus­si vaste que l’Europe.

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