Vers un modèle pour détecter et réagir

Dossier : Le nouvel espace financierMagazine N°652 Février 2010
Par Jacques de LAROSIÈRE

Nous savons bien qu’il y aura tou­jours des crises finan­cières, mais celle que nous tra­ver­sons est unique, par la nature de ses caus­es, par son ampleur et la vio­lence de ses effets. Com­ment s’as­sur­er que de tels événe­ments ne vont pas se reproduire ?

Mettre fin aux déséquilibres macroéconomiques

C’est la con­jonc­tion de déficits mas­sifs et per­sis­tants des bal­ances des paiements courants des États-Unis et d’ex­cé­dents struc­turels chez des pays émer­gents comme la Chine ou le Moyen-Ori­ent qui a été à l’o­rig­ine pro­fonde de la crise. Les pays crédi­teurs ont souhaité fix­er leur par­ité sur celle du dol­lar afin de ne pas per­dre leur com­péti­tiv­ité, ce qui les a amenés à acheter du dol­lar pour des mon­tants inouïs.

La crise est le résul­tat d’une poli­tique moné­taire lax­iste particuliè­rement aux États-Unis

Or, ces inter­ven­tions sont créa­tri­ces de mon­naie. Elles ont joué un rôle majeur dans l’abon­dance des liq­uid­ités observée depuis une dizaine d’an­nées et dans le main­tien des taux d’in­térêt à des niveaux très bas (proches de 0 si on tient compte des antic­i­pa­tions infla­tion­nistes). On com­prend que, dans un tel con­texte de facil­ité moné­taire, l’en­det­te­ment se soit envolé. La crois­sance du crédit aux États-Unis et en Europe a sys­té­ma­tique­ment — et de beau­coup — dépassé la crois­sance de l’é­conomie réelle.

L’in­no­va­tion finan­cière a accusé ce phénomène. L’usage exces­sif de la titri­sa­tion a per­mis aux ban­ques — à fonds pro­pres inchangés — de con­sen­tir un vol­ume tou­jours crois­sant de nou­veaux crédits.

La crois­sance économique a été, pour un temps, favorisée par cet emballe­ment du crédit. Mais lorsque le marché des sub­primes s’est effon­dré à l’été 2007, les investis­seurs ont pris peur et c’est l’ensem­ble des marchés de crédit qui ont per­du leurs acheteurs et donc leur liq­uid­ité. Le prix de ces débor­de­ments est élevé : une pro­fonde réces­sion et la mon­tée du chômage.

Rai­son garder
Il fau­dra rai­son garder et ne pas com­pro­met­tre le retour à la crois­sance par l’ac­cu­mu­la­tion de règles trop pénal­isantes et indif­féren­ciées, qui pour­raient exagéré­ment frein­er le finance­ment de l’é­conomie, notam­ment en Europe, où le rôle des ban­ques est beau­coup plus impor­tant qu’aux États-Unis.

La crise est donc, pour beau­coup, le résul­tat d’une poli­tique moné­taire lax­iste par­ti­c­ulière­ment aux États-Unis. Les ban­ques cen­trales — ras­surées par la mod­éra­tion de l’in­fla­tion des prix des biens et des ser­vices (mod­éra­tion qu’­ex­pliquent en par­tie les expor­ta­tions chi­nois­es à faible coût de main-d’œu­vre) — n’ont guère réa­gi à la mon­tée des périls. Ni la crois­sance exces­sive de la masse moné­taire et du crédit, ni le gon­fle­ment de bulles d’ac­t­ifs ne les ont incitées à resser­rer à temps leur poli­tique moné­taire. Et, pour éviter un effon­drement du sys­tème financier, ces mêmes ban­ques cen­trales n’ont eu d’autre choix que de fournir mas­sive­ment de la liq­uid­ité aux insti­tu­tions finan­cières à la recherche de financement.

Éviter le retour de tels errements

Il faut d’abord s’at­ta­quer à la cause pro­fonde que sont les déséquili­bres macroécono­miques. Il faut détecter à temps les risques du sys­tème et pren­dre des mesures con­crètes pour les cor­riger. C’est ce qui a amené le Comité que j’ai ani­mé à pro­pos­er la créa­tion en Europe d’un ” Con­seil du risque sys­témique ” sous l’égide de la Banque cen­trale européenne. Ce Con­seil com­pren­dra les ban­ques cen­trales, les régu­la­teurs et super­viseurs financiers de l’U­nion européenne.À ce Con­seil revien­dra la respon­s­abil­ité de son­ner l’alerte quand il est encore temps et de pro­pos­er des mesures con­crètes pour éviter les dérives.

Des recom­man­da­tions de nature poli­tique qui exi­gent la coopéra­tion de tous les pays

Ce mod­èle sus­cite de l’in­térêt hors d’Eu­rope, notam­ment aux États-Unis. Il ne sera vrai­ment effi­cace que s’il s’ap­plique glob­ale­ment. Je souhaite que les États-Unis et la Chine, qui ver­rouille abu­sive­ment son taux de change, acceptent de jouer le jeu et de don­ner leur appui à cet effort de ” sur­veil­lance mul­ti­latérale “, ain­si que le G20 l’a recom­mandé récem­ment. Il faut aus­si que la future régu­la­tion finan­cière soit adap­tée aux risques d’au­jour­d’hui et soit donc pro­fondé­ment remaniée. On s’y emploie sur le plan inter­na­tion­al en pro­posant des règles de fonds pro­pres et de liq­uid­ité qui soient à la fois réal­istes et per­ti­nentes afin d’éviter le retour aux pra­tiques du ” hors bilan ” qui ont per­mis à cer­taines ban­ques d’échap­per à la con­trainte réglementaire.

Enfin, il con­vient que ces règles soient les mêmes pour tous les acteurs. Ce que nous avons pro­posé au niveau européen en don­nant un cer­tain nom­bre de pou­voirs de déci­sion aux trois agences de super­vi­sion finan­cières européennes dont nous avons recom­mandé la créa­tion. Et qu’elles soient effec­tive­ment appliquées (à mon sens, le FMI aura un rôle déter­mi­nant à jouer à cet égard).

Ces recom­man­da­tions sont vastes dans leur portée. Il ne faut pas se dis­simuler qu’elles sont, der­rière leur apparence tech­nique, de nature poli­tique. Sans la coopéra­tion de tous et en par­ti­c­uli­er des États-Unis et de la Chine (les deux grandes sources des déséquili­bres) et leur accord pour ajuster leurs poli­tiques intérieures afin de con­tribuer à un meilleur équili­bre glob­al, nous ris­que­ri­ons de nou­veaux déboires à échéance rel­a­tive­ment brève. Les enjeux sont majeurs et le temps est compté.

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