La métrologie légale face aux défis de la mondialisation

Dossier : La mesure au cœur des sciences et de l'industrieMagazine N°649 Novembre 2009
Par Jean-François MAGANA (71)

Repères
 

Repères
 
On appelle métrolo­gie légale l’ensem­ble des lois, règle­ments et des actions de l’É­tat pour assur­er la con­fi­ance dans les mesures chaque fois que l’or­dre pub­lic le requiert. La pre­mière mis­sion de la métrolo­gie légale est donc de con­tribuer au plan nation­al à la con­fi­ance et à la sécu­rité req­ui­s­es par les citoyens dans le cadre du con­trat social. Elle se dis­tingue donc de la métrolo­gie sci­en­tifique et de la métrolo­gie dite ” indus­trielle ” (non régle­men­tée). Cette dis­tinc­tion n’est apparue qu’avec la révo­lu­tion indus­trielle du xixe siè­cle et aujour­d’hui encore les fron­tières entre ces trois domaines sont quelque­fois floues et peu­vent vari­er d’un pays à l’autre.

Les activ­ités de mesure remon­tent aux plus anci­ennes civil­i­sa­tions. La métrolo­gie légale, quant à elle, remonte aux mêmes orig­ines. La con­fi­ance dans les mécan­ismes soci­aux est un des ciments essen­tiels d’une société.

La métrolo­gie légale pro­tège le con­som­ma­teur et le citoyen

Il appar­tient donc aux autorités d’ap­porter cette con­fi­ance. Dès lors que les sociétés ont com­mencé à com­mercer entre elles, le champ de la métrolo­gie s’est éten­du, les mesures de temps et les mesures astronomiques ont été indis­pens­ables à la nav­i­ga­tion, et les mesures de masse et de vol­ume se sont trou­vées con­fron­tées à des références divers­es et des unités de mesure divers­es d’un pays à l’autre.

La métrologie légale base de confiance au plan national

Autorités religieuses et civiles
Dans les sociétés prim­i­tives, la mesure (et la métrolo­gie) était divisée en deux domaines rel­e­vant de deux types d’au­torités. La mesure du temps rel­e­vait de l’au­torité religieuse (les astres revê­tant des attrib­uts divins), aux fins de div­ina­tion et afin d’établir les cal­en­dri­ers pour l’a­gri­cul­ture (les saisons, la fécon­dité de la terre, rel­e­vaient aus­si du divin). La mesure des poids, des longueurs et des vol­umes rel­e­vait de l’au­torité ” civile “, régali­enne, car elle con­cer­nait l’im­pôt, mais aus­si la pro­tec­tion de la pro­priété privée et la con­fi­ance dans le commerce.

La métrolo­gie légale apporte au plan nation­al un cer­tain niveau de sécu­rité et de con­fi­ance. Sécu­rité des citoyens dans leurs actes d’achat quo­ti­di­ens. Le rôle de l’É­tat est d’équili­br­er les posi­tions de force rel­a­tives des agents économiques entre eux et de met­tre les citoyens ou les petites entre­pris­es à l’abri de manoeu­vres déloyales pou­vant les tromper sur la quan­tité ou sur la qual­ité des biens, pro­duits et ser­vices qu’ils achè­tent ou vendent. Aujour­d’hui les con­som­ma­teurs ne s’in­quiè­tent plus, ou peu, de savoir si le kilo­gramme de viande fait bien un kilo­gramme. Cela ne doit pas être tenu comme défini­tive­ment acquis et il est néces­saire que l’É­tat y veille. Au plan nation­al, la métrolo­gie légale pro­tège le con­som­ma­teur et le citoyen, réduit l’ap­pari­tion de lit­iges, évite les coûts inutiles de dupli­ca­tion des mesurages, flu­id­i­fie le com­merce et améliore son effi­cac­ité. Elle joue donc un rôle social évi­dent, mais aus­si un rôle économique impor­tant, moins bien connu.

Une approche spécifique des problèmes de mesure

Les trois domaines de la métrolo­gie, sci­en­tifique, indus­trielle et légale, se définis­sent rel­a­tive­ment claire­ment selon l’u­til­i­sa­tion des mesures effec­tuées. Toute­fois la lim­ite entre la métrolo­gie légale (régle­men­tée) et la métrolo­gie indus­trielle (non régle­men­tée) dépend de la con­cep­tion que l’on a du rôle de l’État.

La métrolo­gie sci­en­tifique est une activ­ité de recherche, dans laque­lle sont mis­es en œuvre les plus grandes com­pé­tences (doc­tor­ants, post doc­tor­ants, etc.) : la con­fi­ance relève ici du niveau de com­pé­tence. La métrolo­gie indus­trielle relève de per­son­nels for­més dans les lab­o­ra­toires ou dans l’in­dus­trie, elle est effec­tuée selon des procé­dures nor­mal­isées : la con­fi­ance résulte d’un com­pro­mis entre com­pé­tence et degré de nor­mal­i­sa­tion. La métrolo­gie légale con­cerne des mesures qui sont effec­tuées par des per­son­nes ne pos­sé­dant pas de com­pé­tence par­ti­c­ulière en métrolo­gie (hormis le fait d’avoir lu la notice d’emploi des instru­ments, mais pas tou­jours). Les con­di­tions d’en­vi­ron­nement ne sont pas maîtrisées (sauf le cas échéant quelques con­di­tions d’in­stal­la­tion des instru­ments, par exem­ple en extérieur ou en intérieur).

Com­pé­tences et con­di­tions de mesure
Le niveau de con­fi­ance a pri­ori résul­tant de ces con­di­tions est représen­té dans le graphe ci-dessus par la dis­tance à l’origine de ces domaines. L’accréditation (démon­stra­tion de com­pé­tence, d’impartialité et d’adéquation des moyens et procé­dures de mesure) pour la métrolo­gie indus­trielle ain­si que la régle­men­ta­tion et le con­trôle pour la métrolo­gie légale ont pour but d’établir la con­fi­ance au niveau approprié.


La con­fi­ance résulte de l’ap­ti­tude des instru­ments de mesure. Ceux-ci doivent être insen­si­bles aux con­di­tions d’en­vi­ron­nement prévis­i­bles, aux erreurs de manip­u­la­tion des opéra­teurs et néces­si­tent une robustesse appro­priée devant les ten­ta­tives éventuelles de fraude. La métrolo­gie légale inclut donc un volet impor­tant d’analyse de risques. 

Des ressources limitées face à des défis majeurs

Fauss­es économies ?
Il est clair que la délé­ga­tion d’opéra­tions pra­tiquée par les ser­vices de métrolo­gie ne sup­prime pas leur coût glob­al pour l’é­conomie. On émet le pos­tu­lat que l’on gagne au moins en effi­cac­ité lorsque l’on pri­va­tise, mais une analyse plus poussée serait néces­saire, car il faut qual­i­fi­er et sur­veiller les organ­ismes délégués, ce qui est un sur­coût impor­tant. Quant aux allége­ments de sur­veil­lance, ils com­por­tent à l’év­i­dence une part de risque qui n’est générale­ment pas éval­uée. Si ces allége­ments sont exces­sifs, ils auront pour effet de détéri­or­er la con­nais­sance de la sit­u­a­tion et de la con­fi­ance que l’on peut accorder aux mesurages et de détéri­or­er la maîtrise de cette con­fi­ance par l’État.

Les défis tech­niques de la métrolo­gie légale sont nom­breux en par­ti­c­uli­er en rai­son de l’ex­ten­sion des domaines con­cernés (envi­ron­nement, nou­velles tech­nolo­gies) et de la mon­di­al­i­sa­tion. Or, faute de savoir ce que seraient les coûts économiques et soci­aux au cas où la métrolo­gie légale n’ex­is­terait plus, tous les pays réduisent les ressources des ser­vices chargés de la métrolo­gie légale, en con­sid­érant qu’on pour­ra avis­er si cela pose des problèmes.

En réponse à cette con­trainte économique et budgé­taire, les ser­vices de métrolo­gie intè­grent dans leur dis­posi­tif régle­men­taire les apports que les sys­tèmes qual­ité des acteurs économiques peu­vent fournir à l’ap­pui de la con­fi­ance dans les instru­ments et dans les mesurages.

Ils délèguent des opéra­tions tech­niques à des organ­ismes du secteur con­cur­ren­tiel, le coût en étant désor­mais sup­porté par les fab­ri­cants, acheteurs et util­isa­teurs d’in­stru­ments de mesure. Enfin, ils ten­dent sou­vent à alléger la sur­veil­lance par les agents de l’É­tat des instru­ments en ser­vice et à mieux cibler et organ­is­er cette surveillance.

Une évolution risquée

L’évo­lu­tion des pra­tiques de la métrolo­gie légale dans les États est donc de remon­ter les con­trôles du pre­mier degré au sec­ond, voire au troisième degré. Le con­trôle des instru­ments est délégué à des organ­ismes sur­veil­lés par l’É­tat, ou à des organ­ismes coor­don­nés par une tête de réseau, elle-même sur­veil­lée par l’État.

Tous les pays réduisent les ressources de la métrolo­gie légale

On rem­place donc pro­gres­sive­ment les oblig­a­tions de résul­tat par des oblig­a­tions de moyens.

• La pre­mière étape est anci­enne, elle con­siste à con­sid­ér­er que, pour avoir des mesurages fiables, il suf­fit d’u­tilis­er des instru­ments appro­priés et dûment contrôlés.
• Dans les années 1980, on a com­mencé à déléguer le suivi de la qual­ité des instru­ments. On a donc défi­ni les critères applic­a­bles aux sys­tèmes qual­ité des fab­ri­cants d’in­stru­ments et aux organ­ismes délégués. L’É­tat con­trôlait donc au ” sec­ond degré ” (en fait déjà au troisième degré par rap­port aux résul­tats de mesure).


Le citoyen doit être assuré de la qual­ité des con­trôles de vitesse © FOTOLIA

• Puis on a con­sid­éré qu’é­val­uer les sys­tèmes qual­ité des fab­ri­cants était le méti­er d’or­gan­ismes de cer­ti­fi­ca­tion pour lesquels on a fixé des critères applic­a­bles à leurs pro­pres sys­tèmes qual­ité, c’est-à-dire aux moyens qu’ils emploient pour éval­uer les sys­tèmes qual­ité d’in­dus­triels. • Vers la fin des années qua­tre-vingt-dix, on a con­sid­éré que suiv­re la qual­ité des organ­ismes cer­tifi­ca­teurs était la mis­sion et le méti­er des accrédi­teurs. On s’est donc plus large­ment reposé sur les organ­ismes d’ac­crédi­ta­tion pour éval­uer la qual­ité des organismes.

La ten­dance actuelle est donc, de façon à peine car­i­cat­u­rale, de regarder très atten­tive­ment les moyens employés par les accrédi­teurs pour éval­uer les moyens util­isés par les organ­ismes cer­tifi­ca­teurs qui éval­u­ent à leur tour les moyens mis en oeu­vre par les fab­ri­cants pour assur­er la qual­ité des moyens util­isés pour les mesurages…

Certes cela fait tra­vailler beau­coup de monde, mais on perd de plus en plus d’in­for­ma­tion sur le résul­tat final. Une oblig­a­tion de moyens n’a de sens que si l’on est capa­ble d’é­val­uer son effi­cac­ité, ce qui ris­querait de man­quer aux pays qui nég­lig­eraient d’é­val­uer égale­ment la qual­ité résul­tante des instru­ments et des mesurages.

Les changements géopolitiques nécessitent de nouveaux modes de coopération

La métrolo­gie légale s’in­scrit dans le mou­ve­ment de mon­di­al­i­sa­tion depuis la créa­tion en 1793 du sys­tème métrique, dédié ” À tous les temps, à tous les peu­ples “. Le lég­is­la­teur avait fait appel aux sci­en­tifiques pour pro­pos­er un sys­tème de mesures qui soit cohérent et uni­versel. Certes il s’agis­sait d’u­ni­fi­er les mesures au plan nation­al, mais les aspects inter­na­tionaux étaient déjà au cœur des préoc­cu­pa­tions, puisque, par exem­ple, Tal­leyrand a été sur le point de faire adopter le sys­tème métrique par l’Angleterre.

L’OIML
L’Or­gan­i­sa­tion inter­na­tionale de métrolo­gie légale (OIML) a été créée en 1955, par un traité inter­gou­verne­men­tal, avec pour mis­sion d’or­gan­is­er l’échange d’in­for­ma­tion entre les autorités nationales de métrolo­gie légale, de dévelop­per la con­fi­ance mutuelle et d’or­gan­is­er la coopéra­tion entre ses mem­bres pour le développe­ment de la métrolo­gie légale dans chaque pays. Depuis trente ans, l’OIML a dévelop­pé nom­bre de doc­u­ments d’har­mon­i­sa­tion des régle­men­ta­tions nationales. Cette activ­ité per­met de dévelop­per et faciliter le com­merce inter­na­tion­al. C’est pourquoi l’OMC a accordé à l’OIML un statut d’ob­ser­va­teur en qual­ité d’or­gan­isme dévelop­pant des normes inter­na­tionales. Toute­fois, le véri­ta­ble objec­tif de l’OIML est d’établir des mécan­ismes coopérat­ifs au plan inter­na­tion­al pour remet­tre les États en mesure d’as­sur­er les mis­sions de régu­la­tion et de pro­tec­tion que la mon­di­al­i­sa­tion met en péril.

La mon­di­al­i­sa­tion se pour­suit depuis des siè­cles, allant du fief médié­val vers le pays, puis vers la Région, puis l’ensem­ble du monde. L’ef­fet en est double :

— elle réalise une inté­gra­tion au plan mon­di­al, des tech­nolo­gies et des pro­duc­tions, ain­si que des sys­tèmes financiers,
— elle met le con­trôle et la régu­la­tion en par­tie hors de portée de chaque État pris isolément.

Les États doivent donc coopér­er pour retrou­ver col­lec­tive­ment les moyens d’une régu­la­tion. C’est le cas en matière de métrolo­gie légale comme dans tous les domaines.

Une des réac­tions des pays face à la mon­di­al­i­sa­tion a été de met­tre en place des organ­i­sa­tions économiques et poli­tiques à l’échelle régionale (Union européenne, Coopéra­tion sud-africaine, ASEAN, Mer­co­sur, etc.). Ces organ­i­sa­tions régionales se sont vu déléguer des pou­voirs qui rel­e­vaient aupar­a­vant des États, et réduisent de fait la sou­veraineté de ceux-ci. À l’op­posé, nom­bre de pays ont accordé une large autonomie à cer­taines de leurs Régions.

Or, en tant qu’or­gan­isme inter­gou­verne­men­tal, l’OIML s’adresse aux États sig­nataires de son traité. Il y a une dou­ble dif­fi­culté à résoudre :

— les Régions ne sont pas sig­nataires du traité et ne par­ticipent pas en tant que telles aux proces­sus de déci­sion ; elles peu­vent alors pren­dre des déci­sions, imposées à leurs États, qui ne respectent pas les oblig­a­tions que ces États ont vis-à-vis de l’OIML ;
— il arrive par­fois que les autorités locales des pays ne soient pas com­plète­ment engagées par les oblig­a­tions du traité, ou les ignorent par­tielle­ment, ce que l’au­tonomie qui leur a été don­née peut permettre.

De nou­veaux modes de fonc­tion­nement doivent donc être imag­inés pour des organ­i­sa­tions comme l’OIML, dans lesquels seraient asso­ciés les Régions, les États et les autorités locales. Toute­fois c’est une réflex­ion à long terme, car cela implique de repenser com­plète­ment un traité.

Des con­traintes à intégrer
Dans le domaine de la métrolo­gie, plusieurs aspects doivent être pris en compte :
— nom­bre de pays n’ont pas toutes les com­pé­tences tech­niques pour maîtris­er les risques inhérents aux nou­velles technologies ;
— dans cer­tains domaines, les moyens tech­niques d’é­val­u­a­tion et d’é­talon­nage des instru­ments de mesure requièrent des investisse­ments par­ti­c­ulière­ment lourds, qu’il est hors de ques­tion de réalis­er dans chaque pays ;
— con­cer­nant les références de plus haut niveau, il n’est pas envis­age­able que chaque pays développe les moyens de réalis­er toutes les unités du sys­tème inter­na­tion­al selon leur déf­i­ni­tion, cela requiert des moyens lourds ;
— un niveau min­i­mal de pro­tec­tion du con­som­ma­teur doit être assuré au niveau international.

La construction d’un Système mondial de métrologie

Inve­stir en commun
Chaque heure passée par un expert nation­al au sein de travaux de l’OIML est une heure mise au prof­it de l’ensemble des pays mem­bres (et plus générale­ment de la com­mu­nauté inter­na­tionale). Il faut donc que chaque pays prenne con­science que tra­vailler pour l’OIML n’est pas une charge, mais un investisse­ment haute­ment prof­itable, puisque cet investisse­ment est mul­ti­plié par un fac­teur con­sid­érable en ter­mes d’expertise recueil­lie à l’issue de ces travaux.

Le mou­ve­ment de mon­di­al­i­sa­tion appelle des mécan­ismes inter­na­tionaux, mul­ti­latéraux, de régu­la­tion. Ces mécan­ismes doivent prévenir les dys­fonc­tion­nements que les États ne sont plus en mesure d’éviter du fait du car­ac­tère mon­di­al des tech­nolo­gies et des productions.

Tout cela appelle à la mise en place d’un sys­tème inter­na­tion­al, sci­en­tifique et tech­nique, qui puisse réin­tro­duire les élé­ments néces­saires à la régu­la­tion de la mon­di­al­i­sa­tion dans le domaine de la métrolo­gie. Il s’ag­it de met­tre en place un sys­tème coopératif, qui soit un tronc com­mun et un out­il com­mun aux­quels chaque État pour­ra recourir pour dévelop­per son sys­tème national.

C’est donc ce sys­tème glob­al de métrolo­gie qui est en train de se con­stru­ire au sein du BIPM et de l’OIML, dans les domaines de la métrolo­gie sci­en­tifique et de la métrolo­gie légale, et qui per­met de don­ner aux États des out­ils com­muns pour la régu­la­tion de la mondialisation.

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